Maison rustique du XIXe siècle/éd. 1844/Livre 1/ch. 13

La bibliothèque libre.
Texte établi par Jacques Alexandre BixioLibrairie agricole (Tome premierp. 344-357).

CHAPITRE XIII. — Des voies de communication vicinales et rurales.

On appelle généralement chemins vicinaux tous les chemins qui ne sont pas compris dans les classemens des routes royales et départementales. L’utilité et l’importance de ces chemins étant très-variables, il convient d’établir des dénominations différentes pour ceux qui ne servent qu’à établir des communications entre de simples communes rurales, que l’on peut nommer chemins communaux, et pour les chemins qui traversent la majeure partie d’un canton, ou qui, étant utiles à la fois à plusieurs communes, conduisent à une ville, à un chef-lieu de canton ou à une route classée, et méritent par là le nom de chemins cantonnaux ; les chemins qui ne servent que pour l’exploitation des champs, se nomment chemins ruraux.

Art. Ier. Des chemins cantonnaux et communaux. 
 ib.
§ Ier. Tracé et règlement des pentes. 
 345
§ 2. Amélioration des chemins réglés. 
 346
§ 3. Entretien des chemins. 
 352
Art. II. Des chemins ruraux. 
 353
Art. III. Obstacles qui arrêtent l’amélioration des chemins vicinaux, et moyens de les vaincre. 
 354
Art. IV. Des inspecteurs-voyers. 
 356


Art. ier. — Des chemins cantonnaux et communaux.

Le premier soin à prendre pour parvenir à remédier au mauvais état de la plupart des chemins vicinaux est d’en rechercher les causes ; il y en a deux principales.

La première consiste dans l’insuffisance et les défauts de la législation actuelle. Les Chambres s’en occupent maintenant ; on doit espérer qu’elle sera améliorée de manière à rendre plus facile l’application des moyens d’exécution, et on se bornera à dire ici que l’équité veut que les charges extraordinaires qui ont pour but les travaux d’amélioration des chemins vicinaux, et les charges annuelles relatives à leur entretien, portent principalement sur les personnes auxquelles ils servent le plus, et dans la proportion de l’usage qu’elles en font, soit pour des services habituels, soit pour des transports extraordinaires et temporaires de bois, de matériaux de constructions, de minerais, ou de produits de fabriques, d’usines, etc.

La seconde cause est l’absence presque générale, dans les campagnes, des connaissances spéciales et de l’expérience pratique, qui sont nécessaires pour faire de bonnes réparations, avec toute l’économie qu’exigent les chemins vicinaux, à raison de la modicité des ressources que les communes rurales peuvent y appliquer. D’où il suit que les travaux étant souvent mal faits et ne durant pas, les intéressés, persuadés que pour faire mieux il faut des moyens pécuniaires bien supérieurs à ceux dont ils peuvent disposer, se découragent et renoncent à toute amélioration.

Si cette opinion était fondée, ce serait en vain qu’on s’occuperait de lois et de réglemens ; car, quelle que soit leur perfection, ils seraient impuissans pour l’amélioration des chemins vicinaux, s’il était véritablement impossible de l’obtenir avec les ressources existantes. La condition essentielle pour atteindre ce but est donc de prouver que cette amélioration n’est ni aussi difficile ni aussi dispendieuse qu’on le croit généralement ; et qu’en suivant de bons procédés, en les appliquant avec intelligence et persévérance, on peut, avec les moyens dont disposent la plupart des communes, parvenir en peu d’années à assurer une bonne viabilité sur tous les chemins vicinaux.

Le défaut de succès de la plupart des tentatives faites jusqu’à ce jour est dû, surtout, à ce que très-peu de personnes se sont occupées sérieusement de cet objet, et à ce qu’il n’existe aucun traité ni ouvrage dans lesquels on trouve de bonnes instructions pratiques, faciles à comprendre et à appliquer par des personnes étrangères à l’art de l’ingénieur.

Les méthodes d’exécution et d’entretien des routes royales et départementales ne sont point applicables aux chemins vicinaux. Il faut pour ces chemins des procédés simples et économiques, qui permettent d’améliorer peu-à-peu et progressivement, suivant les moyens disponibles, sans cependant interrompre jamais la viabilité. Il serait fort difficile, et peut-être impossible, de satisfaire à ces conditions, en suivant le système ordinaire des travaux de routes ; mais, heureusement, l’art de les exécuter et de les entretenir a fait des progrès, et plusieurs des nouvelles méthodes peuvent être appliquées avec beaucoup d’avantage aux chemins vicinaux. Nous allons les faire connaître, et donner les instructions nécessaires pour faciliter leur application.

[13:1:1:1]
§ ier. — Tracé et règlement des pentes.

Avant de s’occuper de l’amélioration du service d’un chemin vicinal, il faut régler son tracé et ses pentes, sans quoi les travaux d’amélioration seraient à recommencer sur les parties qui éprouveraient des changemens par la suite, quand on voudrait faire disparaître des vices de tracé ou des pentes trop fortes. On ne peut donner ici des règles pour ces sortes de rectifications, parce qu’elles nécessiteraient des explications très-étendues et une sorte de cours. D’ailleurs, ces opérations exigent, pour être bien faites, l’intervention d’un homme de l’art, qui doit avoir l’instruction et l’expérience nécessaires pour les bien exécuter ; nous nous bornerons, en conséquence, à indiquer les principes généraux.

Le premier doit être d’arrêter les directions et le tracé des chemins, en adoucissant les angles et les courbes trop brusques, en utilisant le plus possible les largeurs existantes, mais sans jamais admettre une largeur moindre de six mètres, qui est le minimum fixé par la loi du 9 ventôse an 13[1].

Le tracé étant arrêté, on doit le fixer par des fossés ou rigoles, et, quand on ne peut en établir, par des bornes. On inviterait ensuite les propriétaires à border ces chemins par des plantations ; on ne peut les y obliger, mais seulement les y engager.

Pour prévenir les erreurs et les anticipations, les propriétaires riverains doivent prévenir le maire de leur commune de l’intention où ils sont de planter, pour qu’il leur fasse connaître la limite du chemin, et les alignemens à suivre.

Après la fixation du tracé, l’objet le plus important est le règlement des pentes : on doit s’occuper de les adoucir, et surtout de faire disparaître les contre-pentes, c’est-à-dire les montées suivies immédiatement d’une descente, parce qu’il y a double inconvénient, et que ces contre-pentes se trouvant ordinairement dans des terrains un peu montueux, il arrive presque toujours qu’elles sont suivies de bas-fonds, et qu’il est alors facile et doublement avantageux de couper, ou au moins d’abaisser leur sommet, en faisant servir les déblais qu’ils donnent, à remplir ces bas-fonds ; alors on améliore la route pour toujours, à peu de frais.

Pour faire les terrassemens qu’exigent les redressemens de tracé, ou les rectifications de pente, le meilleur moyen, quand il n’y a pas d’empierrement, est de soulever et de diviser les terres à déblayer avec des charrues, en employant les plus fortes du pays ; puis on fait enlever les terres ainsi mobilisées avec des tombereaux ou des brouettes, suivant les distances des transports. Quand il y a d’anciens empierremens, il faut commencer par arracher les pierres à la pioche, et les mettre en réserve pour servir plus tard à la formation de la chaussée.

Quand des déblais sont considérables, il y a un grand avantage à employer pour leur transport le tombereau mécanique, inventé récemment par M. Palissard (fig. 485). Ce tombereau, formé d’une caisse mobile à bord tranchant, montée sur deux roues, est disposé de manière que la caisse se charge d’un tiers de mètre cube, par l’action du tirage des chevaux ; cette caisse, suspendue à l’essieu, étant relevée par l’action d’un levier que fait mouvoir le conducteur, est transportée immédiatement par les mêmes chevaux, et se décharge au remblai sans aucun arrêt, par l’échappement du fond qui s’ouvre et s’abat lorsque le conducteur tourne le crochet qui le relient. Il résulte de plusieurs expériences comparatives faites à Paris et dans plusieurs départemens, que, pour des distances de 50 à 100 mètres, les chargemens et transports faits avec le tombereau mécanique, donnent une économie de plus d’un tiers sur le même travail fait avec la brouette, et que pour les transports plus éloignés, le travail du tombereau mécanique présente une économie des deux tiers pour les distances de 100 à 200 mètres, de moitié pour les distances de 200 à 400 mèt., et d’un tiers pour celles de 400 à 600 mèt. Au-delà de cette dernière distance, il n’y a plus d’avantage à employer cet instrument, parce que le bénéfice que procure son moyen spécial et rapide de chargement et de déchargement est plus que compensé par l’infériorité de la charge, qui n’est que d’un tiers de mètre cube, tandis que le tombereau ordinaire à un cheval porte 4 dixièmes de mètre cube[2].

En général, il faut, autant que possible, n’exécuter les terrassemens de chemins qu’au printemps ou dans le cœur de l’été, et jamais en automne, pour leur donner le temps de se tasser et de s’affermir avant la mauvaise saison ; autrement on risque de rendre le chemin impraticable pendant l’hiver. Il importe aussi de faire ces terrassemens dans les circonstances les plus favorables aux labours, c’est-à-dire lorsque les terrains, assez profondément trempés par les pluies, commencent à sécher à la surface.

