Maison rustique du XIXe siècle/éd. 1844/Livre 1/ch. 11

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Texte établi par Jacques Alexandre BixioLibrairie agricole (Tome premierp. 285-304).

CHAPITRE XI. — Des récoltes.

Ce n’est pas tout de vaincre, il faut savoir profiter de la victoire ; de même, en agriculture, ce n’est pas tout de savoir bien cultiver, il faut savoir bien récolter. La moindre négligence dans cette circonstance peut amener des résultats désastreux pour la qualité et la quantité des produits. Nous ne ferons connaître ici que des données générales, réservant pour la culture des plantes ce qui est particulier à chacune d’elles. Nous diviserons ce chapitre en plusieurs sections qui sont : 1o Précautions générales ; 2o Récoltes des fourrages ; 3o Récoltes des granifères, ou moissons ; 4o Récoltes des racines.

Sect. Ire. Précautions générales. 
 ib.
Sect. II. Récoltes des fourrages. 
 286
Art. Ier. Des fourrages récoltés en vert. 
 ib.
Art. II. Des fourrages secs ou de la fenaison. 
 287
§ Ier. Fourrages artificiels : Fauchages, faulx. 
 ib.
§ 2. Foins des prés naturels : Fourches, râteaux. 
 291
Sect. III. De la récolte des granifères, ou moisson. 
 294
Art. Ier. Époque et degré de maturité. 
 ib.
Art. II. Des différentes manières de moissonner. 
 296
§ Ier. Instrumens : Faucilles, sapes, faux. 
 ib.
§ 2. Conventions avec les moissonneurs. 
 297
§ 3. Soins à donner aux moissons, surtout dans les années pluvieuses : Moyes, meulons, perches, etc. 
 298
§ 4. Rentrée des moissons. 
 300
§ 5. De quelques manières de moissonner. 
 301
Sect. IV. De la récolte des racines. 
 302
§ Ier. Époque de l’arrachage. 
 ib.
§ 2. Récolte à la manière des Anglais. 
 ib.
§ 3. Arrachage à la main. 
 ib.
§ 4. Arrachage à la charrue. 
 ib.
§ 5. Opérations postérieures à l’arrachage. 
 303
Sect. V. Des assurances contre la grêle. 
 ib.


Section 1re. — Précautions générales.

Ne remettre jamais au lendemain ce que l’on peut faire le jour même, c’est un principe d’économie qui est vrai dans tous les temps, mais surtout à l’époque des récoltes.

On commencera donc par s’assurer du nombre de bras nécessaire pour que tous les travaux s’exécutent en temps opportun. L’expérience est le guide qu’il faut surtout consulter, car il y a également à perdre si l’on emploie trop ou trop peu de monde. Dans le premier cas, les opérations s’embarrassent par leur multiplicité ; la surveillance est incomplète et difficile en raison des points différens où elle s’exerce ; il en résulte ordinairement tumulte, désordre, gaspillage. Dans le second cas, les travaux languissent, les produits acquièrent un degré de maturité qui en diminue la quantité et en déprécie la valeur.

Il faut aussi que le nombre des chevaux, des domestiques, soit en rapport avec celui des journaliers. Lorsque l’économie et l’administration d’une ferme exigent qu’à cette époque on tienne un valet de plus qu’à l’ordinaire, il ne faut pas reculer devant cette dépense. Dans certains pays on les nomme calvaniers. Ordinairement on ne les paie point en argent, mais en denrées dont on détermine auparavant la quantité. Au choix du calvanier doit présider la même circonspection qu’à celui des autres domestiques. Beaucoup de cultivateurs prudens ont à cœur d’avoir toujours les mêmes calvaniers. Les deux parties y gagnent : l’exploitant, parce qu’il n’a plus à faire l’étude de caractères nouveaux, et que ces valets, déjà au fait de la besogne, perdent moins de temps à prendre les habitudes de l’exploitation ; le calvanier y gagne également, parce qu’il n’a pas à s’inquiéter ou il trouvera du travail.

Toutes les dispositions étant prises sous ce rapport, on portera son attention sur le matériel. On aura soin que les granges, les gerbières, les fenils ou fointiers soient propres et déblayés de tout ce qui peut les embarrasser. Les toitures auront été scrupuleusement visitées et réparées, les murs bien crépis. Une précaution indispensable serait de boucher tous les trous, toutes les fissures où les souris et les rats peuvent se réfugier et en faire le centre de leurs dégâts.

Il ne faudra pas attendre non plus le moment de la récolte pour mettre les chariots et les autres véhicules en état de faire un service régulier, et de supporter des charges assez pesantes. On éprouve toujours de grandes pertes en instrumens, en grains, et de plus grandes pertes encore d’un temps précieux, lorsqu’au milieu du chemin un char se brise ou verse.

Pour éviter ces inconvéniens, on se trouvera bien de faire quelques réparations aux chemins les plus fréquentés. C’est une dépense qui se retrouve toujours au centuple, non seulement parce qu’elle empêche les instrumens de se détériorer, mais encore parce qu’elle conserve la force et la santé des animaux. Dans les pièces entourées de fossés ou sillonnées de tranchées ouvertes, soit pour le défrichement, soit pour l’irrigation, on transportera des ponts mobiles pour donner passage aux voitures. Ces ponts volans et temporaires sont faits en forts madriers. Ils sont bien préférables aux broussailles dont on se sert dans le même cas pour combler les fossés. Des ponceaux en pierres seraient plus durables, mais ils ont l’inconvénient d’exiger plus de dépenses, et de faire perdre à la clôture une partie de ses avantages.

Dans les pays où la moisson se fait par des étrangers, on leur préparera une couche commode. Il est vraiment affligeant de voir des moissonneurs épuisés de fatigues, entassés le soir dans des granges, dans des greniers où ils peuvent à peine prendre quelques heures de sommeil. Les ouvriers sont plus sensibles qu’on ne le pense aux bons procédés, et ils récompensent toujours ceux qui les traitent avec une certaine libéralité, par un travail plus assidu et par une probité qui se dément rarement.

C’est aussi le moment de préparer des boissons économiques, pour ces temps de soif dévorante. On a donné bien des recettes de boissons rafraîchissantes ; je crois que cette qualité ne suffit pas et qu’il faut les rendre aussi un peu spiritueuses. Donner de sages conseils aux moissonneurs pour la conservation de leur santé, c’est une tâche que tout homme éclairé s’empressera de remplir ; mais il ne faut pas qu’il s’abuse, qu’il s’apitoie à contre-temps ; on exigerait bientôt avec audace ce qu’on n’oserait même demander à un homme moins facile ; il y aurait relâchement. Trop de fierté ou d’indulgence peut compromettre singulièrement, dans ces circonstances, le caractère du chef de l’exploitation.

Peu de temps avant la moisson de chaque espèce de céréales, on préparera les liens suffisans pour l’engerbage. Diverses matières sont employées à cet usage. Les principales sont : le genêt et le coudrier, l’écorce de tilleul, la paille et les joncs. Toutes les substances ligneuses en général sont peu propres à lier solidement un faisceau d’épis. Si dans quelques contrées, notamment en Bretagne, on se sert de genêts, c’est que là on bat la récolte sans la mettre en grange, et que la gerbe ne demeure liée que deux ou trois jours. Le bois en se desséchant devient plus cassant et occupe moins d’espace que lorsqu’il était encore vert, et on conçoit que les chaumes ne tardent pas à se desserrer et à se perdre. Il en est de même du coudrier.

Dans les pays environnés de taillis où le tilleul est commun, on écorce les jeunes branches de cet arbre au moment de la sève ; la force et la flexibilité de ces écorces, que l’on nomme tilles, les rendent très-propres au liage des céréales, et plus propres encore à celui des foins lorsqu’on bottèle sur le champ même. Ces sortes de liens se vendent 50 à 60 centimes la botte, lorsque celle-ci en contient un cent. Les tilles servent plusieurs fois si l’on a la précaution de les faire tremper quelque temps avant de s’en servir.

La paille, celle de seigle, est la substance que l’on emploie le plus communément. La manière de faire les liens avec la paille est assez connue : on la bat, soit au fléau, soit par le chaubage ; on mouille l’extrémité où se trouvent les épis : c’est la partie la plus flexible, et par conséquent celle où l’on fait le nœud. C’est ce qu’on nomme le nœud droit, le nœud de mèche. Celui qui a vu deux paysans bretons prendre chacun une poignée de paille et la tordre pendant quelques minutes pour en faire un lien, s’étonne qu’une opération aussi simple et aussi expéditive que le nœud ne soit pas universellement répandue. C’est ce qui m’engage à en donner ici la figure (fig. 382).

L’habitude et l’exercice seuls peuvent donner l’agilité pour faire ces liens promptement et solidement.

Les liens de joncs sont peu usités et peu solides. Le meilleur usage qu’on puisse faire de ces végétaux, c’est d’en tresser des nattes, et d’en faire des ligatures pour palissage. Pour la récolte des foins comme pour celle des grains, il faut toujours avoir deux endroits de déchargement : l’un pour y déposer les produits bien récoltés, l’autre destiné à recevoir ceux que la pluie ou d’autres circonstances auraient tenus humides ; afin que si ces derniers venaient à s’échauffer et à fermenter, on pût les battre ou les faire consommer sans bouleverser la gerbière.

Chacun consultera encore les circonstances qui échappent à la prévision de l’homme : il interrogera les localités et prendra conseil de sa position. Lorsque le cultivateur prudent aura pris toutes les mesures que nous venons d’indiquer, il peut attendre avec confiance le moment de la récolte ; le hasard, les événemens imprévus, les changemens brusques de température, le trouveront rarement en défaut.

Section ii. — Récoltes des fourrages.

Dans quelques contrées montagneuses ou dans des marécages, les animaux vont eux-mêmes chercher leur nourriture ; la récolte ne se fait pas autrement que par la dent des animaux : ceci appartient plutôt à l’aménagement des pâturages et à l’économie des prairies d’embouche qu’à la question qui nous occupe.

Nous dirons seulement un mot sur les fourrages donnés en vert à l’étable.


[11 :2 :1]
Art. ier. — Des fourrages récoltés en vert.

Il semble aux domestiques chargés de l’affourragement qu’il n’y a qu’à faucher et à donner. L’époque du vert, qui devrait être pour les animaux une époque de vigueur et de santé, est souvent le moment où les cultivateurs, par leur négligence, font des pertes considérables.

Nous indiquerons les précautions à prendre pour éloigner de semblables désastres, lorsque nous parlerons de l’alimentation des animaux. Nous ne pouvons mieux faire, en traitant le sujet qui nous occupe, que de citer les paroles de M. de Dombasle : « Pour la régularité du service, il est nécessaire, dans une exploitation rurale, qu’un individu déterminé soit chargé de faucher et d’amener journellement le fourrage vert pour tous les bestiaux ; sans cela, il en résulte beaucoup de désordre dans le service : c’est toujours un sujet de disputes entre les valets, pour savoir qui n’ira pas. Les bêtes manquent souvent de fourrage, et c’est pour tous un sujet toujours prêt pour perdre beaucoup de temps. Lorsqu’on n’a pas beaucoup de bêtes à nourrir, on peut distribuer cette besogne à tour de rôle entre les valets, en sorte que chacun en soit chargé pendant une semaine ou pendant un mois. Celui qui est de service va au vert aussitôt que les attelages quittent le travail ; de cette manière on peut, au moyen d’une surveillance facile, être assuré que les ordres donnés seront bien exécutés, parce que la responsabilité pèse toujours sur un homme en particulier. C’est un principe dont ne doit jamais s’écarter, pour toutes les branches du service, l’homme qui dirige une exploitation. On imaginerait à peine combien cette attention donne de facilité pour établir l’ordre dans tous les détails. Si l’on nourrit au vert une quarantaine de têtes de gros bétail, le fauchage et la conduite du vert emploient, chaque jour, à peu près la demi-journée d’un homme, pourvu que la coupe soit tant soit peu abondante ; on doit alors en charger un ouvrier autre qu’un valet d’attelage, et lui assigner une autre besogne fixe pour le reste de la journée. Lorsqu’on a 8 ou 10 vaches, on peut très-bien leur faire conduire le fourrage vert pour tous les bestiaux de l’exploitation. En attelant deux vaches à un petit chariot, et les changeant fréquemment, cela fait pour toutes un exercice salutaire qui ne diminue en rien la quantité du lait qu’elles donnent. »

L’époque la plus favorable à la coupe des fourrages verts est celle où la plupart des plantes sont en pleine floraison ; mais, si l’on attendait jusque là pour commencer le fauchage d’une pièce, il arriverait infailliblement, lorsqu’on toucherait à la fin, que les tiges seraient trop dures et trop ligneuses. Lorsque le champ aura quelque étendue on aura donc soin de commencer quelque temps avant la fleur, afin d’avoir toujours des tiges vertes et succulentes. C’est un grand talent pour un agriculteur de savoir combiner son assolement de telle sorte que la nourriture au vert ne soit pas interrompue ni excessivement abondante ; au reste, il vaut mieux que cette dernière circonstance se présente, car ce qui serait surabondant peut toujours être converti en foin.

