Maison rustique du XIXe siècle/éd. 1844/Livre 1/ch. 12

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Texte établi par Jacques Alexandre BixioLibrairie agricole (Tome premierp. 304-344).

Chapitre xii. — de la conservation des récoltes.

Dans la revue que nous traçons des principaux travaux du cultivateur, nous approchons enfin du terme qui va lui en faire recueillir les fruits. Nous avons vu qu’il a dû consulter et connaître le climat et le pays où il doit s’établir ; étudier le sol auquel il doit confier ses cultures ; chercher s’il est possible de l’améliorer par des amendemens sans de trop fortes dépenses ; entretenir sa fécondité par une juste proportion d’engrais convenablement choisis et appropriés ; le rendre, par divers travaux de préparation, plus apte à la production des végétaux utiles ; lui donner, par les labours et autres façons, le degré de perméabilité et de propreté qui doit assurer la réussite de ces végétaux. Après ces travaux préparatoires, il s’est occupé des meilleurs modes d’ensemencement et de plantation ; ces cultures, confiées à la terre, ont dû être entretenues et soignées pendant leur végétation ; lorsque la disposition du terrain l’a permis, le cultivateur a dû profiter des cours d’eau pour augmenter la fertilité et les produits de son sol ; il n’a pas dû choisir ses cultures au hasard, mais au contraire des principes théoriques et pratiques très-importans ont réglé ses assolemens ; enfin, dans le chapitre précédent, il a vu tous ces travaux recevoir leur récompense par de belles récoltes ; il lui reste encore à les mettre à l’abri des événemens et à les conserver pour le moment opportun à la vente ou à la consommation.

Ce chapitre traitera donc du transport des récoltes dans les divers abris destinés à les conserver, et des véhicules propres à opérer ce transport ; puis du battage et du nettoyage des grains ; enfin de la construction et de la disposition des abris pour les fourrages, les grains, les racines, les fruits, etc.

C. B. de M.

Sect. Ire. Du transport des récoltes. 
 ib.
Art. Ier. Instrumens à bras. 
 305
§ Ier. Brouettes, camions. 
 ib.
§ 2. Hottes, mannes, civières. 
 306
Art. II. Instrumens conduits par des animaux. 
 307
§ Ier. Construction des roues. 
 ib.
§ 2. Longueur de la flèche et hauteur du chargement. 
 309
§ 3. Meilleurs véhicules agricoles. 
 ib.
Sect. II. Moyens de conservation des principaux produits agricoles. 
 311
Art. Ier. Conservation des fourrages, des grains en gerbes et des pailles. 
 ib.
Fenils et granges. 
 317
Art. II. Conservation des grains battus. 
 320
§ Ier. Greniers à blé. 
 ib.
§ 2. Fosses de réserve ou silos. 
 322
Art. III. Conservation des racines. 
 326
§ Ier. Des serres, celliers et caves. 
 327
§ 2. Conservation dans les étables. 
 ib.
§ 3. Conservation dans les silos. 
 328
§ 4. Autres moyens de conservation. 
 329
§ 5. Conservation des racines destinées à la nourriture de l’homme. 
 ib.
Art. IV. Conservation des fruits. 
 330
Sect. III. Du battage et du nettoyage des grains. 
 ib.
Art. Ier. Du battage des grains. 
 ib.
§ Ier. Battage au fléau. 
 ib.
§ 2. Dépiquage par les animaux. 
 332
§ 3. Égrenage au moyen des machines. 
 333
Art. II. Du vannage et du nettoyage des grains. 
 342


Section i. — Du transport des récoltes.
Quoique nous n’ayons pas à nous occuper ici de l’art du charron et du constructeur de voitures pour ce qui regarde les détails de l’exécution matérielle, nous ne pouvons cependant nous dissimuler que les cultivateurs français sont généralement trop étrangers aux principes qui doivent présider à la confection des véhicules agricoles, et nous allons présenter ici quelques considérations qui pourront les guider dans leurs déterminations. Nous diviserons ce sujet en deux articles. Le premier traitera des instrumens employés au transport à bras ; le second renfermera tout ce qui est relatif aux véhicules proprement dits instrumens employés au transport à bras ; le second renfermera tout ce qui est relatif aux véhicules proprement dits. [12:1:1]
Art. ier. — Instrumens à bras.

Rarement la grande culture fait un usage fréquent de ces instrumens ; ils sont, au contraire, souvent employés dans la petite culture et l’agriculture maraîchère. Il n’en est pas de l’homme, réduit à n’employer que ses membres, comme d’un moteur mécanique dont la vitesse augmente en sens inverse de la résistance, et dont la puissance utilisée est toujours la même, soit qu’on diminue, soit qu’on augmente la résistance à vaincre. Il est donc important, lorsqu’on doit déplacer des matériaux qui occupent un grand volume sous un faible poids, d’avoir recours à des instrumens qui suppléent à l’amplitude des bras de l’homme. On doit encore se servir de ces instrumens toutes les fois que l’on a à opérer le transport de substances qui se composent de fragmens isolés, tels que tubercules de pommes-de-terre, racines de betteraves, etc.

[12:1:1:1]
§ ier. — Des brouettes.

Ce sont des instrumens fort connus et qui certainement méritent d’être répandus ; malheureusement ils sont presque toujours mal construits. Le mouvement de progression des brouettes est assuré par la rotation d’une roue ordinaire ; considéré sous un autre point de vue, c’est un levier du troisième genre, c’est-à-dire que la puissance et le point d’appui étant à chacune des extrémités, la résistance ou la charge se trouve entre les deux. D’après les lois qui régissent cette sorte de leviers, il serait à désirer que la roue ne se trouvât point tout-à-fait à l’extrémité, mais au-dessous du centre de gravité : alors, la totalité de la charge étant supportée par la roue, les épaules de l’homme seraient soulagées. On a bien essayé de placer la roue sous la charge, mais on tombait par là dans d’autres inconvéniens : on était forcé de faire la roue très-petite, ce qui nécessite l’emploi d’une plus grande force ; il était ensuite impossible à l’ouvrier d’apercevoir cette roue cachée par les matériaux à transporter, et par conséquent on ne pouvait diriger l’instrument d’une manière ferme et assurée.

Les qualités qui distinguent une bonne brouette sont : 1o que la construction en soit tellement simple que les diverses parties qui la composent soient traversées par le moins de mortaises possible ; car, plus il y a de trous et de mortaises, moins les brancards sont solides ; 2o qu’elle puisse basculer facilement dans tous les sens ; 3o qu’une grande partie de la charge porte sur la roue ; 4o que celle-ci soit de grande dimension. Enfin, je voudrais que toutes les fois qu’il n’est pas possible au conducteur de la brouette d’en apercevoir la roue, la partie supérieure de l’instrument fût surmontée d’un point de mire qui en facilitât la direction, et permit d’éviter les pierres et les autres obstacles qui embarrassent la marche.

Il y a certainement impossibilité matérielle à obtenir à la fois toutes ces conditions ; mais on peut en réunir un plus ou moins grand nombre.

La brouette à brancards obliques (fig. 419), est celle qui mérite la préférence par la simplicité de sa construction et la combinaison de ses diverses parties. Il faut observer, pour cette brouette comme pour celles que nous allons décrire, que la longueur des bras influe très-avantageusement sur la facilité avec laquelle on peut la mouvoir.

La brouette ordinaire à civière (fig. 420) est plus défectueuse que la précédente. C’est néanmoins celle que l’on préfère généralement. Une grande amélioration à introduire dans la confection de cet instrument serait de rendre la claie beaucoup plus inclinée sur la roue.

La brouette à tombereau (fig. 421) sera construite d’après les mêmes principes que les précédentes ; mais, chaque fois qu’on la chargera, on aura soin que la plus grande partie du poids soit reportée sur l’arrière-train.

Enfin, M. de Morel-Vindé a fait connaître une brouette à deux roues (fig. 422) qui peut, dans bien des circonstances, offrir une grande supériorité sur les autres. Il faut observer, néanmoins, que le mouvement de bascule ne peut pas lui être imprimé ; qu’elle ne peut pas passer dans les sentiers étroits, etc.

On peut faire porter une partie de la charge des brouettes par les épaules, en se servant de la bricole (fig. 423), accessoire très-simple, et qui diminue la fatigue pour le moins d’un tiers.

La brouette, aidée dans sa marche par le mouvement de la roue, ne peut guère être employée dans les pays de montagnes, parce que, dans les pentes rapides, elle entraînerait d’elle-même, et la charge qu’elle supporte, et l’ouvrier qui la dirigerait. Dans ces circonstances, les montagnards se servent du traîneau, dont les formes sont très-variables, mais approchent beaucoup de celle que représente la figure 424. On a soin de munir la partie inférieure d’une semelle en fer.

Les camions (fig. 425) sont de petits tombereaux traînés par deux hommes. Ils sont préférables aux brouettes pour les déblais et les transports à des distances de plus de 117 mètres (60 toises). Au-delà de 195 mètres (100 toises), il est plus avantageux de se servir des tombereaux conduits par des chevaux.

[12:1:1:2]
§ ii. — Des hottes.

Les hottes sont de deux sortes : les unes sont un assemblage de bois léger, débité en planches minces ; les autres sont en osier. Les unes et les autres ont des avantages respectifs, suivant les circonstances.

Celles de la première espèce, que l’on nomme tandelins dans quelques vignobles (fig. 426), sont ordinairement faites en sapin. Elles sont très-commodes, dans une exploitation rurale, pour le transport des racines de la cour dans les celliers, et je suis assuré qu’elles offriraient également beaucoup de facilité pour transporter les grains battus de la grange ou de la batterie mécanique au grenier. Ces hottes devront en général avoir une contenance intrinsèque de 55 litres, mais on ne les remplit communément que jusqu’à la concurrence de 50 litres, afin que l’espace laissé vide permette aux matières transportées un léger mouvement qui les ferait déborder si on remplissait l’instrument jusqu’en haut. On comprend aisément que lorsque ces instrumens sont tous de même contenance, on n’éprouve aucune difficulté pour s’assurer de la quantité de produits qu’on a récoltés.

Les hottes en osier (fig. 427) ont, sur les précédentes, l’avantage de la légèreté, mais elles ne peuvent contenir des liquides, à moins qu’auparavant on n’ait eu soin de les goudronner, ce qui n’est pas sans inconvénient dans bien des circonstances.

Les mannes sont presque toujours en osier. Il y en a à une seule anse (fig. 428). On les préfère lorsqu’elles doivent être portées par une personne et à une certaine distance, parce qu’alors elles font l’office de paniers. Celles qui ont deux anses (fig. 429) offrent beaucoup plus de commodité toutes les fois qu’elles doivent être transportées par plusieurs personnes.

Il en est d’une manne comme d’un drap ; ce ne sont pas celles qui sont les plus épaisses et tressées avec de gros brins qui sont les plus solides. Celles qui sont composées d’un osier délié, long, élastique, sont plus solides et plus légères ; et, comme en même temps leur élasticité leur permet de s’adapter quelque peu aux différentes configurations des matériaux qu’elles doivent contenir, leur supériorité, dans tous les cas, est incontestable.

L’osier peut être enveloppé de son écorce ou en être dénudé. Lorsque le premier cas arrive, les couches corticales ne tardent pas à se décomposer, à rendre les voies plus claires, et à laisser dans tout le tissu des germes de décomposition, lesquels ne tardent pas à l’altérer. Il vaut donc mieux faire le sacrifice de quelques centimes, et se procurer de l’osier blanc qui se sèche facilement, se décompose avec lenteur et rend l’instrument bien moins pesant.

Les cultivateurs devront avoir grand soin que les mannes, les hottes et tous les instrumens de ce genre soient tous les jours proprement nettoyés de la terre qui y adhère, mis dans un lieu sec, et jamais abandonnes négligemment sur un sol humide.

Les civières ne sont autre chose qu’un brancard qui, au lieu de se placer sur les épaules, est porté par les mains des ouvriers. Il y en a à brancards simples (fig. 430), et à brancards composés ou relevés (fig. 431). En fin, on connaît encore la civière en échafaud (fig. 432). On adopte les unes ou les autres suivant la nature et la forme des matériaux à transporter.

On pourrait encore ranger parmi les instrumens de transport les sacs et les toiles ; mais leur emploi est tellement connu, et susceptible de si peu de perfectionnement, que nous ne ferons que les mentionner. Nous dirons seulement que, dans la confection des sacs, on néglige de les faire à gousset, c’est-à-dire qu’au lieu de faire l’ouverture supérieure circulaire, il serait avantageux de la former en queue. Le sac fait de cette manière est plus facile à emplir et plus commode à lier.

[12:1:2]
Art. ii. — Des instrumens conduits par des animaux ou véhicules agricoles.

La question que nous allons examiner intéresse l’agriculture à un haut degré. Peu d’hommes chez nous ont dirigé leur attention vers les voitures agricoles, et la presse l’a totalement négligée. Nous parlerons successivement des roues en elles-mêmes, de leur nombre, de leurs dimensions ; des essieux ; de la longueur de la flèche et de la hauteur de la charge ; nous donnerons ensuite les meilleurs modèles de charrettes et de chariots.

[12:1:2:1]
§ ier. — Des roues.

i. Construction des roues. — Une roue, pour être bonne, doit remplir les conditions suivantes : être solide, difficile à se rompre ; elle doit en outre dégrader les chemins le moins possible. La première condition s’obtient en choisissant, pour le moyeu, un bois à tissu serré, dont les fibres soient entremêlées et comme pétries sans cependant qu’il y ait des nœuds bien prononcés. On prend pour cela des souches de noyers ou de frênes, des loupes d’orme tortillard. Le bois des rais ou rayons, au contraire, doit être d’une pâte bien homogène, filandreux et net de nœuds. Le chêne et l’orme commun sont généralement préférés. Les bois seront choisis de même âge, coupés depuis longtemps et à la même époque, afin que s’ils venaient à se travailler, la dilatation et la contraction de l’un ne dépassât pas en intensité celles de l’autre, et ne put nuire à la perfection de l’assemblage.

La rupture n’est pas occasionée seulement par la mauvaise qualité des bois, elle est bien souvent le résultat d’un assemblage défectueux. Tout le monde sait que les rais ne font pas un angle droit avec l’axe du moyeu, mais qu’ils prennent une direction oblique vers l’extérieur. Quelle doit être la mesure de l’angle qui détermine cette obliquité ? C’est ce qu’ignorent la plupart des constructeurs de véhicules agricoles. Cette obliquité est-elle nécessaire ? C’est encore ce qu’ils ne savent pas davantage.

Si les rais étaient assemblés perpendiculairement à l’axe de l’essieu ou du moyeu, il en résulterait des ruptures fréquentes dans les chemins labourés d’ornières profondes. Supposons que le rayon a b (fig. 433) soit perpendiculaire à l’essieu c d, et que ce rayon pénètre dans une ornière ; il est évident que les parties b et f frotteront contre les côtés opposés de l’ornière ; et que si celle-ci est plus profonde, il s’ensuivra une rupture ou du moins une grande augmentation de résistance. Si au contraire le rayon a b n’est pas perpendiculaire à l’essieu c d, comme R’ il pénétrera dans l’ornière et y roulera comme sur un chemin plat, sans occasioner de rupture et sans augmenter la résistance.

La mesure de cette obliquité se déduit facilement de formules analytiques dont nous ne pouvons parler ici ; nous dirons seulement que, dans la majorité des cas, on se trouvera bien de faire les rais perpendiculaires non pas à l’axe, mais à la surface de l’essieu. Ainsi, dans l’essieu dont l’axe serait la ligne A P (fig. 434) les rais O et P ne seraient pas perpendiculaires à A mais aux lignes N M, R S. Avec ces dispositions les roues seront toujours solides et les ruptures bien moins fréquentes.

Il nous reste à déterminer les dispositions que doit présenter une roue pour ne point dégrader les chemins. À une époque où tous réclament la facilité et la promptitude des communications, il est à souhaiter que les cultivateurs prennent toutes les mesures qui sont en leur pouvoir pour ne point paralyser les efforts de l’administration. Lorsqu’on place un poids d’un kilog. sur une balance, il exercera toujours sur le plateau la même pression, que ce poids soit en pierre, en fer ou en plomb, qu’il ait une forme carrée, ronde ou irrégulière ; lorsqu’on pèse une voiture aux bascules qui sont échelonnées sur nos principales routes, la voiture pèse toujours le même poids ou exerce sur le ressort la même pression, que les jantes soient larges de 4 ou de 6 po., planes ou courbes. La forme des jantes et des bandes qui les entourent est donc totalement indifférente à la pression exercée sur le sol par le chargement. Or, comme l’intensité de la pression est proportionnelle au frottement, il s’ensuit qu’on ne peut augmenter ni diminuer celui-ci en faisant varier la forme des jantes. L’administration des ponts et chaussées avait donc parfaitement raison lorsqu’elle disait aux cultivateurs et aux entrepreneurs de roulage : « Adoptez les jantes larges et plates qui ne nécessitent pas de votre part l’emploi de forces plus grandes et qui conservent les routes. » Que l’on essaie en effet de planter un clou par la tête, on y arrivera bien rarement, tandis qu’avec une pression bien moindre on le fera facilement pénétrer par la pointe. La tête du clou, c’est la jante large qui fait peu de tort aux chemins parce qu’elle n’en broie ni n’en déplace les matériaux : la pointe du clou, c’est la jante étroite qui brise et laboure nos routes, lors même qu’elle ne supporte qu’un poids médiocre. La troisième condition d’une bonne roue, c’est donc que la jante en soit large et plate. Il est vrai que cette disposition augmente un peu les frais, mais les véhicules en sont d’autant plus solides.

ii. Dimensions des roues. — On sait en général que plus les roues sont grandes, plus la puissance a de force contre la résistance. Quelle que soit la cause théorique de ce fait, la pratique l’admet sans explication ; mais la facilité du tirage est loin d’être proportionnelle à l’augmentation du diamètre. Ainsi, j’ai cru trouver que pour tirer une charge donnée avec moitié moins de force qu’auparavant, il faudrait sextupler le diamètre, ce qui, dans les limites du possible, ne s’éloigne que très-peu des données de divers auteurs. Considérée sous un autre point de vue, la grandeur des roues diminue le frottement qui a lieu contre l’essieu, ce qui peut procurer une certaine économie. Les circonférences étant entre elles comme les diamètres, il s’ensuit qu’une roue d’un diamètre de 8 pi. parcourra, en faisant sa révolution, le même chemin qu’une roue d’un diamètre de 4 pi. qui ferait deux révolutions, ou, en d’autres mots, le poids de la voiture ne pèsera qu’une fois sur chacun des points de la première circonférence, pendant que cette pression s’exercera deux fois sur chacun des points de la petite ; il y a donc dans tous les cas avantage à augmenter le diamètre des roues ; malheureusement cette augmentation ne saurait dépasser certaines limites sans entraîner des dépenses énormes.

iii. Du nombre des roues. — Les véhicules agricoles se divisent en deux grandes sections : ceux à deux roues ou charrettes, et ceux à quatre roues ou chariots. Nous ne parlerons point des tricycles, parce que jusqu’alors ils n’ont pu réaliser des avantages certains.

Longtemps on a discuté sur les avantages respectifs des deux premières espèces de véhicules ; aujourd’hui, on peut regarder la question comme décidée en faveur des chariots. Que l’on attèle un cheval à une charrette aussi pesante qu’il puisse la traîner au milieu d’obstacles ordinaires, il est clair que l’animal ne pourra surmonter une résistance plus forte suscitée par un obstacle auquel on ne s’était pas attendu. On sera forcé de décharger une partie de la voiture pour surmonter l’obstacle en deux fois. Si, avec la même charge, nous supposons une voiture à 4 roues, le poids se répartira également sur chacune d’elles, de manière que les 2 roues antérieures ne supporteront réellement que la moitié de la pression. Arrivé en face de l’obstacle dont la puissance n’avait pas été prévue, l’animal le surmontera avec les deux roues de devant avec la même facilité que s’il ne traînait que la moitié de la charge.

Il résulte encore de cette disposition un immense avantage qui sera facilement apprécié par ceux qui ont eu l’occasion d’observer la marche des véhicules dans les champs. Lorsqu’on rencontre un fossé, une rigole d’écoulement ou d’irrigation, si la voiture est à 2 roues, elle sortira difficilement de ce mauvais pas, parce qu’elle ne peut trouver ailleurs son point d’appui : si elle est à 4 roues, il n’y en aura jamais à la fois que 2 d’engagées, et les deux autres serviront toujours de point d’appui.

Je ne parle pas des inconvéniens qu’offrent les charrettes pour le chargement ; on sait que, pour qu’elles maintiennent leur équilibre, il faut que les matériaux qu’elles portent soient distribués d’une manière particulière, ce qui ne peut être fait que par un homme habile et exercé ; les chariots, au contraire, ne forment jamais levier, et ils ne peuvent perdre leur aplomb en aucune circonstance.

On sait qu’un corps est d’autant plus stable qu’il repose sur le sol en un plus grand nombre de points, et que ces points sont respectivement plus distans du centre de gravité : dans la charrette, ces points existent au nombre de 2, et ils sont sur une même ligne avec le centre de gravité ; dans le chariot, au contraire, ces points sont au nombre de 4, placés aux quatre coins d’un rectangle, et éloignés du centre de gravité, puisque celui-ci est au point d’intersection des diagonales du rectangle. Il y donc dans le chariot beaucoup plus de stabilité que dans la charrette, et les chances de versement se trouvent considérablement diminuées. Il est néanmoins un cas où les charrettes sont évidemment préférables aux chariots : c’est lorsqu’une contrée est traversée par des chemins tortueux, et faisant fréquemment des angles aigus. Dans ces circonstances, il n’est pas du tout facile de faire tourner un véhicule à 4 roues.

iv. Des essieux. — Nous aurons peu à dire sur cet objet, parce que les matériaux et les formes d’essieux qui ont été proposés dans ces derniers temps conviennent plutôt aux voitures de luxe. Quelle que soit la dureté et le poli des matériaux qu’on emploie, l’expérience a appris que le frottement est bien moindre lorsqu’il a lieu entre deux corps de nature différente, qu’entre deux corps dont la composition serait la même. Ainsi le frottement du fer contre de la fonte, ou sur le cuivre ou l’acier, est bien plus doux que celui de fer contre fer. Ce qu’aujourd’hui l’on connaît de mieux pour les véhicules agricoles, sont des essieux en fer avec des boites en fonte.

[12:1:1:2]
§ ii. — Longueur de la flèche et hauteur du chargement.

J’appelle flèche, dans un char à 4 roues, la pièce de bois qui unit les roues de devant avec celles de derrière. On a cru longtemps que plus elle était longue, plus le chargement augmentait la résistance. Les expériences d’Edgeworth ont prouvé qu’il n’en est pas ainsi, mais qu’au contraire une flèche longue acquiert une élasticité qui lui donne la propriété de faire ressort, ce qui est reconnu aujourd’hui d’un avantage incontestable. De plus, en distribuant la charge sur une plus grande longueur, on diminue d’autant la hauteur du chargement. Il serait facile de démontrer que plus une charge est élevée au-dessus des roues, plus elle court de chances de versement : la longueur de la flèche est donc avantageuse toutes les fois qu’elle ne recule pas tellement les roues postérieures, que le véhicule ne puisse plus tourner dans les angles aigus des chemins.

[12:1:1:3]
§ iii. — Des meilleurs véhicules.

Parmi les charrettes, nous citerons avec éloge celle que l’on emploie le plus communément, mais avec les modifications adoptées en Angleterre (fig. 435), c’est-à-dire que, pour forcer les deux chevaux qui y sont attelés, on attache sous l’essieu la poulie C, sur laquelle passe la corde B, dont l’une des extrémités s’attache au collier du cheval de devant, et l’autre au collier du cheval de derrière. Cette disposition force les deux chevaux à tirer également, parce que celui qui refuserait d’employer ses forces serait obligé de reculer.

La charrette de Russie (fig. 436) est remarquable par sa simplicité ; la grandeur du diamètre des roues, qui est de 7 pieds et 1/2, doit la rendre capable de surmonter des obstacles puissans.

Dans les véhicules à deux roues sont ordinairement classés les tombereaux. Le tombereau ordinaire (fig. 437), avec rehausses qu’on enlève à volonté, est un instrument indispensable, non seulement pour les récoltes, mais pour les transports de terre, de gravois, etc. Dans la construction et le chargement des tombereaux, il faut se souvenir que ces instrumens basculent avec la plus grande facilité : on aura soin, par conséquent, décharger un peu plus sur le devant que sur le derrière. Avec cette précaution le cheval limonier ne sera jamais enlevé.