Il est encore un soin important à prendre quand on fait des terrassemens de routes, c’est d’employer la terre la plus grasse au fond des remblais, ou sur leurs talus, et de ne mettre au milieu, et surtout en couche supérieure, que les terres sèches, les sables et les graviers.

Pour satisfaire à ces conditions, il faut, avant de faire le déblai, en reconnaître la nature par des fouilles, des tranchées latérales, ou quelques trous de sonde. On commence le déblai par les parties les plus glaiseuses, ou les plus grasses, pour les porter en première couche au fond des remblais ; ensuite, on met en seconde couche les terres mélangées, de qualité médiocre, puis par-dessus, en dernier lieu, les terres sableuses ou graveleuses, les graviers et les pierrailles. Si on trouve des marnes dans les déblais, il faut examiner si elles sont grasses ou sèches ; les marnes grasses seront mises au fond, les marnes sèches et la craie devront, au contraire, être conservées en dernière couche, parce qu’elles forment le meilleur fond pour l’établissement d’une chaussée d’empierrement ou en cailloutis : les terres végétales doivent être réservées pour le recouvrement des talus des remblais, afin de favoriser la végétation qui les consolide.

Il faut avoir soin de tasser les remblais ; pour cela il faut les étendre toujours par couches horizontales de 2 pieds au plus de hauteur, et faire passer les voitures également partout. Quand ils sont faits, on doit les laisser tasser avant d’y commencer les chaussées : pour que le tassement soit complet, il faut attendre au moins trois mois, et surtout qu’ils aient éprouvé une saison de pluie ; si on était obligé de livrer passage sur des remblais avant d’y faire une chaussée, et à plus forte raison si on ne devait pas en exécuter, il faudrait leur donner un bombement assez prononcé, et l’entretenir avec soin.

§ II. — Travaux d’amélioration sur les chemins convenablement réglés.

I. Du bombement. — Pour se former une juste idée des conditions à remplir pour obtenir de bons chemins, il suffit de remarquer qu’un terrain suffisamment tassé et bien sec, supporte sans enfoncement les plus lourdes voitures, et qu’elles y roulent facilement tant que la surface conserve sa fermeté ; mais que, dès qu’elle la perd, soit par la trituration qui la réduit en poussière, dans les temps secs, soit par la pénétration des pluies qui l’amollit, elle se rouage et devient incommode pour les voitures ; d’où il suit que pour avoir des chemins d’une résistance durable et d’un roulage facile, il importe surtout de les préserver de ces deux causes de destruction. Pour y parvenir, il faut empêcher les eaux de les pénétrer, et couvrir le terrain de substances capables de résister à l’action des roues.

Les eaux ne pénétrant la terre que quand elles peuvent y séjourner quelque temps, le premier soin à prendre pour éviter cette pénétration si nuisible, est de faire en sorte que jamais l’eau ne reste sur le chemin. Pour cela il faut lui donner un bombement qui peut varier du vingtième au cinquantième de la largeur, selon la nature du sol et sa pente. Mais, comme il est toujours un peu incommode, il ne faut lui donner que l’élévation indispensable pour l’écoulement des eaux ; ainsi, quand le terrain est ferme et difficilement perméable, on peut se borner au minimum du cinquantième. De même, quand la pente longitudinale du chemin est un peu forte, c’est-à-dire quand elle excède 4 centim. par mètre (ou un pouce et demi par toise), on peut aussi se borner à ce minimum, parce qu’alors la pente en long concourt en même temps que la pente en travers, à empêcher la stagnation des eaux. Mais, quelle que soit la pente, il faut toujours du bombement, sans quoi les eaux, en suivant la route sur une grande longueur, la ravineraient bientôt, tandis que par l’effet du bombement elles se déjettent obliquement, de chaque côté, dans les fossés ou les rigoles qui bordent le chemin, ou sur les terrains voisins lorsqu’il est en remblai.

II. Du tassement. — Le bombement étant formé, soit qu’on veuille ou non le recouvrir d’une chaussée, il faut le bien tasser, pour lui donner la force de résister à l’action des roues, et pour le rendre plus difficile à pénétrer par les eaux. Le moyen le meilleur et le plus économique d’opérer ce tassement est de faire rouler le chemin avec des cylindres de grande dimension et d’un grand poids. La grandeur du diamètre rend le tirage plus facile, et, pour que le tassement soit suffisant pour résister au roulage, il faut que le poids du cylindre soit plus considérable que la charge d’une voiture, parce qu’il porte sur une plus grande surface à la fois.

On fait ces cylindres facilement et à peu de frais en fixant, au moyen de fortes chevilles et de deux cercles en fer, de forts madriers sur les jantes d’une vieille paire de roues montées sur un long essieu (fig. 486). On remplit la cavité de ce cylindre entièrement avec de la terre bien tassée, et, quand on veut le rendre très-lourd, avec des pierres qu’il faut garnir de terre mouillée, en guise de mortier, pour les empêcher de se mouvoir. Les brancards se placent en dehors du cylindre et sont attachés à l’essieu par des colliers en fer fixés solidement sur les faces de ces brancards ; une forte traverse les réunit en avant du cylindre. On prolonge ces brancards en arrière de l’essieu pour leur faire porter des contrepoids, mais on ne leur fait pas dépasser le cylindre, et on ne met pas de traverse par-derrière, afin de pouvoir faire tourner le brancard à volonté sur l’essieu, de l’avant à l’arrière.

Fig. 486.

Cette manœuvre est nécessaire pour les retours, parce que pour bien tasser, il faut répéter les roulemens plusieurs fois de suite ; et, comme le frottement du cylindre sur le sol est considérable, il est difficile de le faire tourner sur place ; il vaut mieux, au bout de chaque course, dételer les chevaux et faire tourner le brancard sur l’essieu pour atteler de nouveau du côté opposé. Si, cependant, on aime mieux faire tourner le cylindre, on le peut facilement ; mais, pour éviter de gâter le chemin par le frottement, de forcer les brancards et de fatiguer les chevaux, il faut se servir d’un petit madrier de deux pieds de long sur un de largeur, un peu bombé dans son milieu. On le place en avant du cylindre que l’on fait monter dessus, et alors on le fait tourner facilement comme sur un pivot[3].

Pour que le cylindre de compression produise tout son effet, il faut l’employer lorsque le terrain est pénétré d’humidité et que sa surface commence à sécher, c’est-à-dire qu’il faut rouler quelques jours après la cessation d’une pluie de quelque durée. Alors on obtient, en roulant cinq à six fois chaque portion de route, un terrain très-uni et très-résistant, sur lequel l’eau glisse, et qu’elle ne peut pénétrer que difficilement et après de longues pluies.

Quand on ne peut pas établir immédiatement une chaussée, il faut, avant de rouler, couvrir le sol d’une couche d’un pouce environ de sable, de gravier ou autres substances analogues ; la pression du cylindre faisant pénétrer ces matières dans un sol humide, augmente beaucoup sa fermeté et son imperméabilité.

Quand on n’a pas de sable ni de gravier, on peut encore employer utilement en recouvrement une espèce de terre que l’on peut désigner sous le nom de terre dure. C’est celle qui est composée de sable ou de gravier, mêlé naturellement et intimement avec une petite quantité d’argile ; cette espèce de terre compacte acquiert, surtout quand elle est tassée, une grande dureté, et forme des chemins qui, sauf pendant les temps de longues pluies et de dégels, sont presque aussi résistans que ceux qui ont des chaussées, et sont bien plus économiques. En effet, les terres dures coûtent bien moins que la pierre ; elles ne s’usent presque pas, et il suffit, pour les raffermir, de les régaler et de les rouler après les pluies. Les terres propres à cet usage se reconnaissent ordinairement par leur résistance à l’action de la pioche quand elles sont sèches, et par la facilité avec laquelle elles se maintiennent verticalement sans talus et sans éboulemens.

Un chemin vicinal exécuté simplement en terre, avec les soins et les précautions qu’on vient d’indiquer, c’est-à-dire recouvert, lorsqu’il est humide, d’une couche de sable, de gravier ou de terre dure, et fortement comprimé, est bien résistant et presque aussi bon qu’une chaussée en cailloutis, tant qu’on ne le laisse pas pénétrer par les eaux, et qu’on n’y laisse pas former d’ornières profondes, ce qui est facile. Pour l’entretenir et le réparer, il faut éviter d’entamer sa surface à la pioche, car alors on l’ameublit et on la rend plus perméable ; il vaut beaucoup mieux employer, pour réparer et pour entretenir ces chemins, le même moyen que l’on a employé pour l’établir, c’est-à-dire le cylindre de compression.

Lorsque les ornières ne font que commencer à se former, en roulant quatre ou cinq fois le chemin après des pluies, on efface ces traces et on raffermit complètement le sol. Cette opération étant facile et très-peu dispendieuse, on peut la répéter assez fréquemment, et par là maintenir un chemin en terre constamment en bon état.