On tiendra sévèrement la main à ce que les valets fauchent toujours d’une manière régulière, en suivant la direction des billons, surtout pour les fourrages annuels, tels que les vesces, le trèfle incarnat, le seigle, etc. On ne doit jamais manquer, sitôt que la coupe d’un billon est terminée, d’y mettre la charrue pour enfouir les chaumes ; on comprend que si la pièce est fauchée sans ordre, on ne peut exécuter ce labour que lorsque la totalité est enlevée.

[11:2:2]
Art. ii. — Des fourrages secs ou de la fenaison.

Nous arrivons à parler de la récolte des fourrages convertis en foin ou de la fenaison. C’est sur l’abondance et la qualité de ses fourrages que reposent les espérances du cultivateur, parce qu’ils sont les élémens essentiels de la production du fumier et de la nourriture des animaux. L’époque varie suivant les saisons d’abord, mais encore plus suivant la nature des plantes et l’espèce de bestiaux auxquels le fourrage est destiné. Nous diviserons la récolte des foins en fourrages artificiels et en fourrages naturels.

[11:2:2:1]
§ ier. — Fourrages artificiels.

Les fourrages des prairies artificielles sont ordinairement mûrs les premiers. Je n’entends pas par maturité le moment où les plantes ont acquis un tel développement que leurs semences puissent servir à la reproduction, mais bien celui où ces sortes de prairies donnent le fourrage le plus abondant et le meilleur.

En général, l’époque où les fleurs commencent à tomber est celle qu’il faut préférer, à moins que le foin ne doive servir à la nourriture des chevaux qui, en général, aiment un foin sec et fibreux. Le contraire arrive lorsqu’on veut nourrir du bétail à cornes. Quelques vétérinaires, en faisant l’autopsie des chevaux abattus, ont remarqué dans leurs intestins de grosses pelottes de feuilles, dont la présence n’est pas sans doute étrangère à certaines affections qui attaquent le cheval ; souvent, dans les râteliers, on a pu remarquer des amas de feuilles qui nous paraissent très-succulentes, et qui sont cependant dédaignées par ces animaux. Les bœufs au contraire en sont très-friands, et on a remarqué partout que le fourrage coupé de bonne heure est préférable a l’autre pour l’engraissement. Sans donner à ces considérations plus d’importance qu’elles n’en méritent, je crois que le cultivateur, possesseur de gros bétail, fera bien de prendre les prairies artificielles un peu sur le vert, et de laisser au contraire prendre plus de consistance au système ligneux, chaque fois qu’il aura des chevaux à nourrir. Cela est vrai surtout pour certaines espèces de fourrages dont les graines sont un peu volumineuses et du goût des chevaux, telles que les pois gris, les vesces, le sainfoin.

Dans tous les cas, la fauchaison des fourrages annuels sera devancée de quelques jours ou davantage, lorsqu’ils se trouveront mélangés d’une forte proportion de mauvaises herbes, afin que celles-ci n’aient pas le temps d’arriver à maturité, de s’égrener, et d’infecter le champ de leurs semences pour plusieurs années.

Pour le fauchage des prairies artificielles, on se sert de la faulx simple (fig. 383). Les Flamands emploient la sape, mais presque partout on commence à renoncer à cet instrument pour la coupe des foins. Les faulx nous viennent généralement des pays d’Outre-Rhin. Leur forme est à peu près la même dans toutes les localités ; la manière de les monter diffère presque dans chaque canton. Nous allons donner le dessin des principales modifications.

La première (fig. 384) est employée dans le nord-est de la France, en Alsace, en Lorraine, etc. ; la seconde (fig. 385), dans la Champagne et les pays adjacens ; la troisième (fig. 386), qui est la plus simple, la plus commode, est généralement répandue en Bretagne. Le manche en est beaucoup plus long qu’ailleurs, et terminé par un morceau de fer destiné à faire équilibre avec le poids de la faulx, et c’est en cela surtout que consiste sa supériorité sur les autres amontemens.

Pour le fauchage des foins, la faulx est rarement armée de quelques accessoires. En Picardie seulement on attache sur le manche, et près de la douille qui y fixe la lame, une sorte de crochet en fer (fig. 387), dont la fonction est de rassembler sur un seul point, ou une seule ligne, toute l’herbe coupée par chaque mouvement de la faulx. Il est très-utile dans cette contrée pour le fanage des prés artificiels, parce que là, ainsi que nous le verrons plus tard, on n’éparpille pas les andains pour hâter la dessiccation du foin. Ainsi, l’addition de ce crochet fait, dans ce cas, l’office d’un râteau ; car il serait difficile d’apercevoir entre les andains le moindre brin d’herbe coupée.

La manière de manier la faulx diffère peu d’une contrée à l’autre. Il est toujours imprudent de forcer un ouvrier à en changer subitement ; car, si quelque défectuosité se fait remarquer dans sa besogne, il ne manque pas d’en rejeter la faute sur la prétendue imperfection de la méthode qu’on lui a imposée.

Lorsqu’on pourra, sans cependant conclure de marchés onéreux, faire exécuter le fauchage à la tâche, ou à forfait, on y trouvera une grande économie de surveillance. Mais ce système n’est pas non plus sans inconvénient, parce que la besogne se fait souvent fort mal ; on perd en qualité et en quantité lorsqu’on ne traite pas avec des hommes probes.

Un point sur lequel il importe d’apporter beaucoup d’attention et d’exigence, c’est que les faucheurs coupent l’herbe le plus bas possible. En supposant à l’herbe une hauteur de 2 pieds et un produit par hectare de 4 milliers de fourrage, il est évident que si on laisse des tronçons de 2 pouces plus haut qu’il n’est nécessaire, on diminue le produit de 1/12, et, si le fourrage se vend 18 f. le millier, on fera sur chaque hectare une perte de 6 f. par coupe ou de 12 f. pour deux coupes, ce qui surpasse les frais de fauchage, puisque dans la plupart des localités on ne paie que 5 f. 50 c. lorsqu’on a une grande quantité à faire faucher. Il résulte encore de cet état de choses un très grand inconvénient, c’est que ces tronçons, venant à se dessécher, deviennent extrêmement durs et ligneux, et forcent les ouvriers, dans la coupe suivante, à prendre encore au-dessus et à occasioner une plus grande perte que la première. Dans les prairies naturelles, le dommage produit surpasse de beaucoup la proportion que j’ai indiquée pour les fourrages artificiels. Il est incontestable que c’est dans le tapis qui forme le fond du pré que se trouve l’herbe la plus touffue, la plus nourrissante, telle que les trèfles fraisier, blanc, filiforme, et les feuilles radicales de la majeure partie des graminées.

Ceux qui ont tant soit peu l’habitude du fauchage n’ignorent pas que cette opération s’exécute avec plus de perfection et moins de fatigue lorsque les plantes sont mouillées et couvertes de rosée. Les faucheurs ont l’habitude de commencer leur besogne dès la pointe du jour. Ils font beaucoup plus d’ouvrage ; le travail est mieux fait. Mais cependant il ne faut pas se faire illusion ; ces monceaux d’herbage tout humides de pluie ou de rosée, s’ils ne sont pas répandus immédiatement, ne tardent pas à fermenter et à devenir jaunes ; l’humidité fait perdre une partie des substances nutritives, qui ordinairement sont solubles. Si l’on permet aux faucheurs de commencer dès le matin, il est essentiel de leur prescrire de ne travailler que sur les parties élevées, et non pas dans les bas-fonds où la dessiccation est longue et difficile.

La faulx décrit toujours un arc de cercle dans le plan vertical où s’élève l’herbe (fig. 388). L’endroit où cet arc approche le plus de la terre se trouve vis-à-vis des pieds P du faucheur. L’art de celui-ci consiste à effacer cet arc et à le confondre le plus possible avec la ligne horizontale. Lorsque le redan, c’est-à-dire la largeur parcourue par la faulx, s’étend assez loin, on ne peut éviter que les deux extrémités ne soient coupées à une plus grande hauteur que le milieu.

Communément les faulx et les autres instrumens tranchans employés aux récoltes s’aiguisent avec un grès grossier. Je conseille aux ouvriers de faire le sacrifice de quelques centimes pour s’en procurer à grain plus fin ; ils y gagneront doublement : d’abord ils s’usent moins vite, ensuite ils rendent le tranchant plus doux, plus moelleux, et il faut recommencer moins souvent. L’eau dans laquelle on trempe ce grès est prise à la première source venue. Il parait qu’en l’aiguisant avec de l’acide sulfurique, dans la proportion de 1/10 à 1/6, la coupe est plus nette et fatigue moins l’ouvrier. L’acide sulfurique est un liquide que l’on trouve dans toutes les pharmacies, et qui se vend à vil prix.

Aussitôt qu’on a commencé à faucher une pièce d’herbage artificiel, on se hâte, dans certaines contrées, de répandre les andains sur toute la superficie. C’est une faute, quelles que soient d’ailleurs les circonstances de position et de température. En effet, si la pluie menace, il faudra remettre le fourrage en petits tas, et l’épandage aura été une opération inutile. Si le temps marque une tendance à rester au beau fixe, les feuilles des plantes, surprises par une chaleur intense, se crisperont, se dessécheront trop promptement et tomberont à la moindre secousse.

Nulle part le fanage des prairies artificielles n’est mieux entendu que dans certaines parties du département de l’Oise. Je vais exposer les procédés que l’on y suit, mais qui ne sont point invariables. Tout ce qui est fauché le matin est laissé en andains, tels que les a faits le fauchage. Vers midi ou une heure on les retourne, mais on ne les éparpille pas. Cette opération a seulement pour but de les faire également ressuyer des deux côtés. Ce qui est fauché le soir est laissé intact. Le lendemain matin, aussitôt que la chaleur du soleil a fait évaporer la rosée, on met en petits tas de 25 à 30 livres tout ce qui a été fauché la veille indistinctement. On a soin de les soulever le plus possible, afin que la chaleur et le vent les pénètrent dans tous les sens. On les retourne le jour même et les suivans jusqu’à ce qu’ils soient secs, mais toujours sans les répandre. Aussitôt qu’on s’aperçoit que la dessiccation est terminée, on apporte des liens de paille ou d’écorces de tilleul qu’on a préparés dans les cours pendant que la rosée ne permettait pas de travailler, et on lie ce qui est sec ; le lien est étendu par terre et chargé de deux des petits monceaux dont j’ai parlé précédemment. Les ouvriers les plus faibles chargent les liens, et les plus forts, ou mieux les plus adroits, lient les bottes sans trop les secouer. Par la dessiccation ces sortes de fourrages se réduisent ordinairement au quart du poids qu’ils avaient étant verts. Ainsi, chaque botte pèse à peu près 12 à 16 livres. Aussitôt le bottelage terminé, on met le tout en dizeaux de 25 à 50 bottes.

La manière de faire ces dizeaux mérite d’être connue. Un ouvrier tient dressée la botte A (fig. 389), pendant que les autres dressent contre celle-là les bottes B, C, etc., jusqu’à ce qu’il y en ait neuf dans la ligne. Il y a deux rangs accolés l’un contre l’autre. La disposition du dessin n’a permis d’en figurer qu’un. Lorsque les dix-huit bottes sont dressées en donnant un peu d’inclinaison aux dernières, on les recouvre avec sept bottes D, posées en travers et formant un peu le toit. On comprend que s’il vient à pleuvoir, il n’y aura de mouillées que les bottes supérieures qu’on pourra ôter et faire sécher lorsque le temps le permettra. Cette disposition a encore un mérite qui lui est particulier : c’est qu’il est facile au cultivateur de s’assurer immédiatement et sans beaucoup de peine, du nombre de bottes de fourrage qu’il a récoltées.