Le haquet ou tombereau Perronet (fig. 438) se charge avec promptitude, et se décharge avec célérité. Il joint à ces avantages celui d’une construction simple et facile. Comme la partie supérieure, plus évasée, ferait incessamment la bascule, on la retient au moyen d’une traverse en planche qu’on enlève lorsqu’on veut décharger.

Les chariots reposant sur quatre roues sont généralement employés dans les contrées de l’Europe les mieux cultivées, dans la Flandre, la Belgique et l’Allemagne septentrionale.

Le chariot flamand (fig. 439), destiné à recevoir des charges pesantes, est très-solide dans toutes ses parties. Il se compose d’une pièce de bois aa, qui lie le train de devant à celui de derrière, et que l’on nomme alonge ; son extrémité antérieure est armée d’une large bande de fer, qui permet d’en diminuer la force en ce point et de réduire l’écartement entre les pièces de l’essieu. Les bords de la voiture sont formés par deux pièces de bois courbes bb, nommées écaliers de dessous, où s’assemblent exactement les planches du fond et les montans. Au-dessous de ces pièces sont deux autres cc, qui leur correspondent et courbes également, mais dans un plan vertical, et que l’on nomme écaliers de dessus. Vis-à-vis les roues de derrière et sur les écaliers de dessus, se voient deux petits écaliers dd nommés garde-roues ; ils servent au même usage que les écaliers. — Les deux écaliers correspondans, de dessus et de dessous, liés par les montans, sont maintenus dans une position invariable et soutenus, ainsi que le fond, par des supports unis entre eux au moyen de tenons et de mortaises, et par des brides de fer qui les fixent aux écaliers. Comme l’écalier supérieur est très-bas dans le milieu, et que cette partie de la voiture est très-large, le voiturier peut charger et décharger avec une grande facilité. — Lorsque le fermier conduit des substances terreuses, il applique contre les écaliers des planches ou bordages qui s’y attachent ; il place ensuite sur l’écalier supérieur et le garde-roue une autre planche, qui s’assemble au moyen de traverses en fer ttt, rr.

Le chariot de Roville, qui diffère peu du franc-comtois, est porté à un haut degré de perfection. Les échelages en sont mobiles et peuvent, suivant les circonstances, être remplacés par des ridelles pour la conduite des fumiers, ou par des madriers lorsqu’il s’agit de transporter des pierres, des marnes, etc. Enfin, on peut y adapter une caisse en planches pour le transport des sables et autres matières pulvérulentes. Quoique en général on doive se défier des véhicules à plusieurs fins, celui de Roville (fig. 440) remplit les divers objets que nous venons de mentionner, et cela sans nuire à la solidité et à la simplicité. Néanmoins, dans les exploitations où l’on a à opérer le transport d’une grande quantité de racines, il est à désirer que l’on ait un tombereau fixe monté sur 4 roues, n’ayant aucun point d’attache par-devant et mobile sur l’essieu de derrière, afin que, faisant levier, la charge puisse aisément être versée à terre, comme on le voit par la fig. 441.

On a sans doute été étonné qu’un chariot aussi léger que celui de Roville puisse supporter le service d’une exploitation rurale. C’est que dans cet établissement il est rare qu’on attele plus d’un cheval à un même véhicule. Quoique l’on doive, d’après cette disposition, ne mettre sur chaque chariot qu’un poids moins fort que sur les autres, M. de Dombasle affirme néanmoins qu’un seul animal transporte la moitié du poids que l’on met sur un chariot traîné par 4 chevaux ; et cela paraîtra probable à celui qui sait que plus on multiplie les roues pour une charge déterminée, plus le transport est facile. Objectera-t-on qu’alors il est nécessaire d’employer un plus grand nombre de conducteurs ? nous répondrons que ces véhicules sont ordinairement confiés à un enfant de 12 à 15 ans ; en le rétribuant convenablement, c’est-à-dire en lui donnant 50 à 60 centimes, on peut être sûr que le transport se fera avec plus de promptitude et d’économie que si l’on confiait un chariot attelé de 4 ou 6 chevaux à un charretier habile, chose que l’on ne rencontre pas toujours, qu’il faut payer à des prix souvent exorbitans, et qui se mutinent au premier mot parce qu’ils se sentent nécessaires. Que l’on réfléchisse ensuite que, conduits par un seul cheval, ces chariots se chargent avec promptitude, se déchargent sans embarras, et l’on sera très-disposé à se ranger à l’avis de M. de Dombasle.

Antoine, de Roville.

Section ii.Moyens de conservation des principaux produits de l’agriculture

Il a été enseigné dans le chapitre précédent comment il convient de s’y prendre pour conserver les récoltes dans les champs, et il vient d’être indiqué par quels moyens on peut les transporter où on le désire. Nous devons actuellement mettre le cultivateur à même de conserver les produits qu’il a obtenus, pendant un temps plus ou moins long, qui lui permettra d’attendre l’instant propice pour leur vente, leur consommation ou leur transformation en d’autres produits manufacturés. C’est du soin qui sera apporté dans l’emploi de ces moyens que dépendra, en grande partie, le résultat définitif de l’exploitation et par conséquent la prospérité ou la ruine du cultivateur ; on ne saurait donc trop appeler son attention sur ce sujet.

Les moyens de conservation dépendent principalement des produits auxquels ils s’appliquent. En traitant de chaque culture spéciale, on indiquera les procédés spéciaux qui y sont applicables. Ici nous avons à parler des moyens généraux de conservation des fourrages, des céréales non battues et des pailles, des grains, des racines, enfin des fruits.

[12 : 2 : 1]
Art. ier. — Conservation des fourrages, des grains en gerbes et des pailles.

Les foins et autres fourrages ; les blés et autres espèces de céréales avant leur battage ; et enfin les pailles, après ce battage, se conservent ordinairement, soit en en formant à l’extérieur des meules ou gerbiers, soit en les rentrant, ou dans des greniers et fenils ou fointiers pratiqués au-dessus des hangars, écuries, étables ou autres localités de ce genre qui doivent nécessairement occuper les rez-de-chaussées, ou dans des granges construites ad hoc et consacrées, dans toute leur hauteur, à ces emmagasinemens, et dans lesquelles on établit en outre l’aire nécessaire au battage.

Pour reconnaître quels sont les avantages et les inconvéniens divers que ces différens moyens présentent, tant sous le rapport de l’économie que sous celui de la bonne conservation des produits, il est nécessaire que nous entrions dans quelques détails sur les modifications dont ces moyens mêmes sont susceptibles.

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§ ier. — Des meules et gerbiers.

Nous parlerons d’abord des meules ou gerbiers. Il est facile de concevoir que ce sont, en général, les moyens les plus favorables sous le rapport de l’économie ; mais cette économie peut encore varier très-sensiblement, suivant le plus ou moins de soins ou de recherches qu’on apporte à leur confection.

En général, on emploie principalement le nom de meule quand il s’agit de foins et autres espèces de fourrages, et on réserve celui de gerbier pour les cas où il s’agit de gerbes de blés, avoines et autres céréales.

Le plus souvent on établit les meules et même les gerbiers presque immédiatement sur le sol et sans aucune précaution ; mais nous croyons qu’il est à peu près indispensable d’observer au moins celles que nous allons indiquer et que nous empruntons en grande partie à M. de Morel-Vindé[1].

I. Meules sur terre.

Après avoir tracé sur le sol un cercle de la grandeur qu’on veut donner a la meule ou au gerbier, on creuse un fossé de 2 à 3 pi. de profondeur dont on rejette les terres sur le terre-plein du centre. Sur ce terre-plein ainsi surchargé et bien battu, on établit d’abord pour soutrait un lit de fagots ; puis on construit la meule, en l’évasant à peu près ainsi que l’indiquent les fig. 442 et 443, de façon à éloigner du corps et surtout du pied l’égout de la couverture en paille par laquelle on la termine.

II. Meules avec support.

Mais, ainsi établis, les meules ou gerbiers ne sont complètement garantis, ni, par le pied, de l’humidité du sol et surtout de l’attaque des rats et des souris ; ni, quant à leur élévation, de l’attaque des vents violens qui parviennent quelquefois à les renverser ; ni enfin, par leur couverture, de l’infiltration des eaux pluviales. Voyons quels sont les différens ou au moins les principaux moyens qu’on a employés ou proposés pour y remédier.

Quant au pied d’abord, nous citerons en premier lieu les meules dites à l’américaine, également indiquées par M. de Morel-Vindé. Un châssis en bois, le plus souvent carré (fig. 444), afin d’être moins cher ; quelquefois aussi octogonal (fig. 445) ou même circulaire, est établi à 2 pi. environ au-dessus de terre, sur des supports placés au centre ainsi que sous chacun des angles du châssis. La meule est ensuite élevée sur ce châssis, soit au moyen de quelques planches à clairevoie posées en travers des bâtis qui le composent, soit en formant également une 1re couche de fagots. Les supports sur lesquels le châssis lui-même doit être établi peuvent être de diverses sortes. Les plus simples sont des pieux ou potelets enfoncés, et, mieux encore, scellés en terre. On peut, soit en brûlant le pied, soit en les recouvrant d’une forte peinture à l’huile, au goudron ou au bitume, les préserver de l’humidité. Enfin, pour empêcher les rats et les souris de parvenir à la meule, on place quelquefois au haut des potelets des entonnoirs renversés en fer-blanc.

Des dés en pierres, en maçonnerie ou en briques, peuvent remplir le même office, d’une manière même plus durable ; et, en établissant la partie supérieure en forme de saillie horizontale assez considérable, on peut également ôter tous moyens d’accès aux animaux destructeurs.

Enfin, on a employé en Angleterre des cippes en fonte (fig. 446), qui offrent principalement l’avantage de ne permettre aucunement la communication de l’humidité du sol.

Quant aux moyens de résistance contre la violence des vents, on les a cherchés dans l'établissement d’un poteau ou mât au centre de la meule. Telle est la meule anglaise dont nous donnons ici le dessin (fig. 447) et dans laquelle le mât central et les 4 contrefiches qui le consolident, sont assemblés dans un châssis octogonal qui lui-même est exhaussé sur les cippes en fonte dont nous avons précédemment parlé.

iii. Meules à toits mobiles. Les moyens de couverture n’ont pas été moins diversifiés que les supports. Le plus simple nous paraît être celui auquel on a donné le nom de grange allemande. C’est une espèce de pavillon, soit carré et formé alors par 4 poteaux ou mâts placés aux angles ; soit circulaire ou de forme polygonale, et ayant alors un plus grand nombre de poteaux. Par le haut est un toit, ou pyramidal ou conique, de construction légère, couvert en paille, en toile goudronnée, etc., et glissant entre les poteaux au moyen de colliers qui embrassent chacun d’eux. Dans les poteaux sont percés, de distance en distance, des trous dans lesquels on place des chevilles pour maintenir le toit à la hauteur convenable. Voir la fig. 448, dans laquelle on peut remarquer un plancher également mobile, aussi au moyen de chevilles.

Viennent ensuite les gerbiers fixes à toit mobile des Hollandais, mentionnés par M. de Perthuis[2], et dont M. de Morel-Vindé a donné la description sous le nom de Meule à la hollandaise perfectionnée. Nous en reproduisons ici les plan, coupe et élévation (fig. 449). Aux angles d’un châssis carré, semblable à ceux que nous avons précédemment indiqués, s’élèvent 4 poteaux maintenus du haut par un châssis à peu près semblable, et au centre duquel est suspendu un toit à peu près de même genre que celui dont nous venons de parler, lequel monte et descend à volonté au moyen d’une corde qui passe dans une poulie et va se rattacher par le bas à un petit treuil fixé à l’un des poteaux. Des chevilles servent également à fixer le toit à la hauteur voulue.

M. De Perthuis, en mentionnant et en recommandant ces sortes de gerbiers, avait proposé de les améliorer en leur donnant la forme circulaire. Mais il ne nous semble pas que cette forme, toujours plus coûteuse, ait ici les avantages qu’il a cru y trouver, ni qu’elle soit indispensable, soit pour les châssis et combles des gerbiers mêmes, ni pour les meules de foins. Elle est indiquée tout naturellement, il est vrai, pour les gerbes de blés et autres graminées, par la forme des gerbes mêmes, et elle permet de placer les grains à l’intérieur, de serrer parfaitement les gerbes l’une contre l’autre, etc. ; mais rien n’empêche de les établir ainsi sur un châssis ou un comble carrés. Si nous ne nous trompons, en orientant ce comble de façon à ce que ses angles se trouvent tournés vers les expositions d’où les pluies fouettent le plus ordinairement, les gerbes s’en trouveraient plus complètement garanties.

Enfin, M. de Morel-Vindé, dans un Mémoire qu’il avait communiqué à l’Institut en 1811, avait proposé le gerbier à toit mobile (fig. 450). Au centre d’un châssis exhaussé est placé un poinçon en 2 parties ; celle inférieure en bois brut, celle supérieure ronde et terminée en forme de vis de pressoir, et consolidée par de bonnes contrefiches. Par le haut du poinçon est un petit toit fixe, destiné à préserver la vis de l’infiltration des eaux de gluie. Au-dessous est un toit léger et moile au moyen d’un double écrou, qui est mis en mouvement par une tige verticale, au bas de laquelle est une petite roue qui marche dans une ornière circulaire disposée à cet effet.

Dans tous les cas, on voit que les avantages des toits mobiles sont : 1o de dispenser des couvertures en paille, que, dans le système ordinaire, il faut faire et défaire chaque année ; 2o de permettre de donner à la meule plus ou moins de hauteur ; 3o de dispenser également de l’obligation d’enlever à la fois la totalité d’une meule, et de permettre, au contraire, de n’en retirer que la portion dont on a besoin, sauf à descendre plus ou moins le comble mobile.

Ces avantages, ainsi que ceux qui peuvent résulter des châssis exhaussés dont nous avons précédemment parlé, ont été maintes fois énumérés et recommandés aux agriculteurs comme pouvant compenser, et au-delà, les pertes qu’on éprouve sur les meules et gerbiers ordinaires, par suite, soit de l’humidité du sol, soit de l’infiltration des eaux pluviales, soit, enfin, des ravages des animaux granivores. M. de Perthuis même établit que, pour une ferme de 6 charrues, ces avantages pourraient s’élever par an à 1280 fr. Mais, bien que ces différens systèmes aient été essayés, et soient même encore plus ou moins employés en France, en Hollande, en Belgique, en Angleterre, en Allemagne, en Amérique, etc., il ne parait pas que les agronomes praticiens les aient reconnus susceptibles d’être généralement adoptés. Nous ne croyons pouvoir mieux faire, à ce sujet, que de citer les propres paroles par lesquelles M. de Morel-Vindé termine le chapitre de son Essai, qui contient la description : 1o des meules à terre ; 2o de celles dites à l’américaine, c’est-à-dire sur châssis exhaussé ; 3o et enfin, de celles dites à la hollandaise, c’est-à-dire sur châssis et sous un comble mobile. « J’ai présenté (dit-il) ces 3 moyens au choix des cultivateurs ; mais, après avoir bien calculé les pertes et frais des 3 moyens, j’en suis revenu à préférer le premier (c’est-à-dire la meule sur terre), comme le plus simple et le plus facile. J’ai reconnu que les petits frais annuels de ces meules sur terre étaient moins considérables que les avances et les réparations qu’exigent les autres ; j’ai éprouvé que les inconvéniens étaient à peu près nuls, etc. »

Ne perdons pas de vue, toutefois, qu’en donnant ainsi la préférence aux simples meules sur terre, M. de Morel-Vindé entend que le pied en sera établi avec les précautions que nous avons précédemment indiquées d’après lui-même. Il est à présumer que, sans ces précautions, ces meules ne continueraient pas à mériter la même préférence.

iv. Dimensions et emplacement des meules.

Il nous reste à dire quelques mots des dimensions qu’il convient de donner aux meules et gerbiers en général, ainsi que des emplacemens où ils doivent être établis. — Quant aux dimensions horizontales, elles varient à peu près de 4 à 5 et 6 mèt. de carré ou de diamèt. et vont même, pour les meules de quelques pays, jusqu’à 6, 8 et 10 mètres de diamètre ; la hauteur est assez ordinairement de 5 à 6 mètres depuis le sol jusqu’à l’égout de la couverture, lorsqu’elle est fixe, ou du toit mobile placé à sa plus grande élévation ; cette hauteur est même, à ce qu’il paraît, quelquefois beaucoup plus considérable pour l’espèce de gerbier dite grange allemande.

Aux moindres dimensions que nous venons d’indiquer (4 à 5 mètres de diamètre et 5 mètres environ d’élévation), une meule contient à peu près 3000 gerbes ou bottes. Il y en a qui contiennent jusqu’à 6 et 8000 bottes et plus. En général, on se rendra assez exactement compte de ce que pourra contenir une meule ou un gerbier de dimensions données en en établissant le cube et en divisant ce cube par celui d’une gerbe ou botte qu’on peut considérer comme étant, du moins à Paris et dans les pays environnans, d’à peu près 3/4 de pied cube, ou un quarantième de mètre cube (2 centimètres et demi cubes).

Quant à l’emplacement, on établit bien souvent les meules et gerbiers au milieu des champs mêmes ; mais le mieux est de les établir à proximité des granges où le battage du grain doit être opéré, et, autant que possible, dans des enclos à ce destinés. Lorsque l’accès en est libre, des claies, des planches ou d’autres moyens de ce genre doivent être employés pour en préserver la partie inférieure de l’attaque des bestiaux ou des chevaux, ainsi que du choc des voitures.

v. Dépenses de construction des meules.

Nous ne croyons pas inutile de consigner ici, également d’après M. de Morel-Vindé, la dépense annuelle à laquelle donnent lieu les principales espèces de meules dont nous avons précédemment parlé. Elle est à peu près ainsi qu’il suit, pour 3000 bottes ou gerbes environ :

Prix moyen
des environs de Paris. du surplus de la France.
Meule sur terre, compris fouille d’un fossé d’isolement, jet et pilonnage de la terre sur l'emplacement de la meule, et soustrait en fagot, le corps de la meule de 14 pi. 1/2 de haute jusqu'à l’égout de la couverture, de 12 pi. de diamètre par le bas et 14 pi. par le haut, la couverture de 8 pi. de hauteur. 60 f. 36 f.
Meule à l'américaine sur châssis de 12 pieds en carré, exhaussé sur 5 pieux enfoncés en terre avec entonnoirs renversés en fer-blanc ; le corps de la meule de mêmes dimensions que ci-dessus. 130 80
Meule à la hollandaise sur châssis semblable, avec 4 poteaux en bois blanc aux angles ; comble mobile laissant, étant placé à sa plus grande élévation, 16 p. 1/2 entre son égout et le châssis, poulie, corde, treuil, etc. 432 258
vi. Avantages des meules.

C’est, du reste, une chose qui parait généralement reconnue que l’avantage qu’on trouve à mettre les blés et les fourrages en meules ou gerbiers, plutôt qu’à les renfermer dans des bâtimens, tant sous le rapport de la qualité que sous celui de la bonne conservation et des moindres pertes, par suite, soit de l’humidité et de réchauffement qui en résulte, soit des attaques des animaux destructeurs. Cette opinion est notamment celle : 1o de M. Garnier-Deschesnes, qui, dans un Mémoire inséré au tit. 1er des Mémoires de la Société d’agriculture du département de la Seine, observe que, « les pertes éprouvées dans les granges ne s’apercevant pas aussi distinctement et échappant à tout calcul, on en est moins touché que de celles qui arrivent dans les meules ; » 2o de M. de Perthuis, qui, en rappelant cette observation, ajoute que souvent les pailles et les grains contractent dans les granges des odeurs de rats, de souris, de fouines, d’urine de chats, etc., qui les détériorent beaucoup, ce qui n’arrive jamais dans les meules ; et, même, que les marchands de blés reconnaissent fort bien ceux qui ont été conservés en meules, y donnent toujours la préférence et les paient quelquefois plus cher ; 3o de M. de Morel-Vindé, qui pense qu’en général, une grange ne devrait avoir que la grandeur nécessaire pour abriter momentanément toutes les gerbes provenant d’une ou plusieurs meules qu’on peut être dans la nécessité de battre en même temps, ainsi d’ailleurs que cela existe dans un grand nombre de fermes, surtout en Hollande ; 4o de Thaer et de M. Mathieu de Dombasle ; ce dernier s’exprime ainsi à cet égard : « Dans beaucoup de pays, on conserve les grains en gerbes dans des granges ; dans d’autres, on en fait des meules exposées à l’air. Cette dernière méthode présente des avantages qui devraient la faire adopter partout. Lorsqu’une meule est bien faite, le grain est entièrement à l’abri des ravages des souris, qui font tant de dégâts dans les granges ; il s’y conserve sain pendant beaucoup plus longtemps, et peut, sans inconvénient, y rester pendant deux années ; il court beaucoup moins de risque de s’altérer, lorsque la récolte a été rentrée sans être parfaitement sèche. L’usage de loger les gerbes dans les granges présente cependant l’avantage de les avoir plus sous la main pour le battage, et évite la main-d’œuvre nécessaire pour transporter les gerbes à la grange pour les battre, ce qui ne peut se faire par les mauvais temps ; mais aussi la dépense qu’il entraîne pour la construction des bâtimens est très-considérable. Si l’on pèse exactement les avantages et les inconvéniens de chacune des deux méthodes, on trouvera que la balance penchera beaucoup en faveur des meules. » 5o Enfin, de tous les riches et grands cultivateurs de l’Angleterre, chez lesquels l’usage de nos vastes et dispendieuses granges est unanimement proscrit. Gourlier.

vii. Détails de la confection des meules.

Lorsqu’on fait les meules circulaires, on leur donne généralement un diamètre de 12 pieds (4 mètres) ou davantage, en raison des convenances du cultivateur ou de la grandeur de la grange. Voici comment M. Low décrit la manière dont on s’y prend pour les confectionner en Angleterre.

On place d’abord, pour former la base, une couche de fagots et de paille ou autre substance analogue. L’ouvrier principal commence alors par poser une gerbe debout au milieu de la meule ; il l’entoure d’autres gerbes aussi placées debout, et en inclinant les têtes en dedans ; il continue ainsi à former des circuits réguliers avec les gerbes serrées les unes contre les autres, jusqu’à ce qu’il approche de l’extérieur de la meule. Il dispose alors une couche de gerbes tout autour, les bouts en dehors, et la moitié supérieure s’appuyant sur chacune des gerbes en dedans. Dans cette opération, il empoigne les gerbes les unes après les autres en les rangeant et les serrant : à cet effet, la dernière gerbe placée, il la presse avec les mains et le poids de son corps, et se penche en avant, jusqu’à ce qu’il ait placé les genoux dessus ; et alors, attrapant une autre gerbe, il la range de la même manière à sa place, et ainsi de suite pour les autres. Il forme de la sorte une couche de gerbes tout autour, puis une seconde couche de la même manière, comblant, là où cela est nécessaire, l’intérieur de la meule, jusqu’à ce qu’il ait élevé le tout presque au même niveau que le sommet des gerbes droites mentionnées tout-à-l’heure.

Ayant achevé la première partie de ce travail, c’est-à-dire, ayant placé les couches extérieures et comblé le centre de la meule, de sorte que le tout est à peu près de niveau, en réservant cependant une légère pente du centre vers le dehors, il procède de la manière suivante : il forme son second rang de gerbes tout autour, avec leurs bouts environ 15 ou 18 pouces plus en arrière que ceux du rang extérieur. Cela fait, il remplit l’intérieur de la meule, mais sans suivre le même ordre qu’en plaçant les couches extérieures ; il entasse simplement les gerbes d’une manière convenable, afin qu’elles puissent remplir tous les interstices.

Il dispose alors une nouvelle couche extérieure tout autour, avec les extrémités en dehors, comme précédemment, et en relevant aussi les bouts des épis légèrement, pour les faire reposer sur les extrémités des dernières gerbes placées du rang intérieur. Il continue de la sorte alternativement, en plaçant un rang extérieur et un rang intérieur, et en remplissant le centre de la meule, ayant toujours soin de ménager, comme il a été dit, la pente des gerbes du centre à l’extérieur.

Quelquefois, lorsque la meule est très-grande,ou la paille courte, on forme plus de deux rangs intérieurs ; mais le procédé est le même.