III. De l’écoulement des eaux. — En donnant un léger bombement aux chemins, on empêche les eaux d’y séjourner, et on les rejette à droite et à gauche ; mais cela ne suffit pas, car si elles s’arrêtaient sur les côtés, elles pénétreraient latéralement et amolliraient bientôt le sol ; il importe donc de s’en débarrasser complètement. Telle est la destination ordinaire des fossés, qui servent à assainir les routes et à recueillir ou à écouler les eaux pluviales. Mais les fossés, tels que ceux qui bordent ordinairement les grandes routes, conviennent peu aux chemins vicinaux ; ceux qui forment réservoir pour les eaux ne valent rien, surtout pour les chemins étroits ; car, comme nous venons de le dire, les eaux qui séjournent sur les côtes des chemins pénètrent bientôt le sol et l’amollissent. D’ailleurs, l'emplacement de ces fossés, qu’il faut faire larges pour les rendre propres à cet usage, est un terrain perdu, et ils sont en outre un obstacle pour les communications avec les terres riveraines ; il vaut donc mieux écouler les eaux que de les arrêter dans des fossés formant réservoirs. On ne doit faire des fossés proprement dits, le long des chemins vicinaux, que comme moyen d’assainissement, dans les terrains bas et pénétrés d’eau ou marécageux. Dans toutes les autres parties, quand le chemin est au niveau des terrains voisins ou plus bas qu’eux, il suffit d’établir de petites rigoles évasées et peu profondes, dirigées suivant les pentes du chemin. Quand cette pente est modérée, il n’y a pas de difficulté ; mais il peut y en avoir quand le terrain sur lequel est assis le chemin a trop ou trop peu de pente ; s’il en a trop, les eaux ravinent ; s’il en a trop peu, les eaux séjournent. Nous allons indiquer les mesures à prendre dans ces deux cas.

Lorsqu’un chemin est situé dans une plaine ou sur un plateau, on ne peut le dégager des eaux qu’en donnant aux rigoles une pente artificielle. Pour cela on partage la partie de niveau en deux ; on établit l’origine des rigoles au point de partage, en ne creusant que très-peu au-dessous du bord du chemin : on augmente successivement la profondeur de ces rigoles, à mesure qu’elles s’éloignent du milieu, jusqu’au point où on peut les déverser sur les terrains voisins. Comme on peut donner jusqu’à 3 pieds de profondeur à leurs extrémités, on parvient aisément, par ce moyen, à assainir des parties horizontales de 5 à 600 mètres de longueur (fig. 487 ).

Fig. 487.

Quand l’étendue des parties de niveau est plus considérable, il faut recourir à un autre moyen. Alors on établit, de 500 mètres en 500 mètres, de chaque côté du chemin, des puisards qu’on doit creuser jusqu’à ce qu’on rencontre un sol perméable. Ces puisards deviennent des points de dégorgement. On y dirige des rigoles à profondeur croissante, comme celles dont nous venons de parler, dont les origines sont toujours placées au milieu des intervalles de deux puisards consécutifs ; de sorte que de chaque point milieu de ces intervalles partent deux rigoles qui conduisent les eaux, l’une au puisard de droite, l’autre au puisard de gauche, et on évite ainsi entièrement les eaux stagnantes, qui sont les plus nuisibles.

On doit avoir soin d’entretenir et de curer de temps en temps les puisards, parce que le limon des routes, qu’entraînent les eaux pluviales, bouche bientôt les cavités du terrain perméable de leur fond. Pour diminuer le plus possible cet effet, et éviter des curages trop fréquens, on peut employer deux moyens ; le premier est de former, à proximité des puisards, des bassins de dépôt de 2 ou 3 pieds de profondeur ; on fait communiquer les rigoles avec ces réservoirs ; les eaux perdant leur vitesse, y déposent la plus grande partie de leur limon, et sortent beaucoup moins chargées, par une ouverture peu profonde, qui forme déversoir de superficie, et qui communique avec le puisard. Le second moyen d’éviter les curages fréquens et surtout l’engorgement des puisards, est de garnir leurs fonds de pierres. On met les plus grosses au fond, on les couvre de pierres moyennes, puis de petites, et enfin d’un lit de gravier ou de sable. De cette manière, les eaux n’arrivent au fond que filtrées, et ne peuvent jamais engorger. Il suffit alors d’enlever de temps en temps le limon, et de renouveler deux ou trois fois par an le lit de sable ou de gravier. Le mieux est de réunir les deux moyens, c’est-à-dire d’établir les bassins de dépôt et les filtres en pierres graduées dans les puisards.

Les frais de curage des bassins et puisards ne doivent rien coûter, car les limons qu’on en retire sont ordinairement de bons engrais que les propriétaires riverains doivent recueillir volontiers pour les utiliser.

Quand la pente des rigoles est assez forte pour que les eaux creusent et ravinent, il faut les paver en forme de ruisseaux, avec les pierres du pays (fig. 488) ; ou bien, quand la rapidité est très-grande, former de distance en distance de petits barrages en grosses pierres, ou avec des pièces de bois, en ayant soin de mettre un petit massif de fortes pierres au-dessous de chaque barrage, pour résister à la chute des eaux et les empêcher de fouiller (fig. 489).

Un chemin vicinal exécuté suivant les procédés et avec les précautions nécessaires pour le préserver entièrement de la stagnation des eaux, peut, même sans chaussée, être d’un bon usage pour les voitures, pourvu qu’on l’entretienne convenablement. Cet entretien est facile et peu dispendieux, car il suffit : 1° de tenir en bon état les rigoles, fossés et puisards ; 2° de maintenir la régularité du bombement, en rechargeant avec du gravier ou de la terre dure les endroits qui s’affaisseraient ; et 3° de rouler de temps en temps pour raffermir le sol après les pluies et pour effacer les ornières à mesure qu’elles commencent à se former.

Assurément il n’est pas, en France, de commune qui ne puisse, par ces moyens économiques, améliorer en peu de temps ses chemins, et les maintenir en assez bon état de viabilité, en attendant qu’on puisse y faire des chaussées. Mais il faut remarquer que, quand bien même on serait dans l’intention d’établir les chaussées immédiatement, il faudrait toujours commencer par faire les travaux de terrassement, comme nous venons de les indiquer, et que, par conséquent, ces travaux doivent être faits de préférence à tous autres, puisque, toujours indispensables, ils assurent déjà un bon service, en attendant la possibilité de compléter les perfectionnemens. Il suit de là qu’au lieu d’appliquer, comme on le fait souvent, les moyens d’amélioration dont on peut disposer, à faire seulement une partie de chemin avec chaussée, en laissant le reste en mauvais état, il vaut bien mieux employer toutes les ressources disponibles à assurer l’écoulement complet des eaux pluviales, sur toute la longueur du chemin, à régler les pentes et le bombement, et à comprimer et à affermir le sol en roulant fortement, et qu’on ne doit s’occuper de l’exécution des chaussées qu’après que le chemin en terre est rendu bon et viable sur toute son étendue.

IV. Des chaussées. — Lorsqu’on exécute des chaussées sur les grandes routes, on creuse au milieu, sur 4 ou 5 mètres de largeur, un encaissement que l’on remplit ensuite, soit avec un lit de sable couvert de pavés jointifs, soit d’un massif composé de deux ou trois couches de pierres cassées et arrangées avec soin, que l’on nomme cailloutis. Dans l’un comme dans l’autre cas, l’encaissement occupant le milieu de la route, et les approvisionnemens des matériaux l’un des côtés, les voitures passent pendant le travail sur l’autre accottement.

Ce mode d’exécution, convenable pour les routes de grande dimension, ne convient pas pour les chemins vicinaux, parce que leur peu de largeur, ne permettant pas de réserver un passage séparé aux voitures, elles sont obligées de passer au milieu des travaux, ce qui est très-incommode et même dangereux pour les chevaux et les voitures, aussi bien que pour les ouvriers, et nuit beaucoup à la bonté de l’ouvrage qui est sans cesse dérangé et bouleversé à mesure qu’il s’exécute. Ces inconvéniens s’aggravent encore bien davantage en cas de pluie, car alors le chemin peut devenir tout-à-fait impraticable. Il convient donc de suivre une autre méthode. Avant de l’indiquer nous ferons remarquer encore une différence essentielle dans l’exécution des chaussées des grandes routes, et celles des chemins vicinaux ; c’est que, sur les premières, on a ordinairement des moyens suffisans pour entreprendre et exécuter rapidement une grande étendue de chaussée, tandis que sur les chemins vicinaux, en général, et surtout sur les chemins communaux, ou simplement ruraux, on ne peut ordinairement exécuter que de petites parties, successivement, en sorte que l’on aurait, pendant un très-long temps, des embarras nuisibles à la circulation, qui ne feraient que changer de place, et qui pourraient, en cas de mauvais temps, obstruer entièrement le passage.

Il résulte de ces conditions que, pour les chaussées des chemins vicinaux, il faut employer des moyens différens de ceux qu’on emploie sur les grandes routes, et qui permettent l’exécution progressive des chaussées sans entraver le passage habituel, et sans compromettre la viabilité.

Il est rare que l’on puisse faire, sur les chemins vicinaux, des chaussées régulières en pavés de grès, qui sont fort chers, si ce n’est a proximité des carrières. On y fait quelquefois des chaussées en pavés de pierres dures, irrégulières, que l’on nomme blocages. Elles ont l’avantage d’être résistantes et de s’user peu, mais ce sont les plus mauvaises de toutes pour les voitures et pour les chevaux. Pour les unes comme pour les autres, il faut nécessairement des ouvriers paveurs, et ces travaux ne peuvent se faire que par entreprise sur des devis dressés par des hommes de l’art. Il serait donc superflu d’entrer ici dans des explications détaillées sur l’exécution de ce genre de chaussées.