Le bottelage sur le champ même a pour but de conserver au fourrage la majeure partie de ses feuilles. Quiconque a été présent au chargement et au déchargement d’une récolte de fourrages artificiels, comprendra aisément quelle économie présente cette méthode comparativement à celle qui consiste à les emmagasiner sans les avoir bottelées auparavant.

Comme on le voit, le point principal qui différencie le fanage picard des autres modes usités dans la presque totalité du territoire français, consiste à opérer la dessiccation du foin en petits tas, au lieu de l’éparpiller. S’il arrive des ondées pendant l’opération, on n’a d’autre besogne à faire que de retourner de temps à autre les monceaux, afin d’empêcher le dessous de jaunir. Si on eût dispersé tout le foin sur la surface du sol, la pluie aurait lavé toutes les tiges, occasioné la chute des feuilles, et chaque partie de la récolte étant soumise incessamment à l’action dissolvante de l’humidité, tous les brins sont comme lessivés et perdent à la longue leurs principes nutritifs. Le fourrage devient blanc, et n’a plus de qualité pour la vente, parce que dans la réalité il ne possède guère d’autre mérite que celui de la paille.

Cet inconvénient a été senti partout : dans quelques pays on a essayé d’y remédier par diverses méthodes. Les cultivateurs qui ne voudraient pas pratiquer la méthode picarde, que nous venons de faire connaître dans toute sa simplicité, pourront tenter celle qui est usitée dans quelques provinces allemandes et dans le Milanais : c’est la méthode dite à la Clapmayer, ainsi appelée du nom de celui qui la propagea le premier. Elle se fonde sur un principe de physiologie végétale bien connu aujourd’hui : que les plantes n’abandonnent leur eau de végétation que lorsque la vitalité est détruite. Plusieurs causes, plusieurs agens peuvent opérer cette destruction : la dessiccation à l’air libre, la trituration, la cuisson, la fermentation, les combinaisons chimiques au moyen de substances étrangères. Si l’on prend des plantes bien sèches, qu’on les fasse tremper dans de l’eau, après un certain temps et en raison de la porosité de leur tissu, elles se chargeront d’une plus grande quantité de ce liquide qu’elles n’en contenaient à l’état vert et herbacé ; lorsqu’elles sont ainsi mouillées artificiellement, si on les expose à l’action du vent et du soleil, elles seront complètement sèches après 20 à 25 minutes, tandis que pour les réduire au même état de siccité, il a fallu 36 à 48 heures de beau temps pour évaporer l’eau de végétation.

Pour anéantir les principes de vie, Clapmayer s’est servi de la fermentation. Quelques heures après que le trèfle ou tout autre fourrage est fauché, on l’amasse en gros monceaux tassés médiocrement, afin que l’air, qui est un agent essentiel à la fermentation, puisse y pénétrer. La fermentation se manifeste quelquefois après 12 heures, le plus souvent après 24 à 30, rarement elle tarde jusqu’à 60. Elle marche tantôt rapidement, tantôt avec une grande lenteur. Dans tous les cas, lorsque la chaleur qui se développe à l’intérieur est telle qu’on ne peut plus y tenir la main et que le gaz s’échappe d’une manière sensible à l’œil, il n’y a plus de doute que le principe de vie ne soit détruit dans les végétaux. On rassemble un grand nombre d’ouvriers, on démonte le tas, on l’éparpille au loin ; et, après une heure ou une heure et demie de beau temps, le tout est sec et a conservé ses feuilles. Quoique les gaz qui s’échappent lorsqu’on disperse les tas échauffés ne soient pas bien nuisibles, parce qu’ils sont emportés et mélangés avec la masse ambiante, il est bon de prendre quelques précautions. Les ouvriers se plaignent que cette opération les rend ivres sans avoir eu le plaisir de boire. Cette méthode paraît très-commode et très-simple au premier aperçu ; mais, appliquée sur une grande échelle, elle ne laisse pas que d’offrir des difficultés réelles. Ainsi, dans l’incertitude du moment où la fermentation sera arrivée au degré convenable, on ne sait trop à quoi employer les ouvriers. D’un autre côté, si la fermentation se manifeste dans plusieurs tas à la fois, on n’a pas assez de bras, et on risque de perdre beaucoup ; car, lorsque cette fermentation dépasse certaines limites, le fourrage se moisit, se champignonne et devient cassant ; il s’est opéré des réactions, des combinaisons chimiques, qui en ont altéré l’arome et détruit la qualité. Si une meule vient, en outre, à s’échauffer démesurément pendant la nuit, on est en danger de la perdre.

Quelles que soient les préventions des valets contre le fourrage séché à la Clapmayer, on ne doit s’en rapporter qu’à la réalité. Il est de fait que les militaires qui ont fait la campagne d’Italie et qui ont stationné dans le Milanais, conviennent que ce foin était consommé par leurs chevaux, sans que ceux-ci témoignassent la moindre répugnance, excepté les trois ou quatre premiers jours.

[11:2:2:2]
§ ii. — Récolte des foins de prés naturels.

L’époque où le fanage de ces sortes d’herbages s’exécute, varie avec la température de l’année et la climature de chaque contrée ; elle est également et surtout subordonnée à la nature des plantes qui composent la prairie. Un défaut qu’ont la plupart des prés naturels, c’est d’être composés de végétaux qui n’arrivent pas à maturité au même moment de l’année. Si l’on fauche quand les unes ont pris tout leur développement, on perdra en quantité sur celles qui sont moins avancées ; si l’on attend que celles-ci soient arrivées à maturité, les premières n’offriront plus qu’un fanage sec, fibreux, ne contenant de principes alimentaires qu’en très-faible proportion. Dans une même prairie, la Flouve odorante (Anthoxanthum odoratum) a fleuri vers la fin d’avril, la majeure partie des Paturins (Poa) fin de mai ; les Fétuques, dans la première moitié de juin ; les Agrostides (Agrotis), dans la seconde moitié de juillet ; les Canches (Aira), les Orges (Hordeum), les Bromes (Bromus) et les Houques (Holcus), dans la 1re quinzaine du même mois. D’autres ont fleuri plus tard encore, tels que quelques Alopécures, Ivraies et Fromens. Nous nous étendrons davantage sur cet objet lorsque nous parlerons de la composition et de la régénération des prés naturels.

Les cultivateurs qui estiment le fourrage par le poids brut, attendent pour faucher que la plupart des graminées aient amené leurs semences à maturité. Il serait plus judicieux de prendre pour base de sa détermination la quantité de matière nutritive que contient la plante aux diverses époques de sa croissance. Peu d’expériences ont été faites sur un objet qui intéresse cependant l’agriculture au plus haut degré. En attendant qu’on veuille bien s’occuper de recherches analogues, j’extrais du tableau dressé par Georges Sinclair ce qu’il y a de réellement pratique dans son ouvrage sur les graminées propres aux prairies.

Les plantes qu’il convient de faucher à l’époque de la floraison, sont les suivantes : Fétuque élevée et F. roseau (Festuca elatior et arundinacea), Brome stérile (Bromus sterilis), Houque molle (Holcus mollis), Brome à plusieurs fleurs (Bromus multiflorus), Phalaris roseau (Phalaris arundinacea), Fétuque dure (Festuca duriuscula), Poa à petites feuilles (Poa augustifolia), Houque laineuse (Holcus lanatus), Fétuque des prés (F. pratensis), Alopécure des prés (Alopecurus pratensis), Avoine pubescente (Avena pubescens), Brome des toits (Bromus tectorum), Paturin des prés (Poa pratensis), Avoine jaunâtre (Avena favescens), Avoine des prés (A. pratensis). Il convient au contraire de faucher à l’époque de la maturité des graines, les prairies naturelles dont les graminées principales sont les suivantes : Fléole des prés (Phleum pratense), Dactyle pelotonné (' Dactylis glomeiata), Agrostis traçante (Agrostis stolonifera), Fétuque rouge (F. rubra), Ivraie vivace (Lolium perenne), Brize tremblante (Briza media), Cynosure à crête (Cynosurus cristatus), Flouve odorante (Anthoxanthum odoratum), Poa commun (Poa trivialis).

L’époque dépend encore de l’espèce de bétail auquel le fourrage est destiné. Les bêtes à cornes préfèrent celui qui a été fauché de bonne heure ; les chevaux aiment mieux celui qui l’a été à une époque assez avancée.

Dans tous les cas, le cultivateur se persuadera bien qu’il n’y a rien à perdre à faire la récolte des prés à l’époque de la floraison, quelle que soit la nature des plantes qui les composent. Si l’on fait une seconde coupe ou un regain, elle sera plus abondante ; si l’on fait pâturer immédiatement après la première coupe, le pâturage durera plus longtemps. Une seule circonstance demande exception. Lorsque les souches des plantes viennent à périr ou du moins à donner des signes d’une prompte destruction, on laisse mûrir les semences : le fauchage et le fanage, en les secouant, les répandent sur le sol ; on donne ensuite un hersage énergique pour les enterrer et remuer la terre. Elles ne tardent pas à germer et à donner une nouvelle vie à la prairie. Mais ce moyen n’est qu’un palliatif ; il est certain que si des plantes vivaces meurent, c’est qu’il y a dans le sol un vice intrinsèque qu’il faut détruire, et le meilleur moyen de régénérer une prairie, c’est de la convertir pour quelque temps en terre arable.

Le fauchage des prés naturels s’exécute comme celui que nous avons décrit pour les prairies artificielles, si ce n’est que l’espace compris entre les andains devant être bientôt recouvert de foin, on n’a pas besoin d’adapter à la faulx l’appendice dont nous avons parlé. Dès qu’une certaine superficie est abattue, on se hâte de la disperser le plus également possible sur toute la surface. On se sert pour cela des bras, ou du râteau, ou de la fourche en bois à deux ou trois dents. La première espèce de fourche (fig. 390) se rencontre assez communément dans nos forêts du centre, du midi et du nord de la France ; le frêne, l’orme, le charme, en fournissent d’assez bonnes. On les choisit bien droites, car si le manche est courbé, il tourne dans la main de l’ouvrier, de sorte que souvent ses efforts portent à faux. Le châtaignier, aménagé en taillis, en fournit d’excellentes. Quelle que soit l’essence dont on se serve, il faut écorcer, faire sécher au four un peu chaud jusqu’à noircir légèrement la superficie de la fourche, et la frotter ensuite avec un corps huileux, ce qui la rend plus dure et moins cassante.

La fourche à trois dents est quelquefois artificielle (fig. 391 ), et quelquefois naturelle (fig. 392). Le Midi se sert généralement de ces dernières. Je suis persuadé qu’on réussirait à élever le frêne quadrangulaire de manière à nous procurer d’excellentes fourches à deux ou trois dents. Cet arbre vient rapidement, et n’exigerait d’autres soins qu’une taille appropriée au but que l’on voudrait obtenir. Il faudrait pour cela le cultiver et le planter assez dru, afin que les jets montent perpendiculairement. Les deux branches latérales feraient peut-être avec le tronc de l’arbre un angle trop ouvert. On le rendrait plus aigu au moyen de ligatures. Ce que je viens de dire n’est qu’une hypothèse, mais il y a lieu de croire qu’elle n’est point dénuée de fondement.

On répand tout ce qui est fauché jusqu’à trois heures, ou jusqu’au repas que prennent ordinairement les ouvriers vers quatre heures ou quatre heures et demie. Ce qui est fauché après cette époque est laissé en andains. On amasse ce qui a été répandu en petits tas que, dans certains pays, on nomme chevrottes et qui représentent assez bien la moitié d’une sphère qui aurait vingt pouces à deux pieds de diamètre. Cependant, si la température menaçait, on laisserait les andains sans les toucher. Même pendant des pluies abondantes et persévérantes ils se conservent bien, pourvu qu’on ait la précaution de les retourner aussitôt qu’on s’aperçoit que les feuilles du dessous commencent à jaunir. Mais une fois la dessiccation commencée, on aura pour règle invariable de ne pas laisser expose à la pluie ou à la rosée un seul brin d’herbe qu’il ne soit amassé en chevrottes. Ces chevrottes, ou monceaux, seront d’autant plus grosses que le foin sera arrivé à un point plus avancé de siccité. Aussitôt que la rosée est évaporée, ces monceaux sont répandus sur la surface au moyen des fourches. Quelques heures après on retourne le foin avec des râteaux qu'on manœuvre de manière que l’herbe qui était au dessous se trouve au-dessus après l’opération.