Lorsque l’ouvrier a élevé la meule de 8 à 12 pi. (3 à 4 m.) ou davantage, il commence à en rétrécir les dimensions. Mais auparavant il dispose une couche qui déborde de quelques pouces la précédente ; c’est afin de former le bord du toit. Du reste, on se dispense quelquefois de ce degré de perfection qui n’est pas essentiel. Quoi qu’il en soit, quand l’ouvrier a réduit la plate-forme de la meule à une surface de 3 ou 4 pi. de diamètre, il quitte la position dans laquelle il a jusqu’alors travaillé, et place une gerbe toute droite au centre en l’entourant de gerbes disposées de la même manière, mais en ayant soin d’incliner leurs têtes en dedans, et de les appuyer sur la gerbe centrale. Le sommet de ces gerbes droites est consolidé avec deux ou trois liens de paille qu’on attache quelquefois à différens côtés de la meule, de manière à empêcher son sommet d’être renversé.

La meule a maintenant la forme d’un cylindre avec un sommet conique ; ordinairement, à mesure que la meule s’élève, on en augmente le diamètre, afin d’éviter que les eaux de la pluie puissent en atteindre les diverses parties. Toutefois, il ne faut pas pousser trop loin cette déviation de la perpendiculaire, parce qu’elle diminuerait la solidité de la meule ou pourrait la faire pencher d’un seul côté ; accident qui n’arrive que trop souvent lorsqu’on ne prend pas les précautions que nous venons d’indiquer, et qui nécessite, lorsqu’il se manifeste, l’apposition d’étais. Ces étais sont des morceaux de bois plus ou moins forts et longs, qui doivent du bas être solidement fixés en terre, et par le haut s’arrêter contre une planche qui s’appuie sur la meule.

Il s’agit maintenant de couvrir la meule, et pour cela il convient de disposer avec promptitude une certaine quantité de paille. On en forme des bottes qu’on retire des deux bouts par poignées. La paille courte, qu’on sépare dans cette opération, est mise de côté pour d’autres usages, comme de garnir le bas de la meule, et en partie aussi pour entrer dans la composition de la couverture en chaume.

Les cordes de paille peuvent être faites avec promptitude au moyen de l’instrument bien simple (fig. 451) qui consiste en un bâton de 2 à 3 p. de longueur, plié en arc a l’une de ses extrémités, et portant à l’autre un anneau au travers duquel on passe une corde de paille, que l’ouvrier lie autour de sa ceinture. La paille à tordre est fixée dans un cran au bout de l’arc, et fournie par une personne au fur et à mesure, d’un tas voisin. L’autre ouvrier, qui peut être un enfant, cet ouvrage ne demandant pas beaucoup de forces, marche à reculons, tournant son arc jusqu’à ce que la corde soit de la longueur désirée. Les cordes ainsi fabriquées sont roulées sur le bras et conservées pour l’usage.

L'ouvrier qui couvre les meules s’y tient debout. Des bottes de paille lui étant données au bout d’une grande perche, il les étend par poignées tout autour de la meule, en formant des couches successives jusqu’à ce qu’il atteigne le sommet, faisant en sorte que chaque couche recouvre toujours un peu la couche qui lui est inférieure, et il prend soin, en travaillant, de ne pas fouler la paille déjà étendue. Lorsqu’il atteint les gerbes droites du sommet, il forme la couverture avec une couche épaisse, qui peut consister en paille courte, qu’il fait aboutir en un point au sommet, et qu’il lie avec une petite corde de paille. La paille est ensuite attachée du bas au moyen des cordes décrites. Le couvreur se tient debout sur une échelle élevée, afin qu’il puisse atteindre au sommet, pendant que deux aides restent à terre ou sur de courtes échelles. Il place les cordes sur la couverture en les espaçant de 12 ou 15 po., et leur donne une disposition oblique sur la couverture à laquelle il les fixe, ou bien il les tourne autour d’une autre corde placée dans le bas et autour du toit, comme on le voit (fig. 452).

Dans les environs de Paris, la confection des meules est plus simple, et on les fait aussi beaucoup plus grandes. On commence par composer la base de fagots recouverts de mauvaise paille ; puis on place au centre des gerbes en croix, les épis superposés ; on fait ensuite, à l’entour, de doubles rangs de gerbes placées têtes-bêches les unes sur les autres, et l’on continue ainsi par couches, en ayant soin de bien serrer les gerbes les unes contre les autres, et de les entasser contre les rangs voisins à l’aide du genou ; arrivé au faîte de la meule, on place plusieurs gerbes debout, et l’on achève le comble par des bottes de paille. — Dans la confection de ces grandes meules, lorsqu’on est parvenu à une élévation où le déchargement serait difficile, le tasseur réserve une place pour le chargeur en supprimant quelques gerbes, et le déchargement a lieu sur un échafaud en planches reposant sur deux morceaux de bois fichés dans la meule. Ce vide est ensuite comblé au moyen de gerbes placées debout. — Quant à la couverture, elle s’exécute avec des poignées de paille liées par le bout des épis et maintenues sur la meule au moyen de fiches en bois, en commençant par le bas du toit et ayant soin de recouvrir les rangées inférieures avec les supérieures.

viii. Dangers à craindre avec les meules.

De grands dangers sont à craindre, dans les mauvaises saisons, si le grain est mis en meules dans un état humide ; ces dangers subsistent même en toute saison, si la paille contient encore ses sucs naturels lorsqu’on la rentre. La fermentation intérieure est dénotée par la grande chaleur de la meule, qui peut être rendue sensible en y enfonçant le manche d’une fourche et le tâtant lorsqu’il est retiré, ou en prenant une poignée de blé de l’intérieur, ou seulement même en y enfonçant la main. — Les Hollandais font usage d’un moyen très-ingénieux, et très-simple en même temps, pour constater l’état de fermentation dans lequel les foins peuvent se trouver pendant le premier mois qui suit leur récolte. Ils placent dans chaque meule une aiguille de fer garnie d’un fil de laine blanche, qui est fixé à ses extrémités ; ils visitent souvent. Tant que la laine reste blanche, la meule se comporte bien, mais aussitôt qu’elle jaunit, elle annonce un excès de fermentation. Si la chaleur devenait tellement grande que l’on ait à craindre la perte de la meule, il faudrait démonter le tas et le reconstruire, ou porter le tout à la grange pour y être battu.

Un autre danger, dans le moment même de la confection des meules, c’est d’être surpris par une pluie d’orage qu’il est difficile de prévoir dans l’été, et qui peut assez mouiller le tas pour avoir des inconvéniens. Il y a un moyen simple et peu dispendieux de se mettre à l’abri de ce risque, c’est d’avoir, pour cette destination et beaucoup d’autres analogues, une grande toile grossière encore pourvue de son apprêt, ou mieux goudronnée, qu’on jette sur la meule au moment de l’orage, en lui donnant un peu de pente par l’accumulation de quelques gerbes au centre du tas.

Dans les années humides, les cultivateurs anglais, d’après l’ouvrage de M. Low[3], construisent leurs meules creuses dans le centre, pour donner ainsi accès à l’air ; cela se fait en plaçant des perches attachées par le haut et écartées du bas comme les pieds d’un graphomètre, et qu’on dispose en rond. Une communication étant établie entre ce centre creux et l’extérieur, un courant d’air s’y forme et obvie aux inconvéniens de l’humidité en empêchant toute fermentation. Les Hollandais sont dans le même usage, et réservent une cheminée dans la meule au moyen d’un cylindre d’osier qu’on monte au fur et à mesure que la meule s’élève.

Nous devons dire que Thaer et M. de Dombasle ne partagent pas cette opinion. Voici comment ce dernier s’exprime à ce sujet : « Autrefois on croyait qu’il était utile de ménager, dans les masses de foin, des courans d’air, au moyen de lits de fagots ou d’espèces de cheminées qu’on y pratiquait ; mais, dans les pays où l’on apporte le plus de soin à la conservation du fourrage, comme en Belgique, dans le Palatinat, le pays de Hanovre, et tout le nord de l’Allemagne, on a reconnu, depuis plus de 50 ans, que cette opération était fondée sur un faux principe : aussi on a soin d’intercepter le mieux qu’on le peut l’introduction de l’air dans les meules, en tassant très-fortement le pourtour ; on préfère, par cette raison, les toits en paille, qui le couvrent immédiatement la masse, aux toits mobiles qui laissent de l’intervalle au-dessous d’eux. Pour le foin qu’on rentre dans les greniers, on prend, des soins dirigés d’après le même principe. »

La construction et la couverture des meules complètent les opérations de la récolte et de la conservation des céréales. Les plantes légumineuses cultivées pour leurs graines, ainsi que les fourrages, se conservent à peu près de la même manière, et demandent même moins de précautions dans leur disposition.

Les meules disposées en longueur, quoique moins solides, ont cet avantage que l’on peut y prendre le foin ou les gerbes à mesure qu’on les consomme, pourvu qu’on les coupe perpendiculairement du côté opposé à celui d’où vient ordinairement la pluie, tandis que, lorsque le temps est pluvieux, les meules rondes et carrées doivent être serrées tout à la fois.

Il convient que les meules soient placées dans une cour particulière, entourée de haies ; là on peut plus facilement avoir l’œil sur la provision de fourrage que lorsqu’elle est répartie dans des granges, et par conséquent on peut mieux en modérer la consommation lorsque les circonstances l’exigent.

Assez ordinairement, on ne compose les meules que d’une seule espèce de céréale ou de fourrage surtout lorsqu’on les place près de la ferme et qu’on ne leur donne pas un très-grand volume. Cependant, il n’y a pas d’inconvénient à s’écarter de cet usage. Thaer rapporte que des gens qui ont essayé de mêler par couches, dans le foin, la paille de grains de printemps qui leur restait de l’année précédente, ont beaucoup recommandé cette méthode. On croit pouvoir, à l’aide de ce moyen, serrer les fourrages, quoiqu’ils ne soient pas entièrement secs, parce que la paille absorbe l’humidité du foin. La paille, s’imprégnant de l’odeur du fourrage, doit en devenir plus agréable au bétail, en sorte que, lorsqu’elle est ainsi mélangée, il la mange plus volontiers. On a employé cette méthode surtout pour le foin de trèfle. C.B. de M.

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§ ii. — Des fenils et granges.

Quoi qu’il en soit des avantages des meules et gerbiers, le fréquent usage qu’on fait dans la pratique du mode d’emmagasinement des fourrages, des blés non battus et des pailles, dans des greniers ou dans des granges, nous fait une loi de ne pas négliger de parler ici de ces sortes de constructions.

i. Emploi des combles des bâtimens.

C’est une chose toute naturelle, et même en général favorable à l’économie des constructions, que d’utiliser en greniers le dessus des hangars, des écuries, des étables, etc.

Il ne peut résulter aucun inconvénient pour les récoltes, en général, de leur placement au-dessus des hangars ou des autres localités analogues. Mais il n’en est pas de même des écuries, des étables, etc. Les émanations qui s’en élèvent peuvent être nuisibles à la bonne conservation et à la qualité des produits, et l’on ne pourrait s’en préserver qu’en plafonnant avec soin le plancher entre le rez-de-chaussée et le grenier, et surtout en évitant d’y pratiquer aucune trappe ni autre ouverture, ce qui aurait le double inconvénient d’être fort dispendieux et très incommode pour le service. Mais de plus, les récoltes sont ainsi exposées aux chances d’incendie que courent toujours des bâtimens, au moins en grande partie construits en bois, et dans lesquels les besoins du service exigent l’emploi plus ou moins fréquent de lanternes ou d’autres moyens d’éclairage.

Quelque réels que soient ces inconvéniens, nous ne devons pas omettre de consigner ici une pratique qui, tout en y participant fortement, offre, sous le rapport de l’économie et de quelques autres commodités de service, des avantages tels qu’on ne doit pas s’étonner qu’elle soit, dans certaines localités, d’un usage aussi fréquent et même presque général. Elle est applicable aux hangars, ainsi qu’aux écuries, étables, etc., au-dessus desquels il existe seulement un comble sans plancher. — Lors de la rentrée des récoltes, on place, à la hauteur que devrait occuper le plancher, des perches portant des 2 bouts sur les murs mêmes ou sur les entraits ou tirans des fermes du comble, plus ou moins rapprochées, suivant qu’elles sont plus ou moins fortes, et l’on forme ainsi une espèce de plancher mobile et provisoire sur lequel on entasse jusque sous le comble les foins, pailles, etc. Lorsqu’ils en sont retirés, on met les perches de côté pour s’en servir également à la saison suivante.

Au-dessus des hangars, cette pratique ne présente que des avantages ; au-dessus des écuries, des étables, etc., elle offre sans aucun doute tous les inconvéniens que nous avons déjà signalés. Mais, nous le répétons, elle offre de tels avantages, tant sous le rapport de l’économie que sous celui de la facilité du service, et de plus comme moyen de garantir les écuries, étables, etc., des froids rigoureux, que nous ne saurions en blâmer l’emploi qu’avec réserve, pourvu qu’il soit fait avec les précautions nécessaires.

Les divers inconvéniens que nous venons de signaler n’existent pas dans les bâtimens construits spécialement à l’usage de fœnières ou de granges, etc.

Les principales conditions auxquelles doivent satisfaire ces sortes de constructions, sont : 1o qu’elles offrent un abri sûr ; 2o qu’il y existe des courans d’air suffisans ; 3o que la base en soit préservée, aussi complètement que possible, de la communication de l’humidité du sol, ainsi que, pour les céréales, de l’accès des animaux destructeurs ; 4o et enfin, qu’il y existe des moyens sûrs et commodes de déchargement à couvert.

ii. Des fenils ou fœnières.

En ce qui concerne l’emmagasinement des foins, on satisfera facilement aux conditions voulues, au moyen de hangars établis sur un quinconce de poteaux en charpente, placés à 3 ou 4 mètres de distance (9 ou 12 pieds environ). Le pied des poteaux devra reposer sur des dés en pierre bien fondés, et le sol du hangar lui-même devra être bien battu et légèrement exhaussé au-dessus du sol extérieur. Le comble pourra être, ou entièrement libre de façon à recevoir aussi, au moyen de planchers temporaires et mobiles, du genre de ceux dont nous avons précédemment parlé, des dépôts de fourrages ; ou garni, suivant sa hauteur, d’un ou plusieurs planchers à demeure, destinés, soit à recevoir de semblables approvisionnemens, soit à servir de greniers à blé, suivant ce que nous dirons plus tard à ce sujet.

M. de Morel-Vindé indique, comme largement suffisant pour une ferme de 2 à 3 charrues, un hangar de ce genre de 50 pieds de long sur 30 pieds de profondeur (environ 16 mètres sur près de 10 mètres), ce qui donne, en superficie, à peu près 42 toises ou 160 mètres.

Il indique la dépense, compris deux planchers dans la hauteur du comble et ce dernier couvert en tuiles, savoir :

Aux prix des environs de Paris, à 5,883 f. » c.

Et au prix moyen du reste de la France 
 3521 »

Ce qui donne environ :

Pour une toise, dans le 1er cas 
 140 »
Et dans le 2e 
 84 »
Et pour un mètre, dans le premier cas 
 37 »
Et dans le 2e 
 22 »

Ces résultats peuvent servir de renseignemens sur la dépense que pourrait occasioner la construction d’un hangar de ce genre en raison de ses dimensions.

iii. Emmagasinement des fourrages.

Nous avons vu que dans l'usage ordinaire, on conserve le foin, soit en meules, soit au-dessus des étables où est logé le bétail qui doit le consommer. Dans tous les cas, Thaer recommande « qu’il soit étendu d’une manière uniforme et qu’il soit serré, afin qu’il n’y reste aucun espace vide, parce que, dans de tels vides, il naît de la moisissure, et qu’il s’y rassemble de l’humidité lorsque le foin commence à suer. Quand cela arrive, il s’échauffe quelquefois au point de donner une forte vapeur. Dans ce cas, on ne saurait faire plus mal que de soulever le foin et de lui donner de l’air ; il faut, au contraire, empêcher, autant que cela est possible, le concours de l’air, et, pour cet effet, fermer les volets du fenil. Il se peut qu’alors le foin fermente fortement et brunisse, mais il ne se gâtera pas, et l’on courra moins de risques qu’il ne prenne feu. C’est seulement lorsque le foin a beaucoup d’air que le gaz inflammable qui se développe en pareille circonstance, peut prendre feu ; il ne faut donc pas toucher au foin qui est dans ce tas, à moins qu’on ne veuille le descendre promptement du fenil pour le refroidir et sécher.

« Si le fenil est recouvert d’un bon toit de paille, il faut mettre du foin aussi près de ce toit que cela est possible, et le serrer de manière que, du moins au premier moment, il ne reste pas d’espace entre deux ; lorsque le foin n’est nullement en contact avec l’air, il se comporte à merveille pendant qu’il sue, et il conserve sa qualité dans toutes ses parties. Sous un toit de tuiles, au contraire, la couche supérieure du tas perd facilement sa saveur, prend du moisi et de l’humidité.

» Les toits cintrés en planches et recouverts de paille ou de roseaux sont sans contredit les meilleurs pour mettre à couvert la provision de fourrages destinée au bétail qui est logé dessous. »

Lorsqu’on distribue les fourrages dans les granges et fenils, il faut avoir grand soin d’attribuer à chaque sorte de bétail l’espèce qui lui convient le mieux, et de placer dans chaque fenil les foins de diverses natures, dans l’ordre où ils doivent être consommés, afin qu’on puisse les en extraire pour le service sans difficulté.

iv. Des granges ordinaires.

Quant à l’emmagasinement des gerbes de blés, les conditions que nous avons précédemment indiquées ne sont, presque toujours, qu’assez imparfaitement remplies dans les granges ordinaires, qui, pour la plupart, ne sont autres que de grands bâtimens fermés, dans tout leur pourtour, par des murs de maçonnerie percés de quelques baies rares et petites. Nous n’essaierons pas, toutefois, de donner ici l’indication de dispositions plus satisfaisantes, parce qu’elles doivent nécessairement varier en raison de la nature diverse des matériaux dont on peut disposer. Nous renverrons, en conséquence, cet essai à l’examen général que nous aurons à faire dans la suite de cet ouvrage des principes qui doivent présider à la disposition et à l’exécution des constructions rurales.

Quant à présent, nous nous bornerons à dire succinctement ce que sont les granges ordinaires, en empruntant les paroles de de Perthuis, et à décrire le gerbier sur poteaux de M. de Morel-Vindé.

Les granges sont composées : 1o d’une aire pour le battage des grains : on lui donne ordinairement la largeur d’une travée ou ferme ; 2o d’autres travées en nombre suffisant pour contenir les grains en gerbes des récoltes moyennes de l'exploitation ; 3o d'un ballier, dans lequel on conserve les balles ou menues pailles, ou pontis, qui restent sur l’aire après le battage et le vannage des grains, et dont les bestiaux sont très-friands.

Il faut placer ces bâtimens et les isoler dans la cour d’une ferme, à l’endroit le plus commode, soit pour rentrer les gerbes venant du dehors, soit pour engranger celles que l’on retire des meules, soit, enfin, pour la surveillance du fermier pendant le battage des grains.

Les granges doivent être préservées de toute espèce d’humidité, et aérées le plus qu’il est possible. À cet effet, on élève leur sol intérieur de 33 à 50 centim. au-dessus du niveau du terrain environnant, et on pratique dans leurs murs un nombre suffisant d’ouvertures que l’on préserve de la pluie avec des auvens, et dont on interdit le passage aux animaux destructeurs par des grillages à mailles serrées. On parvient aussi à aérer et même à éclairer les combles de ces granges, en pratiquant dans leurs couvertures un nombre suffisant de petites ouvertures, ou nids-de-pie, grillées de la même manière, et recouvertes par des tuiles faîtières. L’intérieur des granges construites en maçonnerie doit être soigneusement recrépi et lissé le plus qu’il est possible, afin d’empêcher les rats et les souris de grimper le long des murs, et de gagner ainsi la charpente du comble lorsque les granges sont vides. Alors on les tue aisément avec le fléau, sur le sol même.

La construction des granges, dans les fermes de la grande culture, est très-coûteuse, et leur dépense entre pour une grande portion dans la totalité des frais de ces établissemens.

v. Des aires à battre.

Dans l’état actuel des choses en France, où le battage a lieu presque partout sans machines, l’aire, c’est-à-dire le lieu où l’on bat le blé et autres grains, est une partie essentielle dans la construction des granges. Il doit être en état de résister, soit au trépignement des animaux lorsque le battage a lieu par le dépiquage, comme dans les parties méridionales de l’Europe, et, dans ce cas, les aires sont presque toujours en dehors des habitations ; — soit à la percussion du fléau ; alors l’aire est constamment placée dans la grange et en occupe généralement la travée centrale.

Les aires ordinaires, dans la construction desquelles on fait entrer deux parties de terre franche contre une de bouse de vache, sont déjà d’une bonne consistance. Lorsqu’à ces matériaux on joint du foin ou de la paille hachée très-menue, et encore mieux de la bourre, elles sont encore meilleures. Dans les pays où l’on fabrique de l’huile d’olive, on fait entrer son marc dans la composition de l’aire, et on gagne considérablement de fermeté et de durée. Dans d’autres, on l’enduit, à différentes reprises, de sang de bœuf. Enfin, quelques riches propriétaires les font couvrir de planches d’un pouce au moins d’épaisseur, et bien ajustées ; mais, dans la plupart des fermes, les aires ne sont formées que d’une couche plus ou moins épaisse d’argile ou de charrée (cendres lessivées), ou même de terre végétale battue, couche qui se détruit facilement et dont les débris se mêlent parmi les graines pour en altérer la pureté. — Dans cette opération, ainsi que dans toutes les opérations agricoles, il ne faut pas perdre de vue l’économie ; il faut se contenter des matériaux que produit le pays ; mais on peut toujours en tirer un parti plus avantageux que ne le font la plupart des habitans des campagnes.

Les soins à prendre dans la construction d’une aire consistent à en lier les matériaux de manière qu’ils soient au même degré de consistance dans leur totalité ; à les étendre sur le sol le plus également possible ; à faire en sorte qu’ils ne soient ni trop ni pas assez mouillés ; à la battre à diverses reprises pour la durcir en la tassant de plus en plus ; à boucher les crevasses ou les trous qui s’y forment presque toujours aux approches de sa dessiccation. Une aire bien construite peut durer un grand nombre d’années, si on y fait des réparations de temps en temps. Mais, une fois qu’elle a commencé à se dégrader, elle se détruit rapidement. C’est pendant les chaleurs de l’été qu’il faut les construire et les réparer.

vi. Grange en bois.

La grange en bois, ou gerbier sur poteaux, construite par M. de Morel-Vindé, en 1812, dans son exploitation à la Celle-Saint-Cloud (Seine-et-Oise), nous paraît pouvoir, en quelque sorte, servir de programme pour ces sortes de constructions.

Ce célèbre agronome fait connaître qu’au commencement de 1812, se trouvant inopinément dans la nécessité d’ajouter à ses bâtimens un emplacement suffisant pour serrer la surabondance de ses récoltes ; répugnant à bâtir une grange en maçonnerie, tant à cause de la trop grande dépense qu’entraîne un bâtiment de cette nature, et des dégâts effroyables qu’y occasionent les rats et les souris, que parce que cette bâtisse n’eût pas été finie et sèche pour la récolte alors prochaine ; et ne pouvant d’ailleurs employer, dans cette circonstance, ni son gerbier à toit mobile, ni les meules à la hollandaise, parce qu’il lui fallait, en outre, une aire à battre, il imagina la grange sur poteaux dont il s’agit ici, et dont nous donnons les plans, coupe et élévation (fig. 453, 454 et 455), en observant qu’il y a 5 travées au lieu de 3 seulement que nous indiquons.

À 11 pieds ou environ 3 mètres et demi de distance, d’axe en axe (dimension considérée avec raison par M. de Vindé, d’après sa propre expérience, comme étant à peu près le maximum de la portée des bois posés en travers, pour qu’ils ne risquent pas de fléchir), sont : d’abord de bonnes fondations en maçonnerie, au-dessus des dés en pierre de 15 po.) (40 cent.) en carré, saillans de 1 pied (33 centim.) hors de terre, et, enfin, des potelets de 2 pieds (65 centim.) de hauteur sur 1 pied (33 cent.) sur carré, recouverts, savoir : dans leur partie inférieure, ainsi que les dés en pierre, en ardoise ; et, dans leur partie supérieure, en morceaux de verre à vitre d’un pied carré, retenus avec mastic entre de petites baguettes clouées du haut et du bas seulement, et sans montans aux angles. Ces potelets sont en chêne ; tout le surplus de la charpente dont nous allons parler est en peuplier d’Italie.