Celles qui conviennent le mieux aux chemins vicinaux sont les chaussées en cailloutis, parce qu’elles sont plus économiques et d’une exécution plus facile ; qu’elles se prêtent mieux aux prestations en nature ; qu’elles fournissent l’emploi utile des pierrailles dont on débarrasse les champs riverains ; que leurs travaux permettent d’occuper des femmes, des vieillards et des enfans ; surtout, enfin, parce qu’elles peuvent s’exécuter avec tous les degrés possibles de progression, sans jamais entraver la viabilité, et que leur entretien est facile et peut se faire par toute espèce d’ouvriers, et même par de simples manœuvres bien dirigés.

Pour qu’une chaussée en cailloutis puisse se faire progressivement, sans jamais gêner la circulation, il faut éviter de faire des encaissemens. Il ne faut pas croire qu’il y ait désavantage pour le chemin, au contraire, les encaissemens creusés dans le sol d’un chemin, pour y loger les matériaux, sont plus nuisibles qu’utiles, parce que ce sont comme des fossés dans lesquels se réunissent les eaux pluviales qui pénètrent à travers les pierres de la chaussée, principalement quand elle est nouvelle, et qui détrempent le fond, en sorte que la pression des voitures y fait facilement enfoncer les pierres inférieures, qui se perdent et causent des affaissemens, origine et cause première des ornières et de la dégradation de la chaussée.

Pour les chemins vicinaux, il vaut beaucoup mieux se borner à étendre des pierres cassées, ou des matériaux analogues, sur le sol du chemin, réglé et tassé comme nous l’avons indiqué précédemment. Seulement, il faut pour cela que le bombement soit très-faible. Ainsi, lorsqu’on veut commencer à étendre les couches de pierre sur un chemin, aussitôt après l’achèvement des terrassemens, on ne doit donner qu’un très-léger bombement ; si, au contraire, le chemin sur lequel on veut faire une chaussée a un bombement prononcé (qui lui aura été donné pour mieux empêcher la pénétration des eaux pendant qu’il était simplement en terre), il faut abaisser ce bombement à la pelle, puis rouler ensuite le sol pour le bien tasser, avant de commencer à le couvrir de pierres.

La condition la plus importante pour avoir de bonnes chaussées en cailloutis, est d’exclure entièrement toutes les grosses pierres. Il n’en faut, ni pour les bordures, que l’on croyait jadis indispensables, ni pour les premiers lits de la chaussée, que l’on nommait empierrement et hérisson. L’expérience a triomphé des préjugés qui, récemment encore, défendaient cet ancien système, et on reconnaît généralement que les chaussées composées entièrement de petites pierres anguleuses, sans bordures ni empierremens, sont les meilleures et les plus résistantes. Pendant longtemps, les défenseurs des anciens procédés ont repoussé l’emploi des petites pierres, en disant qu’on ne devait pas espérer que des pierres cassées menu résistassent mieux que les pierres plus grosses et plus fortes qu’ils employaient, et qui étaient détruites en peu de temps. Il suffira de dire ici, pour réfuter cette objection banale, plus spécieuse que fondée, que les grosses pierres, ne pouvant pas se réunir et se lier ensemble comme les petites pierres, laissent pénétrer facilement les eaux jusqu’au sol, et que ces eaux, en le détrempant, détruisent sa résistance, qui est la base de celle de la chaussée ; en outre, les pierres volumineuses causent des chocs plus nuisibles que la simple pression, et laissent toujours entre elles beaucoup de vides, qui, formant partout des porte-à-faux, sont cause qu’elles se rompent et s’écrasent aisément sous la charge des voitures. Les petites pierres anguleuses, au contraire, s’enchevêtrent et se serrent les unes contre les autres, au moyen de l’action de coins de leurs angles, que la pression force d’entrer dans les interstices ; elles se lient promptement à l’aide des premiers débris qui remplissent les petits vides restans, et forment des chaussées compactes et résistantes comme une seule masse, que l’eau ne pénètre plus que très-difficilement ; il n’y a plus alors d’écrasemens, parce qu’il n’y a plus de vides, et, par conséquent, moins de consommation de matériaux et plus de durée que dans les chaussées qui sont composées de pierres plus grosses, ou de pierres arrondies.

Pour accélérer et pour mieux assurer la liaison des chaussées, surtout pour parvenir à les rendre plus compactes et plus imperméables, il convient d’employer, pour garnir les interstices des pierres dures, de la pierre tendre, ou, à défaut de ce genre de pierre, des matières de dureté moyenne, telles que les débris ou le bouzin des carrières de pierre à bâtir, de la craie, des graviers, du sable liant, des schistes, des tufs, des marnes sèches, des plâtres, etc., selon les localités. On obtient, par ce procédé, des chaussées bien meilleures et une véritable économie, parce que les matières tendres coulent toujours moins d’acquisition et de cassage que les pierres dures.

On emploie les matières tendres que l’on vient d’indiquer, en première couche, de 5 à 10 cent. (2 à 4 pouces) d’épaisseur, sur le sol du chemin ; on roule ensuite cette couche avec le cylindre de compression, pour la lier et la bien tasser ; et alors, elle fait une espèce de plate-forme que les eaux pénètrent difficilement ; elle empêche que les pierres dures qu’on place ensuite par-dessus ne s’enfoncent dans la terre, et elle sert à lier les pierres qui, pénétrant facilement par leurs angles dans cette couche, font remonter et serrer dans leurs joints les matériaux dont elle se compose.

Quand on n’a pas de cylindre de compression, il faut laisser passer les voitures quelque temps sur la première couche de matières tendres, pour la tasser et la lier ; mais ce moyen de compression est bien inférieur à celui du cylindre, parce que les roues, portant sur de petites largeurs, enfoncent et écrasent les matériaux plus qu’elles ne les compriment.

Cette première couche améliore déjà beaucoup les chemins, et on peut la laisser subsister longtemps sans addition d’autres matériaux, pourvu qu’on l’entretienne convenablement, en la roulant de temps en temps pour lui rendre la fermeté que lui ôte la pénétration des eaux ; mais il vaut mieux, dès qu’on le peut, la couvrir de pierres dures avant qu’elle soit trop broyée.

Les pierres dures destinées à couvrir ces chaussées doivent varier de volume, depuis la grosseur d’un œuf de poule jusqu’à celle d’une noix. Les pierres arrondies ne sont pas bonnes, parce qu’elles se lient difficilement, et laissent toujours entre elles beaucoup de vides ; on peut cependant en employer une partie, que l’on doit alors placer de préférence en première couche sur le lit de matières tendres, parce qu’en y pénétrant elles perdent leur mobilité, qui est leur plus grand inconvénient. Quand on n’a que du caillou arrondi de gravelière ou de ramassage, il faut faire casser avec soin tous ceux dont la grosseur dépasse celle d’un œuf de pigeon. En général, les cailloux roulés, dont les éclats ressemblent à la pierre à fusil, et qu’on nomme silex, sont le moins favorables pour les chemins, parce qu’ils éclatent et se broient facilement sous une pression modérée, et que, leurs éclats étant très-vifs et très-secs, ils ne peuvent se lier que par le mélange de matières plus tendres. Quand on n’a que du silex et aucune des matières liantes désignées ci-dessus, pour servir de ciment, on peut employer utilement dans ce but la terre dure dont nous avons parlé plus haut ; mais on ne l’emploie que dans la couche inférieure, et seulement en quantité suffisante pour remplir les vides.

La meilleure pierre pour les chaussées est la pierre meulière compacte, mélangée avec un tiers de pierre meulière poreuse. Dans les pays granitiques, les fragmens de granit se liant mal entre eux et s’égrenant souvent, il convient de les mélanger avec des fragmens de schiste, que l’on trouve ordinairement près des granits.

On doit faire approvisionner et faire casser les pierres hors du chemin, pour ne pas gêner la circulation ; à mesure qu’on casse ces pierres, il faut employer, pour les mettre en tas, des râteaux de fer à larges dents, pour séparer les débris de cassage, qu’il faut réserver avec un grand soin.

L’emploi des pierres dures doit se faire, autant que possible, par un temps humide, c’est-à-dire après des pluies, parce que les matériaux se lient mieux. On étend la couche de pierre dure sur le premier lit de pierres de matière tendre, avec plus ou moins de largeur et d’épaisseur, selon la quantité que l’on a, parce qu’on peut à volonté ajouter à la largeur ou à l’épaisseur, sans aucun inconvénient, attendu que les nouvelles couches se rattachent et se lient toujours très-facilement avec les anciennes ; ainsi, on peut d’abord n’étendre les pierres dures que sur la largeur d’une voie ou de 2 mètres (6 pi.), et sur une simple épaisseur de 6 à 8 centim. (environs 3 pouces) ; ou bien, quand on a beaucoup de pierres, garnir toute la largeur de la chaussée sur une hauteur de 10 à 12 centim. (4 pouces environ) ; mais on ne doit jamais employer à la fois une plus grande épaisseur, parce qu’elle serait alors trop difficile à tasser, qu’on aurait pendant longtemps une mobilité très-incommode pour les chevaux et les voitures, et qu’elle ne commencerait à se lier que quand il y en aurait la moitié d’écrasée.