Le râteau varie peu dans sa forme et dans la manière dont il est armé. Ceux que nous représentons (fig. 393 et 394) sont doubles ; quelquefois ils sont simples, c’est-à-dire qu’il n’y a des dents que d’un seul côté ; les premiers sont préférables. Presque toujours les dents sont en bois ; en fer elles seraient trop lourdes, pénétreraient, dans le sol et mêleraient au foin de la terre, des feuilles mortes, des herbes sèches. On dit proverbialement que le foin doit sécher sur le râteau, c’est-à-dire que la dessiccation est bien plus prompte si on le tourne et retourne sans cesse. Je crois l’adage vrai sous ce rapport ; mais il ne faut pas confondre ici célérité avec économie. Pour se convaincre de la perte qu’on éprouve par un fanage trop fréquemment répété, on n’a qu’à prendre 20 livres de foin à moitié sec, et le faire secouer à plusieurs reprises consécutives, on ne trouvera plus que 16 à 17 livres.

La préparation du foin au râteau est longue et assez dispendieuse, puisque, s’il a fallu un faucheur pour couper une superficie donnée, on calcule qu’il faudra quatre femmes pour faner. On a imaginé plusieurs machines pour faire exécuter cette opération par des animaux. L’instrument le plus parfait de ce genre est le râteau tournant employé à la ferme de Holkam. Il y en a de deux espèces.

La première espèce, et la plus simple (fig. 395), se compose d’un châssis, destiné à porter l’essieu des roues. Ici l’essieu n’est pas fixe comme dans les véhicules ordinaires. Il tourne sur ses coussins, et entraine dans son mouvement de rotation les roues et le râteau circulaire. Ce râteau est formé d’un prisme de six à huit pans, lequel fait corps avec l’essieu. Chacun de ces pans est percé de trous où s’engagent les chevilles qui servent de dents.

La seconde espèce (fig. 396 ) est beaucoup plus compliquée, mais le travail en est plus parfait. Ce n’est pas moins une machine de luxe. Elle fut, dit-on, inventée par Salmon, de Woburn. Comme la précédente, elle se compose d’une paire de roues qui ne sont point fixées à l’essieu. La face intérieure du moyeu d’une de ces roues est armée d’une surface circulaire dentée et donnant le mouvement à une lanterne qui, elle-même, fait corps avec l’essieu du râteau circulaire. « Celui-ci, dit un auteur, se compose d’un grand tambour ou hérisson pouvant s’élever ou s’abaisser à volonté, et formé de 8 râteaux particuliers à dents de fer recourbées. Le hérisson est assujetti à deux mouvemens, l’un de progression dans le sens horizontal, et l’autre de rotation autour de son axe. Cette machine, traînée par un cheval marchant d’un pas ordinaire, c’est-à-dire parcourant 200 pieds par minute, fait faire aux roues 20 à 21 tours, et au hérisson ou râteau continu 60 à 63 tours dans le même temps ; ce qui fait, à peu de chose près, pour celui-ci, un tour par seconde. Alors la vitesse des extrémités des dents est de 17 à 18 pieds par seconde, vitesse prodigieuse, qui projette le foin à une grande hauteur. Ainsi cette machine peut éparpiller et retourner le foin sur une étendue de 10 perches en moins de 4 minutes, ou d’un arpent en 40 minutes » (1 hectare dans 1 heure 40 minutes). Les dents, en s’approchant du sol, s’abaissent et raclent, pour ainsi dire, la terre ; ce qui remplit parfaitement l’office du râteau. Jusqu’à présent l’usage de ces machines est très-restreint. Nous en avons donné les figures, non pas pour en conseiller l’emploi, mais pour engager les cultivateurs à les imiter et à en simplifier le mécanisme.

Quel que soit l’instrument qu’on adopte pour retourner le foin, il est essentiel que cette opération soit faite avec activité et avec beaucoup de soin. Lorsque le foin est en couches un peu épaisses, les faneurs ne font pas plonger le râteau jusqu’à terre, de sorte que la couche inférieure n’est jamais ramenée à la superficie pour profiter de la chaleur des insolations.

Dès que le chef de main-d’œuvre s’aperçoit que le soleil descend sur l’horizon, et qu’il ne reste plus que le temps suffisant pour mettre en monceaux ou chevrottes tout ce qui est coupé et éparpillé, on doit cesser toute autre besogne pour se mettre à celle-ci avec ardeur. On doit avoir pour principe de ne laisser exposé à la rosée que ce qu’on ne peut soustraire à son influence.

Aussitôt qu’on s’aperçoit que le foin a acquis un degré suffisant de siccité, on s’occupe de le rassembler et de le mettre en monceaux. Si on l’enlève immédiatement, on peut se contenter de le disposer en bondins (fig. 397), qui ne sont autre chose que des prismes de foin disposés sur toute la longueur de la prairie. Si le fourrage est destiné à passer la nuit ou un espace de temps plus long, il est nécessaire de l’amonceler d’une manière plus régulière, et qui le mette à l’abri des accidens qui peuvent survenir. Moins le foin est sec, plus petits seront les monceaux, et vice versa. On les dispose souvent en mamelons, qui présentent la forme d’une demi-sphère. 11 serait bien plus avantageux de leur donner celle d’un cône alongé (fig. 398). La pluie a moins de prise, glisse sur les parois extérieures, pourvu que l’on ait pris la précaution de les rendre lisses au moyen du râteau.

Ce dernier instrument est celui que l’on emploie généralement pour rassembler le foin et le mettre en tas. Les Anglais connaissent, sous le nom de râfleur(fig. 399), un instrument qui fait économiquement la majeure partie de la besogne. Il se compose de deux traverses horizontales, maintenues entre elles, à la distance de trois pieds ou environ, par des montans verticaux, de sorte que l’assemblage imite assez bien le dos d’une chaise. Quatre chaînes attachées aux quatre coins se réunissent en un point où s’attache le palonnier. On conçoit que l’action d’une pareille machine, traînée par un cheval, doit être très-prompte, mais aussi très-imparfaite. Au total, pour que ces instrumens ne fonctionnent pas avec une telle défectuosité qu’on doive renoncer à les utiliser, il est indispensable que la prairie soit parfaitement nivelée.

On a quelquefois proposé, pour hâter la dessiccation des foins, de les étendre sur une sorte de claie ou treillage. Cette méthode serait assez dispendieuse pour l’achat des lattis, mais elle retrancherait toute main d’œuvre ultérieure. Un vice radical s’opposera toujours à l’adoption de ce mode, c’est que le fourrage est exposé à la pluie et à la rosée, et nous ne saurions trop répéter que l’humidité, de quelque part qu’elle vienne, est un agent puissant d’altération pour tous les fourrages.

La dessiccation n’est pas le seul moyen que nous ayons pour conserver les substances végétales. On a tenté, mais sur une trop petite échelle pour accorder pleine confiance à des essais incomplets, on a tenté, disons-nous, de faire, avec des herbages coupés verts, une sorte de chou-croûte, en empilant et tassant le produit des prairies avec des couches alternatives de sel. On sait que l’addition, en certaine proportion, de cette dernière substance, empêche toute fermentation et la putréfaction qui en est la suite. Il est hors de doute que le foin ne puisse ainsi se conserver indéfiniment. Mais quels silos, quelles constructions ne faudrait-il pas pour conserver une grande masse de fourrage ? L’excès du sel ne nuirait-il pas à la santé des animaux ? C’est un moyen, d’ailleurs, auquel il ne faut pas songer dans l’état actuel des choses. Le prix du sel permettrait tout au plus de faire quelques essais. — Ce n’est pas que le sel ne soit d’un grand secours pour paralyser les effets d’une dessiccation incomplète. Si l’on rentre du foin naturel ou artificiel qui ne soit pas assez sec, on fera bien, en l’entassant dans le grenier ou dans la meule, de saupoudrer chaque couche de sel gris ou de rebut de salines, lorsqu’on peut s’en procurer à bas prix. Ce procédé est préférable à celui qui consiste à saupoudrer le fourrage avarié immédiatement avant de le donner aux animaux. Le sel, dans ce cas, ne peut en détruire la mauvaise qualité, mais seulement la masquer, tandis qu’employé comme nous le conseillons, il prévient toute altération.

En Allemagne, on fait ce que l’on nomme du foin brun. Lorsque l’herbe est à moitié sèche, on la met en meule en la foulant et la tassant dans tous les sens. L’air extérieur n’a point de contact avec le fourrage. Il y a bien ensuite une sorte de fermentation, mais cette fermentation est lente, insensible et tout-à-fait analogue à celle qu’éprouvent les plantes agglomérées des sols tourbeux. Aussi le foin brun a beaucoup de ressemblance avec la tourbe, et pour le donner aux bestiaux, on est forcé de le couper en prismes avec un instrument tranchant. Le foin n’est pas du tout du goût des chevaux, mais, au dire de tous ceux qui en ont fait usage, les bœufs le préfèrent à tout autre, et s’engraissent promptement avec cette nourriture. On connaît peu en France cette manière de faire le foin, et si elle ne présente pas le danger de s’échauffer au point de brûler, il est à désirer qu’on l’adopte partout où l’on se livre à l’engraissement du gros bétail.

Dans ce que nous avons dit jusqu’ici, nous avons supposé que la température et les localités favorisent la dessication du foin ; il n’est pas rare que la pluie, les orages viennent déranger les calculs du cultivateur : celui-ci sera toujours prêt à faire face aux changemens les plus brusques, les plus imprévus de l’atmosphère : si des pluies d’orages, si des eaux boueuses, des rivières débordées parcourent ses prairies et couvrent les herbages d’une vase impure, il est nécessaire de retarder le fauchage jusqu’à ce qu’une pluie douce vienne laver les feuilles des végétaux ; si cela ne suffit point pour rendre le fourrage propre et sain, on n’en fera pas moins la fenaison comme à l’ordinaire ; mais, en préparant le foin, on aura la précaution de le secouer souvent et énergiquement, afin de faire tomber la poussière ; avant de l’emmagasiner on le battra au fléau : cette besogne s’exécutera avec plus de perfection et de succès si on le fait passer par une machine à battre, dont la ventilation emportera au loin la poussière. Ce travail est malsain pour les ouvriers, et on aura soin de les relayer de temps en temps.

Lorsque la température se dérange tout-à-coup, au moment où l’herbe est déjà coupée, on se gardera bien de la répandre, mais on la laissera en andains ou en chevrottes. Du reste, on se persuadera bien que, pour que la dessiccation soit arrivée à un degré convenable, il n’est pas du tout nécessaire que la totalité de l’eau de végétation soit évaporée. Tous les bons praticiens savent que le foin emmagasiné, pour être de bonne qualité, doit subir une fermentation légère et insensible, qui manifeste sa présence dans le tas par une sueur qui en couvre la surface. Ainsi, lorsqu’un foin n’est pas parfaitement sec, et que la pluie menace, ne craignez pas de le rentrer, il n’en sera que meilleur. Si vous avez des doutes sur sa conservation, mélangez-le par couches alternatives avec du foin vieux et bien sec, ou stratifiez-le avec de la paille d’orge ou d’avoine. Avec l’emploi de ce moyen, vous pouvez être sans inquiétude.

Dans les prés marécageux, dans les endroits ombragés, la dessiccation s’opère lentement, et le foin court beaucoup de chances d’être avarié. Il est prudent, lorsqu’on le peut, de l’emporter de ces fonds humides aussitôt qu’il est coupé, et de le transporter dans un endroit où il se sèche plus promptement et plus sûrement. Pour cela faire, on emploiera avec succès le râfleur dont nous avons parlé, ou un traîneau.