Sur ces potelets est posé et chevillé un gril composé de sommiers en long et en travers, entaillés à tiers-bois.

Sur ce gril s’élèvent des poteaux montans, de 22 pieds (plus de 7 mètres) de haut, coiffés par des sablières sur les 2 longues faces, et réunis transversalement par les entraits des fenêtres du comble, dont les coupes indiquent suffisamment la composition. Dans les espacemens extérieurs sont en outre des croix de Saint-André, réunissant également les poteaux, et qui servent en outre à contenir les extrémités des gerbes. Les sommiers composant le gril, les poteaux montans et les entraits ont 9 pouces (25 centim.) en carré ; les sablières, pannes et faîtage, 6 à 7 pouces (16 à 19 centim.), et les autres bois de 5 à 6 po. (13 à 16 centim.), à l’exception des chevrons qui n’ont que 3 pouces (8 centim.).

Tous ces bois ont été assemblés aussi simplement que possible, pour la plupart à moitié ou tiers-bois, le surplus à tenons et mortaises ; entièrement chevillés en bois, sans aucune armature en fer, et préalablement écarris à la scie, ce qui a procuré des dosses épaisses et parfaitement droites, en nombre suffisant pour former un plancher sur le gril.

Les plus belles de ces dosses ont été réservées pour les travées du milieu, servant d’aire à battre, écarries avec un soin particulier, assemblées jointives sans rainures ni languettes, chevillées et avec joints calfeutrés en mousse et goudron, ce qui a procuré une aire parfaitement sèche et extrêmement commode, le fléau s’élevant sans aucun effort par la seule élasticité du plancher.

Afin d’accéder à ce plancher sans donner de moyens de communication aux rats et aux souris, au bord de l’aire est adapté un marchepied en fer, qu’on élève facilement au moyen de deux chaînes, de deux contre-poids en pierre, et qui, d’ailleurs, ne prend son emmarchement qu’à 15 pouces (40 centim.) au-dessus du sol.

Pour garantir les bois de l’effet du soleil ou de la pluie, toutes les faces extérieures opposées au sud et à l’ouest ont été revêtues en ardoise. C’est aussi en ardoise qu’a été établie la couverture dans laquelle on a eu le soin de disposer deux petites lucarnes toujours ouvertes, pour empêcher l’engouffrement du vent.

Toute cette construction, contenant, pour les 5 travées dont elle se compose effectivement, une superficie d’environ 30 toises ou 137 mètres, a coûté, aux prix des environs de Paris 
   4375 f. » c.
Et ne coûterait, aux prix moyens du surplus de la France, que 
   2625    »   
Ce qui porte la toise, dans le 1er cas, à 
     121   50  
Et dans le 2e cas, à 
       73    »   
Et le mètre, dans le 1er cas, à 
       32    »   
Et dans le 2e, à 
       19    »   

15,000 gerbes y ont été serrées et battues avec la plus grande commodité, sans que le blé, constamment aéré, ait contracté aucun mauvais goût, et sans en perdre un seul grain ; les pailles s’y sont conservées toujours fraîches et entières pendant une et même deux années ; enfin, depuis sa construction en 1812, le bâtiment lui-même n’a éprouvé aucun altération.

M. de Morel-Vindé estime qu’une grange en maçonnerie coûterait, proportionnellement, trois fois autant qu’un gerbier du genre de celui-ci.

Cette opinion nous paraît, d’après quelques calculs à ce sujet, peu éloignée de la vérité ; mais nous sommes en même temps portés à penser, d’une part, qu’il ne pourrait qu’être avantageux d’adopter, pour l’exécution d’un gerbier du genre de celui dont nous venons de parler, un mode de construction qui offrit plus de chances, sinon de plus de solidité, au moins de plus de durée, notamment en faisant usage, au lieu de peuplier, soit du chêne, soit d’un bois résineux, tel que les pins, les sapins, les mélèzes, etc. ; et, d’autre part, qu’il serait possible d’adopter, pour les granges en général, des dispositions en même temps moins dispendieuses et plus convenables que celles qui sont ordinairement suivies. Peut-être essaierons-nous dans la suite de cet ouvrage de préciser nos idées a cet égard, et en même temps de les généraliser en les étendant, autant que possible, aux divers matériaux, dont on peut avoir à disposer pour la construction des divers bâtimens ruraux. Gourlier.

[12:2:2]
Art. ii. — De la conservation des grains battus.
[12:2:2:1]
§ ier. — Des greniers à blé.

Dans la plupart des exploitations rurales, on emploie comme greniers à blé ou à avoine les étages supérieurs des bâtimens d’habitation ou autres, en faisant en sorte qu’ils satisfassent le mieux possible aux conditions que nous allons poser ci-après, pour le cas où l’on ferait construire un bâtiment spécialement destiné à servir de grenier.

Dans l’emmagasinement des grains en grenier, on doit se proposer principalement : 1o d’en hâter la dessiccation, afin de prévenir l’échauffement qui pourrait résulter de l’humidité qui s’y concentrerait ; 2o et de les soustraire, autant que possible, aux attaques des animaux granivores, et principalement des rats, des souris, des oiseaux, et des charançons et autres insectes. Le contact de l’air sec offrant un moyen de dessiccation tout naturel, on le favorise d’abord en n’amoncelant le blé qu’à une hauteur peu considérable, et qui doit être d’autant moindre que le blé est moins âgé, c’est-à-dire d’à peu près 40 à 50 centimètres (15 à 19 pouces) à un an ; 60 cent. (22 pou.) à 2 ans ; 70 cent. (26 pou.) à 3 ans ; et au-delà, autant que possible, de 80 cent. (2 pi. et 1/2) au plus.

Cette dernière dimension est, par exemple, celle qui est ordinairement observée dans les greniers de Corbeil, près Paris ; cependant, dans quelques années où les approvisionnemens abondaient, et notamment en 1812, on a été jusqu’à 1 mètre 13 centimètres (3 pi. et demi).

Plusieurs autres raisons exigent d’ailleurs que la hauteur d’amoncellement ne soit pas trop grande : d’abord, le poids assez considérable du blé. Ce poids varie beaucoup, soit suivant la qualité du blé, soit suivant son âge ; il est, moyennement, de 750 kil. le mètre cube. Ensuite, la nécessité, dans l’intérêt de la dessiccation et de la conservation, de remuer périodiquement ces grains par le vannage, le pellage.

La facilité de ces manutentions exige qu’on réserve, de distance en distance, des espaces vides ; il est bon, en outre, d’en réserver également le long des murs de face.

Si l’on tient en outre compte des emplacemens nécessaires pour les escaliers, les trappes, etc., il est facile de reconnaître combien est considérable l’étendue que réclame un approvisionnement un peu important. Elle ne peut être moindre que d’environ 2 ou 3 mètres carrés de plancher pour un mètre cube ou 10 hectolitres de blé.

En conséquence, dans des bâtimens construits ad hoc, il sera nécessaire de multiplier, autant que possible, le nombre des étages, et, à cet effet, de réduire la hauteur de chacun d’eux au strict nécessaire, dont la limite est ce qu’exige la facilité du pellage, c’est-à-dire environ 2 mètres (6 pi.)[4].

La charge considérable de chaque plancher, celle surtout qui résulte, pour les points d’appui inférieurs, de la superposition d’un nombre plus ou moins considérable d’étages, oblige d’abord à ne pas écarter ces points d’appui au-delà d’une certaine limite, et ensuite à donner à chacun d’eux une force proportionnée.

Quant à leur écartement, il est assez généralement reconnu convenable qu’il n’excède pas à peu près 4 mètres ou 12 pieds d’axe en axe. Il suffira, du reste, qu’ils soient en bois de grosseur convenable.

Les planchers devront être généralement composés : 1o de poutres traversant d’une face à l’autre et reposant sur les poteaux ; 2o de solives portant sur les poutres, sans assemblage ; 3o et enfin, d’un planchéiage général, le bois convenant mieux dans notre climat, pour recevoir le blé, que la terre cuite, le plâtre, etc., et étant aussi d’un entretien moins dispendieux et plus facile.

Les faces pourraient également être construites en charpente ; mais on obtiendra plus de stabilité, et en même temps on se garantira mieux, soit de la chaleur, soit de l’humidité extérieures, au moyen de murs en maçonnerie. Ils devront être percés, à chaque étage et au droit de chaque travée, d’une fenêtre ouvrant jusque sur le plancher bas, afin que l’air circule dans la partie inférieure et frappe le pied de la couche de blé, et garnie de volets, pour préserver du soleil ou de la pluie, ainsi que d’un grillage pour empêcher l’entrée des oiseaux.

L’orientement est une chose de première importance ; et l’on devra, autant que possible, placer une des faces au midi et l’autre au nord, afin que la différence de température établisse naturellement un courant d’air entre les ouvertures opposées ; cependant on devra éviter l’exposition au midi, dans certaines localités où règnent des vents trop humides.

La hauteur du comble pourra facilement être employée à former un ou plusieurs étages, en ayant soin d’en lambrisser le rampant, mais préférablement en planches, plutôt qu’au moyen d’un plafonnage en plâtre.

Enfin, indépendamment des trappes et des trémies qu’on devra pratiquer entre les différens étages, afin de faciliter le jet d’un plancher à un autre, ainsi qu’on le pratique souvent pour opérer le nettoyage du blé, etc., il sera bon de disposer, suivant l’étendue du bâtiment, un ou plusieurs systèmes de trappes et de treuils pour le montage des sacs, ce mode de montage étant beaucoup plus commode, et, somme toute, beaucoup plus économique que le montage à dos ou à bras d’homme.

Par ce qui précède, on peut voir que lorsque les étages supérieurs de l’habitation ou des bâtimens d’exploitation ne présentent pas des chambres à blé d’un nombre et d’une étendue suffisans, le bâtiment spécial qu’il faudrait construire pour cette destination particulière serait la cause d’une dépense assez considérable.

On comprendra sans peine qu’une construction de l’importance de celle que nous venons de décrire est extrêmement coûteuse, et elle le sera nécessairement d’autant plus proportionnellement, qu’elle sera moins considérable. Ce serait donc comme minimum qu’il faudrait considérer le résultat des grandes constructions de ce genre faites à Saint-Denis, à Étampes, etc., qui porterait l’intérêt du capital employé à un taux égal au produit de 4 fr. à 5 fr. par le nombre de mètres cubes de grains qui peuvent y être contenus, ou 40 à 50 centimes par hectolitre.

Il parait également qu’il faudrait évaluer les frais annuels de construction et d’administration à 1 fr. 10 cent, ou 1 fr. 20 cent, par hectolitre, ce qui donne en tout, moyennement, 1 fr. 60 cent.

Si l’on considère, de plus, les déchets assez considérables qu’on éprouve quelquefois, soit de la part des animaux destructeurs, soit par suite de la fermentation ou d’autres genres d’altération, on ne doit pas s’étonner qu’on ait cherché d’autres moyens de conservation des blés.

On trouvera ci-après les indications relatives à la conservation en silos.

Nous terminerons cet article en cherchant à donner une idée d’un grenier dit perpendiculaire, de l’invention de sir John Sinclair, qui paraît avoir été employé avec succès en Angleterre, et qui est maintenant en essai dans le domaine de M. le comte d’Auberville, à Fontenay en Brie (Seine-et-Marne).

Ce grenier, comme on le voit par les élévation, coupe et plan (fig. 456 et 457), est un bâtiment de forme carrée, ouvert, à sa partie supérieure, par une espèce de lucarne avec balcon saillant et poulie pour le montage des sacs, et à sa partie inférieure par une porte destinée à retirer les grains. Dans la partie intermédiaire, les murs sont percés, à des intervalles convenables, par des ouvertures en losange de 11 à 13 centim. (4 à 5 po. de côté), qui se correspondent exactement pour les 2 murs opposés. De chacune de ces ouvertures à celle qui y correspond, règne intérieurement un conduit ou rigole renversée, formée par 2 planches. Enfin, au-dessus du rez-de-chaussée est un plancher formé par plusieurs trémies débouchant dans une plus grande, laquelle se ferme ou s’ouvre à volonté au moyen d’une trappe à coulisse.

Maintenant, si, cette trappe étant fermée, on emplit le grenier de blé par sa partie supérieure, il restera sous chacune des rigoles renversées un vide par lequel l’air extérieur circulera et rafraîchira constamment la masse du blé. Remarquons, à ce sujet, que les ouvertures qui y correspondent dans les murs sont : 1° en pente, de l’intérieur à l’extérieur, de façon à ne pas donner accès à la pluie, à la neige, etc. ; 2° et fermées de treillis en toile métallique, pour empêcher l’introduction des oiseaux et même des insectes.

De plus, si, pour retirer une quantité plus ou moins considérable de grains, on ouvre la trappe de la trémie inférieure, toute la masse du blé sera mise en mouvement, et d’autres parties que celles qui précédemment étaient en contact avec l’air, au moyen des rigoles, arriveront à leur tour à ce contact, ce qui permet de nettoyer en très-peu de temps la masse entière du blé, et de le remuer dans toutes ses parties sans beaucoup de difficultés.

On ne peut méconnaître ce que cet appareil a d’ingénieux et en même temps de simple, au moins en apparence. Il ne parait pas non plus que l’exécution et la manutention doivent avoir rien de difficile ni de fort coûteux. C’est à l’expérience à prononcer sur les avantages ou les inconvéniens qui peuvent en résulter ; et c’est pour mettre les agriculteurs, curieux de ces sortes d’expériences, à même de s’en rendre compte, que nous avons consigné ici les indications qui précédent.

Tout ce que nous avons dit précédemment relativement aux greniers à blé s’applique également aux Greniers à avoine, si ce n’est que cette dernière espèce de grain étant proportionnellement moins pesante, il est possible de donner un peu plus de hauteur aux couches. Gourlier.

[11:2:2:2]
§ ii. — Des fosses de réserves ou silos.

Lorsqu’on réfléchit aux conséquences désastreuses des disettes et aux inconvéniens des brusques variations dans les prix des grains qui servent à la nourriture de l’homme, on reconnaît qu’il n’est pas, pour l’économie sociale et la prospérité d’une nation, d’objet plus intéressant qu’un moyen de conservation des céréales, propre à rendre, en quelque sorte, uniforme et indépendant des accidens des saisons, le cours de cette denrée de première nécessité. On ne saurait donc s’étonner des recherches nombreuses qui ont été faites sur les silos, pour guider avec sûreté les propriétaires et les commerçans qui veulent conserver leurs récoltes pendant un certain nombre d’années, ou se livrer à des spéculations sur le commerce des grains.

L’usage d’enfouir les grains dans des fosses de différentes formes pour les conserver, remonte à une antiquité très-reculée, et a été mise en pratique dans beaucoup de contrées diverses. On peut citer comme modèles en ce genre les silos égyptiens et romains, qui sont bien connus ; ceux en usage dans l’Afrique, l’Asie, en Chine ; enfin, les silos hongrois, les caisses hollandaises, les magasins suisse, etc. M. de Lasteyrie, qui, dans ses voyages, avait reconnu l’utilité de ces sortes de greniers d’abondance et leur économie pour la conservation des grains pendant de longues années, s’est beaucoup occupé de ce sujet en 1819. M. Decazes a favorisé, pendant son ministère, des essais qui eurent lieu, en divers endroits, à la même époque ; M. Ternaux, de son côté, a fait d’autres tentatives très-nombreuses et fort en grand, dans son parc de Saint-Ouen, depuis 1820, et tout Paris a pu assister à ses expériences et aux procès-verbaux qui en ont été annuellement dressés par la Société royale et centrale d’agriculture.

Depuis cette époque, l’enthousiasme qui s’était emparé des esprits a semblé se refroidir ; les ravages causés par l’alucite, et constatés à l’ouverture de l’un des derniers silos de Saint-Ouen, ont pu y contribuer. Cela doit donner à penser que, pour obtenir des silos, comme les Anciens, un mode de conservation des grains sûr et pour un temps indéfini, il convient de commencer préalablement par l’épuration du grain et la destruction de sa propriété germinative. C’est dans ce sens, et en nous aidant des travaux de M. de Lasteyrie, de Ternaux et d’une Notice très-complète publiée par M. Perrot dans l’Architecte de 1832, que nous allons indiquer les procédés d’épuration qu’on peut employer, et tracer un aperçu des silos les plus recommandables.

i. Epuration et dessiccation du grain.

Dans la plupart des modes de conservation des grains que nous décrirons tout-à-l’heure, on commence par revêtir de paille les parois intérieures des silos ; mais il est important de faire subir préalablement à cette paille une préparation qui a pour objet de l’épurer et de la sécher parfaitement, ce qui s’exécute en effet dans plusieurs contrées. — Pour cela, on fait d’abord passer la paille dans une chaudière d’eau bouillante, puis on la place sur un sol bien uni et un peu en pente, ou mieux sur une forte table, et l’on fait rouler dessus, à plusieurs reprises, un cylindre de pierre. Cette opération écrase la paille, en exprime l’eau, et une dessiccation à l’air ou au soleil achève de la rendre très-propre à l’usage auquel on la destine.

L’expérience a prouvé que, dans la plupart des silos, les grains peuvent être bien conservés pendant un certain temps ; mais, les résultats n’ayant pas toujours été avantageux, ni la conservation continuée pendant un grand nombre d’années, il parait certain que pour atteindre ce but sans tâtonnemens et sans risques, il est indispensable, avant de déposer le grain dans les fosses à réserve, de procéder à son épuration en détruisant ses propriétés germinatives et les larves d’insectes qui s’y trouvent, et en le desséchant parfaitement.

Tout porte à croire que le froment trouvé dans les silos des Anciens avait subi cette préparation. On y procédait, chez les Romains, sur une plate-forme en communication inférieurement avec les conduits destinés à chauffer leurs vastes établissemens de bains : les grains étendus sur cette plate-forme, et couverts d’une toile imperméable, étaient à l’abri des injures du temps, sans être privés d’air ; bientôt, desséchés par une chaleur douce et uniforme, on pouvait sans crainte les enfermer dans les silos.

Les Chinois emploient à cet usage leurs étuves ou kangs : ces appareils se composent d’un fourneau placé dans une cave, d’un conduit de chaleur qui se rend dans l’étuve, et de conduits pour la fumée ; la chaleur produite dans le fourneau, poussée par l’air extérieur et attirée par la raréfaction de celui de l’étuve, s’engouffre avec rapidité dans ce conduit de chaleur, se répand dans l’étuve, échauffe toute la chambre et le blé qui y est renfermé ; celui-ci y sèche parfaitement ; les insectes qu’il renferme sont détruits, et il devient incapable de germer, de fermenter ou d’être altéré dans les silos.

En Hollande, à Haarlem, par exemple, on emploie à cet usage une tourelle construite en briques, au milieu d’un pavillon attenant au magasin général des vivres ; sa hauteur est de 5 m., son diamètre de 2 m. 20. Au bas de la tour est un fourneau, d’où partent des conduits pour la fumée et pour la chaleur ; ce dernier est un tuyau carré de cuivre rouge, qui s’élève en spirale jusqu’au sommet de la construction, en suivant le contour du revêtement intérieur ; ce tuyau, destiné à l’épuration du grain, a une ouverture supérieure pour le recevoir, et une inférieure pour le déverser. Tout l’intérieur de la tourelle, au reste, est une véritable étuve. On a ménagé les moyens de retarder ou accélérer la marche du blé dans le tuyau, de l’ébranler pour prévenir les engorgemens, enfin, d’en connaître la température au moyen du thermomètre, afin de la maintenir entre 45 et 50°.

Ces dispositions ne peuvent convenir qu’aux grands établissemens ou aux greniers de réserve fondés par le gouvernement ou par des villes ; mais il sera facile aux propriétaires et fermiers qui voudraient enfouir leurs grains, dans les années de baisse, afin de les conserver pour celles de disette, de leur faire subir une préparation analogue dans les fours, ou dans les petites étuves que toute exploitation bien ordonnée doit posséder.

ii. Principales formes des silos.

En Égypte, on a trouvé un lieu de réserve composé d’un vaste vestibule ayant, à droite et à gauche, sept chambres contiguës. Les murs, très-épais, sont en granit et parfaitement joints et cimentés. On y trouve aussi des silos de petite dimension, de forme carrée ; une seule dalle de granit forme le fond ; quatre, les côtés ; et l’ouverture supérieure est fermée par un bloc de même matière et mis parfaitement à l’abri par un dallage en pente qui rejette les eaux.

Les Romains avaient aussi des fosses de réserve pour la conservation des grains (fig. 458) ; elles étaient en meulière enduite d’un excellent ciment ; ils en creusaient aussi dans le roc comme à Amboise, mais dans des positions à mi-côte et à des expositions favorables, afin d’éviter l’humidité. Cette pratique se retrouve dans l’Inde, l’Arabie et la Barbarie. Dans beaucoup de contrées, et notamment en Chine, les cavernes naturelles furent les premiers greniers de réserve ; on les remplissait dans les années d’abondance, et on enfermait l’ouverture avec de gros rochers, de la terre et du gazon. Ces cavernes étaient choisies dans un sol bien sec et bien compacte, ou plutôt dans le roc sans crevasses ni humidité, ayant ouverture au nord. — L’intérieur avait été préalablement tapissé de paille, et le grain parfaitement séché au soleil le plus ardent. Il parait que du blé a été très-bien conservé de cette manière pendant plusieurs siècles.

Souvent on creusait à mi-côte des puits nommés Kiar, dans les endroits les plus secs, et où le terrain avait le plus de consistance. Quand un puits avait la largeur et la profondeur nécessaires pour contenir les grains qu’on y voulait mettre, on le remplissait de branchages secs qu’on allumait pour dessécher et durcir les parois. Comme l’humidité du fond pouvait encore être à craindre, on laissait les cendres de ce qui avait été brûlé, et, pour plus grande sûreté, on y ajoutait quelques pouces de balle de riz bien sèche, ou on le couvrait de nattes de paille ; souvent toutes les parois étaient garnies de ces nattes, ou bien simplement de paille. — L’ouverture du puits était d’abord fermée avec une natte, sur laquelle on étendait une couche de 10 à 15 centim. de balle de riz ou de paille hachée ; on couvrait le tout de terre grasse humide, qu’on battait à plusieurs reprises pour la rendre plus compacte et empêcher l’eau d’y pénétrer. Au niveau du terrain on ajoutait encore de la terre ordinaire pour former un mamelon.

D’autres fosses avaient la forme d’un cône ; leurs ouvertures étaient au sommet, ce qui était un obstacle pour l’introduction de l’air extérieur, et offrait alors plus de sécurité pour la conservation des grains. Ces fosses étaient aussi plus faciles à fermer ; on recouvrait ces ouvertures avec du gazon, que l’on mettait au niveau de celui qui était à l’entour, en sorte que les dépôts se trouvaient cachés et en sûreté dans les temps de guerres ou de troubles.

Sur les terrains trop humides pour être creusés, on construisait des tours (kouen) rondes, avec des briques séchées au soleil ou du pisé. Le mur, sans ouverture latérale avait une grande épaisseur. Extérieurement, ces tours étaient revêtues d’un glacis de terre, et soutenues par des contre-forts qui supportaient le toit et les préservaient des eaux pluviales. L’épaisseur des terres des glacis était suffisante pour garantir le grain de l’humidité froide de l’hiver et des grandes chaleurs de l’été. Ces constructions, souvent agglomérées et enfermées dans une même masse de terre, présentaient l’aspect d’une colline couverte de gazon et d’arbustes.

Quel que soit le procédé employé, les Chinois ont le plus grand soin que les grains enfermés dans leurs silos ou dans leurs greniers de réserve soient parfaitement secs.

Sous le terre-plein d’un bastion de la ville d’Ardres, il existe neuf magasins souterrains, destinés à renfermer le grain de la garnison en cas de siège ; on les connaît sous le nom de poires d’Ardres. Ce sont des fosses en forme de poires, établies en maçonnerie, et qui reposent sur une galerie souterraine ; en bas, elles communiquent avec cette galerie par un tuyau fermé avec un clapet à charnières et un cadenas, ce qui permet d’en retirer du grain sans déboucher l’ouverture supérieure ou d’entrée.