La couche de pierres dures de 12 centim. étant étendue sur le premier lit en pierres tendres, on le couvre d’une couche légère de 2 à 3 centimètres (8 à 10 lignes) de petites pierres tendres ou de quelqu’une des matières que nous avons désignées pour le premier lit, afin de garnir et former liaison ; puis, on étend par-dessus les débris de cassage que nous avons recommandé de réserver, et, à défaut de ces débris, ou lorsqu’ils sont insuffisans, du gravier ou du sable un peu liant.

Cette seconde couche ainsi disposée, on la roule bien avec le cylindre, et on a immédiatement une bonne chaussée unie, ferme et bien roulante, sur laquelle les eaux glissent, et qu’elle ne peuvent pénétrer que difficilement. Les pierres qui la composent, n’étant ni pénétrées par les eaux, ni mobiles, ni en porte-à-faux, résistent bien au roulage.

Les chaussées construites de cette manière, n’éprouvant plus, par l’action des roues, que l’usé progressif et inévitable de leur surface, durent plus longtemps et exigent moins d’entretien que les autres.

Nous avons supposé qu’on ne mettait qu’une couche de 8 à 12 centimètres (3 à 4 pouces) de pierre dure ; et en effet, cette épaisseur, bien entretenue, est suffisante pour les chemins qui sont peu fréquentés ; cependant, si l’on a la faculté d’augmenter cette épaisseur, il y a un avantage, mais ce ne doit toujours être que par une seconde couche, qui ne doit être placée qu’après que la première est bien tassée et bien liée par le roulage du cylindre ou des voitures, et on l’exécute de même. Si on met cette seconde couche sur la première aussitôt après son achèvement, il n’y a aucune précaution à prendre ; si au contraire on ajoute la seconde couche après que la première a servi quelque temps, et lorsque sa surface est aplanie et durcie, il faut, pour faciliter sa liaison avec la seconde, la piquer à la pioche ou plutôt l’écorcher avec une griffe. Cet instrument est composé de 4 ou 5 dents en fer, courtes et très-solides, plates par-devant et fortifiées par une arête en arrière, en sorte que leur section est triangulaire ; il opère beaucoup plus vite que la pioche, et suffit pour ce travail, quand la chaussée est un peu humide. On met à part le détritus que l’on extrait par le piquage à la pioche, ou le grattage à la griffe, et on l’étend par-dessus la dernière couche, pour faciliter sa liaison ; on roule ensuite cette seconde couche au cylindre, comme la première.

On voit, par ce qui précède, qu’on peut amener progressivement un chemin vicinal de l’état de simple chemin en terre à l’état d’une route parfaite, sans gêner la viabilité ; que les améliorations peuvent se faire par partie, et s’étendre à volonté, en augmentant successivement les longueurs, les largeurs et les épaisseurs des chaussées, et qu’il est toujours facile d’employer utilement les pierres à mesure qu’on peut les obtenir.

Pour faciliter les approvisionnemens de matériaux nécessaires pour l’exécution ou pour l’entretien des chaussées, il convient d’assigner, soit sur le chemin lui-même, aux endroits où son excès de largeur le permet, soit à proximité des places publiques, ou sur des terrains vagues ou incultes, soit enfin sur le bord des champs, au moyen du consentement des propriétaires, des emplacemens de dépôts, pour que ceux qui doivent des prestations en nature, ou des fournitures de pierres, par suite de marchés passés par les communes, ainsi que les propriétaires qui veulent contribuer volontairement aux approvisionnemens, et ceux qui sont embarrassés de décombres de carrières, de pierres de ramassage sur les champs, ou encore de débris de démolitions, puissent y déposer en tout temps et quand il leur convient, les matériaux utiles pour les chaussées, sans embarrasser la voie publique. On fait trier et casser convenablement ces matériaux, surtout dans la mauvaise saison, par des indigens, des vieillards et des enfans ; puis, quand le temps est favorable pour l’emploi, et qu’on a des voitures, on fait transporter ces matériaux préparés aux endroits désignés, et on les fait étendre et rouler immédiatement.

V. Direction et surveillance des travaux. Pour assurer la bonne exécution de ces travaux, il faut, comme pour tous ceux qui exigent des soins, une bonne direction et une surveillance constante, c’est-à-dire qu’il faut que, dans chaque commune, une personne ayant les connaissances, le zèle et l’activité nécessaires, et nommée par l’autorité municipale, soit chargée de diriger et de surveiller les terrassemens ainsi que les fournitures, cassages et emplois de matériaux. Cette personne peut être salariée par la commune, à titre de voyer, ou remplir ces fonctions volontairement et gratuitement. On doit espérer que, dans les communes qui ne pourront pas avoir un voyer, on verra les propriétaires aisés et libres de leur temps, en consacrer volontiers une partie à cette branche si importante d’intérêt public et communal.

Ce qui importe le plus, c’est de ne jamais faire de mauvais travail, sous le prétexte d’obtenir des résultats plus prompts ; ainsi, il vaut bien mieux ne faire chaque année qu’un quart de lieue de bon chemin, que de faire des réparations grossières et imparfaites, ou de jeter, comme on le fait la plupart du temps, dans les ornières, de grosses pierres qui s’enfoncent dans la boue et rendent le chemin plus raboteux ; tandis qu’avec ces mêmes pierres cassées et bien employées, on peut faire une bonne route ; il n’y a d’ailleurs jamais urgence à faire la chaussée, puisqu’on peut toujours assurer une bonne viabilité sur un chemin en terre, convenablement réglé et bien entretenu.

Quand on n’a que de faibles moyens, il faut les appliquer d’abord et uniquement à détourner les eaux pluviales, et à empêcher qu’elles suivent le chemin, ou qu’elles y séjournent. Quand on peut faire un peu plus, on remplit les bas-fonds avec la terre la plus sableuse ou la plus graveleuse qu’on pourra trouver à proximité ; autant que possible pour former ces remblais, on prend les terres sur les hauteurs des pentes du chemin qui descendent au bas-fond, pour adoucir ces pentes en même temps ; puis il faut bomber le remblai et le couvrir de sable, de pierrailles ou de toute autre matière analogue que l’on pourra obtenir, le bien tasser et l’entretenir dans cet état jusqu’à ce qu’on puisse le couvrir d’une chaussée.

On ne doit jamais commencer une nouvelle amélioration sans avoir assuré complètement l’entretien de celles qui sont faites ; car on aura toujours une meilleure viabilité sur un chemin simplement en terre, exécuté avec soin, comme on l’a prescrit, et couvert d’une couche légère de sable ou de pierrailles, en l’entretenant avec soin, qu’avec une chaussée épaisse et exécutée à grands frais, qui ne serait pas entretenue.

[13:1:1:3]
§ iii. — De l’entretien des chemins.

L’objet le plus important pour les chemins vicinaux, comme pour toutes les routes, est l’entretien. Ce travail n’est nullement difficile, mais il exige des soins constans, et c’est une des choses qu’on a le plus de peine à obtenir des ouvriers ; on ne peut y parvenir que par la surveillance active et journalière de personnes qui s’en occupent spécialement par devoir ou de bonne volonté ; mais, comme la bonne volonté est de sa nature facultative et temporaire, et attendu qu’il est difficile d’espérer un concours constant des personnes aisées, qui seules peuvent avoir du temps à consacrer à une surveillance gratuite, et qui rarement voudront s’assujettir à ces fonctions autant qu’il est nécessaire pour les bien remplir, il vaut généralement mieux, toutes les fois que les ressources pécuniaires des communes ou des cantons le permettent, en charger des personnes salariées, desquelles on puisse exiger des visites fréquentes et tous les soins que nécessite la direction et la surveillance constante de ce genre de travaux.

Le premier soin pour le bon entretien d’un chemin doit être, comme on l’a déjà dit, mais comme on doit sans cesse le répéter, d’assurer l’écoulement des eaux pluviales, et d’empêcher leur stagnation sur les côtés, en tenant constamment les rigoles bien curées. On peut charger de ce soin le garde champêtre. Il y a des communes où il remplit bien ces fonctions, moyennant un supplément de traitement de 50 francs par année. Ces travaux sont trop faciles à comprendre pour avoir besoin d’explication.