Dans le Tyrol, on fait de très-bon foin dans les prairies très-humides ou même inondées, au moyen de perches (fig. 400) de 5 à 6 pouces de circonférence, et de 4 à 5 pieds de longueur, qui portent vers leur extrémité supérieure trois ou quatre petites traverses en croix. Après la fauchaison, on fiche ces perches dans la prairie, on réunit le foin en assez gros tas qu’on pose sur les perches sans les laisser toucher à terre. La forme convexe que prend l’herbe la soutient, et sert à rejeter les eaux pluviales. L’air circule donc librement de tous côtés, et le foin peut ainsi rester plusieurs semaines sans le moindre danger. Cette méthode comporte une dépense qui, une fois faite, ne se renouvelle plus pendant bien des années.

Section iii. — De la récolte des granifères, ou des moissons.

On a comparé le cultivateur qui moissonne à un navigateur qui rentre dans le port après une expédition longue et périlleuse. Le cultivateur, en effet, est un nautonnier qui, au milieu des orages et des tempêtes, entouré d’ennemis puissans et nombreux, conduit sa frêle embarcation vers le port ; mais qu’il n’oublie point que cette rade qu’il appelle de ses vœux, est encore bordée d’écueils et de récifs, et que les périls de la navigation sont d’autant plus imminens qu’elle approche de son terme. L’agronome savant, le praticien distingué peuvent faire produire à la terre de belles récoltes ; c’est à l’administrateur éclairé qu’il est donné de les recueillir avec le plus de succès.

Les circonstances sur lesquelles il importe surtout de diriger son attention sont l’époque où le degré de maturité le plus convenable pour obtenir des produits qui réunissent la quantité et la qualité, les modes les plus expéditifs et les moins coûteux selon les localités, et l’organisation du travail.

[11:3:1]
Art. ier. — Epoque et degré de maturité.

Si l’homme en cultivant les plantes se proposait le même but que la nature, c’est-à-dire la conservation et la propagation des espèces, la question que nous examinons n’offrirait aucune prise à la discussion. L’époque de la récolte serait précisément celle où la plante, ayant accompli son œuvre, laisse tomber les fruits qu’elle a fécondés ; c’est aussi celle-là que l’on choisit lorsque le but du cultivateur se rencontre avec le vœu de la nature, en la devançant de quelque temps afin de ne pas perdre sur la quantité. Mais il arrive souvent que, pour les besoins qu’elles sont appelées à satisfaire, les plantes n’exigent pas un degré complet de maturité. Cela est vrai surtout pour les végétaux dont les semences sont destinées à la panification ou à la fabrication de l’huile.

Il y a d’ailleurs une question préalable à examiner ; c’est de savoir si la maturation est entièrement un acte de la végétation, ou si elle n’est qu’une combinaison nouvelle des élémens préexistans, qu’une réaction chimique des substances contenues dans le périsperme. Tout nous autorise à admettre cette dernière hypothèse. On sait que les fruits d’hiver se récoltent vers la mi-automne, et que ce n’est que quelques mois plus tard qu’ils ont acquis le parfum et la saveur qui les distinguent ; pour eux la maturation s’accomplit indépendamment de la végétation ; et ce n’est pas se placer en dehors des probabilités, que de conclure que, dans la plupart des plantes, l’accomplissement de la maturité suit une marche analogue. Dans les plantes annuelles, les seules dont nous ayons à nous occuper ici, la maturité est le plus grand symptôme de mort. Si l’on recherche avec les yeux du physiologiste les phénomènes qui accompagnent cet anéantissement de la vie végétale, on verra que l’on peut admettre deux hypothèses : — la première, et c’est celle qui est la plus plausible, que la vie finit là où elle a commencé, c’est-à-dire aux racines. Or, une fois les racines mortes, elles ne peuvent fournir à la tige des alimens qu’elle puisse s’assimiler ; et, quand même tout le reste de la plante serait vert, l’intus-susception de nouvelles substances est désormais impossible par l’intermédiaire du système radiculaire. — La seconde hypothèse, qui ne réunit plus qu’un petit nombre de partisans, c’est que la mort commence immédiatement au-dessous de l’épi. Il est encore évident qu’ici toute communication entre les semences et les parties vivantes ou herbacées est interrompue. Dans ces deux cas donc, si le grain subit des transformations, elles s’accomplissent indépendamment des autres parties, soit que la plante communique avec le sol, soit qu’elle en ait été séparée. Si on examine au printemps, à l’aide de microscopes, la fécule des tubercules d'Iris de Florence, on verra que le calibre de ces grains ne dépasse pas 1/100 de millimètre ; si on abandonne ces tubercules au contact de l’air, après 15 jours les grains de fécule seront devenus trois fois plus gros. (Raspail, Nouveau système de chimie organique.) Il est donc une époque où la fécule se développe sans que la plante communique avec le sol.

Toutes ces considérations déduites des plus saines théories, seraient encore de peu de poids en faveur de la coupe prématurée des céréales, si la pratique et l’expérience n’en confirmaient les avantages. On a cru cette méthode nouvelle, et plusieurs l’ont rejetée à cause de cette prétendue nouveauté. Cependant il y a bien des siècles que Columelle disait aux agriculteurs de son temps : « Rien de plus pernicieux que le retard : d’abord parce que le grain devient la proie des oiseaux et des autres animaux ; ensuite parce que les semences et les épis eux-mêmes se détachent facilement des chaumes : si des vents impétueux ou des tourbillons leur impriment de violentes secousses, les tiges tombent à terre. C’est pourquoi il ne faut pas attendre, mais commencer la moisson aussitôt que les épis prennent une teinte jaunâtre, et avant que les grains deviennent durs, afin qu’ils grossissent (grandescant) dans la gerbière plutôt que dans le champ : car il est certain que si on moissonne à propos, le grain prend ensuite du développement (incrementum). » (Columelle, p. 99, édition des Deux-Ponts)

Cadet de Vaux assure que le blé récolté avant complète maturité pèse 5 kilog. par hectolitre de plus que l’autre : et si l’on prend trois livres de farine de l’un et de l’autre froment, celle provenant d’un blé récolté prématurément donnera 4 onces de pain en plus. Il est bien certain que le froment récolté bien mûr a la pellicule bien plus épaisse et plus adhérente que l’autre.

Voici en général les avantages que l’on trouve a la coupe prématurée :

1o Tous les fromens mûrissent à peu près à la même époque ; si l’on attend qu’ils soient murs, les derniers coupés laisseront échapper le grain. En commençant le sciage, lorsque les tiges sont encore verdâtres, on évite cette perte ;

2o La paille, moins épuisée, est meilleure pour la nourriture des animaux ;

3o On court moins de chances de voir la récolte détruite ou au moins considérablement diminuée par les accidens de la température ;

4o Le froment coupé prématurément contient moins de son ; Coke prétend, ce semble avec raison, que quand on laisse le blé trop longtemps sur pied, la pellicule s’épaissit aux dépens de la substance nutritive contenue dans le grain ;

5o On n’est pas en danger de perdre les plus beaux grains. Ceux-ci sont toujours ceux qui ont mûri les premiers, et qui les premiers aussi tombent de l’épi.

Nous ne pouvons cependant dissimuler que cette méthode entraîne plusieurs inconvéniens dont les principaux sont les suivans :

1o Si l’on a les plus beaux grains, il y en a aussi qui ne sont pas arrivés à un développement suffisant ;

2o S’il survient des pluies opiniâtres, la récolte se sèche moins facilement : les semences, n’étant pas complètement sèches, sont dans des conditions plus favorables à la germination ;

3o Le grain, dans la plupart des cas, ne peut servir de semence. On cite dans le département du Var la ville de Brignoles, qui récoltait autrefois assez de blé pour fournir à la subsistance de ses habitans, et qui n’en récolte plus assez pour les nourrir pendant six mois depuis que l’on se sert pour semence de fromens récoltés prématurément, quoique la population ne soit pas augmentée.

Le point où il convient de moissonner est celui où le grain n’est déjà plus assez tendre pour s’écraser sous les doigts. C’est là l’opinion des meilleurs agronomes.

Quant aux plantes oléagineuses, il est facile d’apercevoir le moment le plus favorable à la coupe, au moyen de l’inspection de la semence. Toutes les graines tiennent à la plante par un point de leur périphérie nommé hile, et l’organe où se trouve le point d’attache se nomme placenta. Aussitôt qu’il y a solution de continuité entre le placenta et le hile, on peut couper, quel que soit l’état de la plante.

Enfin le degré de maturité est subordonné, dans quelques arts technologiques, à la nature des produits qu’on veut obtenir. Dans l’art de l’amidonnier, par exemple, « la moulure altérant considérablement les grains de fécule, il s’ensuit une grande perte dans l’extraction. D’un autre côté, la chaleur produite par la fermentation fait éclater un assez grand nombre de grains, et pourtant la fermentation est nécessaire pour décomposer le gluten de la farine. Il y aurait un moyen d’éviter ces deux occasions de déchet, en employant, pour l’extraction de l’amidon, les grains de céréales avant leur complète maturité, et à l’époque où le périsperme s’échappe tout laiteux sous la pression des doigts ; car, à cette époque, les grains d’amidon sont parvenus à leur maximum d’accroissement, et le gluten n’a pas encore acquis ses propriétés ordinaires, en sorte qu'il est à présumer que les grains de fécule extraits à cette époque tomberont tous au fond du vase, sans entraîner avec eux aucune parcelle de gluten assez appréciable pour nécessiter une fermentation. Le déchet serait nul et la perle de temps moins grande. » (Raspail, Nouveau système de chimie.)

[11:3:1]
Art. ii. — Des différentes manières de moissonner.
[11:3:2:1]
§ ier. — Des instrumens pour moissonner.

Lorsqu’on lit dans les anciens auteurs les procédés usités de leur temps pour exécuter les travaux de la moisson, on ne tarde pas à s’apercevoir que cet art a été porté chez eux a un degré aussi élevé de perfection que chez nous. Dans l’énumération des instrumens agricoles que nous a laissée Ausonius Pompa, on voit que la faucille des Romains était, comme la nôtre, en forme de croissant (lunatæ), avec les modifications qui subsistent encore dans quelques départemens, telles que celles à dents. Le même auteur parle même d’un instrument qui ne parait pas s’éloigner beaucoup du piquet flamand. Quant aux chars moissonneurs, il est à présumer que le peigne dont parle Palladius ne faisait pas un ouvrage plus détestable que ceux qu’ont inventés les Anglais, puisqu’il n’y a pas long-temps que Egidio Negri l’a appliqué à la moisson des rizières.

L’instrument le plus généralement employé aujourd’hui est encore la faucille (fig. 401), mais la manœuvre en est différente dans quelques pays. Cet instrument se compose de deux parties : le manche et le fer. Le manche doit être bien tourné, et en bois d’érable ou de frêne, ou de tout autre bois susceptible de prendre au tour un beau poli, afin de ne pas blesser la main du moissonneur. On a proposé d’adapter à la faucille un manche dévoyé qui aurait pour l’ouvrier l’avantage de ne pas le forcer à approcher la main trop près des éteules, ce qui le blesse quelquefois ; mais cette modification exige qu’on emploie plus de force pour obtenir une même somme de travail. D’ailleurs, l’inconvénient des éteules est une chimère pour l’homme qu’un peu d’exercice a familiarisé avec la faucille. — Le fer, dans sa forme et son ouverture, diffère d’une contrée à une autre, mais ces légers changemens n’ont pas une influence appréciable sur les produits de la moisson ni sur la facilité du travail. Il en est de même des dents dont se trouve armée le bord intérieur de la lame. Une expérience comparative, faite sur une grande échelle à Coëtbo, a même permis de conclure que les faucilles à dents sont plus tôt hors de service que les autres. Les dents doivent toujours être prises sur le côté supérieur de la lame et tournées vers le manche (fig. 402).

On se sert de la faucille de deux manières. Dans l’une l’opérateur s'avance la tête tournée vis-à-vis le grain qu’il veut abattre. Il saisit les chaumes de la main gauche en tournant la paume en dedans. En même temps il engage le croissant de la faucille dans la moisson, l’appuie contre le grain saisi par la main gauche, et tirant brusquement vers lui le tranchant de l’instrument, la poignée se trouve coupée.