M. de Lasteyrie a décrit avec soin les silos de l’Espagne, remarquables par leur solidité et leur bonne disposition. L’une de ces fosses avait 10 mètres de profondeur et 4 de diamètre. En Catalogne, on les construit dans des terrains à ce destinés, comme les places publiques ou les rues des villes. Dans le royaume de Valence, on les agglomère dans des lieux un peu élevés, on les entoure de murs à hauteur d’appui, et on les pave en larges dalles ; les silos sont en pierres de taille et recouverts d’une plate-forme inclinée, qui sert à exposer le grain au soleil avant de renfermer. Tous ces silos ont le fond garni, d’abord de fagots, puis de nattes ou de paille, ainsi que les parois et la partie supérieure. On a soin de fouler le grain avec les pieds de temps en temps, et on augmente la couche de paille en raison de l’état plus ou moins humide du sol. Des fosses analogues se rencontrent en Italie, en Sicile, à Malte et dans le midi de la France.

Dans beaucoup de lieux du territoire français, on a rencontré des constructions destinées à la conservation du blé, et qui dataient de diverses époques. Nous ne les citerons pas, parce qu’elles n’offrent qu’un intérêt de curiosité, et nous nous occuperons des expériences les plus récentes. La figure 459 représente les silos proposés par M. de Lasteyrie ; il donne à la bâtisse 0 m 40 d’épaisseur, non compris le revêtement intérieur et extérieur, et il l’entoure de toutes parts d’une couche de sable de 40 à 50 centim., qui facilite l’écoulement des eaux pluviales. L’ouverture est une pierre circulaire dont le bord s’ajuste dans une rainure tracée circulairement à la partie inférieure d’un couvercle de pierre avec deux gouttières à ses extrémités. Au-dessous est une planche qui sert de premier couvercle, et le vide est rempli de paille. comme a dû l’être la partie inférieure du goulot. Le sol peut être recouvert en dalles. La figure 460 représente le plan d’un nombre indéterminé de fosses qui seraient réunies les unes à côté des autres, ce qui serait économique et offrirait une grande solidité.

Les silos que M. Termaux (fig. 461) avait fait creuser dans son parc de Saint-Ouen n’étaient pas revêtus de maçonnerie, mais recouverts seulement d’une voûte en briques, surmontée d’une cheminée fermée à sa partie inférieure par un tampon de bois et au dehors par une dalle, avec surface supérieure en glacis, formant couvercle, et scellée en plâtre. Ces silos étaient creusés dans un sol de tuf sec, assez élevé pour n’avoir pas à craindre la descente des eaux supérieures. Les parois étaient revêtues d’une couche de paille de 25 centimètres d’épaisseur, maintenues avec des baguettes d’osier, retenues elles-mêmes par des crochets de fer ou de bois. Au fond était un lit de fascines, puis une couche de paille sur laquelle était étendue encore une natte grossière ; ces silos avaient, en général, 7 mètres de profondeur sur environ 4 de diamètre La capacité totale du vide était de 55 mètres cubes, pouvant ainsi renfermer 552 hectol. de froment.

Vers la même époque, l’administration fit construire d’autres silos à l’hôpital Saint-Louis et à l’abattoir du Roule. M. de Lacroix en fit aussi creuser dans le roc, à Ivry. Au lieu de revêtir les parois de paille, il les fit enduire d’un mélange d’huile, de cire et de litharge, d’après le procédé de MM. Thénard et d’Arcet. Le grain y est également demeuré intact pendant quelques années.

Enfin, M. le comte Dejean, pensant que les substances métalliques étaient les seules capables de former une enveloppe parfaitement imperméable, fit construire à la manutention des vivres de Paris, trois cuves en plomb de 8 mètres cubes de capacité. Placées au soleil, à l’air libre sous un hangar, et dans une cave, elles ont également bien conservé le grain pendant quatre années ; leur inventeur propose donc de mettre le blé dans des chambres ou caveaux revêtus de feuilles de plomb. Un moyen analogue avait déjà été mis en usage par les Hollandais, pour le transport et la conservation du blé destiné à leurs colonies. Ils l’enfermaient dans de grandes caisses de sapin fort épais, doublées de plomb coulé ; le grain y était fortement tassé, le couvercle parfaitement soudé, et on ne les ouvrait qu’au fur et à mesure des besoins. Le grain s’y conservait très-bien, mais il avait été préalablement épuré et séché.

Les silos qui nous semblent mériter la préférence, sous le rapport de l’économie, des bons résultats qu’on en obtient, et de la facilité de les adaptera tous les terrains et à tous les climats, ce sont les silos hongrois. Leur dimension ordinaire est de 2 mètres 30 cent., et leur profondeur de 2 mètres 60 centim. On préfère la forme circulaire, qui présente plus de solidité, à cause de la poussée des terres (fig. 462). La construction des parois est en briques d’argile plastique (terre glaise) non cuites, plus épaisses que les briques ordinaires ; le fond, qu’on a soin de bien niveler, est formé de carreaux d’argile crus de 0m 22 carré sur 0m 6 d’épaisseur ; on en fait une première assise sur laquelle on étend un enduit d’argile très-liquide, pouvant pénétrer dans tous les joints et servir de mortier ; sur cette assise on en pose une deuxième, de manière que les surfaces des seconds carreaux couvrent les joints des premiers ; on lie le tout avec de l’argile liquide. — Dans les terrains entièrement argileux, on se contente de creuser les fosses à même le sol (fig. 463). Au moment de jeter le grain dans ces fosses, on y fait brûler du bois bien sec, afin de retirer l’humidité de la construction, et de la durcir. Les parois sont revêtues de paille épurée comme il a été dit précédemment, et le silo recouvert d’une double natte, puis de paille bien foulée, et enfin d’argile ; si le grain vient à éprouver du tassement ou un affaissement sensible, le couvercle du silo suit ce mouvement et opère une pression continue.

Dans plusieurs parties de la Russie, l’Ukraine, la Lithuanie, la Pologne, le Caucase, on construit des silos d’une manière encore plus économique : ce sont de simples trous creusés dans le sol, et dont on durcit les parois au moyen du feu ; le grain s’y conserve très-bien pendant un grand nombre d’années. L’ouverture de ces silos est recouverte de terre, et on y fait passer la charrue, surtout lorsqu’on redoute les incursions des ennemis.

Du reste, voici les moyens et les conditions essentiels à la confection des silos et à la bonne conservation des grains, tels que les résume un des savans qui se sont le plus occupés de cette matière : « Ils consistent : 1o à bâtir en béton fortement comprimé ; 2o à mettre une couche de sable entre les fosses et le sol dans lequel elles sont placées ; 3o à brûler du charbon dans l’intérieur, afin de carboniser la surface de la bâtisse, de la consolider, de la durcir, et de la rendre plus propre à recevoir un enduit de bitume ; 4o à opérer une dessiccation complète par le moyen de la chaux vive ; 5o à revêtir l’intérieur des fosses de deux couches de bitume ; 6o à brûler du charbon dans les fosses immédiatement avant d’y jeter le grain, et de renouveler cette opération dans l’intérieur de l’ouverture, après avoir rempli la fosse jusqu’au sommet de la voûte, afin d’immerger le blé dans un bain de gaz acide carbonique, et de se procurer ainsi un moyen actif de conservation pour cette denrée et de destruction pour les insectes ; 7o à ne déposer dans les fosses que des grains suffisamment secs ; 8o à placer de la chaux vive dans le goulot de la fosse, pour en extraire l’humidité qui pourrait s’y être introduite ou qui existerait dans le grain.» (Cte de Lasteyrie.)

D’après ce qui précède, on doit penser que la question économique des silos est assez difficile à résoudre en chiffres. Elle dépend essentiellement des localités et du mode de construction qu’on adopte. Cependant il est facile de voir que ce procédé de conservation, évitant complètement les avaries auxquelles les grains sont exposés dans les greniers ordinaires, et ne donnant lieu à aucune dépense de manutention, doit offrir de grands bénéfices lorsqu’on l’applique au blé récolté ou acheté dans les années d’abondance et lorsqu’il est à bas prix. Nous reproduirons comme base d’un calcul de ce genre, mais en prévenant qu’on pourra presque toujours établir des silos à moindres frais, l’exemple rapporté par M. de Lasteyrie. D’après une soumission présentée au Ministre de l’intérieur, on offrait de construire à l’hôpital Saint-Louis, à Paris, pour moins de 3,500 fr., une fosse d’une dimension de 67 mètres cubes, pouvant renfermer 440 quintaux métriques ou 670 hectolitres de grains.

Calculant le prix d’achat à raison de 18 fr. l’hectolitre, soit 
 12,000 fr.
Ajoutant l’intérêt de 3,500 fr., capital employée la construction du silo, pendant 5 ans, soit 
 875 fr.

On a un déboursé de
12,935 fr.
Si l’on rencontre, durant ces 5 années, un moment de hausse où le prix des grains parvienne, par exemple, à 26 fr. l’hectolitre, la revente à ce prix, des 670 hectolitres produira une somme de 
 17,420 fr.

Et par conséquent un bénéfice de 
 4,485 fr.
C. B. de M.
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Art. iii. — De la conservation des racines.
Les racines sont, de tous les produits agricoles, ceux qui, pour être conservés, demandent le plus de soins et l’attention la plus minutieuse. On ne doit pas seulement chercher à les préserver de la gelée, on doit encore éloigner l’humidité, la trop grande chaleur, la présence de la lumière ; enfin, on doit les mettre dans des conditions telles qu’elles ne puissent ni pourrir, ni fermenter, ni germer ; il n’y a aucun doute que la difficulté de soustraire les racines à ces diverses causes de destruction a empêché beaucoup de cultivateurs de les introduire dans leurs assolemens. Je désire que les moyens de conservation que je vais décrire paraissent à tous simples, faciles et économiques. [12:2:3:1]
§ ier. — Des serres, celliers et caves.

Toutes les observations nous apprennent que la température de la terre, a une certaine profondeur au-dessous de sa surface, est constante, et égale à la moyenne des différentes saisons ; voilà pourquoi les caves nous paraissent chaudes en hiver et froides en été : c’est que la température y varie en effet très-peu. Il est donc certain qu’en plaçant des racines à une certaine profondeur, dans des constructions qui les protégeraient contre l’humidité, on les conservera très-longtemps. De là les caves et les celliers disposés pour la conservation des racines alimentaires à l’usage du bétail ; de là les serres pour la conservation des légumes destinés à nos tables.

Les celliers et les caves seront creusés à une profondeur suffisante pour être à l’abri des fortes gelées. Cette profondeur varie suivant les circonstances de sol, de position et d’abri. Le sol argileux est toujours humide, mais n’abandonne pas facilement son humidité aux objets qui l’environnent : de plus, il a l’avantage de ne point laisser filtrer l’eau ; il est donc convenable aux celliers sous tous ces rapports. Le sol siliceux a la plupart des propriétés opposées : quoique en général il soit plus sec que l’argileux, il ne convient pas aux constructions souterraines, parce qu’il se laisse pénétrer par l’eau. Néanmoins ces circonstances sont aujourd’hui bien moins importantes qu’autrefois, parce que la chaux hydraulique offre de grands avantages toutes les fois que l’on construira sous terre.

La position est singulièrement à considérer. La porte d’ouverture sera placée vers le sud, et tout le bâtiment sera adossé contre une élévation, s’il est possible ; si les circonstances ne le permettent point, on y mettra au moins des arbres, qui arrêtent la neige et abritent contre les vents froids. On sait combien le vent agit puissamment pour faire pénétrer le froid dans les appartemens ; aussi les abris naturels que nous venons d’indiquer seront toujours utiles, et si on ne peut s’en procurer, on s’efforcera d’en construire d’artificiels. Ainsi, on placera près des celliers les meules de fourrages et de grains, les monceaux de bois et de fagots, etc.

L’emmagasinement dans les caves est subordonné à la disposition intérieure des bâtimens. Dans tous les cas, il vaut mieux faire plusieurs petits monceaux que de réunir le tout en un seul : on les arrangera de manière qu’un homme puisse facilement circuler autour de chacun d’eux. Ordinairement, on accole les tas de racines contre les murailles, et on réserve dans le milieu une seule allée. On trouverait plus d’avantages à faire une allée tout autour des murs et à placer les racines dans le milieu. On a remarqué que le contact des murs favorise singulièrement l’action de la gelée et de la pourriture sur les objets qui les avoisinent. Il est vrai que par là on augmentera les frais d’échafaudage, puisqu’au lieu d’avoir à les établir sur une seule face, on sera obligé d’en placer aux quatre côtés des monceaux ; mais on doit peu balancer devant un léger surcroît de dépenses, lorsqu’il s’agit de pourvoir à la subsistance des animaux, et qu’on a des doutes sur la propriété du cellier à former obstacle aux rigueurs de l’hiver.

On placera près de l’entrée les racines qui, ayant été récoltées par un temps peu propice, seraient sujettes à pourrir, afin qu’on puisse les faire consommer les premières, sans déranger les autres monceaux.

Il ne faut jamais placer les racines à conserver sur le sol nu, mais étendre au préalable une couche de feuilles sèches ou mieux de paille. On a recommandé dernièrement, pour le même objet, le charbon réduit en poussière.

Dans tous les endroits où l’on a à sa disposition une source qui sorte immédiatement de terre, on se trouvera très-bien de faire circuler un filet d’eau dans le cellier. Elle y maintiendra, pendant l’hiver, une température chaude qui empêchera la gelée d’y pénétrer ; et, lorsque les premières chaleurs du printemps arriveront, elle y entretiendra une fraîcheur qui préviendra la germination.

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§ ii. — Conservation dans les étables.

On sait que les étables bien construites, tout en permettant la circulation libre de l’air, conservent néanmoins beaucoup de chaleur. On a cherché à utiliser cette chaleur pour établir et chauffer des serres de primeurs. On pourrait, dans la plupart des cas, l’employer plus utilement à préserver les racines de la gelée. Je ne fais qu’indiquer cette idée, à laquelle on a donné suite dans quelques parties de la Belgique. Schwertz, dans l’ouvrage qu’il a laissé sur l’agriculture de ce pays, donne la description d’une étable d’engrais et dans laquelle on peut fort bien conserver les racines au moyen de la chaleur qui se dégage du corps des animaux, et du fumier qu’on y laisse. Nous en allons faire une description succincte (fig. 464). C’est la partie où se trouvent les animaux dont la chaîne d’attache est fixée au poteau 9 ; D est un sentier réservé derrière les bestiaux pour le passage ; E est l’endroit où l’on jette le fumier à mesure qu’on le retire de dessous les animaux ; une excavation est creusée dans le sol et recouverte par des planches, lesquelles forment le plein-pied du couloir A, réservé pour la circulation, et pour y déposer les alimens devant les animaux. C’est dans l’excavation creusée ou ménagée au-dessous de A, qu’on place les racines ; on les retire à volonté, pourvu que l’on ait eu l’attention de ne pas clouer les planches du couloir. Il sera facile de faire à ces dispositions les modifications nécessitées par la disposition des bâtimens.

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§ iii. — Conservation dans les silos.

Les procédés de conservation que nous venons de décrire ne conviennent guère qu’à la petite culture. Quand on récolte une grande quantité de racines, il n’est pas possible, ou du moins économique, de construire des caves ou des celliers d’une dimension suffisante. Aussi, dès qu’il a été prouvé que l’enfouissement dans la terre est un moyen de conservation aussi sûr que facile, tous les agronomes se sont-ils empressés de l’adopter. Il est résulté de l’introduction des silos un autre avantage auquel on n’avait pas songé ; c’est qu’on peut, par ce moyen, utiliser les forces des animaux dans un moment où ils sont ordinairement peu occupés. En effet, l’époque où l’on transporte les racines dans les caves ou dans les celliers est également celle où s’exécutent les ensemencemens d’hiver, opérations qui sont encore aujourd’hui les plus importantes de l’agriculture européenne. Par le moyen des silos, établis dans le champ même, on n’a pas besoin des attelages, qui alors se reportent tout entiers aux travaux des semailles. Lorsqu’arrive la saison rigoureuse, les animaux de travail sont occupés utilement au transport des racines nécessaires à la consommation ou aux opérations industrielles.

Le silo, dans le sens le plus étendu de ce mot, est un monceau de racines recouvert d’une couche de terre suffisante pour empêcher l’introduction de la pluie qui les ferait pourrir, — de l’air qui provoquerait la germination, — et de la gelée qui en désorganiserait le tissu.

Dans les commencemens, et ceci a lieu encore dans certaines parties de la Belgique, on pratiquait dans le sol une excavation circulaire ou quadrangulaire dans laquelle on empilait les racines jusque près de la superficie, et on refermait l’ouverture avec de la terre amoncelée en forme de cône (fig. 465). Mais on ne tarda pas à s’apercevoir, surtout dans les terrains légers et sablonneux, que l’eau pénétrait jusqu’aux racines et en déterminait la putréfaction. Il y a d’ailleurs un inconvénient inhérent à ces sortes de silos, c’est qu’on ne peut les visiter souvent et facilement, en sorte que, si la décomposition des plantes commence à la partie inférieure, l’on ne s’aperçoit du dégât que lorsque la totalité est détruite, et lorsqu’il n’est plus temps d’y porter remède. Il fallait d’ailleurs une assez forte dépense en main-d’œuvre pour déplacer une aussi grande masse de terre.

Ce furent les Anglais qui les premiers songèrent à construire les silos en partie hors de terre, et en partie dans le sol même. On commence par ouvrir dans le sol une tranchée (fig. 466) sur une largeur de 4 pi. et à une profondeur de 2 pi. ; on la prolonge aussi loin que l’on veut. Au fond et sur les côtés on met une légère couche de paille, indiquée par une ligne spéciale qui la représente. On met alors les racines dans l’excavation ; une fois arrivé au niveau du sol, on élève le monceau en talus. Il faut que ce talus soit naturel, c’est-à-dire formé sous un angle de 45° : plus aigu, les racines s’ébouleraient ; la terre dont on les couvrirait se soutiendrait mal, et finirait par tomber lorsqu’elle aurait été travaillée par les gelées : plus obtus, les pluies, n’ayant pas assez de pente pour s’écouler rapidement, pénétreraient dans le silo, le dégraderaient et feraient pourrir les racines. Lorsque le talus a été ainsi formé, on couvre le tout d’une légère couche de paille, et on creuse les fossés sur une largeur de 15 pou. en jetant la terre qui en provient sur la paille, ce qui forme la couverture de terre BB, laquelle aura au moins 18 pouces d’épaisseur. Les fossés seront creusés à quelques pouces plus bas que le fond inférieur de la tranchée où sont les racines. Ainsi l’humidité, de quelque manière qu’elle arrive, ne peut séjourner longtemps dans le silo, parce que l’eau cherche toujours à descendre au point le plus bas qu’elle puisse atteindre.

On a soin de battre fortement à la pelle la terre rapportée contre le talus, afin que les premières pluies ne puissent l’entraîner. Pour prévenir cet inconvénient, lorsque la terre a trop peu de consistance, on plante de distance en distance des ramilles qui la retiennent. Ces ramilles sont encore d’un grand secours pour empêcher la neige d’être balayée par les vents. La neige empêche tellement les grands froids de pénétrer dans la terre, que souvent on a vu des racines qui en étaient abritées, lever et croître pendant les froids les plus rudes. Les silos anglais se construisent ordinairement près des cours et des habitations : le plus souvent on les fait à demeure, c’est-à-dire toujours à la même place. Ainsi, les frais d’établissement n’ont lieu qu’une fois.

Cependant il est des circonstances où la culture des racines, entreprise sur une très-grande échelle, ne permet pas de construire ainsi des silos permanens, parce qu’il faudrait faire le sacrifice d’une trop grande étendue de terrain, et qu’ils ont l’inconvénient, signalé tout-à-l’heure, d’exiger un transport immédiat. C’est particulièrement le cas où se trouvent les cultivateurs qui ont annexé à leur exploitation une fabrique de sucre de betteraves. Ainsi, il n’est pas rare de trouver des cultures où un hectare suffirait à peine pour l’emplacement des silos ; on comprend qu’il faudrait, pour ce seul objet, perdre annuellement la valeur d’un hectare ou davantage.

Dans ce cas, on fait le silo dans le champ même, au bord des chemins les mieux entretenus ; et, au lieu de creuser dans le sol une excavation, on dispose simplement les racines sur la terre (fig. 467) : on couvre le talus de paille ou de toute autre substance sèche et de terre, comme dans le précédent ; la terre employée à la couverture se prend très-près du tas, ce qui forme tout autour une rigole qui empêche la stagnation de l’humidité dans le tas. La terre dont on s’est servi ainsi pour couvrir les silos forme un assez bon engrais qu’on a soin de disperser sur les parties environnantes.

On s’est aperçu que les racines amoncelées dans les silos fermentent quelque temps après la mise en tas, et que souvent le résultat de cette fermentation, c’est la décomposition d’une plus ou moins grande partie des produits. Pour empêcher cette fermentation, ou du moins pour en prévenir les suites désastreuses, on pratique dans la partie supérieure des silos, des soupiraux ou cheminées A (fig. 468). On prend deux tuiles creuses, un tronc d’arbre percé que l’on fait reposer sur l’arête formée par la partie supérieure du silo ; par ce moyen, l’air est continuellement en contact avec les racines : à l’approche des grands froids, on ferme l’entrée avec de la paille ou d’autres substances.

Lorsqu’il arrive des gelées longues et opiniâtres, on ne doit pas manquer de visiter souvent les silos, afin que, si quelque partie était attaquée, on put immédiatement l’utiliser. Lorsqu’on redoute les suites d’un froid rigoureux, on fera bien de répandre sur les silos une légère couche de paille ou de fumier long. Lorsque les gelées sont passées, si elles ont occasioné quelques dégâts, on s’en aperçoit immédiatement : les racines attaquées perdent leur eau de végétation, diminuent de volume, et au-dessus d’elles la couverture de terre s’affaisse. Il ne faut pas balancer ; on démonte le silo, on trie les racines qu’il contient, afin que celles qui sont gelées ne déterminent pas la décomposition des autres.

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§ iv. — Autres moyens de conservation.

On a remarqué que toutes les plantes du genre Chou et du genre Navet sont moins sensibles au froid que la plupart des autres racines. Ainsi, il est rare de voir geler des rutabagas, et, après l’hiver, on trouve souvent des navets qui n’ont pas été attaqués par la gelée. On a fait à ce sujet une remarque importante, c’est que les plantes qui n’ont point parcouru tout le cercle de leur végétation résistent mieux au froid que celles qui seraient complètement mûres, lorsqu’on les laisse sur le sol sans les arracher ; et on a remarqué, au contraire, que les plantes récoltées avant maturité, et mises en silos, contractent plus facilement la pourriture. Cette vérité a paru dans tout son jour à l’automne 1834. Une foule de fabricans de sucre, qui avaient commencé leurs récoltes de racines en septembre avant la maturité, ont perdu beaucoup de ces produits serrés avant l’époque convenable, tandis que les autres se conservent fort bien.

Ainsi, pour les crucifères qui produisent des racines charnues et qui ne sont pas avancées dans leur végétation, on peut se dispenser de les récolter avant l’hiver. Ce cas se présente fréquemment dans les récoltes dérobées, telles que navets semés dans du sarrasin et des féverolles, ou, après du seigle, du froment, etc. On les laisse à eux-mêmes jusqu’au printemps ; alors, quand la végétation commence à se réveiller et les tiges à monter, on arrache le tout pour en affourrager les animaux.

Si l’on avait besoin de ces plantes pendant le courant de l’hiver, on pourrait les arracher, les entasser modérément sur le sol, en ayant soin de les couvrir avec leurs feuilles après les avoir décolletées, ou mieux de les amonceler sans les dépouiller de leur feuillage, pourvu que celui-ci soit étalé de manière à servir de couverture.

On pourrait encore rentrer les racines crucifères dans des granges, des hangars, ou même dans des cours. Elles se conserveront très-bien, pourvu qu’on ne fasse pas de gros monceaux, et qu’a l’approche des grandes gelées, on les couvre d’une légère couche de paille ; dans le Limousin, où l’on consomme une grande quantité de raves, on se contente de les rentrer dans les granges et de couvrir la superficie des tas avec de la menue paille de sarrasin. Les cultivateurs qui en usent ainsi assurent n’avoir jamais eu à regretter la perte d’une seule racine.

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§ v. — Conservation des racines destinées à la nourriture de l’homme.