Entretien des chemins en terre. — Les travaux d’entretien des chemins proprement dits diffèrent suivant leur état et leur nature. Quand ils sont simplement en terre réglée et bombée convenablement, il ne s’agit que de faire disparaître les ornières à mesure qu’elles se forment, en rabattant les bourrelets dans les cavités. Quand on a laissé les dégradations s’accroître, il faut faire les premiers terrassemens de grosse réparation à la pioche et à la pelle, ce qui est long et dispendieux, ou mieux avec des instrumens conduits par des chevaux. On peut employer, pour couper et diviser les terres, une charrue légère ou une houe à cheval, ou bien encore un cultivateur. Quand il ne s’agit que de combler les ornières en y rabattant les bourrelets qui les bordent, on peut se servir avec beaucoup d’avantage d’un instrument simple et peu dispendieux, en forme de chevron, dont il convient de lui donner le nom. Il se compose de deux fortes pièces de bois de 3 mètres (9 pieds) de longueur chacune, assemblées, d’un côté, par une traverse d’un mètre, et réunies du côté opposé, par l’assemblage de leurs extrémités, fortifié au moyen d’équerres en fer. On attèle sur la traverse un cheval qui marche dans l’ornière à combler (fig. 490). L’ouverture de l’angle que forment les deux pièces marche en avant et embrasse l’ornière et ses bourrelets, et son sommet marche en arrière directement au-dessus de l’ornière. Les faces qui frottent sur le sol sont garnies intérieurement de deux lames de fer saillantes pour couper les bourrelets ; les faces verticales intérieures poussent, au moyen de leur inclinaison, ces terres divisées dans l’ornière, et l’angle, en passant par-dessus, les force à y entrer. Une caisse ouverte est fixée sur le milieu des deux pièces du chevron, pour augmenter, au besoin, sa pression sur le sol, au moyen d’une charge de terre ou de pierres qu’on met à volonté dans cette caisse. Il est facile de juger que ce moyen d’exécution est beaucoup plus économique que le rabattage des bourrelets à la main.

Soit que le rabattage se fasse par l’un ou par l’autre procédé, il ne suffit pas, parce que des terres ainsi ameublies et divisées, ayant peu de consistance, sont bientôt creusées de nouveau ou rejetées de côté par les roues, surtout si le temps est humide ou très-sec, Pour leur donner de la consistance et de la fermeté, et les rendre plus difficilement pénétrables à l’eau, il faut les comprimer avec le cylindre, qui a encore l’avantage d’empêcher, en effaçant les traces des ornières, que les chevaux suivent toujours la même voie.

Quand un chemin est bien surveillé et bien entretenu, on ne doit pas attendre, pour le réparer, que les bourrelets soient prononcés, mais s’en occuper dès que les traces des roues, que l’on nomme frayés, commencent à se former. Alors il suffit de faire passer le cylindre seul en temps favorable, c’est-à-dire lorsque, le sol étant encore humide, la surface commence à sécher, parce que, dans ce cas, l’action de ce roulage suffit pour refouler les bourrelets naissans dans les frayés et pour les y bien tasser. Lorsqu’on a quelques ressources et qu’on veut commencer à améliorer un chemin, en attendant qu’on puisse y faire une chaussée, on peut répandre, de temps en temps avant les roulages, du sable ou du gravier, qui, pénétrant dans la terre par l’effet de la pression, augmentera beaucoup sa consistance. Ce répandage se fait avec un tombereau derrière lequel on suspend avec des cordes une large planche inclinée en arrière. Un garçon placé dans le tombereau fait couler le sable sur la planche qui le sème par l’effet de balancement que produit sa suspension.

Il est très-facile, en employant les moyens que l’on vient d’indiquer, d’entretenir un chemin en terre constamment en bon état, à peu de frais ; car on peut, avec le chevron conduit par un homme et un cheval, et coûtant, tout compris, 8 à 10 francs par jour, et avec le cylindre tiré par 4 chevaux et conduit par deux hommes, lesquels coûteront de 30 à 35 fr. ou 40 fr. au plus, c’est-à-dire avec une dépense totale de 60 francs, aplanir et tasser deux lieues au moins de chemin en terre par jour, ce qui fait 25 fr. par lieue. Cette opération étant facile et peu dispendieuse, on pourra, en la répétant 15 à 16 fois par an, prévenir totalement la formation d’ornières profondes, et par conséquent maintenir un chemin en terre constamment en bon état, avec une dépense annuelle de 400 francs par lieue.

Entretien des chaussées pavées. — L’entretien des chaussées pavées ou en blocage ne peut être fait que par des paveurs de profession et à la tâche, ou par abonnement ; il est donc inutile de donner à ce sujet des explications détaillées.

Entretien des chaussées en cailloutis. — L’entretien des chaussées en cailloutis consiste dans le comblement des ornières, qui doit se faire de la même manière que celui des chemins en terre, c’est-à-dire qu’on coupe et divise les bourrelets lorsqu’ils sont encore humides, et on les rejette dans les ornières avec un chevron fortement chargé, à cause de la résistance du gravier, puis on roule avec le gros cylindre.

Quand il n’y a pas de bourrelets, mais seulement des frayés creusés par l’usé des roues et des flaches déterminées par des affaissemens partiels, ou quand le bombement est usé ou trop affaissé, il faut, pour les réparer, de nouveaux matériaux et un travail particulier, afin d’assurer leur liaison avec les anciens ; pour cela, il faut piquer à la pioche la surface des parties à garnir ou à recharger ; on met à part le détritus provenant du repiquage. On met un premier lit de pierres dures, bien cassées à la grosseur d’un œuf de pigeon, on étend dessus une couche très-légère de matières tendres ou du gravier, puis on couvre avec le détritus extrait par le repiquage. Quand les ornières ou les flaches sont profondes, on met la pierre dure en deux couches, dont la première doit être composée de pierres plus fortes que celles de la seconde.

Lorsqu’on a fait une certaine étendue de ces réparations, on les roule au cylindre pour les tasser et les affermir, afin que les roues ne divisent et ne rejettent pas trop aisément les petits rechargemens, comme il arrive souvent lorsqu’on n’a pas eu le soin de les tasser. Quand les réparations sont peu étendues, on se borne à les piloner.

En ayant soin de réparer les petites dégradations à mesure qu’elles se forment, et de regarnir journellement en petites pierres, avec les soins que nous avons indiqués, les ornières et les flaches dès qu’elles commencent à paraître, on n’a jamais besoin de faire des rechargemens de quelque étendue ; ils ne sont nécessaires que quand on a laissé unchemin long-temps sans entretien habituel, ou quand le bombement est trop usé : alors, il faut faire ces rechargemens de la même manière et avec le même soin que quand on ajoute une seconde couche de pierres dures à une chaussée, pour augmenter son épaisseur, c’est-à-dire qu’il faut exécuter ce travail en temps humide, commencer par piquer la vieille chaussée, retirer le détritus enlevé par le piquage, étendre la pierre dure en mettant d’abord des pierres un peu fortes au fond, et les plus petites par-dessus ; couvrir d’un peu de pierre tendre, cassée menu, puis de détritus, de gravier ou de sable, et rouler.

[12:1:2]
Art. ii. — Des chemins ruraux.
Les chemins ruraux sont ceux qui ne servent pas aux communications entre les communes, mais seulement aux travaux de la culture ; ils n’ont ordinairement qu’une seule voie et sont presque toujours en terre : on peut donc appliquer pour leur amélioration et pour leur entretien, les procédés indiqués ci-dessus pour les chemins vicinaux en terre ; mais il arrive souvent, et surtout dans les pays humides et glaiseux, qu’on a besoin de leur donner plus de résistance, sans cependant vouloir y établir une chaussée. Alors, comme ces chemins n’ont ordinairement qu’une seule voie, que les voitures s’y croisent rarement, et qu’on est obligé de mettre une grande économie dans leurs travaux d’amélioration, on peut se borner à empierrer seulement le passage des roues, sur 45 à 50 centim. (15 à 18 pouces) de largeur, de chaque côté (fig. 491). Pour cela, on fait aux emplacemens de ces rouages, de petites tranchées de 15 à 20 centim. (6 à 8 pouces) de profondeur. On emploie les terres de ces tranchées à remblayer le milieu et les côtés du chemin, qui se trouve ainsi relevé et bombé
Fig. 491

sans transports, et ces tranchées deviennent par cet exhaussement de 20 à 28 centim. (8 à 10 pouces) de profondeur totale. Si on a des pierres ou des matières tendres, on en garnit les tranchées jusqu’à la moitié de leur hauteur ; on fait passer des charrettes à large jante, quelque temps, pour tasser cette première couche ; puis on remplit le reste des tranchées avec de la petite pierre dure bien cassée. Si on n’a que de la pierre dure, on pose d’abord un rang des pierres les plus larges et les plus plates, en appliquant les faces plates sur le fond, et on remplit tout de suite le reste en petites pierres. On engage à mettre des pierres plates au fond, parce que ces petits massifs étant étroits et ne présentant pas, comme ceux des chaussées, de larges plates-formes bien unies, on aurait à craindre que la pression des roues ne fit enfoncer dans la terre leurs bords qui ne sont pas épaulés ; et on diminue cet inconvénient d’autant mieux que les pierres plates du fond sont plus larges.

L’entretien de ces rouages séparés doit toujours se faire, comme ceux des chaussées en cailloutis, en piquant la surface des flaches, et les regarnissant avec de la petite pierre, recouverte avec le détritus.

Art. iii. — Considérations générales sur les obstacles qui arrêtent l’amélioration des chemins vicinaux et sur les moyens de les vaincre.

Le plus grand obstacle à l’amélioration des chemins vicinaux est, comme nous l’avons déjà fait observer, dans l’opinion généralement répandue qu’il n’est pas possible d’obtenir de bons chemins sans y consacrer des sommes considérables. Cette conviction a produit le découragement que cause toujours une impossibilité reconnue ; il importe donc essentiellement de détruire cette prévention et de prouver qu’on peut obtenir de bons résultats à peu de frais.