La méthode que je viens de décrire est la plus usitée, mais je ne la crois point la meilleure. En Angleterre, on exécute avec la faucille une opération que j’ai retrouvée dans les environs de Rennes, où on la désigne sous le nom de crépeler ou crételer : l’ouvrier se pose de manière que le grain à couper soit à sa gauche. La main qui est de ce côté saisit les chaumes à 18 pouces au-dessus du sol, la paume tournée en dehors, puis, faisant vibrer la faucille de sa main droite, il s’en sert comme d’une faulx pour couper le grain qui est dans la gauche ; il fait un pas en arrière en poussant le grain coupé contre celui qui ne l’est pas et qui l’empêche de tomber, donne un second coup comme à la première fois, et recommence la même manœuvre jusqu’à ce qu’il en ait assez pour former une javelle. Quoique ce dernier procédé se soit peu répandu, je n’hésite pas à le considérer comme ayant sur le premier des avantages notables : ainsi, un même ouvrier coupe au moins 1/4 de plus ; le chaume est également coupé plus bas. Il serait à désirer que cette manière de manœuvrer la faucille pût se propager rapidement ; ce serait un acheminement vers l’emploi de la sape ou piquet flamand.

La sape (fig. 403), est, je crois, l’instrument le plus avantageux pour moissonner les céréales dans les circonstances actuelles. Elle est facilement maniée par les femmes, coupe le blé versé avec une perfection et une promptitude que l’on hercherait vainement a rencontrer dans un autre instrument. La manière de s’en servir, quoique simple, exige cependant une telle complication de mouvemens simultanés, que nous n’essaierons pas de la décrire. Nous dirons cependant qu’elle ne diffère du crépilage qu’en ce que l’ouvrier, au lieu de saisir avec la main le grain qui va être coupé, se sert d’un crochet emmanché à un petit bâton (fig. 404). Le point qui présente le plus de difficulté dans l’opération, c’est de rassembler les tiges coupées sur le pied, en forme de javelle. En effet, avec la sape, on coupe et on forme les javelles en même temps, et c’est là un avantage que ne possède pas toujours la faulx.

Ce dernier instrument s’emploie de deux manières, selon l’espèce de grain qu’on veut couper. On fauche en dedans ou en dehors. La première méthode s’emploie pour les céréales dont les chaumes ont une certaine hauteur, et généralement pour les diverses espèces de froment et de seigle. L’ouvrier a le grain à sa gauche, et la pointe de sa faulx étant dirigée vers la pièce, il dirige la lame de droite à gauche, en jetant le grain coupé contre celui qui ne l’est pas. Le travail de la faulx est d’autant plus parfait que le grain coupé s’appuie régulièrement sur l’autre sans tomber. Une femme avec une faucille ou un bâton recourbé suit le faucheur, et met en javelle ce qui vient d’être abattu. Pour faucher en dedans, l’instrument est muni d’un accessoire nommé playon (fig. 405), et qui n’a d’autre usage que d’empêcher les tiges de tomber au-delà du manche.

On fauche en dehors les céréales qui ont peu de hauteur, parce que les chaumes ne pourraient soutenir ceux qui sont coupés. L'instrument, dans cette circonstance, est armé de manière que la pointe, au lieu d’être tournée vers le grain, l’est dans le sens opposé. L’ouvrier la promène de gauche à droite. Elle est, dans ce cas, munie d’un crochet (fig. 406), qui n’est autre chose que deux ou plusieurs baguettes nommées râteau dans quelques contrées. Le fauchage est le même que celui de l’herbe ; seulement le râteau A A A A dispose régulièrement les épis qu’une légère secousse dépose sur le sol, mais du côté opposé où ils seraient si l’on fauchait en dedans. Dans ce qui vient d’être dit sur le fauchage en dehors, j’ai toujours entendu que le faucheur a le grain à sa gauche.

Lorsque tous les épis ne sont pas dressés ou inclinés conformement, il arrive que quelques-uns s’engagent entre les dents du râteau, ce qui en rend la besogne moins parfaite, et le maniement assez embarrassant. On est parvenu à détruire, ou du moins à atténuer cet effet, en tendant une toile grossière sur un arc de fer a a (fig. 407) par le haut, et en bas sur la lame même de la faucille par l’intermédiaire d’une plaque de fer-blanc.

Si l’on cherche à établir une comparaison entre ces trois procédés, on trouve que la faucille est désavantageuse sous tous les rapports. Elle laisse des éteules plus grands ; il faut un habile moissonneur pour abattre en un jour 20 ares de céréales. Dans le même temps un sapeur coupe du grain sur une superficie de 40 ares. Un faucheur peut moissonner une surface de 60 ares, mais il a besoin d’un aide pour amasser et ranger le grain derrière lui. Avec la faucille on emploie les bras des enfans et des vieillards, ce qui est d’une grande ressource pour les populations : avec la sape on n’utilise que les forces des personnes vigoureuses : avec la faulx on emploie les uns et les autres.

Chaque cultivateur consultera sa position et les habitudes de la contrée qu’il habite. Il prendra garde, en adoptant un procédé nouveau, de donner l’éveil aux ressentimens et de heurter gratuitement les préjugés de la localité.

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§ ii. — Conventions avec les moissonneurs.

Dans quelques cantons, on donne aux moissonneur un tantième de la récolte de tout grain ; quoique ce tantième varie peu chaque année dans une même localité, quel que soit le prix des céréales, il varie d’une contrée à une autre du 10e au 18e. Bien des personnes trouveront que ce mode de paiement est sujet à beaucoup d’inconvéniens. Le moissonneur perçoit un salaire assez élevé lorsque les céréales atteignent un haut prix ; lors, au contraire, que, par une circonstance quelconque, ces produits ont une faible valeur, la portion qui revient aux moissonneurs se réduit à peu de chose lorsqu’on la convertit en numéraire. Cependant cette disproportion n’a lieu qu’à l’égard du cultivateur ; car il faut toujours à un ouvrier la même quantité de grain pour sa nourriture, que ce grain soit cher ou à vil prix. Ainsi, pour lui, tant que la quantité ne varie pas, la valeur n’a aucune influence sur l’étendue de son salaire.

Quoique les conventions de cette nature deviennent tous les jours moins communes, elles subsistent néanmoins dans toute leur vigueur sur plusieurs points du territoire français, et il serait souvent imprudent de vouloir en imposer d’autres, parce que la main-d’œuvre étant recherchée à l’époque des moissons, on pourrait se trouver subitement sans ouvriers. Un autre genre de convention beaucoup plus commode et plus usité que celui que je viens de mentionner, c’est celui qui consiste à payer les moissonneurs proportionnellement à la superficie sur laquelle ils ont opéré. Dans ce cas, il faut éviter d’avoir à traiter avec un grand nombre de bandes : d’abord, afin de simplifier les frais d’arpentage, et ensuite afin de pouvoir distribuer à chacun, dans une proportion suffisante, les pièces dont le travail sera plus difficile. Il faut encore moins traiter avec une seule bande ; on détruirait ainsi tout genre d’émulation pour la propreté et la perfection du faucillage.

Enfin, on fait moissonner en payant les ouvriers à la journée. C’est assurément le meilleur moyen d’obtenir un ouvrage soigné, et si l’on peut se procurer chez soi assez d’ouvriers, on regrettera rarement un supplément de salaire. Il y a, d’ailleurs, dans cette combinaison, un avantage qui découle de la nature même de la convention. C’est qu’on peut appliquer les ouvriers à tel travail qu’on le jugera à propos. Ainsi, le temps se dispose-t-il a la pluie, un orage se présente-t-il ? on suspend le sciage, pour mettre ce qui est coupé à l’abri des événemens ; tandis que, avec le sciage à la lâche, on ne peut distraire les ouvriers de leur travail pour les occuper à un autre qui n’entre point dans leurs conventions, à moins qu’on n’en ait fait mention expresse, ce qui souffre, de leur part, quelques difficultés.

Il est rare que l’on trouve de l’avantage à faire enjaveler, ou engerber et lier les grains coupés par les moissonneurs. On perd du temps dans les déplacemens inutiles, dans les allées et venues. Il convient d’avoir, pour cette spécialité, un atelier dirigé par un homme habile et actif, bien au fait de cette manœuvre, ayant assez de sagacité pour diriger sa troupe sur un point préférablement à tel autre, et prenant conseil des circonstances plutôt que du hasard.

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§ iii. — Soins à donner aux grains moissonnés, surtout dans les années pluvieuses.

On a, dans ces derniers temps, agité une question qui intéresse au plus haut degré les consommateurs et les producteurs de céréales, celle du javelage. En l’examinant sous un point de vue général, on est frappé d’une sorte de contradiction qui règne entre les partisans des diverses hypothèses qui ont été émises à ce sujet. Ainsi, ceux qui préconisent le blé coupé avant maturité, et qui, par conséquent, doit être javelé, sont ceux qui, précisément, ne veulent pas entendre parler du javelage de l’avoine. Ceux, au contraire, qui pratiquent celui-ci avec le plus d’obstination et d’insistance, coupent leurs fromens lorsqu’ils sont arrivés au dernier degré de maturité ! En ne tenant compte que des circonstances de température, ceux qui laissent javeler l’avoine paraissent agir moins rationnellement que les autres, car c’est ordinairement à l’époque de la moisson des avoines que les pluies commencent à devenir opiniâtres et à s’opposer à la rentrée des récoltes ; il faudrait donc, pour ce grain, profiter du beau temps dès qu’il se présente. Combien de cultivateurs, en 1816, laissèrent pourrir leurs avoines sur la terre sans pouvoir les rentrer, et cela pour s’être obstinés à les laisser javeler ?

En appliquant au javelage les lois de physiologie végétale que nous avons posées précédemment, on voit que la maturation s’achève indépendamment de la végétation ; sous ce rapport, le javelage repose sur un principe vrai ; c’est seulement dans l’application que l’on se trompe. Tout le monde sait que l’orge javelée ne conserve plus cette teinte blonde et pure qui en fait le mérite ; que l’avoine abandonnée aux accidens qui dérangent l’atmosphère, a perdu cet œil luisant qui caractérise un grain bien conditionné ; que souvent une odeur de moisi décèle une conservation vicieuse, et que la couleur terne qui l’accompagne déshonore toujours ce grain aux yeux de l’acheteur. D’où vient donc que le javelage, si utile en théorie, soit si pernicieux dans la pratique ordinaire des cultivateurs ? Je crois en reconnaître la cause dans un agent dont on n’a pas assez cherché à éloigner l’influence, je veux parler de l’humidité. Si on met digérer une semence quelconque dans de l’eau exposée à l’air, il se manifestera bientôt un commencement de végétation qui décèle toujours une modification dans la composition normale du grain ; je ne doute nullement que ce ne soit à cette réaction que l’on doive attribuer la mauvaise qualité des grains javelés.

Il s’agit donc, tout en conservant le javelage, d’éloigner l’humidité, soit qu’elle provienne du sol, soit qu’elle soit produite par les pluies, les rosées, etc.

C’est à quoi l’on parvient facilement au moyen des meulons qu’on nomme aussi moyes ou moyettes.

« Ainsi, dit Yvart, si le javelage, tel que nous venons de l’entendre, est recommandable, et quelquefois même forcé, le javelage, tel qu’on le pratique communément, n’a aucun avantage réel, et il en résulte ordinairement perte de poids et de qualité, altération de couleur et renflement trompeur, commencement de fermentation que nous avons vue plusieurs fois poussée jusqu’à la germination, après des pluies abondantes longtemps attendues ; et, par une conséquence nécessaire, des maladies funestes qu’on attribue souvent à toute autre cause, quelquefois même des incendies dans les granges et dans les meules, qu’on attribue encore à la malveillance ; et des semailles faites avec des grains avariés, qui lèvent mal ou ne lèvent pas, ce dont nous avons été plusieurs fois témoins. »

Lorsqu’il faut au grain peu de jours pour achever de mûrir, on peut le laisser sur le sol ; mais, lorsque, pour obtenir ce résultat, on prévoit qu’il faudra attendre un certain espace de temps, on fera bien de se résoudre à construire des moyes. Leur édification ne présente pas de difficultés sérieuses, pourvu qu’on en confie la direction à un homme jaloux d’apporter dans la besogne qu’il entreprend toute la perfection possible.