Tout ce que nous avons dit jusqu’alors ne peut guère convenir qu’aux produits employés à la nourriture des animaux domestiques ; les racines que l’on réserve pour la consommation de la ferme, ou pour être conduites au marché, seront serrées dans un local où l’on puisse en prendre journellement la provision nécessaire sans beaucoup de travail, et surtout sans déranger les autres racines. On a ordinairement, pour cet objet, une serre obscure, dite jardin d’hiver. Les racines de chaque espèce sont stratifiées par lits alternatifs avec du sable sec. Elles conservent ainsi toute leur fraîcheur, et les qualités qui les distinguent ou les font estimer ne sont nullement altérées par le contact d’autres objets.

Le meilleur moyen de conservation, c’est certainement la dessiccation, puisqu’elle a pour résultat l’évaporation de l’eau de végétation, laquelle est un agent puissant de désorganisation. Mais on ne peut employer ce moyen que dans des cas très-rares, et sur de petites quantités. C’est ainsi que, dans certains Cantons, on dessèche les oignons et les carottes, que l’on expédie sur la capitale pour les apprêts culinaires. On se sert, pour cela, d’une étuve ou d’une touraille à drèche.

La dessiccation est encore le seul moyen de conservation employé pour certaines plantes commerciales, telles que la garance et la rhubarbe ; nous en parlerons à la culture spéciale de ces plantes. Antoine, de Roville.

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Art. iv. — De la conservation des fruits.

Il appartient à l’horticulture et à l’économie domestique d’indiquer les moyens de conserver, pendant plus ou moins longtemps, les fruits qui parent nos desserts à diverses époques de l’année. Ici, nous devons nous borner à quelques préceptes généraux applicables aux fruits que les agriculteurs peuvent avoir occasion de récolter en grandes masses, tels que les pommes, les poires, les châtaignes, les noix, les olives et quelques autres. Les moyens spéciaux de conservation comme de récolte, de quelques-uns de ces fruits, trouveront place dans les articles qui traiteront des détails de leur culture.

Il est généralement reconnu qu’on doit laisser sur les arbres le plus tard possible, jusqu’en novembre si les froids le permettent, les fruits dont l’usage doit se continuer pendant longtemps. Quand ils ont été cueillis, on les laisse en tas pendant quelques jours, pour les laisser suer et se ressuyer ; on les place ensuite dans divers lieux pour les conserver.

La plupart des moyens de conservation reposent sur le principe qu’on évite la fermentation et la pourriture en interdisant le renouvellement de l’air et l’accès de l’humidité. Il n’est pas moins indispensable de mettre les fruits à cidre ou à couteau à l’abri des gelées. En général, dans les fermes, on se borne à placer les fruits dans les greniers, par couches peu épaisses, sur de la paille, et on les recouvre encore de paille lorsque les froids se font sentir ; dans quelques établissemens bien ordonnés, il existe des fruitiers proprement dits, où les fruits sont rangés par espèces sur des étagères, ou entassés dans des compartimens, des boites, des tonneaux, par couches alternatives, avec du son, des cendres, du sable desséché au four, des balles d’avoine, de la mousse, etc.

Ce moyen de conservation nous conduit à citer, comme l’une des meilleures pratiques lorsqu’on doit l’appliquer à de grandes quantités de fruits, de les placer, comme les racines, dans des celliers secs et frais. Enterrés dans des fosses, bien préservés de l’humidité, on les a trouvés parfaitement sains et frais une année après qu’ils avaient été récoltés. On peut alors appliquer aux fruits des dispositions analogues à celles prescrites précédemment pour les racines, en faisant observer, toutefois, qu’il est beaucoup plus nécessaire que le terrain où on les enterre soit parfaitement sec, élevé, et à l’abri de toute humidité. Les couches de fruits ne doivent pas être trop épaisses, et il est indispensable qu’on puisse les retirer partiellement, sans que toute la masse soit exposée au contact de l’air, qui rend leur altération très-prompte. — M. Morisot a proposé pour cet usage un silo qu’on pourrait adopter. Il consiste en une fosse dont on garnit le fond et les parois de paille longue, assujettie au moyen de gaulettes et de petites chevilles. Au fond on place ensuite un fort châssis en charpente, sur lequel sont superposées, jusqu’à la partie supérieure, qui est fermée de planches et recouverte d’une couche épaisse de terre, des caisses plates à claire-voie, dans lesquelles les fruits sont déposés. De cette manière, ces fruits se trouvent isolés les uns des autres, à peu près comme sur les étagères d’un fruitier, et parfaitement à l’abri des alternatives atmosphériques de sécheresse, d’humidité, de froid ou de chaud. C.-B. de M.

Section iii. — Du battage et du nettoyage des grains.

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Art. ier. — Du battage des grains.

La séparation des grains de la paille, l’égrenage, est une des opérations les plus importantes de l’agriculture : de la manière dont on l’exerce, dépend en grande partie, le profit que le cultivateur retire de son exploitation. Il influe essentiellement sur la qualité du produit tant en grain qu’en paille ; il rend cette opération plus ou moins coûteuse, et met le produit plus tôt ou plus tard à la disposition du propriétaire.

Cette opération s’exécute par le battage au fléau, par le dépiquage, ou par l’égrenage. C’est l’homme qui manie le fléau ; c’est au moyen du piétinement des animaux que le dépiquage a lieu ; ce sont les machines qui effectuent l’égrenage. Le battage au fléau, quoique très-lent, est le procédé le plus généralement répandu, et celui qui probablement disputera le plus longtemps le terrain aux machines qui le remplacent très-avantageusement presque dans toutes les localités et dans presque toutes les circonstances ; ce que nous indiquerons, en montrant d’un côté les nombreux et graves inconvéniens inhérens au battage, et de l’autre, les avantages que procurent les machines à battre, dont l’efficacité est prouvée par l’expérience.

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§ ier. — Du battage au fléau.

Pour se faire une idée de la fatigue que le battage cause à l’ouvrier qui l’exécute, il suffit de le voir manœuvrer le fléau : il lève cet instrument au moins 37 fois par minute pour le faire tomber avec un fort appui autant de fois ; s’il travaille 10 heures par jour, il frappe donc 22,200 coups avec un instrument assez lourd. Aussi ce ne sont que des hommes forts qui peuvent être employés à ce genre de travail ; et l’emploi des femmes ou même des hommes faibles n’est qu’exceptionnel, ce qui constitue un très-grand inconvénient de ce procédé, surtout dans les contrées où la population est clairsemée, et non moins dans les localités où les fabriques absorbent une grande fraction des ouvriers valides.

La lenteur avec laquelle s’effectue le battage au fléau est un autre grand inconvénient de ce mode. Il demande une surveillance journalière très-attentive, qui se prolonge pendant une grande partie de l’année, et qui, par cette raison, est coûteuse, sans pouvoir empêcher de nombreuses dilapidations et sans pouvoir garantir un égrenage parfait, attendu que l’ouvrier, quel que soit le genre de sa rétribution, n’a aucun intérêt à extraire le dernier grain de l’épi ; en effet, il gagne en faisant son travail d’une manière imparfaite, s’il est payé à la tâche ; et il ménage ses forces, s’il est soldé à la journée. L’esprit de corps qui règne parmi les ouvriers de tous les pays rend le contrôle, quant aux petites infidélités des batteurs à fléau, très-difficile.

Encore une des conséquences fâcheuses pour l’agriculteur, qui résulte de la lenteur de ce procédé, c’est qu’il ne peut pas disposer de ses grains quand il en a besoin, soit pour faire la semence, soit pour profiter des conjonctures commerciales, souvent aussi avantageuses que passagères.— Dans les localités où les ouvriers vigoureux n’abondent pas, le cultivateur est réduit quelquefois à la nécessité de subir des conditions très-onéreuses. — Le blé qui a souffert de l’humidité pendant la récolte, ou après, ne peut être sauvé par ce mode lent d’égrenage.

Le battage au fléau, en outre, ne brisant pas suffisamment la paille, l’apprête mal pour la nourriture des bestiaux, ce qui est l’usage le plus économique qu’on en peut faire dans la presque totalité des cas. Ce n’est que dans la proximité des grandes villes que la paille non brisée est recherchée pour la litière des chevaux de luxe et pour quelques fabriques. — Dans les localités où les bâtimens ruraux sont couverts en chaume, la paille longue est bien un objet de nécessité ; mais ce besoin n’absorbe qu’une petite fraction du produit total de la paille, et n’est pas par conséquent une raison suffisante pour maintenir le battage au fléau comme règle générale.

Cependant, malgré tous ces inconvéniens, le battage au fléau est préférable à tout autre mode d’égrenage, dans le centre et dans le nord de la France, pour les cultivateurs peu aisés, à cause de l’économie de ce moyen et de la facilité de limiter ses résultats aux besoins, aux travaux de la ferme. La petite propriété demeurera toujours son domaine, jusqu’à ce que l’usage des machines à battre transportables et mues par les bras des hommes, éprouvées en Angleterre, soit introduit en France.

Le fléau est un instrument composé de 2 bâtons attachés l’un au bout de l’autre au moyen de courroies. Ses formes varient beaucoup selon les pays : la plus ordinaire est celle représentée (fig. 469). Nous citerons encore le fléau usité dans les Landes (fig. 470). Dans quelques contrées, notamment dans l’ancienne Provence et le Dauphiné, on bat les grains, non plus au fléau, mais avec de longues gaules.

Plusieurs hommes peuvent battre ensemble sans se nuire, en se mettant deux par deux à quelque distance ; ils frappent alternativement et souvent en mesure, sur les gerbes étendues devant eux. Les coups portent dans toute la longueur des gerbes, afin que les épis des chaumes les plus courts soient égrenés comme les autres. Lorsqu’un côté est bien battu, un des batteurs retourne les gerbes, puis, après avoir battu ce nouveau côté, il délie les gerbes, en forme un lit de l’épaisseur de 4 à 6 pouces, qu’il bat et retourne encore avec le manche du fléau ; enfin, il secoue la paille toujours avec la verge du fléau, et la bat de nouveau. En sorte qu’une quantité de gerbes doit passer 8 fois sous le fléau, 2 avant d’être déliées, 4 après l’avoir été, et 2 lorsque la paille est secouée. On se dispense de ces 2 dernières façons lorsque le blé est bien sec, ou qu’on ne tient pas à ne laisser aucun grain dans la paille.

La paille battue est traînée, d’abord avec le manche du fléau, puis avec un râteau, dans un coin de la grange, où on en fait des bottes d’environ 12 liv. : 2 bottes de blé non battu n’en font guère qu’une de paille. Quand le tas de blé est assez considérable pour gêner le battage, on l’amoncèle dans un coin pour procéder, soit à la fin de la journée, soit a jour fixe, au vannage et au nettoyage. On appelle autons, blé chappé, blé vêtu, les grains qui ne perdent pas leur balle florale interne dans les opérations du battage et du criblage ; on les met généralement à part pour les donner aux volailles.

Un bon batteur peut battre complètement ou à net, par jour de travail, de 60 à 80 gerbes de froment, d’après les différens degrés de dessiccation et le poids différent des gerbes. — Du reste, la difficulté du battage varie à l’infini, en raison des années et des terrains de l’état dans lequel les céréales ont été rentrées, etc. Le seigle est plus facile ; le grain humide ou battu peu de temps après la récolte offre plus de difficulté ; on risque même quelquefois, dans les pays du Nord, d’écraser le grain, si l’on n’attend pas assez pour opérer le battage.

Quant au prix du battage au fléau comparé à la valeur vénale du rendement en grains, il diffère d’après les circonstances locales. Suivant les résultats recueillis par la Société royale et centrale d’agriculture, le minimum de la moyenne prise par département, du prix proportionnel du battage, à la valeur vénale du rendement en grains, est de 3 p. 100. C’est le département de la Haute-Garonne qui jouit de cet avantage. Dans le département de Tarn-et-Garonne, le prix du battage est 5 p. 100 ; dans celui des Pyrénées-Orientales, de 5 1/2 p. 100 ; dans ceux de Jura et de la Sarthe, 6 1/4 p. 100 ; Haute-Auvergne, Basse-Auvergne, 8 p. 100 ; Puy-de-Dôme, 6 1/3 p. 100 ; Haute-Saône et Haute-Vienne, 6 2/3 p. 100 ; Isère, 8 1/2 pour 100.

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§ ii. — Du dépiquage des grains.

Le dépiquage est l’égrenage fait au moyen du piétinement des animaux. Ce mode est très-ancien dans les pays méridionaux. Les dégâts que les animaux font ordinairement pendant la récolte peuvent avoir donné lieu à cette découverte : quelques gerbes renversées et foulées aux pieds des animaux, auront été remarquées par un agriculteur industrieux qui aura conçu la première idée que le piétinement des animaux suffit pour faire sortir les grains des épis.

De nombreux documens historiques prouvent que le dépiquage a été connu, de temps immémorial, des Hébreux, des Egyptiens et des autres peuples de l’antiquité.

En France, ce mode d’égrenage date probablement de l’époque des Croisades. L’usage en a été de tout temps borné à quelques contrées méridionales de ce pays, et il y est resté confiné. Il est généralement répandu dans les départemens de Vaucluse, de l’Hérault, des Bouches-du-Rhône, des Basses-Alpes, du Var et du Gard ; dans 6 autres départemens, il est en usage simultanément avec le battage au fléau ; ce sont l’Ariége, l’Aveyron, les Pyrénées-Orientales, la Haute-Garonne, l’Aude et la Corse.

Pour être à même d’apprécier les avantages et les inconvéniens du dépiquage comparativement aux autres procédés d’égrenage, il faut connaître tous les détails de cette opération. L’abbé Rozier en a fourni, dans son Cours complet d’agriculture, une description aussi claire qu’exacte ; nous la lui empruntons. — « On commence par garnir le centre de l’aire par 4 gerbes sans les délier ; l’épi regarde le ciel, et la paille porte sur la terre ; elles sont droites. À mesure qu’on garnit un des côtés des 4 gerbes, une femme coupe les liens des premières, et suit toujours ceux qui apportent les gerbes ; mais elle observe de leur laisser garnir tout un côté avant de couper les liens. Les gerbes sont pressées les unes contre les autres, de manière que la paille ne tombe point en avant ; si cela arrive, on a soin de la relever lorsqu’on place des nouvelles gerbes : enfin, de rang en rang, on parvient à couvrir presque toute la surface de l’aire.

» Les mules, dont le nombre est toujours en raison de la quantité de froment que l’on doit battre, et du temps qu’on doit sacrifier pour cette opération, sont attachées deux-à-deux, c’est-à-dire que le bridon de celle qui décrit le côté extérieur du cercle est lié au bridon de celle qui décrit l’intérieur du cercle ; enfin, une corde prend du bridon de celle-ci et va répondre à la main du conducteur qui occupe toujours le centre ; de manière qu’on prendrait cet homme pour le moyeu d’une roue, les cordes pour ses rayons, et les mules pour les bandes de la roue. Un seul homme conduit quelquefois jusqu’à 6 paires de mulets. Avec la main droite et armé du fouet, il les fait toujours trotter, pendant que les valets poussent sous les pieds de ces animaux la paille qui n’est pas encore bien brisée, et l’épi pas assez froissé.

» On prend, pour cette opération, des mules ou des chevaux légers, afin que, battant et pressant moins la paille, elle reçoive des contre-coups qui fassent sortir le grain de la balle.

» Chaque paire de mules marche de front, et elles décrivent ainsi huit cercles concentriques en partant de la circonférence du conducteur, ou excentriques, en partant du conducteur à la circonférence. Ces pauvres animaux vont toujours en tournant, il est vrai sur une circonférence d’un assez large diamètre, et cette marche circulaire les aurait bientôt étourdis, si on n’avait la précaution de leur boucher les yeux avec des lunettes faites exprès, ou avec un linge ; c’est ainsi qu’ils trottent du soleil levant au soleil couchant, excepté pendant les heures des repas.

» La première paire de mules, en trottant, commence à coucher les premières gerbes de l’angle ; la seconde, les gerbes suivantes, et ainsi de suite. Le conducteur, en lâchant la corde ou en la resserrant, les conduit où il veut, mais toujours circulairement, de manière que, lorsque toutes les gerbes sont aplaties, les animaux passent et repassent sur toutes les parties. — Pour battre le blé en plein air, soit avec le fléau, soit avec les animaux, il faut choisir un beau jour et bien chaud ; la balle laisse mieux échapper le grain.

» Le dépiquage se fait toujours en plein air, ce qui a de grands inconvéniens à cause de la pluie et surtout des orages Dans ce cas, on perd beaucoup de blé et de paille, quelque précaution qu’on prenne.

» Outre les mules, on emploie aussi des chevaux, des ânes, et même des bœufs. Les chevaux de la Camargue, à demi sauvages, petits et vifs, sont préférés à tous les autres. »

Les avantages que présente le dépiquage sur le battage au fléau se réduisent à 2 principaux : celui de la vitesse avec laquelle s’exécute cette opération, et celui d’améliorer la paille pour la nourriture des bestiaux. Sous ces 2 rapports le dépiquage ne laisse rien à désirer. Le produit d’une ferme assez étendue peut être égrené dans un jour par ce moyen expéditif ; rarement le battage dure au-delà de 15 jours dans les contrées où le dépiquage est répandu, et 2 mois sont le maximum de la durée de cette opération : généralement parlant, 15 jours suffisent pour opérer la dépiquaison d’une récolte qui aura nécessité 10 jours de coupe avec 16 hommes, lorsqu’on emploiera le service journalier de 12 à 14 chevaux.

D’après la réponse de M. Jaubert de Passa, faite aux questions proposées par la Société centrale d’agriculture[5], un haras de 24 chevaux, dans le département des Pyrénées-Orientales, dépique assez ordinairement dans une journée 5,200 gerbes qui rendent jusqu’à 200 hectol. de blé. — Le même agronome relève l’avantage du dépiquage sur le battage au fléau, quant à l’amélioration de la paille. D’après son opinion, le dépiquage brise mieux la paille ; il la rend plus flexible, plus également mêlée aux débris des épis dont les animaux de travail sont avides, et plus susceptible d’être mêlée au fourrage. Les chevaux de luxe rejettent la longue paille de seigle, et mangent fort peu de paille de blé, si elle n’est foulée.

Ces avantages sont balancés par de grands inconvéniens. Le premier est celui du haut prix de ce procédé, relativement à tous les autres modes d’égrenage. Les frais du dépiquage sont évalués par M. de Gasparin presqu’au double de ceux du battage au fléau. Dans les années 1823-24-25 et 1826, les frais du dépiquage montaient, d’après ses réponses aux questions de la Société d’agriculture, dans le département de Vaucluse, à 2 fr. 10 c. par hectolitre.

Un autre grand inconvénient du dépiquage et qui le rend inapplicable au centre et moins encore au nord de la France, consiste en ce que cette opération, par sa nature, doit avoir lieu en plein air. Le climat moins favorable de ces parties de la France exposerait l’agriculteur qui choisirait ce moyen d’égrenage, à des pertes considérables et presque inévitables. Il est reconnu que, même dans le climat heureux où le dépiquage est en usage, les cultivateurs n’échappent pas toujours aux pertes occasionées par la pluie survenue pendant l’opération, sans parler de la détérioration qu’éprouve la paille, et de l’interruption du travail.

L’égrenage, au moyen du piétinement, n’est pas plus parfait que le battage au fléau. La quantité de grains qui restent dans l’épi quand le dépiquage est bien fait, ce qui n’arrive pas toujours, est évaluée par M. Laure, autre rapporteur sur les questions précitées, à 1 pour 100. Souvent cette proportion monte à 2 1/2 pour 100, à 4, et même, dans certaines localités, et avec certaines circonstances, de 5 à 10 pour 100. Il y a des localités où l’on se sert régulièrement du fléau pour extraire les derniers grains des épis.

Voici le tableau du prix proportionnel du dépiquage du blé : Dans le dép. du Var, 10 p. 100 ; Basses-Alpes et Bouches-du-Rhône, 20 p. 100 ; Aveyron, 8 p. 100 ; Haute-Garonne, 5 1/5 p. 100 ; Ariége (partie en argent, partie en nature), 7 p. 100 ; Pyrénées-Orientales, 8 1/2 p. 100 ; Aude, 11 1/2 p. 100.

Il résulte de cette analyse de l’opération que si le dépiquage a quelques avantages incontestables sur le battage au fléau, ils sont payés bien cher.

Nous allons maintenant passer à l’examen des différens systèmes de machines à battre ; nous espérons démontrer leur incontestable supériorité, et leur voir prendre la place du dépiquage, même dans les contrées où il est introduit de temps immémorial, aussitôt que ces moyens mécaniques seront mieux connus, que les machines seront plus à la portée de l’agriculteur, et que leur prix s’abaissera au niveau des moyens bornés des cultivateurs peu aisés.

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§ iii. — De l’égrenage au moyen des machines.

i. Rouleaux à dépiquer.

Il est impossible de désigner l’époque et l’auteur de la première invention d’une machine à battre le blé ; mais nous avons des documens historiques, irrécusables, qui prouvent que plusieurs peuples de l’antiquité connaissaient et se servaient généralement de ce genre d’appareil. Plusieurs passages du prophète Isaïe et de Varron font voir que les machines à battre étaient en usage chez les Hébreux, les Syriens, les Carthaginois, les Égyptiens et les Romains.

M. Girard, dans le Mémoire sur l’agriculture de l’Égypte, donne la description d’une machine à battre dont on se sert dans ce pays, et qui est d’une date très-reculée. Du temps de Varron, un demi-siècle avant la naissance de Jésus-Christ, on se servait en Espagne, pour le dépiquage, d’une machine qu’on appelait le chariot phénicien ou carthaginois. Ce dernier appareil (fig. 471) consiste en plusieurs cylindres armés de dents et divisés en plusieurs sections orbiculaires ; il est traîné par des chevaux et conduit par un homme assis sur une tablette. M. de Lasteyrie, a fait connaître que de nos jours encore on se sert généralement, dans la Basse-Andalousie, d’une machine qui correspond exactement à cette description.

Le trillo est un appareil en usage presque dans toute l’Espagne, et décrit aussi par le même savant. C’est une table en bois, garnie en dessous de pierres à fusil qui y sont incrustées. Les planches qui forment cette table sont retenues par des traverses, à l’une desquelles est fixé un crochet où on attache les traits des chevaux. Cet instrument est relevé en avant, afin de glisser plus facilement sur les gerbes. Il a une longueur de 5 p. 1/2.

L’Italie centrale se sert, pour le dépiquage du blé, d’un rouleau très-simple, appelé ritolo, qu’elle a hérité des Romains.

Le battidore, en usage dans quelques contrées des Apennins, a quelque rapport avec le trillo. C’est un assemblage de plusieurs planches épaisses réunies par une traverse, armées à leurs extrémités de trois grandes fourchettes émoussées et aplaties, et de 6 plus petites. Cet appareil porte dans sa partie moyenne une planche double en longueur qui sert de limon, et pose sur la sellette d’un avant-train auquel elle est fixée au moyen d’une corde. Après avoir disposé les gerbes en rond sur une aire, on fait mouvoir circulairement cette machine attelée de bœufs, pour que l’extrémité des fourchettes, en traînant sur la paille, en détache le grain.

Dans quelques autres parties de l’Apennin et en Corse, on emploie, depuis un temps immémorial, pour l’égrenage, un moyen mécanique, appelé trity, beaucoup plus imparfait que le rouleau. C’est une sorte de battoir formé d’une pierre triangulaire, avec un limon attaché à la pierre au moyen d’une cheville. On fait passer circulairement cette pierre attelée de bœufs sur les gerbes. — Différentes sortes de rouleaux de dépiquage, ressemblant plus ou moins aux rouleaux italiens, sont d’un usage antique dans plusieurs départemens de la France, et nommément dans ceux de l’Aude, de l’Ariége, de la Haute-Garonne, du Lot-et-Garonne.

L’action sur la gerbe des rouleaux et des chariots à roues a beaucoup d’analogie avec le piétinement des animaux. Ces appareils ont cet avantage sur le piétinement, que les animaux, en traînant les machines, touchent à la fois une plus grande surface de blé répandu sur une aire, que quand les mêmes animaux exécutent le dépiquage par une seule partie de leur corps, le sabot. L’action du rouleau cannelé ou armé de barres a encore sur le piétinement l’avantage du soubresaut que le battage subit des barres cause au blé, et qui facilite tant la séparation du grain des épis.