La seule difficulté réelle consiste à trouver des hommes capables de bien diriger et de bien surveiller l’exécution des procédés économiques et de perfectionnement que nous avons indiqués, non que leur application soit réellement difficile, mais parce qu’ils exigent une certaine instruction et des soins particuliers. Le meilleur moyen d’assurer le succès des applications des méthodes nouvelles et des perfectionnemens, est assurément de former des hommes spéciaux, en les leur faisant pratiquer sous les yeux de ceux qui ont déjà une expérience acquise, et nous pensons que, pour bien remplir le but proposé, il faudrait s’occuper de former de bons inspecteurs-voyers des chemins vicinaux ; mais il serait fâcheux d’ajourner leur amélioration jusqu’à l’époque à laquelle on aura pu former des sujets pour cette destination.

L’importance d’avoir de bons chemins étant actuellement bien sentie, on doit espérer que, dans un assez grand nombre de communes, il se trouvera des hommes éclairés et animés de l’amour du bien public, qui, convaincus par la lecture attentive des explications qui précèdent, de la possibilité et de la facilité d’appliquer utilement les moyens d’exécution décrits ci-dessus, se chargeront volontiers de diriger des travaux d’amélioration ; on doit espérer également que parmi les jeunes gens, actuellement en assez grand nombre, qui ont des notions élémentaires de géométrie et quelque connaissance des travaux, on en trouvera quelques-uns qui seront disposés à prendre la carrière nouvelle de conducteurs-voyers des chemins vicinaux, et à conduire et surveiller les travaux d’amélioration sous la direction supérieure et l’inspection des ingénieurs ou des propriétaires instruits qui voudront bien s’en charger.

Il n’est nécessaire d’avoir recours aux hommes de l’art que pour les tracés, ou pour les rectifications de pentes qui présenteraient des difficultés, ainsi que pour les pavages, pontceaux et aquéducs ; l’exécution des terrassemens et des chaussées en cailloutis, et leur entretien, n’exigent que de l’intelligence et des soins, et dès qu’on aura commencé, on verra que les difficultés sont beaucoup moindres qu’on ne le pense généralement, surtout pour les 1ers travaux qui sont les plus nécessaires, et, qui consistent à assurer d’abord l’écoulement des eaux et à établir simplement de bons chemins en terre. Il suffit, pour atteindre ce premier but, que quelques propriétaires éclairés, sans se laisser arrêter par la crainte exagérée des difficultés, prennent la résolution de s’occuper sérieusement, avec activité et persévérance, de ces améliorations, disposent, de concert avec les autorités locales, les moyens d’exécution et de surveillance, et se chargent de diriger l’emploi des moyens économiques et l’inexpérience des ouvriers qui en feront les premières applications.

On élèvera peut-être des doutes ou des objections relativement à l’usage et aux frais des instrumens que l’on conseille d’employer ? La réponse est facile : on observera d’abord que l’usage de ces instrumens n’est pas absolument indispensable pour l’application des procédés recommandés, et que ce sont simplement des moyens de faire les travaux indiqués, et surtout ceux d’entretien, mieux, plus vite et avec le plus d’économie possible, et que la différence entre le travail exécuté par ces instrumens sur les routes, et le même travail exécuté à la main, est tout-à-fait comparable à la différence qui existe entre la culture faite à la charrue et au rouleau, avec la culture faite à la bêche. Ainsi, un chevron tiré par un cheval coûtant 10 à 12 francs, rabattra et comblera plus d’ornières en un jour que cent ouvriers qui coûteraient 150 francs. De même, un cylindre tiré par 4 chevaux et conduit par deux hommes et coûtant de 30 à 35 francs par jour, aplanira et tassera plus vite et mieux, une lieue de chemin, que ne le pourraient faire 200 piloneurs, qui coûteraient 300 francs. De plus, comme les régalemens et les tassemens s’opèrent rapidement sur de grandes longueurs avec ces instrumens, ils peuvent toujours s’achever dans les circonstances les plus favorables pour leur bonne exécution et pour leur durée, c’est-à-dire quand la terre n’est ni trop humide ni trop sèche ; et il résulte encore de la célérité du travail ainsi fait, qu’il suffit de quelques jours de surveillance, et que les dégradations n’ont pas le temps de s’accroitre d’un côté pendant qu’on répare de l’autre, comme il arrive fréquemment dans les travaux à la main, qui, à raison de leur lenteur, se font souvent en temps contraire, et exigent une surveillance continuelle. Il faut encore remarquer que dans les travaux exécutés avec des instrumens conduits par des chevaux, on a bien moins à redouter les pertes de temps et la paresse, parce que généralement l’homme craint beaucoup moins la fatigue pour ses chevaux que pour lui-même, et aime mieux donner un coup de fouet, qu’un coup d’épaule, ou un coup de pioche.

Il y a donc à la fois avantage pour la bonne exécution et bénéfice à employer des instrumens. Nous ajouterons que nous ne concevons pas la possibilité d’entretenir à peu de frais des chemins en terre constamment en bon état, autrement qu’en y employant des moyens mécaniques ; en effet, l’inconvénient principal de ces chemins est de s’amollir par les temps humides et de se rouager alors facilement ; et comme les ornières qui sont d’abord des effets de cet amollissement, servant de réservoirs aux eaux, deviennent bientôt elles-mêmes des causes très-actives de l’accroissement du mal, le seul moyen de l’arrêter est de combler les ornières dès qu’elles se forment : le travail à la main est trop lent et trop cher, et d’ailleurs il n’opère le comblement des ornières qu’avec de la terre divisée et ameublie, que l’eau pénètre et que les roues repoussent de nouveau, en y enfonçant avec la plus grande facilité, tandis que le cylindre de compression tasse immédiatement la terre refoulée et efface les frayés (ce qui est utile pour empêcher les chevaux de suivre toujours la même voie), et qu’il aplanit et raffermit en même temps tout le sol du chemin.

La conduite de ces instrumens n’exige aucun apprentissage, car le chevron s’attèle et se traîne comme la herse, et le cylindre s’attèle et se conduit comme une voiture lourde qui tournerait difficilement, c’est-à-dire qu’il faut seulement éviter de tourner court ; cependant, quand on y est obligé, on le peut encore facilement en faisant monter le cylindre sur une planche, ou sur une pierre plate, ou sur un petit monceau de sable, sur lesquels il pivote facilement[4].

Quant à la dépense première, elle n’est pas très-considérable ; un cylindre de compression, de 2 mètres de diamètre, peut coûter de 5 à 600 francs, un chevron 50 francs, et leur entretien est peu de chose. Il y a assurément peu de communes qui ne puissent faire cette dépense, pour un objet d’une aussi grande importance que l’amélioration de leurs chemins vicinaux, surtout en considérant qu’elle leur procurera sur les frais ordinaires de main-d’œuvre une économie annuelle, supérieure au montant du premier déboursé.

Les communes qui n’auront pas de revenus suffisans pour faire cette dépense, pourront s’entendre facilement avec des communes voisines, pour avoir en commun des instrumens qui serviront successivement à chacune d’elles, pendant un nombre de jours déterminé dans chaque mois ; en outre, quelque pauvre que soit une commune, il s’y trouve presque toujours des propriétaires riches, ou du moins aisés, qui, possédant ou cultivant de grandes étendues de terre, sont plus intéressés que les autres habitans au bon état des chemins vicinaux ; et il y en aura sans doute d’assez éclairés pour reconnaître qu’il leur sera véritablement avantageux de faire exécuter à leurs frais des cylindres et des chevrons, qu’ils emploieront à leur propre usage, pour leurs chemins particuliers d’agrément ou de culture et pour le roulage de leurs terres, et alors ils pourront les prêter ou les louer, pour les travaux de la commune. On vient de dire que ces cylindres peuvent être employés au roulage des terres ; en effet, avec leur poids simple, sans charge additionnelle, ils valent beaucoup mieux que les rouleaux, toujours trop légers, qu’on emploie ordinairement pour rompre les mottes et pour tasser les terres légères ou les prairies. Pour rendre les cylindres propres à ce service, il faut, comme on vient de le dire, enlever la charge supplémentaire intérieure, qui n’est nécessaire que pour les chemins ; alors ils peuvent, à raison de leur grand diamètre, être traînés partout facilement avec deux chevaux, et font un excellent travail. (Quelques cultivateurs de la Brie ont déjà adopté ces cylindres formés avec de vieilles roues.)

Quand on veut appliquer les cylindres alternativement à ces deux services différens, au lieu de faire le chargement supplémentaire en remplissant l’intérieur de terre ou de pierres, pour rendre le chargement et le déchargement plus faciles, on supprime les deux fonds du cylindre et on forme le poids additionnel avec des troncs de bois dur ou des pierres longues, ou bien encore avec des saumons ou de vieux tuyaux en fonte, qu’on passe dans les rais des deux roues, et qu’on fixe en enveloppant les extrémités saillantes hors des rais avec des cordes serrées au moulinet (fig. 492).

Fig. 492

Les communes qui ont des revenus suffisans et les propriétaires riches, feront encore mieux d’acheter des cylindres en fonte, qui coûteront de 12 à 1500 francs, et qui, étant garnis sur les côtés de fonds pleins, fermant hermétiquement, se chargent en les remplissant d’eau, et se déchargent par son simple écoulement (fig. 493).