Il y a deux manières de former un meulon ; on dispose les chaumes circulairement sur un plan vertical, ou bien horizontalement. Nous allons d’abord décrire ce dernier procédé. Après avoir aplani grossièrement le sol en le foulant aux pieds, on dépose triangulairement trois javelles disposées de manière que les épis ne touchent pas le sol (fig. 408). Sur cette 1re base on place circulairement un rang de javelles, les épis convergens vers le centre et se touchant en ce point (fig. 409). On continue à disposer pareillement plusieurs lits successifs, jusqu’à ce qu’on soit arrivé à une hauteur de 4 pi. environ. Alors les couches de grain se déposent de manière que les épis se croisent au centre, ce qui ne tarde pas à élever ce point au-dessus de tous les autres. La paille prend une inclinaison de haut en bas comme un toit, disposition qui facilite l’écoulement des eaux pluviales. Lorsque l’exhaussement central forme une inclinaison qui approche de 45°, on cesse l’opération pour construire une nouvelle moye. Pendant tout ce temps un ouvrier exercé a préparé le chapeau (fig. 410) ; il consiste en une forte gerbe bien liée avec un ou deux liens, selon la grandeur de la paille. On écarte les épis, on pose le chapeau renversé sur le meulon qui offre la forme représentée par la fig. 411. Les moyettes que je viens de décrire sont en usage sur diverses parties du territoire français, et notamment dans la Flandre française. Elles conviennent non seulement aux céréales, mais encore à toutes les graines oléagineuses.

Les moyes à couches verticales sont usitées plus particulièrement sur certains points de la Picardie. Une gerbe bien liée en forme le noyau ou le centre ; on range tout autour des javelles, l’épi en haut, appuyées contre la gerbe centrale, non pas parallèlement, mais un peu inclinées. La fig. 412 en montre la coupe par le centre. Lorsque le meulon a un diamètre qui ne peut être déterminé, mais qui ne dépasse pas deux fois la longueur des pailles, on le couvre du chapeau, comme dans la méthode précédente. J’ai vu pratiquer les deux sortes de moyes, l’une à Roville et l’autre au Ménil. Toutes deux offrent des avantages qui leur sont particuliers. Celle par couches horizontales sera préférée toutes les fois que le grain devra demeurer longtemps à l’air, ou être exposé à de grandes pluies ; l’autre offre l’avantage de la célérité et de l’économie, mais elle a l’inconvénient de se laisser plus facilement pénétrer par les pluies.

On a dans certains pays un autre mode de javelage qui ressemble beaucoup au précédent. On prend une javelle, on en saisit les épis de la main gauche et on la dresse, en ayant soin que la partie inférieure des tiges touche le sol ; pendant cette manœuvre la main droite écarte la partie inférieure, de sorte que la javelle, ainsi disposée, forme un cône tronqué (fig. 413). On se sert de cette méthode dans les Vosges et en Allemagne pour le sarrasin, dans la Basse-Bretagne pour le trèfle de semence.

Telles sont les précautions qui assurent à la pratique du javelage les succès qu’avait promis la théorie, et qui nous fournissent l'occasion de répéter un axiome qui doit être médité par tous les vrais cultivateurs, c’est que lorsqu’un principe est vrai, et ne réalise pas les espérances qu’il avait fait concevoir, on peut être sûr que l’on se trompe sur l’application. Les avantages des moyes sont incalculables dans les temps pluvieux, et offrent une solution satisfaisante du problème de la conservation des grains pendant ces saisons désastreuses. Dans le climat humide du nord de la Norwège et de la Suède, on a un autre moyen de paralyser l’influence des pluies. Ce procédé, qui est difficilement applicable à la grande culture, mais qui convient à de petites superficies, consiste à planter dans le sol un fort pieu assez élevé, et traversant le centre d’une gerbe debout sur sa partie inférieure (fig. 414). L’extrémité qui est hors de terre reçoit des gerbes de moyenne grosseur qui sont fixées presque horizontalement, en ayant soin de donner à l’épi une légère inclinaison vers le sol.

Lorsque la paille des céréales est mélangée de plantes étrangères dont le feuillage est encore vert, il est prudent de la laisser exposée quelque temps à l’air, afin de faire sécher ces végétaux qui ne manqueraient pas de l’altérer par leur fermentation si on les amoncelait en grande quantité.

L'engerbage s’exécute de différentes manières suivant les localités et les modes de battage. Ici, le lieur s’aide de la cheville ; ailleurs, on n’en a pas même l’idée, là, on fait des gerbes qui n’ont que 2 pi. de circonférence, tandis que dans d’autres endroits elles sont démesurément lourdes et massives. Celles qui dans tous les cas paraissent bien conditionnées ont 1 pi. et demi de diamètre, ou environ 4 pi. de circonférence. Elles sont proportionnées à la force ordinaire d’un homme, se manient avec facilité et donnent un grand avantage pour équilibrer le chargement.

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§ iv. — De la rentrée des moissons.

Je comparerais volontiers le cultivateur au moment de la moisson, à un général d’armée au moment d’une bataille : il doit être présent partout, se multiplier sur tous les points, avoir des paroles d’encouragement pour l’activité des uns, gourmander la lenteur des autres, payer souvent de sa personne, prévenir le désordre et la confusion. L’œil du maître est indispensable. « Qu’on me permette là-dessus, dit un cultivateur du département de l’Oise, quelques détails qui ne me sont que trop connus. — Le temps presse, on reçoit l’ordre d’atteler et de partir. Si le maître n’y est pas, le charretier attèle lentement ses chevaux, qu’il fait sortir l’un après l’autre de l’écurie ; les chevaux sont prêts à partir, mais le calvanier n’a pas encore préparé les liens : il se passe 10 minutes avant qu’ils soient mouillés et mis dans la voiture. Cependant le charretier sort de la maison, il s’en va pas-à-pas comme s’il n’était pas pressé, parlant à l’un, s’arrêtant pour prendre l’autre dans sa voiture ; enfin, avec le temps il arrive. Les moissonneurs reçoivent du calvanier l’ordre de lier ; mais ils veulent finir leur route, ou mettre la pièce au carré ; en attendant, les calvaniers ou charretiers causent ou se reposent étendus dans le champ. Les moissonneurs se mettent pourtant en train de lier, et les gens les regardent faire ; ce n’est qu’au bout d’un certain temps qu’ils se mettent en devoir de faire un dizeau. Pour les moissonneurs, ils ne s’inquiètent guère si la voiture se charge ; ils continuent à lier, et ce n’est que sur les instances réitérées du charretier qu’ils détachent un d’eux pour mettre les gerbes en dizeaux. Après bien des pourparlers la voiture vient à être chargée ; on la comble avec lenteur ; on se met en marche ; on arrive à la grange. Les calvaniers sont à goûter ; les arrivans les imitent. Ce n’est qu’au bout d’un quart-d’heure que la voiture se décharge, et encore comment ? à peine s’il tombe une gerbe par minute ; il fait chaud, on cause, on s’essuie ; il se passe une heure avant que la voiture soit déchargée ; elle repart enfin, et arrive dans les champs la nuit fermée, ou est surprise par la pluie. — Que l’on compare la lenteur dont je viens de donner les détails, et qui est néanmoins fort ordinaire, avec l’activité que produit la présence du maître. — « Qu’on parte sur-le-champ pour aller chercher le blé. Pierre et Jacques, attelez les chevaux ; Thomas, trempez des liens pour mettre dans la voiture : allez tous trois à la pièce en grande hâte. » La voiture y arrive, mais le maître y est déjà ; les moissonneurs ont quitté leur ouvrage et attendent des liens ; ils lient avec promptitude ; Jacques met les gerbes en dizeaux ; Thomas les donne à Pierre qui les met dans la voiture : en moins d’un quart-d’heure la voiture est chargée et comblée. Elle arrive à la maison, où elle trouve les calvaniers placés pour la décharger ; les gerbes tombent comme la grêle : au bout d’un instant la voiture se trouve vide. La servante apporte à boire aux chargeurs et charretiers qui partent en poste chercher une autre voiture : celle-ci se charge et décharge avec la même promptitude. On fait trois voitures au lieu de deux, et l’on brave ainsi l’incertitude du temps et l’obscurité de la nuit. »

À ces observations si bien senties, je n’en ajouterai plus qu’une, c’est qu’on se trompe beaucoup lorsqu’on croit faire une grande économie en chargeant fortement les voitures. Le résultat est diamétralement opposé ; presque toujours on agira avec plus de célérité en chargeant modérément.

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§ v. — De quelques manières de moissonner.

Il y a déjà quelque temps qu’on a essayé d’introduire en Angleterre l’usage des chars moissonneurs. Parmi ces machines à moissonner, les plus nouvelles et les plus dignes d’attention sont : 1o celle de Smith (fig. 415) ; le coupeur de cette machine est circulaire et agit horizontalement ; il est attaché sur un tambour tellement disposé que la machine en marchant lui communique un mouvement de rotation rapide, et que les chaumes coupés tombent en formant une ligne régulière. Cette machine abat environ un arpent à l’heure. 2o La machine à moissonner de Bell (fig. 416) est le plus récent et le plus parfait de ces appareils ; la figure le fera suffisamment comprendre, en remarquant dans le détail (fig. 417) la disposition des dents qui coupent les chaumes. Le peu de perfection avec laquelle ces sortes de machines fonctionnent, ne permet guère d’en conseiller actuellement l’emploi exclusif. Il est à désirer qu’ils se perfectionnent assez pour pouvoir les introduire économiquement dans les fermes un peu étendues.

On a cherché à obtenir le même résultat par une sorte de main ou de chariot à peigne. Cette méthode est suivie dans quelques parties du Norfolk et du Suffolk, et aussi dans le département de l’Indre et cantons limitrophes. Elle était en usage dans l’ancienne Gaule, au rapport de Pline. Elle consiste à ne couper des tiges que les épis. Cette méthode abrège certainement le faucillage, mais comme il faut ensuite faucher les chaumes après la moisson, l’économie n’est réalisée qu’en partie. Nul doute qu’elle ne présente un grand avantage pour le battage. Ce procédé est demeuré très-circonscrit, et paraît n’avoir été introduit dans les contrées que nous venons de mentionner, que pour remédier aux vices de la culture ; en effet, lorsque les céréales sont infestées par les mauvaises herbes, le meilleur moyen d’en purger le froment, c’est de ne moissonner que les épis ; mais je me hâte d’ajouter que c’est aussi le moyen le plus efficace que l’on puisse imaginer pour perpétuer dans le sol ces générations de parasites qui font tant de tort au cultivateur.

Aux environs de Ploërmel (Morbihan) et dans quelques autres localités, on moissonne le seigle en laissant des chaumes qui ont un pied ou plus de hauteur, tandis que l’avoine se coupe ras. C’est là une de ces pratiques dont les cultivateurs eux-mêmes de ces cantons n’ont pu donner la raison, et je crois qu’il est impossible d’en trouver une plausible.

Je ne terminerai pas cet article sans dire un mot des dizeaux, non pas pour indiquer la manière de les construire, elle est partout la même avec quelques variantes insignifiantes, mais parce qu’ils fournissent au cultivateur un moyen prompt et facile de se rendre compte de ce que chaque pièce, chaque espèce de récolte a produit. En faisant la base du dizeau de quatre gerbes, le monceau en contiendra dix, et en comptant les monceaux on a instantanément le nombre total. Il est rarement avantageux au cultivateur de faire glaner ses champs moissonnés autrement qu’en les faisant parcourir par un troupeau de moutons. Autant que la législation le permet, il doit proscrire le glanage sur ses terres. C’est rendre un véritable service à la population, parce qu’on la force ainsi à renoncer à une coutume dont le résultat le plus déplorable est une sorte de vagabondage, de gaspillage, qui dispose le glaneur à regarder définitivement comme sien le bien d’autrui. Quant à la question légale, il en sera parlé à l’article Législation agricole.

Section iv. — De la récolte des racines.

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§ ier. — Époque de l’arrachage.

Depuis que ces plantes sont regardées comme élément essentiel dans la combinaison d’un assolement judicieux, soit qu’on les fasse consommer en totalité, soit que l’agriculteur associe l’industrie à son exploitation pour transformer ses produits sur les lieux, afin de les écouler plus facilement et d’en utiliser les résidus, la culture et la récolte des plantes à racines a acquis une haute importance.