Aussi l’usage du rouleau se maintient-il dans tous les pays où il est introduit. Ce sont les pays méridionaux qui de tout temps ont donné la préférence à cet appareil, par la raison que la dessiccation parfaite du blé en gerbes est une condition indispensable de l’efficacité du rouleau, et que là cette circonstance existe. De nombreux essais des rouleaux à dépiquer ont été faits dans différentes parties du nord de l’Europe ; mais nulle part leur usage n’a pu se répandre. Le battidore et le trity agissant par le moyen du frottement, l’efficacité de ces machines est bien inférieure, non seulement à celle des rouleaux, mais même au piétinement des animaux. Leur conservation dans quelques contrées prouve l’état très-arriéré de l’industrie agricole de ces localités.

Le système des rouleaux à dépiquer, tel que l’antiquité nous l’a légué, a éprouvé en France des améliorations notables. Dans le département de Lot-et-Garonne, on a, depuis à peu près 10 ans, substitué au rouleau de pierre massive un rouleau de bois cannelé. Il a beaucoup de rapport avec le rouleau italien. C’est un cylindre (fig. 472) cannelé, formé d’un tronçon d’orme, de frêne ou autre bois dur et pesant, qu’on choisit bien droit, et auquel on adapte 8 solives de même longueur. Pour le service de ce rouleau, l’aire est

Fig. 472.

chargée de gerbes disposées en spirale et posées à plat, de l’épaisseur usitée pour le battage au fléau. Quand le soleil a échauffé la paille, on commence par l’extérieur de l’aire en se rapprochant du centre, puis s’en éloignant, et ainsi successivement, jusqu’à ce qu’on juge convenable de remuer la paille. Un seul cheval traîne cette machine, servie par 1 conducteur, 1 ouvrier et 4 ouvrières, et elle peut battre 20 hectolitres de blé par jour. On conçoit que les traits du cheval doivent être inégaux en longueur et varier en raison du diamètre de l’aire. Cette machine exécute l’égrenage bien et à bon marché. Les frais du dépiquage, y compris le nettoiement, ne montent qu’à 55 cent. par hectolitre. L’appareil même ne coûte que 40 francs.

Cette machine à dépiquer a été successivement perfectionnée ou modifiée par M. de Puymaurin, par M. de Lajous : la Société d’agriculture de Toulouse en a fait construire une qui coûte de 120 à 150 fr. suivant les localités différentes, et qui a encore été modifiée par M. le comte Dupac-Bellegarde. Cet appareil est armé de 8 battans ; le tout est contenu dans un cadre ; il a aussi un avant-train avec un siège pour le conducteur. L’épreuve de cette machine a donné pour résultat : 17 journées de chevaux avec conducteur, et 85 journées d’ouvrier ont dépiqué 10,000 gerbes ; et ce travail est évalué à 223 fr. Ce même travail, exécuté au moyen du piétinement des animaux, aurait coûté au moins 430 fr. : donc il y a un profit des 2/3 du montant des frais à se servir du rouleau. Outre ce profit, il résulte de l’usage de ce rouleau une grande économie des forces animales : les chevaux employés a son service ne travaillent que 3 heures par jour, tandis que le travail du dépiquage au moyen du piétinement commence au soleil levant et ne se termine qu’au soleil couchant.

Parmi les rouleaux à dépiquer, nous ne devons pas omettre la machine usitée en Suède et décrite par M. de Lasteyrie, qui la considère comme l’un des meilleurs appareils de ce genre. La fig. 473 la fait suffisamment comprendre.

ii. Machines imitant l’action des fléaux.

Les inventions ne sont, pour la plupart, que des amélioration apportées aux systèmes sanctionnés par l’usage ; ce n’est pas par transition subite qu’on passe de ce qui existe à un bien idéal, qu’on ne trouve guère dans le cours naturel des choses, qu’après bien des tâtonnemens. Nous avons indiqué ci-dessus l’analogie qui existe entre l’action du piétinement et celle des rouleaux ; maintenant nous passerons en revue les machines qui ont de l’analogie avec le battage au fléau.

Différens systèmes de fléaux mécaniques ont été inventés en France et en divers autres pays ; plusieurs combinaisons ont été essayées avec des succès variés. Une preuve qu’aucun des appareils de ce genre n’a satisfait complètement, c’est qu’aucun d’eux n’a jusqu’à présent obtenu une réputation incontestable. Dans cette conviction, nous ne ferons que mentionner les machines à fléaux.

Les machines de Foester, de Hansen, de Rey de Planazu et de M. de Marolles, sont des fléaux mécaniques, qui se distinguent favorablement parmi les inventions de ce genre. La combinaison de l'appareil de M. de Marolles (fig. 474) est la plus ingénieuse ; par son mécanisme peu compliqué, elle ne doit pas être sujette à de fréquens dérangemens. Cette machine a satisfait tous les hommes éclairés qui l’ont examinée, et, quoique sa capacité soit assez limitée, puisqu’elle ne bat que 60 gerbes par heure, on peut lui présager du succès quand elle aura obtenu la sanction de l’expérience, et dans tous les cas où le propriétaire subordonne le désir de posséder une machine à la règle d’une grande économie dans les dépenses de premier établissement.

iii. Machines à égrener proprement dites.

Dans la Grande-Bretagne, dans ce pays des machines, on a senti depuis longtemps que la mécanique, cette science précieuse qui a pour mission de débarrasser l’homme des travaux peu lucratifs, nuisibles à sa santé ou trop fatigans, devait se charger de l’égrenage du blé, opération aussi indispensable aux besoins de la société qu’elle est pénible lorsqu’elle est exécutée à bras d’hommes. Après beaucoup d’essais et la combinaison des différens systèmes de battage, André Meikle, constructeur de moulins, renommé en Écosse, a résolu ce problème de la manière la plus satisfaisante. La machine à battre de son invention est reconnue pour la plus parfaite par les savans anglais et étrangers. Son usage devient de jour en jour plus grand, non seulement dans la Grande-Bretagne, mais aussi dans le nord de l’Europe, et notamment en Russie, en Pologne et en Suède.

Ayant l’intime conviction de la grande perfection de la machine à battre de Meikle, nous entrerons dans tous les détails de son mécanisme et de son application aux différentes convenances locales. Nous prendrons pour guides dans ce travail les auteurs anglais qui ont le mieux traité ce sujet ; en même temps nous ne manquerons pas de rendre compte des travaux que des savans français ont entrepris dans le but de perfectionner la machine dont nous nous occupons, et de leurs efforts pour enrichir l’agriculture française de cette belle invention

Non ferons précéder l’analyse de la machine à battre de Meikle par un court récit de la marche qui a assuré, dans la Grande-Bretagne, le perfectionnement de ces grandes machines, en nous appuyant sur l’ouvrage du savant Loudon.

Michel Menzies, avocat écossais, fut le premier inventeur d’une machine à battre. Elle était mue par un courant d’eau, et le battage s’exécutait au moyen des fléaux ordinaires. La séparation des grains s’effectuait bien, et un homme employé à cette machine faisait le travail de six hommes opérant le battage au fléau. Mais les fléaux mus par le moulin n’ont pu résister à la vitesse du mouvement. ils se cassaient, et la machine tomba en désuétude.

En 1758, un autre système de battage a été essayé par un fermier du comté de Perth. Une machine fut construite d’après le principe des moulins à briser le lin. Elle avait un arbre vertical avec 4 bras placés dans un cylindre de 3 pi. 1/2 de hauteur et de 8 pieds de diamètre. Une grande roue à eau s’engrenait dans cet arbre et lui communiquait un mouvement très-rapide. Des ouvriers présentaient le blé à l’action de ces bras ou batteurs, et l’abandonnaient à l’entraînement. Après avoir subi le battage, les grains et les pailles s’échappaient dans l’étage inférieur par l’ouverture ménagée au fond du cylindre, où la séparation de la paille des grains et le nettoiement étaient effectués au moyen de cribles et de ventilateurs, mus, comme toute cette machine, par l’action de l’eau.

Vers la même époque (1758), un troisième système succéda aux deux précédens. Elderton inventa une machine à battre, dans laquelle la séparation des graines de leurs épis s’effectuait par le frottement de plusieurs cylindres cannelés, tournant dans l’intérieur d’un cylindre de 6 pieds de diamètre, et qui étaient pressés par des ressorts contre sa surface couverte de petites dents. L’expérience a prouvé que cette machine n’était rien moins qu’expéditive, et qu’en brisant les grains elle diminuait considérablement le prix vénal du produit.

Sir Francis Kinloch, savant mécanicien, s’est occupé du perfectionnement de ce système ; cette machine écrasait les grains tout autant que la précédente.

Ce mécompte n’a point effrayé André Meikle ; il a jugé la machine susceptible de perfectionnement et en a fait l’objet de ses méditations. Après de nombreux essais, il a été convaincu qu’il fallait exécuter la séparation du grain des épis, au moyen de barres qui devaient battre avec une très-grande vitesse, désapprouvant ainsi le frottement comme principe d’action. Un modèle fut construit par cet artiste ingénieux. Un cylindre, armé de barres, recevait le blé que lui présentaient deux cylindres à surface unie, primitivement, et auxquels ont été substitués des cylindres cannelés. Mais ce n’est qu’en 1786 que la première machine fut construite d’après ce modèle par le fils de son auteur. Certaines améliorations ont été ajoutées à la machine primitive, mais le système et les parties principales n’ont subi aucune modification.

Pour donner une idée claire d’une machine de Meikle avec toutes les améliorations qu’elle a obtenues et les différentes modifications dont elle est susceptible, nous empruntons plusieurs figures aux ouvrages de MM. Low et Loudon.

Pour extraire le grain de l’épi au moyen de cette machine, il faut mettre des poignées de blé sur la table inclinée, en tournant les épis vers les cylindres alimentaires cannelés et d’un petit diamètre. Ceux-ci saisissent le blé, et, en tournant avec une vitesse proportionnelle, le font avancer devant le cylindre ou tambour, armé des quatre battoirs. Ce tambour tourne horizontalement sur son axe avec une vitesse extraordinaire ; sur sa circonférence sont fixées longitudinalement, c’est-à-dire dans la direction parallèle à l’axe, quatre barres en bois garnies de lames de fer du côté où elles battent le blé. L’action de ces batteurs sur le blé, tandis qu’il passe entre les cylindres alimentaires, sépare les grains et les balles de la paille, et les râteaux circulaires secouent la paille et en séparent le grain et la balle qui tombent par le fond, formé d’un treillage en bois. Là ils tombent sur une autre machine, le tarare, où se tait la séparation du grain d’avec les halles et le nettoyage. Pendant ce temps, les râteaux circulaires poussent la paille hors de la machine.

Fig. 475
Fig. 475

La figure 475 offre la section transversale de tous les détails de la machine. AA sont deux cylindres en fonte de fer, qui, s’engrènent et tournent autour de leurs axes dans un sens inverse, et entre lesquels passe le blé pour être égrené. B est le tambour sur la surface duquel se trouvent 4 battoirs c c c c. Pendant que le tambour fait ses révolutions avec une grande rapidité, les battoirs agissent sur la gerbe au moment où elle passe entre les rouleaux cannelés, et détachent le grain des épis. La gerbe, en échappant aux cylindres alimentaires, passe avec les grains et les balles au-dessus du tambour, et est entraînée en avant dans la direction indiquée par les flèches x x x ; mais, avant d’y arriver, la paille subit l’action de 4 volans-râteaux EEEE, fixés sur un cylindre creux D, qui fait ses révolutions dans la direction indiquée par la flèche Y, et est poussée en avant par une rotation égale de 4 râteaux fixés sur un cylindre construit avec des barres en bois F, qui jettent la paille hors de la machine dans la direction L.

Le fond est formé d’un treillage à travers lequel s’échappent les grains et les balles, pendant que la paille est poussée en avant par les pointes dont sont armés les volans des râteaux circulaires. Le grain et la balle tombent dans la direction de la flèche z, dans une machine placée dessous, où, par le moyen du vannage, s’effectue la séparation du grain de la balle.

La surface du cylindre D est couverte de zinc ou de planches en bois recouvertes de fer-blanc. La surface du second I est formée de barres en bois laissant des espaces vides entre elles pour que les balles et les grains qui échappent à l’action du premier râteau circulaire puissent le traverser et atteindra le fond formé du treillage. Les extrémités des deux volans du second râteau circulaire peuvent être armées de brosses pour balayer en arrière tout ce qui a pu tomber des grains ou des balles dans la concavité K, et, de cette manière, tout le grain et la balle tombent sur le fond en treillage F G H.

La fig. 476 représente la forme des parties de la machine et toutes les roues, poulies et pignons qui les mettent en mouvement. A est la grande roue dentée avec son arbre horizontal. Cette roue est en communication immédiate avec la force motrice, un manège, une roue mue par l’eau, une machine à vapeur, ou un appareil mu par les vents. Ces moteurs doivent être placés hors du bâtiment où est placée la machine à battre.

Le mouvement se communique à toutes les parties de la machine de la manière suivante : Par le pignon C (fig. 476), la grande roue met en mouvement le cylindre D ;
Fig. 476
elle communique en même temps le mouvement à l’axe horizontal E, au moyen des pignons qui, à leur tour, à l’aide d’autres roues et pignons, mettent en mouvement les cylindres alimentaires et le tambour. Une roue, fixée sur l’axe de ce tambour, communique le mouvement aux deux roues intermédiaires x x, qui mettent en mouvement la roue J fixée sur l’axe du cylindre formé des barres H. C’est au moyen d’une lanière JJ, placée sur la poulie fixée sur le fuseau, que ce mouvement se communique au second râteau circulaire.

L’arrangement intérieur du bâtiment où on place la machine contribue beaucoup, quand il est convenable, à faciliter l’égrenage et le nettoiement des grains. Ordinairement, les granges destinées à cet usage sont divisées en trois parties. La partie centrale est occupée par la machine ; dans la division la plus proche des meules de blé on dépose les gerbes à égrener, et la troisième division, aboutissant aux écuries, est destinée à recevoir la paille. Dans la division centrale où est placée la machine, M est l’étage supérieur où on met les gerbes, N est l’étage inférieur où le grain nettoyé tombe par les ouvertures RR, O représente la partie où tombe la paille. Des machines à couper la paille, les racines, à broyer les grains pour la nourriture des animaux, etc., peuvent être placées très-commodément dans cette partie centrale pour être mises en mouvement par des cordes sans fin, tournant dans des poulies. Ces combinaisons sont d’autant plus avantageuses qu’elles ajoutent très-peu au poids de la machine à battre, quand elles sont bien construites et qu’on peut les mettre en mouvement, soit en même temps que la grande machine, soit chacune séparément. Le déplacement de quelques pignons ou poulies suffit pour modifier l’action de ces différentes machines.

Pour ôter les barbes aux grains de l’orge et des blés barbus, on fait passer une seconde fois les grains séparés de la paille et de la balle ; pour effectuer cette opération d’une manière plus parfaite, on attache à l’intérieur du revêtissement du tambour, par deux clous à vis, une barre en bois entaillée de la longueur des rouleaux alimentaires, et armée, d’un côté, d’une lame de fer longitudinale. La distance entre les barres du tambour et cette barre doit être du huitième d’un pouce. Deux minutes suffisent pour attacher ou retirer cet appareil accessoire.

Des forces motrices, l’eau est la plus économique et en même temps la plus commode, à cause de la grande égalité de mouvement qu’elle communique. On doit donc donner la préférence à ce moteur partout où la localité le permet.

La vapeur présente, comme force motrice, encore plus d’avantages que l’eau, parce qu’elle est indépendante des influences atmosphériques, qu’on peut la placer dans l’endroit le plus convenable à l’agriculteur, et proportionner sa force à l’étendue de la ferme ; elle n’a qu’un inconvénient, celui de la cherté dans les localités qui manquent de houille. C’est par cette raison, qu’en Angleterre et en Écosse, l’usage de cette force motrice est restreinte aux contrées qui produisent cette matière combustible.[6]

L’action du vent, à cause de son irrégularité, est le moteur le plus incommode. Il est si incertain, que l’usage de cette force motrice, pour ne pas être dans sa dépendance, force l’agriculteur de s’assurer au besoin le secours des forces animales, ce qui exige l’établissement d’un manège.

Fig. 477

Quand on manque des forces motrices de la nature, on a recours aux chevaux ; et, pour rendre le travail plus uniforme, on a perfectionné le mode de les atteler. La fig. 477 explique ce manège, ainsi que la manière dont le mouvement est communiqué à la grande roue dentée, pour mettre en mouvement toutes les parties de la machine. L’arbre vertical engrène la roue dentée qui agit sur le pignon ; celui-ci communique le mouvement à l’arbre, qui le transmet à la roue dentée, placée ordinairement dans la grange, et qui met en mouvement toutes les parties de la machine. La figure représente une machine de Meikle, de la force de deux chevaux, la plus petite dimension de ce genre, avec le manège perfectionné. Les chaînes ou cordes qu’on accroche en bas des linguières a b pour faire marcher la machine, sont prolongées, dans cet appareil, jusqu’au fût placé sur une barre qui peut tourner dans un sens horizontal au moyen d’une cheville. Un bout de chaque chaîne est fixé au fût, et, au bout des deux autres, se trouvent de petites poulies sur lesquelles passent de doubles chaînes ou cordes.

Un des chevaux est attelé à une des extrémités du levier et l’autre au bout opposé ; et, comme les chaînes des deux chevaux sont réunies par les poulies mobiles, aussitôt qu’un cheval se relâche, l’action de l’autre presse le collier contre ses épaules, et, s’il n’avance pas, il est repoussé en arrière. De cette manière, un cheval est animé par l’autre, et, à l’aide de ce mécanisme, le collier presse absolument du même poids contre les deux épaules du cheval, malgré le mouvement circulaire qu’il parcourt, ce qui est encore un grand avantage. Mais le résultat le plus avantageux dans l’intérêt de la conservation de la machine et des animaux, c’est l’égalité du mouvement, qui ne peut être obtenue par aucun autre moyen ; et rien ne ruine tant les chevaux et la machine que des secousses, principale cause des dégradations qui interrompent le travail et augmentent les frais d’entretien.

Fig. 478

La figure 478 représente une machine du même système, qui peut être mise en mouvement par la force de l’eau, ou par quatre chevaux alternativement ou conjointement. L’eau, comme moteur d’une machine à battre, offre de trop grands avantages sur tout autre genre de force motrice pour qu’il ne soit pas rationnel de s’en servir, même dans les localités où cette force n’est pas continuellement suffisante. C’est dans des cas pareils qu’on emploie ces machines, que nous décrirons en peu de mots. Sur la circonférence de la roue à eau B, qui tourne sur l’arbre se trouvent des engrenages en fer fondu, qui communiquent le mouvement au pignon fixé sur l’axe du tambour. Devant les cylindres alimentaires se trouve une plate-forme sur laquelle on met le blé par poignées. Près du tambour est placé le râteau circulaire, mu par une corde ou lanière qui passe d’un côté dans une poulie fixée sur l’axe du râteau, et de l’autre sur la poulie fixée sur l’arbre couché qui se trouve en communication avec l’arbre de la roue mue par l’eau.

La même figure représente aussi le mécanisme perfectionné du manège. Pour se servir à volonté de la force motrice, physique ou animale, il suffit de changer la position des pignons. Ces deux forces peuvent même coopérer simultanément.

Dans certaines contrées de l’Angleterre, des machines à battre transportables sont d’un usage assez répandu dans les petites fermes. C’est dans les granges ou en plein air, sans préparations préalables, qu’on les fait fonctionner. Leur mécanisme diffère un peu plus, un peu moins, de celui que nous venons de détailler, suivant les différens besoins des localités ; ordinairement elles sont mues par deux chevaux, mais il en existe pour un seul. — Les tarares ne sont pas des parties constitutives des machines de ce genre ; mais, au moyen de cordes sans fin, tournant sur des poulies, on peut facilement se servir des tarares simultanément avec les machines à battre, pour le vannage et le nettoyage du grain.

L’égrenage, exécuté au moyen des machines transportables, est, comparativement, beaucoup plus coûteux que celui exécuté par les machines fixes ; et la différence est quelquefois si grande que, dans certaines localités, les machines mues au moyen des bras de l’homme sont préférables aux machines transportables, d’après l’opinion du savant auteur de l’Encyclopédie d’agriculture. Cependant, d’après le témoignage du même auteur, le comté de Suffolk abonde en machines de ce genre. Il n’est pas rare de voir un laboureur industrieux placer ses épargnes de 30 à 40 l. s. (de 730 à 1000 f.) dans l’achat d’une pareille machine, qu’il transporte sur une charrette à deux roues d’une ferme à l’autre, pour l’y mettre en mouvement par 3 ou 4 chevaux. C’est le fermier qui se charge, dans ce cas, de l’entretien des ouvriers et des chevaux, et le propriétaire de la machine répand le blé devant le tambour et dirige le service de la machine.

Les machines transportables de Wais, de Londres, construites d’après les principes de Meikle, sont les meilleures dans ce genre. Il y en a qui ont des cylindres alimentaires cannelés, mais il en est d’autres où ces rouleaux sont remplacés par une traînée sur laquelle est dispersé le blé pour être égrené par le tambour. Ce dernier mécanisme brise moins la paille.

La fig. 479 est la partie principale d’une machine mue à bras d’hommes. Son service demande 2 hommes et 1 femme. On s’en sert pour l’égrenage de toutes sortes de céréales dans une petite ferme ; elle est aussi en usage pour l’égrenage du trèfle, du colza et autres menus grains, l’égrenage exécuté par ces petites machines est aussi parfait que celui des grandes, mais il n’en résulte aucune économie dans le travail.

Fig. 479
Les agriculteurs du comté de Northumberland se sont montrés les plus progressifs sous le rapport de l’emploi des machines à battre. On y a construit une machine à battre mue par une machine à vapeur locomotrice, qui transporte par la force de la vapeur, d’un endroit à l’autre, la machine à battre avec son conducteur. Cet appareil ingénieux est destiné à desservir les petites fermes ; il ne se borne pas à l’égrenage du blé et exécute différents travaux ; il pompe de l’eau, il brise les pierres, etc.

Il n’y a, parmi les agriculteurs de la Grande-Bretagne, qu’une opinion sur la grande utilité des machines à battre et sur la supériorité du système de Meikle sur tous les autres. Ces machines sont en usage général dans toutes les parties du royaume uni, et on les croit tellement indispensables à toute exploitation rurale bien organisée, que, dans les comtés de Perth et de Northumberland, les grands fermiers n’hésitent pas, d’après le témoignage de M. Loudon, à subir les frais d’établissement des machines mues par le vent ou par la force de six chevaux, qui sont les plus dispendieuses, si le propriétaire leur garantit la jouissance pour 21 ans.

Les avantages qui résultent de l’usage de la machine de Meikle sont indiqués par l’auteur du Code of Agriculture : 1o le rendement en grains est supérieur d’un vingtième ; 2o l’opération est extrêmement expéditive ; 3o par cette raison elle prévient beaucoup de prévarications ; 4o le blé endommagé par l’humidité peut être sauvé par ce prompt égrenage, et en le soumettant après à la dessiccation dans un four ; 5o les machines donnent la facilité de se servir, pour la semence, des grains fraîchement récoltés ; 6o l’usage de ces machines facilite le prompt approvisionnement des marchés en cas de disette ; 7o les machines préparent tout aussi bien la paille pour la nourriture des bestiaux ; 8o les machines facilitent le nettoiement des grains, notamment parce que les petites mottes de terre ne sont pas écrasées par le tambour, ce qui arrive quand on se sert des fléaux, et que le tarare ; en séparant la balle du blé, sépare en même temps les petites graines des mauvaises herbes ; 9o l’usage de ces machines affranchit les domestiques de ferme et les ouvriers d’un travail dur et pénible, et il rend le fermier indépendant du bon-vouloir de ses ouvriers et domestiques pour l’un des principaux détails de l’économie rurale ; 10° l’économie du travail résultant de l’usage des machines peut être évaluée, terme moyen, à 1 shelling par quarter de blé (42 cent. par hectol.) — À ces avantages nous ajouterons encore les suivans : 1o de pouvoir employer utilement les domestiques de la ferme et les chevaux dans les journées où ils manquent d’occupation ; 2o de pouvoir profiter des conjonctures commerciales, souvent aussi profitables que passagères.