Fig. 493.

Quand une expérience suffisante aura prouvé la facilité d’amener un chemin en terre ou en cailloutis à un bon état d’entretien, et de l’y maintenir à peu de frais, en employant les moyens indiqués et surtout en le roulant fréquemment, on trouvera dans chaque commune à traiter, à l’année et à forfait, pour l’entretien habituel de chaque chemin, et on n’aura plus alors d’autre embarras que celui de veiller à l’exécution des marchés. Ces marchés peuvent être très-simples, car il suffit de fixer les quantités de matériaux de diverse nature, qui seront fournis chaque année par les habitans et par la commune, ainsi que les lieux et les époques de ces fournitures ; et de stipuler que l’entretien devra être tel que jamais il n’y ait sur le chemin ni flaches ni ornières d’une profondeur supérieure à une quantité déterminée, en expliquant que cette profondeur sera mesurée par la hauteur de l’eau que la flache ou l’ornière pourra contenir.

Pour assurer le bon état des chemins vicinaux, il faut empêcher qu’ils ne soient écrasés par des surcharges extraordinaires, qui sont d’autant plus à craindre que ces chemins seront en meilleur état ; comme on ne peut songer à y établir des ponts à bascule qui, d’ailleurs, ne remplissent que très-imparfaitement leur but sur les routes royales, il faut chercher un moyen plus efficace et moins dispendieux. Un des meilleurs, à notre avis, est celui qui a été proposé par la Société d’agriculture de Seine-et-Oise : il consiste à fixer les dimensions des fusées des essieux des roues à leur origine en dedans des moyeux, parce qu’alors on ne pourrait surcharger sans s’exposer à faire rompre ou plier les essieux, et que la vérification de cette prescription pourrait se faire facilement et sans frais, en tout lieu et par tout le monde.

Art. iv. — Des inspecteurs-Voyers.

Nous avons observé que pour arriver promptement et sûrement à l’amélioration générale des chemins vicinaux et pour assurer l’emploi utile des sommes et des efforts qui y sont consacrés, le meilleur moyen était de confier la direction et la surveillance des travaux et de l’entretien à des inspecteurs ou conducteurs-voyers capables de diriger les travaux de ces chemins avec les soins et l’économie qu’ils exigent, et d’exercer une surveillance active et constante ; parce que ce n’est qu’en réparant les petites dégradations à mesure qu’elles deviennent sensibles, qu’on évite les ornières profondes et les grandes dépenses. Pour assurer cette surveillance, il faut que celui qui s’en charge s’en occupe exclusivement ; ainsi, il vaut mieux donner à un inspecteur toute l’étendue des chemins qu’il peut diriger à la fois, sur deux ou trois communes, que d’en charger une personne dans chaque commune, parce que les émolumens qu’une commune rurale peut accorder à un voyer ne pouvant suffire pour assurer son existence, il serait obligé de se livrer à d’autres occupations qui pourraient le retenir aux époques où sa présence sur les chemins serait le plus nécessaire, tandis que la réunion des traitemens alloués par 3 ou 4 communes, doit être suffisante pour faire de ces fonctions un état assez avantageux pour qu’on craigne de le perdre, et pour permettre d’exiger l’exclusion de toute autre occupation, en sorte que l’inspecteur-voyer n’aura à penser qu’à ses chemins, et acquerra beaucoup plus d’expérience et d’habileté que celui qui ne s’en occuperait que temporairement.

Un inspecteur-voyer aura dans chaque commune un ou deux ouvriers intelligens et de confiance qu’il formera avec soin ; il leur fera faire les petites réparations habituelles suivant les besoins ; et quand il jugera à propos de former des ateliers ambulans, ce seront ces ouvriers de confiance qui les dirigeront et qui veilleront au bon emploi de leur temps : l’inspecteur, ayant la responsabilité du travail, doit toujours être libre de choisir et de renvoyer ces chefs-ouvriers.

La surveillance sur ces inspecteurs s’exercera par les maires et par les conseillers municipaux, lesquels pourront déléguer un commissaire spécial annuel, et par les propriétaires intéressés au bon état de chaque chemin, qui, dès qu’il y aura un service organisé, y veilleront avec l’activité de l’intérêt particulier, parce que, pour chaque habitant, le bon état des chemins dont il se sert habituellement, est un véritable intérêt personnel.

Quoique ces moyens de surveillance soient assez directs et assez multipliés pour prévenir ou pour réprimer promptement les fautes et les négligences, nous pensons qu’il faut encore y ajouter un moyen d’action plus puissant, celui des peines et des récompenses. Pour cela, il faudrait que le traitement de chaque inspecteur-voyer fût composé de deux parties : l’une, fixe, serait seulement suffisante pour assurer convenablement son existence, et l’autre, variable, dépendrait des autorités locales ; cette partie variable serait, comme la partie fixe, divisée en autant de parts qu’il y aurait de communes comprises dans l’inspection : ces parts seraient toujours portées au budget communal, pour garantir la possibilité du paiement immédiat, mais elles ne seraient allouées à l’inspecteur, qu’autant qu’on serait satisfait de sa conduite et de l’état de ses chemins dans chaque commune.

Pour bien remplir les fonctions d’inspecteur des chemins vicinaux, il faut une instruction théorique élémentaire, et surtout l’expérience des bons procédés d’exécution. Or, il y a très-peu d’hommes capables de remplir ces fonctions, plus difficiles qu’on ne pense, et il faut d’ailleurs que ceux qui voudront les exercer apprennent à bien appliquer les procédés les plus convenables, et sachent les modifier au besoin suivant les localités : pour remplir ce but, il faudrait former une École spéciale d’application et de pratique, dans chaque département. Mais on manque généralement d’hommes capables de diriger ces écoles, car ceux mêmes qui y sont propres par leur instruction, ignorent les nouveaux procédés et pourraient les mal appliquer, toutes les fois qu’il s’agit d’innovations en travaux manuels, il faut que ceux qui veulent en faire usage commencent par pratiquer sous les yeux de ceux qui ont une expérience acquise, et comme il n’y a encore qu’un très-petit nombre d’hommes expérimentés dans cette pratique, il faut nécessairement commencer par former aux environs de Paris, dans le département de la Seine ou dans celui de Seine-et-Oise, au centre de 2 ou 3 chemins vicinaux à améliorer, une Ecole normale pratique destinée à former des sujets capables de diriger ensuite des écoles semblables dans les départemens. On y admettrait des jeunes gens d’une bonne moralité, ayant en arithmétique, en géométrie et en dessin linéaire, une instruction première, que l’on compléterait en la dirigeant vers le but de leur spécialité ; on leur ferait ensuite exécuter les divers travaux d’amélioration et d’entretien des chemins voisins de l’école : quand ils auraient acquis l’instruction et l’expérience nécessaires pour enseigner à leur tour, on leur donnerait des diplômes pour être admis comme directeurs d’écoles pratiques locales dans les départemens, ou comme inspecteurs-voyers de cantons.

L’amélioration des chemins vicinaux étant véritablement un objet d’intérêt général, il serait juste que les frais du matériel et de l’enseignement de l’Ecole normale fussent au compte de l’Etat, et ceux des Écoles locales aux frais des départemens. Quant aux dépenses à faire en travaux d’expérience et d’amélioration, qui s’exécuteraient sur des chemins vicinaux voisins de chaque école, pour l’instruction des élèves, ils devraient être partagés, savoir : pour l’école normale, par tiers entre le gouvernement, le département et les communes traversées par les chemins sur lesquels s’exécuteraient les améliorations, et pour les écoles départementales, entre le département et les communes intéressées. Polonceau.


  1. Le meilleur document à consulter par les sous-préfets et par les maires, relativement à la propriété des chemins vicinaux, aux anticipations, aux usurpations, à la fixation de leurs limites, aux fossés et plantations, aux mesures à prendre pour leur amélioration, leur entretien, leur conservation et leur police, est l’Instruction ministérielle du 7 prairial an 13 sur l’application des lois des 9 ventôse an 12 et 9 ventôse an 13, et l’exposé des dispositions résultantes des lois et instructions sur cette matière, qui se trouve dans le Code de voirie de Fleurigeon, pag. 378 et suivantes.
  2. Pour voir le tombereau mécanique, ou pour en acheter, on peut s’adresser à M. Cassasol, rue Coquillière, à Paris, et à M. Boutan, à Lafite, par Rieux (Haute-Garonne).
  3. On trouve des dessins de cylindres de compression en bois et en fonte, et des explications plus détaillées sur leur construction et leur service, dans un Mémoire de M. Polonceau sur l’amélioration des chaussées en cailloutis et des accottemens des routes, publié récemment chez Carillian-Gœury, quai des Augustins, 41.
  4. Sur huit ou dix voituriers pris au hasard pour conduire les deux premiers cylindres de compression que nous avons employés, d’un mètre et demi de diamètre, pesant 4.000 kilog., et l’autre de 2 mèt. de diamètre, pesant 6,000 kilog., et qui ont été employés à Versailles, à Orsay, à Gometz, et récemment à Paris, sur la chaussée du pont du Carrousel et aux Champs-Elysées, aucun n’a éprouvé de difficulté à manœuvrer ces cylindres.