Pour ceux de ces végétaux qui sont bisannuels, et la plupart sont dans ce cas, la maturité ou le maximum du développement ne se manifeste par aucun indice ; dans ceux qui ne vivent qu’une seule année, tels que la Pomme-de-terre et le Topinambour, la maturité se décèle souvent par la teinte jaunâtre que prennent les feuilles et les tiges.

Dans tous les cas, l’époque de l’arrachage est subordonnée à la saison, ainsi qu’à la plante qui doit succéder. Lorsque le terrain est destiné à rapporter des plantes hivernales, on ne saurait trop se hâter d’opérer l’arrachage ; quand l’emblavure ne doit avoir lieu qu’au printemps suivant, on peut ne consulter que les circonstances atmosphériques. Il y a dans la culture des terres argileuses une grande difficulté pour l’introduction des racines, c’est que celles-ci y mûrissent plus tard qu’ailleurs, et qu’il faut néanmoins récolter plus tôt, sans quoi on s’exposerait à voir le terrain pétri et pour ainsi dire corroyé par les travailleurs et les attelages.

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§ ii. — Récolte à la manière des Anglais.

L’Angleterre, entourée de mers profondes, enveloppée sans cesse d’une atmosphère brumeuse, ne voit pas comme chez nous une température excessivement basse succéder brusquement à une forte chaleur. Le climat y est plus égal, et, quoique située plus au nord que la France, rarement la gelée y a autant d’intensité. Cette différence dans la climature en a amené une autre dans l’économie rurale ; je veux parler de la stabulation dans des parcs ouverts, ou à l’air libre. L’art ou peut-être la nature a créé des races de moutons qui s’accommodent fort bien de ce régime, tandis que les végétaux n’éprouvent que peu de dommages de la part des gelées. Aussi, rien de plus commun dans les auteurs agronomiques de ce pays que la description des parcs et des méthodes en usage pour faire consommer avantageusement sur place les produits du sol. Ils font observer avec raison que par ce moyen d’alimentation on évite les frais de transport des racines aux bâtimens d’exploitation, et des fumiers dans les champs. Lorsque la récolte est abondante, on n’en arrache que la moitié que l’on transporte ailleurs ; lorsqu’elle ne dépasse pas les limites ordinaires, on la laisse en totalité. D’autres fois, lorsque la pièce qui a rapporté les plantes à racines n’a pas besoin d’être fumée, on transporte la récolte sur un champ voisin dont l’humus est épuisé. Ce mode de récolte est particulier à l’Angleterre, et nous n’en aurions point parlé si nous n’étions intimement convaincus qu’il peut être utilisé dans quelques-unes de nos provinces méridionales et littorales, et notamment sur le territoire algérien, si la France veut coloniser sa conquête.

[11:4:3]
§ iii. — Récolte ou arrachage à la main.

Dans l’ordre naturel des choses, cette méthode a dû précéder toutes les autres, et l’art agricole est demeuré tellement stationnaire sous ce rapport, que c’est encore celle que l’on doit préférer dans bien des cas. Les plantes tuberculeuses, la pomme-de-terre, le tobinambour, la pistache de terre, s’arrachent avec la béche (voy. la fig.150, p. 161, ci-devant), la fourche (fig. 161, p. 162) et le bident (fig. 181, p. 166). Le premier de ces instrumens s’emploie avec avantage toutes les fois que la terre est franche, sans pierres ni galets, et sans être trop durcie. Le second est utile toutes les fois que le terrain est encombré de pierres, ou argileux. Enfin, le troisième sera exclusivement préféré dans les terrains battus ou resserrés par la sécheresse. Préconiser l’emploi d’un de ces instrumens à l’exclusion de tous les autres, sans avoir égard aux différences de sols et de température, ce serait tomber dans une grave erreur. Prendre conseil des circonstances sera la devise de tout homme sensé. La récolte des plantes à racines pivotantes s’exécute au moyen des deux premiers instrumens que nous venons de mentionner, en consultant les différences de sol et la configuration des racines. On ne saurait se dissimuler que la récolte à la main ne soit dispendieuse et ne traîne l’opération en longueur ; il ne faut pas moins de 40 femmes, très-exercées, pour arracher un hectare de pommes-de-terre en un jour, et 30 enfans pour les ramasser. On a donc cherché à remplacer la main-d’œuvre par un agent mécanique. Les succès déjà obtenus font concevoir l’espérance d’importantes améliorations.

[11:4:4]
§ iv. — Arrachage à la charrue.

Les hommes qui ont secoué le joug des préjugés, ceux même qui se sont familiarisés de longue main avec la pratique de l’agriculture, ont nié pendant long-temps la possibilité de l’extraction des racines par emploi de la charrue. Le prestige de leur parole était tel que les plus hardis novateurs n’osaient tenter la combinaison d’un instrument qui pût procurer économiquement le résultat désiré. Cependant, aujourd’hui, on est parvenu à exécuter l’arrachage des racines et des tubercules d’une manière satisfaisante au moyen d’instrumens conduits par des animaux.

Lorsqu’on veut arracher des plantes tuberculeuses semées en lignes parallèles, il est essentiel de couper les tiges auparavant. C’est ce qu’on fait dans le département de l’Oise pour les Pommes-de-terre. M. Bazin se contente de faire manger les sommités par un troupeau de moutons, et cela suffit. On fait ensuite passer une charrue à deux oreilles ou butoir sur le milieu des rangées, en ayant soin d’en laisser alternativement une sans y toucher, en sorte que cette première opération n’arrache que la moitié des plantes ; on met immédiatement des ouvriers à amasser les tubercules découverts et amenés à la surface par l’instrument ; la charrue revient derrière les ouvriers et arrache les rangées qui étaient demeurées intactes. Avec ces précautions on n’a pas à craindre que la terre remuée recouvre les tubercules arrachés dans la ligne qui précède, inconvénient grave si l’on opérait à la fois sur la totalité, et qui est l’épouvantail de ceux qui ne veulent point croire à la perfection avec laquelle on arrache ainsi les pommes-de-terre sur de grandes superficies. J’ai calculé que deux chevaux, un homme pour conduire le butoir et un enfant pour débourrer, expédient autant de besogne que 35 arracheurs exercés.

Ce que cette méthode offre d’avantageux, c’est qu’elle ne nécessite pas l’acquisition d’un nouvel instrument qui, outre son prix, aurait l’inconvénient d’exiger de la part des valets une sorte d’apprentissage, comme cela est indispensable dans le maniement de la charrue à arracher les racines fusiformes. Ce dernier instrument s’emploie surtout pour les Betteraves, les Carottes, etc. C’est une charrue ordinaire (fig. 418) dont on a retranché le versoir ;
Fig. 418.
celui-ci est remplacé par une pièce de bois en forme de coin, placée de manière à ne faire qu’un plan continu

avec la face supérieure du soc. On fait piquer l’instrument un peu à gauche de la ligne des plantes qu’on veut arracher. L’unique effet de l’opération consiste dans le soulèvement des plantes ; le résultat est tel, que les racines n’adhèrent plus au sol par aucune de leurs parties, quelque léger qu’ait été le soulèvement. Aussi, au premier aperçu, on croirait que l’action de l’instrument a été nulle. Il est à présumer que cette manière de procéder remplace 15 hommes pour les betteraves et 25 à 30 pour les carottes, selon que celles ci sont de la variété blanche ou orangée.

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§ v. — Des opérations postérieures à l’arrachage.

Immédiatement après leur extraction les plantes qui conservent encore leur feuillage doivent en être dépouillées. Le décoletage est quelquefois aussi dispendieux que l’arrachage lui-même. Autrefois, pour les betteraves, on arrangeait régulièrement les plantes en disposant les racines et les feuilles d’un même côté, puis avec des louchets bien tranchans on coupait toute la partie herbacée. Aujourd’hui, on a reconnu dans ce travail une grande imperfection, et on y a substitué le décoletage au couteau ou à la serpette. Ce dernier procédé est le seul praticable pour les carottes et les navets.

A mesure que les plantes sont décoletées, on les jette en petits monceaux si elles sont bien sèches. Ou bien, avant de les entasser, on les laisse ressuyer sur la terre si elles sont humides : la terre adhérente s’en détache alors par la moindre secousse. La besogne marche plus vite, et la conservation court moins de chances. Antoine, de Roville

Section v. — Des assurances contre la grêle.

La plupart des physiciens s’accordent à penser que la grêle se forme sous l’influence de l’électricité. On a proposé, en conséquence, divers appareils pour s’emparer de cette puissance à mesure qu’elle se manifeste : il en a été question précédemment dans le chapitre qui traite du climat et des agens physiques. On a vu que jusqu’à présent les résultats obtenus n’inspirent pas assez de confiance pour conseiller la dépense des appareils proposés. Il n’en est pas de même des sociétés qui se sont formées pour assurer contre les chances de la grêle, à l’instar de celles qui ont pour but d’assurer contre les incendies et contre les naufrages.

On sait, avec une exactitude qui laisse peu à désirer, dans quelle proportion un désastre de telle nature affecte telle ou telle récolte. Dans le Midi, on calcule que sur chaque septième année il y en aura une dont le produit sera nul.

Dans presque toutes les localités, on a pu déterminer quelle quotité du produit annuel serait indispensable pour rembourser le sinistre prévu. Partant de cette idée, des sociétés se sont formées, qui ont offert aux exploitans de leur payer les pertes occasionnées par la grêle ou le feu du ciel, moyennant une prime annuelle établie sur chaque mille francs de la valeur des produits déclarés par le cultivateur. Les primes de ces assurances sont proportionnées aux risques assurés, aux intérêts du capital de cautionnement et aux frais exigés par les remboursemens partiels, ainsi que pour les expertises contradictoires qui ont lieu pour déterminer l’étendue du sinistre.

Les assurances dites mutuelles sont fondées sur un autre principe. Elles ont pour but de répartir les pertes éprouvées par quelques associés sur la masse des assurés. Dans ce cas il est facile de voir que la quotité n’est point fixe, mais qu’elle varie en raison des pertes éprouvées chaque année. Cette prime est d’autant plus variable, que le nombre des assurés est plus petit, et d’autant plus fixe, que les membres sont plus nombreux. En effet, soit les deux individus A et B qui forment entre eux société, de manière que si un sinistre frappe les récoltes de l’un, l’autre en paiera la moitié. Si pendant cinq années aucun désastre ne survient, les deux associés n’auront aucun déboursé à faire. Si à la sixième l’un perd pour 3,000 francs, l’autre sera obligé d’en payer 1500 : d’où l’on voit que la prime monte de 0 à 1500 ; ce qui est presque la même chose que si le second eût éprouvé lui-même un désastre.

Si l’on suppose au contraire quinze associés, et qu’il arrive tous les ans un sinistre de 1500 francs sur l’un d’eux, ils auront tous une prime à payer qui sera moins forte, mais qui sera remboursable tous les ans ; la proportion sera plus fixe, mais annuelle. On paiera bien, en définitive, la même somme dans l’un et l’autre cas ; mais on ne sera pas tenu à des remboursemens brusquement augmentés.

Dans les assurances de la première espèce, la compagnie assurante n’a aucun compte à rendre de sa gestion ; les assurés n’ont rien à faire dans l’administration. Dans les assurances mutuelles, chaque assuré doit pouvoir constater lui-même la probité de l’administration. Lorsque l’assurance a étendu son réseau fort loin, le contrôle s’établit difficilement, les employés subalternes gaspillent. Il faut donc que ces assurances s’étendent à un département au plus. Dans tous les cas, lorsqu’elles sont bien administrées, lorsque les dépositaires des fonds présentent des garanties contre la banqueroute, elles remplissent un haut degré d’utilité. Une des premières qu’on ait vu s’établir, c’est celle dont le siège était à Nancy, et dont les administrateurs intègres ont bien mérité des contrées environnantes ; il en existe aussi plusieurs dans les départemens voisins de la capitale.

Quand on s’adresse à une compagnie assurant à son compte, il faut bien moins regarder à la quotité de la prime qu’à la probité reconnue des administrateurs. Il est des sociétés qui demandent une haute prime, et qui remboursent avec générosité tous les sinistres. Il en est d’autres qui exigent une prime plus faible, mais qui sont tracassières, lentes à réparer les désastres. Avec ces dernières, on n’est remboursé qu’incomplètement et après avoir essuyé bien des difficultés et des désagrémens.

Antoine, de Roville.