Le prix d’égrenage exécuté au moyen de la machine écossaise dépend des circonstances locales, trop variées pour qu’on puisse établir un terme précis à cet égard. Le savant auteur de l’Encyclopédie de l’agriculture assure qu’une machine écossaise, de la force de 8 chevaux, accomplit en une journée de 9 heures, y compris le vannage et le nettoyage, l’égrenage de 100 à 300 boisseaux d’Angleterre (72 à 108 hectol.) de froment et d’autres grains en proportion. Un ouvrier intelligent, aidé de deux garçons ou femmes, est nécessaire pour alimenter une machine de cette dimension ; trois ouvriers pour ôter, botteler et ranger la paille dans la grange, et un conducteur de chevaux assisté d’un enfant. Le produit de la journée d’une machine inférieure est évaluée en Angleterre, terme moyen, à 54 hectol. de froment.

Le revient de l’égrenage, y compris le vannage et le nettoyage, est évalué, en supposant l’usage d’une machine de la force de 8 chevaux, mue par un courant d’eau, à 12 c. par hectolitre. Ce revient monte dans la proportion de 2 à 3, si la dimension de la machine ne donne pour résultat que 150 boisseaux par journée. L’usage des forces animales pour moteur élève le revient de 11 ½ sous par hectolitre, l’entretien de 8 chevaux, avec un conducteur et son aide, coûtant, terme moyen, dans ce pays, 35 fr. par journée ; les ouvriers sont comptés dans ce calcul pour 9 schellings (10 francs 18 sous) par journée.

Les prix de premier établissement sont sujets aux mêmes variations ; il est difficile d’établir des principes à ce sujet. La machine de la force de six chevaux est évaluée par M. Low à : 100 liv. st. (2,500 fr.), et, à son avis, chaque ferme de 500 acres (222 ½ hectares) doit être pourvue d’une machine de cette force.

La grande perfection de la machine écossaise, une fois reconnue dans la Grande-Bretagne, ne pouvait rester confinée dans ce pays. La Suède, familiarisée avec l’usage des machines à battre, est le pays qui, le premier, a profité de l’invention de Meikle. Depuis 1802, la machine à battre a été introduite en Pologne ; mais elle s’est répandue depuis 1816, époque du premier établissement d’une fabrique de machines de ce genre, dans une progression si rapide, qu’avant 1830 il y en avait, dans le royaume n’ayant qu’une population de 4,000,000 d’habitans, plusieurs centaines[7]. C’est par la Suède que cette utile machine est entrée en France. M. le comte de Lasteyrie a ajouté aux nombreux services qu’il a rendus à l’agriculture française celui d’avoir publié la première description circonstanciée de la machine écossaise, d’après une qu'il avait vu exécuter en Suède. D’autres savans français ont suivi son exemple, en faisant des efforts, non seulement pour faire adopter l’usage de la machine écossaise, mais encore pour la perfectionner. MM. Molard, Hofmann de Nancy, Leblanc, de Dombasle, Léonard de la Moselle, et Quentin Durand ont acquis, par ces essais, de nouveaux titres à la reconnaissance nationale. Les machines établies par ces hommes habiles ne nous semblent que des modifications de la machine écossaise, ce qui nous engage à ne pas nous y arrêter.

Nous citerons cependant la petite machine inventée par M. Léonard, parce qu’elle est une des moins coûteuses et que l’Académie de Metz en a porté un témoignage très-avantageux ; c’est un perfectionnement de celle de M. Quentin Durand.

Fig. 480
Elle consiste (fig. 480) en 3 parties principales : la roue des batteurs, un système de deux cylindres alimentaires qui s'engrènent l’un au-dessus de l’autre, et la table nourricière ; celle-ci est un plan incliné au 10e environ, de 0m 50 cent. de largeur, sur lequel on place les javelles déliées, pour être entraînées, entre les deux cylindres alimentaires, vers l’action de la roue des batteurs ; ceux-ci sont des pièces de bois horizontales, parallèles à l’axe autour duquel ils tournent, et ayant une longueur égale à celle des cylindres alimentaires ; ils sont au nombre de 8 sur une circonférence de 0m 33 de rayon moyen, et posés sur deux cercles en fer parallèles, armés chacun de quatre bras. Les deux cylindres ont 20 cannelures. La séparation du grain et de la paille s’opère au moyen d’un tambour fixe à claire-voie établi sous la roue des batteurs. Telle est la machine de M. Durand. M. Léonard y a introduit une amélioration qui consiste en une grande roue isolée, mue par des manivelles et transmettant, à l’aide de courroies, le mouvement, tant aux cylindres qu’à la roue des batteurs. De cette manière, on n’a besoin pour le travail que de la vitesse ordinaire des manivelles, tandis qu'il en fallait une triple. M. Léonard a aussi remplacé par des poulies le pignon de la roue des batteurs et la roue dentée qui était montée sur l’axe du cylindre inférieur. Il faut 4 manœuvres pour servir la machine, qui fait le travail de 5 batteurs au fléau, en opérant le battage de 26 à 27 gerbes par heure. Les essais ont constaté que les produits en paille et en blé sont plus beaux que par le battage ordinaire.

Nous mentionnerons encore la machine agricole de MM. Mothes frères, de Bordeaux, qu’on a vue fonctionner à l’Exposition des produits de l’industrie en 1834. Cette machine à battre et à vanner les blés, seigles, orges, avoines et presque tous les grains, simple et transportable, au moyen d'une légère modification devient propre à couper la paille ou l’ajonc épineux, et peut en expédier 250 à 300 livres à l’heure ; au moyen d'une autre modification, elle peut teiller les chanvres et les lins. Cette machine est à cylindres cannelés, et renferme un ventilateur qui opère le vannage du grain. Elle est mue par une manivelle à bras ou par un manège portatif, également très-simple et perfectionné par les inventeurs. Le prix de la grande machine complète est de 1800 fr. ; la machine à bras seule coûte 700 fr., et le manège à deux chevaux, propre à toutes machines, 500 fr.

On se sert généralement, dans la Grande-Bretagne, pour les machines transportables, du manège mobile, qui se recommande par sa simplicité et par son bas prix ; M. Molard en a fait la description, et l’a encore simplifié. On ne saurait contester ses avantages, sous le rapport du prix et en ce qu’il peut être transporté avec facilité et posé presque sans frais, partout où une force mécanique peut être employée avec utilité. L’avantage de cet appareil sera relativement plus grand quand il sera établi dans les provinces méridionales de la France.

Fig. 481

Dans la figure que nous donnons de cet appareil (fig. 481), a b c sont des pièces de bois de chêne, assemblées à mortaises et composant les bâtis du manège ; d jambes de force, en chêne, maintenues sur la pièce de bois a par des pattes boulonnées ; e collier de l’arbre f ; il porte des joues en fer, dans lesquelles les jambes de force sont fixées avec des boulons ; g croix en fonte portant des joues dans lesquelles on fixe à boulons les flèches d’attelage h h : cette croix porte un trou carré, dans lequel entre la tête de l’arbre f, qui est ainsi entraîné dans le mouvement imprimé au bras d’attelage ; i roue d’angle montée sur l’arbre f, et menant le pignon j, monté lui-même sur l’arbre de couche k ; l crapaudine dans laquelle tourne l’arbre vertical f ; m coussinet faisant corps avec la crapaudine l, et recevant le bout de l’arbre de couche k ; n n sont les deux autres coussinnets qui soutiennent le même arbre ; o pont en bois sur lequel passent les chevaux. La roue i porte 56 dents, le pignon j en a 18 ; le rapport de vitesse de la roue au pignon est donc à peu près comme 1 est à 3. La flèche d’attelage étant de 10 pieds, et le pas du cheval de 3 pieds par seconde, il parcourra la circonférence en moins de 21 secondes, et fera faire dans le même temps une révolution à la roue i, et trois révolutions au pignon j. L’arbre k aura donc une vitesse de neuf tours par minute environ.

Pour décider l’agriculteur français à préférer la machine écossaise, en abandonnant les anciens modes de battage, il faut le convaincre avant tout que ce moyen mécanique est plus économique que les autres. Tous les agriculteurs éclairés ont senti l’importance de cette question, et plusieurs ont taché de la résoudre d’une manière satisfaisante. M. de Dombasle s’en est occupé particulièrement, et avec autant de conscience et d’impartialité que de discernement ; mais, en même temps, il a senti et avoué la difficulté d’établir une comparaison concluante entre les différens modes de battage, sous le rapport économique. Le résultat de l’égrenage, au moyen de la machine écossaise, dépend de tant de circonstances presque insaisissables, telles que du degré de perfection de la machine employée, de sa dimension, de l’adresse des ouvriers qui la servent, de la disposition de la grange, plus ou moins convenable à l’action de la machine ; du nombre des journées durant lesquelles on se sert de la machine dans le cours d’une année ; de l’occasion d’utiliser d’une autre manière le manège attaché à la machine, pendant que celle-ci chôme, etc., qu’il n’y a peut-être pas de localités où le battage au moyen des machines puisse présenter les mêmes résultats sous le rapport économique.

Cependant M. de Dombasle, pour sortir du vague, ou plutôt pour servir de guide aux agriculteurs dans l’appréciation des frais de battage au moyen des machines, a formulé un calcul approximatif que nous n’hésitons pas à présenter à nos lecteurs, puisque nous le trouvons analogue à notre expérience ; avec la seule modification qu’à notre avis on ne peut compter, pour une journée, terme moyen, que 8 heures au lieu de 10 heures, d’après la supposition de M. de Dombasle. Nous appuyons notre opinion de deux observations : 1° que le travail du manège est trop fatiguant pour que les chevaux puissent le prolonger 5 heures durant, sans relâche ; 2° le battage au moyen des machines se fait, la plus grande partie, en hiver et pendant le mauvais temps, où le manque de lumière raccourcit les heures de travail. Cette réduction est au moins applicable à la partie septentrionale et au centre de la France.

Les suppositions suivantes servent de base au calcul approximatif de M. de Dombasle :

1° Le prix primitif de la machine est supposé être de 2, 000 fr.

2° Il n’est question dans ce calcul que du froment, et M. de Dombasle part du principe que le produit du battage, pour la quantité des grains, est dans une proportion inverse avec leur prix vénal ; le produit de l’avoine est à peu près double du produit en froment.

3° Cinq pour cent comme intérêt du capital de premier établissement est mis annuellement à la charge du battage.

Idem deux et demi pour cent pour couvrir les irais d’entretien et du renouvellement partiel.

5° Il est supposé que la ferme fournil par campagne 20, 000 gerbes au battage, et que la machine égrène 100 gerbes par heure, en occupant 4 chevaux et 5 ouvriers. Le prix du travail du premier ouvrier est évalué à 25 c. par heure, et à 12 c. ½ par heure le travail de chacun des 4 autres ouvriers. Le prix du travail des chevaux est évalué à 25 cent. l’heure par cheval.

6° Les 150 francs pour l’intérêt du capital de l’établissement de la machine et de son entretien, répartis en 200 heures de travail, donnent pour résultat 75 cent. par heure.

Ces suppositions admises, le montant des dépenses d’une journée de 8 heures est de 14 f. 75 c., et comme 8 heures sont supposées devoir suffire à l’égrenage de 800 gerbes, dont le produit en grain, à raison de 5 hectolitres, est supposé de 40 hectolitres, l’égrenage coûte 36 fr. 35/40 par hectolitre.

Le prix proportionnel du battage devient plus considérable si 100 gerbes ne rendent pas 6 hectolitres de grains. De même les frais grossissent proportionnellement si la ferme fournit au battage moins de gerbes que la quantité supposée.

Les deux tableaux suivans sont le résultat des calculs approximatifs basé sur les suppositions ci-dessus indiquées, en comptant 10 heures de travail par journée.

  1. Dans une exploitation où on récolte annuellement 5,000 gerbes
  2. ......id........id....10,000
  3. ......id........id....20,000
  4. ......id........id....40,000
Prix du battage avec
Une grande machine. Une petite machine.
fr.
»
»
»
»
c.
88
58
40
36
fr.
»
»
»
»
c.
92
78
69
65
Gerbes
Produit
en
hectol.
Frais de battage

Par
dépiquage.
Par
le fléau.
Par une
petite machine.
Par une
grande machine.
1. 
Ferme d’une vingtaine d’hectares produisant 
 5,000
250 500 262½ 230 220
2. 
  —   40 à 50 hectares 
 10,000
500 1,000 625 390 290
3. 
  —    80 à 100 
 20,000
1,000 2,000 1,250 690 420
4. 
  —   160 à 200 
 40,000
2,000 4,000 2,500 1,300 430

Il n’est pas question dans ces calculs du surplus du produit en grains, résultant d’un meilleur égrenage, qui ne peut être obtenu que par le moyen des machines, et qui est évalué, en Angleterre, au moins à 1/20 du produit total. Ce seul profit suffit pour couvrir, en moins d’une année, les frais de premier établissement, dans une ferme qui a 160 à 200 hectares d’étendue.

Je pense en avoir dit assez pour mettre au grand jour la supériorité de la machine écossaise et les avantages qui résulteraient de son introduction dans toutes les fermes au-dessus de 20 hectares. Je me suis abstenu de m’appuyer dans mes assertions, sur ma propre expérience durant plusieurs années, tous les faits allégués étant puisés à des sources irrécusables. Je provoque de tous mes vœux, dans l’intérêt de l’agriculture française, l’établissement, à Paris et autre point central, de fabriques et de bazars des machines agricoles, à l’instar de celui de Wire à Londres, et d’Evans à Varsovie. Les détails de la machine de Meikle, exécutés en fonte, sont les principaux et les plus coûteux, quand il faut les faire exécuter d’après des modèles à faire ; mais, quand on aura la possibilité de se procurer les roues, les pignons, les coussinets, etc., en fonte, tout faits, les meilleures machines seront facilement copiées à peu de frais par des constructeurs de moulins, des menuisiers et autres artistes un peu familiarisés avec les principes de la mécanique

[12 : 3 : 2]
Art. ii. — Du vannage et du nettoyage des grains.

Les grains séparés des épis, pour être utilisés à la nourriture des hommes, à la semence, ou à tout autre usage, doivent encore être séparés des balles ou menues pailles, des graines de mauvaises herbes et autres corps étrangers. Pour effectuer cette séparation, au battage ou dépiquage succède l’opération appelée vannage.

Dans l’usage ordinaire, le vannage s’exécute à l’aide d’un instrument en osier, appelé van (fig. 482), et l’on n’a recours aux tarares ou moulins à vanner, dont nous parlerons tout-à-l’heure, que pour achever le complet nettoyage du grain. L’ouvrier, pour se servir du van, se place dans un courant d’air, le plus souvent sur l’aire de la grange ; il prend dans son van une certaine quantité de grain battu après en avoir écarté la paille et les balles les plus volumineuses ; secouant alors son van qu’il tient des deux mains, et qu’il appuie contre ses deux cuisses, il fait sautiller le grain et les substances qui s’y trouvent mêlées dans ce mouvement, les plus légères sont emportées par l’air, et les autres, sous le nom de autons, se rassemblent à la surface, où il est facile de les réunir avec la main et de les pousser au dehors. On conçoit que ce procédé, comme le suivant, ne peut opérer la séparation que des corps très-légers.

On vanne aussi le blé en jetant contre le vent, avec une pelle, dans une direction demi-circulaire, les grains, dans l’état où les a réduits le battage, c’est-à-dire mêlés avec les enveloppes, la menue paille, etc. Par l’action du vent, les balles et autres corps légers sont rejetés en arrière, tandis que les grains et les corps pesans tombent en avant. Ce procédé ne suffit pas pour séparer le blé des autres corps d’une pesanteur à peu près égale à la sienne. Pour compléter le nettoiement, les grains vannés de cette manière doivent passer à travers plusieurs cribles, qui retiennent les grains d’une certaine forme et grosseur, en laissant passer les corps d’une grosseur et configuration différentes.

Le vannage exécuté à bras d’hommes, sans être aussi fatigant pour l’ouvrier que le battage au fléau, exige cependant beaucoup de travail ; il augmente les frais de l’égrenage au moins d’un dixième, terme moyen, et il est accompagné de très-grands inconvéniens.

La bonne exécution de ces modes de vannage dépend autant de l’influence atmosphérique que de l’adresse et du bon-vouloir des ouvriers. Le vent, s’il est trop fort, jette une partie du grain sur le margot ; trop faible, il rend la séparation imparfaite. Le vannage est tout-à-fait impraticable par le calme, de sorte que ce travail est quelquefois interrompu pendant plusieurs jours, interruption qui dérange toujours l’agriculteur dans l’emploi des ouvriers, qui lui devient surtout fâcheuse dans les localités où le battage s’exécute en plein air, et dans les cas où la pluie survient pendant le calme. La détérioration de la qualité des grains est alors presque inévitable. — Le vent le plus favorable ne suffit pas, en outre, pour garantir un nettoiement parfait du blé ; l’adresse et l’attention soutenue de l’ouvrier sont indispensables. L’ouvrier insouciant, ou qui n’a pas grand usage de ce travail, laissera beaucoup de menue paille et autres corps mêlés avec le blé. — Ces inconvéniens sont trop frappans pour que l’agriculteur n’ait pas appelé la mécanique à son secours ; la mécanique, cette science secourable qui a tiré l’homme de tant d’embarras, de tant de perplexités ; qui, inépuisable dans ses moyens, par des combinaisons ingénieuses, augmente et accumule les forces quand il le faut, les régularise, en accroît ou limite la vitesse, et prolonge la durée de l’action ; qui économise sur le temps, sur la dépense ou sur la matière ; qui exécute les opérations trop délicates pour les bras de l’homme, etc.!

Les efforts des mécaniciens pour remplir ce besoin de l’agriculture, ont été couronnés du succès le plus brillant. Le tarare, dans sa perfection actuelle, et combinés avec un système de cribles, rend la séparation du grain d’avec tous les corps étrangers, aussi parfaite que l’opération même, au moyen de cette machine, est peu fatigante pour l’ouvrier et expéditive.

Les tarares servent pour le vannage et pour le nettoyage des blés, ou seulement pour cette dernière opération. Aux tarares qui servent en même temps au vannage, on donne relativement une plus grande dimension. Ce genre de tarares, réunis aux machines écossaises, sont d’une utilité inappréciable.

Les tarares en usage dans tous les pays sont basés sur le même principe. C’est le courant d’air qu’on produit, et qu’on rend plus ou moins fort au moyen de volans, qui, en séparant les corps relativement plus légers des corps plus pesans, effectue le vannage et le nettoiement.

Le tarare dont nous donnons la description (fig. 483 et 484) peut être utilisé, ou conjointement avec une machine à battre écossaise, ou séparément. Des planches d’une forme oblongue sont placées sur un axe horizontal, à égale distance l’une de l’autre, de telle manière que ces planches remplissent la largeur de la machine. L’axe de ce volant est tourné par une roue engrenée dans un pignon dont la manivelle lui communique une grande vitesse ; les ailes du volant, en suivant ce mouvement de rotation, produisent un grand courant d’air. Le blé qui doit être vanné est placé dans la trémie qui est au-dessus de la machine, et tombe sur un ou plusieurs cribles qui sont fixés dans la machine, de manière à être dans le mouvement horizontal accéléré de va-et-vient. Pendant que ces cribles, par ce mouvement horizontal, interceptent et séparent les grains et les balles, le courant d’air repousse celles-ci au loin, comme très-légères ; le grain descend et s’écoule par une ouverture ménagée au bas de la machine.

Fig. 483.

La figure 483 représente un côté de cette machine. A est la roue, qui peut être mise en mouvement par la manivelle B. Cette roue, en engrenant le pignon, communique le mouvement à l’axe, sur lequel sont fixées les quatre planches oblongues ou ailes. Ce volant, qui est presque enveloppé de trois côtés par la caisse en bois, est alimenté d’air au moyen de deux ouvertures ménagées des deux côtés de la machine, et qui sont indiquées dans la figure. Ces ouvertures peuvent être, à volonté, élargies ou rétrécies au moyen de planches à coulisse, et, par ce moyen, on renforce ou on affaiblit le courant d’air.

Fig. 484.

La figure 484 représente le côté opposé de la machine, vue en coupe à l’intérieur. On y voit les quatre planches, appelées ailes du volant. Le mouvement rotatoire de ces ailes dans la direction indiquée par les flèches, cause un grand courant d’air dans l’intérieur de la machine, et dans la direction des autres flèches. A la partie supérieure est la trémie dans laquelle on met le blé, ou dans laquelle il tombe, si la machine est placée sous une machine à battre, en échappant à travers le treillage qui est fixé dessous le râteau circulaire. Le blé avec la balle, s’échappant de la trémie, tombent sur les cribles, qui sont en connexion avec le fond mobile de cette trémie, qui est fixée à un pivot ; ce fond est suspendu sur deux chaînes, dont une est visible dans la figure.

La planche, qui forme le fond de la trémie, est mise en mouvement simultanément avec les cribles. Ce mouvement de secousses fait que le blé s’écoule de la trémie par l’ouverture, et tombe sur ces cribles. Cette ouverture peut être élargie ou rétrécie en faisant monter ou descendre la planche au moyen d’un ais. C’est une baguette qui donne le mouvement latéral au fond de la trémie et aux cribles, au moyen d’un bras par lequel elle tient aux cribles, tandis qu’elle se trouve en communication, par un autre bras, avec l’axe du volant. Le fond de la machine est formé de planches en bois placées dans une direction inclinée, pour que le grain, séparé des balles et autres ordures, s’écoule sur ce plan incliné. Une partie de ce fond est mobile, les planches étant à coulisses.

L’action de cette machine est très-simple. On place le blé dans la trémie, si celle-ci n’est pas alimentée par une machine à battre, et un ouvrier tourne la manivelle, si le mouvement n’est pas communiqué au tarare par une autre machine, au moyen d’une corde ou lanière passant dans une poulie, qui remplace dans ce cas la manivelle, pour mettre le tarare en mouvement. Le blé s’échappe alors par l’ouverture et tombe sur les deux cribles, suspendus parallèlement. Le courant d’air exerce alors son action, la balle est soufflée au dehors de la machine, dans la direction des flèches. Quant aux grains comme des corps plus pesans, ils tombent sur le plan incliné, et s’écoulent par l’ouverture. Ceux qui sont assez légers sont soufflés par le vent au loin, mais ceux qui ne le sont pas assez pour être soufflés avec la balle, descendant et tombent dans l’espace intermédiaire indiqué par les flèches, qui est séparé de l’endroit où s’accumule le blé de bon poids. En rehaussant ou rabaissant la planche, on diminue ou on augmente la quantité du grain léger qui tombe dans cette division.

Cette machine est susceptible de modifications, sans manquer pour cela son but. On peut se passer du second crible ; le blé nettoyé peut sortir de la machine dans d’autres directions. On rend quelquefois tout le fond mobile, en lui donnant un ébranlement continuel, pour mieux séparer le grain du sable et de la poussière. Les figures ci-dessus représentent une machine destinée à être placée dessous une machine écossaise ; les tarares à manivelles doivent être d’une dimension plus limitée, pour être plus facilement transportables.

Biernacki.

  1. Essai sur les constructions rurales économiques, par M. le vicomte de Morel-Vindé. Paris, 1824 ; chap. 5 bis.
  2. Mémoire sur l’art de perfectionner les constructions rurales, couronné en 1805 par la Société d’agriculture du département de la Seine.
  3. Elements of practical agriculture, by David Low, professeur à l’Université d’Edimbourg. 1 vol, in-8o. 1834.
  4. Les 7 étages dont se composent les greniers de Corbeil diminuent, en montant, de plus de 3 mètres à 2 mètres 1/3 (9 à 7 pieds environ).
  5. Mémoires publiés par la Société royale et centrale d’agric., 1827. tome ii.
  6. Les machines à vapeur employées comme force motrice peuvent être du genre des machines à condensateurs, ou sans condensateurs. Les dernières sont beaucoup moins compliquées et leur construction moins dispendieuse ; celles du premier genre sont en revanche beaucoup plus parfaites.
  7. C’est à l’établissement à Varsovie de la fabrique des machines et instrumens d’agriculture sur une très-grande échelle, fondée et dirigée par M. Evans et Ce, et où l’on trouvait une grande quantité de machines à battre écossaises et autres, exécutées d’après les meilleurs modèles et de différentes dimensions, que j’attribue cet heureux résultat. L’entreprise grandiose et bien combinée de M. Evans a rendu un immense service à ce pays, en venant lui donner un actif aiguillon qui n’a pu être égalé nulle part, ni par les sociétés savantes, ni par les exhortations les plus éloquentes des écrivains agronomiques. On se décide facilement à se mettre en possession d’une machine faite et qu’on voit fonctionner ; mais on hésite a commander sa construction, surtout lorsqu’on n’est pas familiarise avec son usage.