Maison rustique du XIXe siècle/éd. 1844/Livre 1/ch. 15

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Texte établi par Jacques Alexandre BixioLibrairie agricole (Tome premierp. 365-410).

Chapitre xv. — des céréales et de leur culture spéciale.

Le mot céréale, dérivé de Cérès, déesse des moissons, s’applique dans notre langue aux plantes panaires ou autres, à semences farineuses, appartenant spécialement à la grande famille des graminées. Il comprend donc le Froment, le Seigle, l’Orge, l’Avoine, le Riz, le Millet, le Maïs, le Sorgho, l’Alpiste. Quelques autres graminées non cultivées dont les grains se récoltent parfois pour servir d’alimens, telles que la Fétuque flottante et la Zizanie, ne sont pas regardées comme céréales, tandis que, au contraire, on comprend assez ordinairement parmi elles le Sarrasin, bien qu’il appartienne à une autre famille, celle des polygonées.

Les céréales, ou du moins les principales d’entre elles, font la base de la nourriture des hommes sur une grande partie du globe. En France surtout, malgré l’extension progressive de la culture des pommes-de-terre, le pain de froment, de seigle, d’orge ou de maïs, est encore la principale ressource de la population. Aussi le sort du pays est-il étroitement lié à l’abondance ou à la faiblesse des récoltes de blé. — Nous traiterons successivement de chaque espèce en particulier.

Sect. Ire. Du froment. 
 ib.
§ Ier. Espèces et variétés. 
 ib.
Organisation anatomique de l’épi. 
 366
§ 2. Choix du terrain. 
 374
§ 3. Préparation du sol. 
 375
§ 4. Choix des semences. 
 376
§ 5. Préparation de la semence : chaulage. 
 377
§ 6. Quantité de grains pour les semences. 
 378
§ 7. Époque des semailles. 
 ib.
§ 8. Divers modes de semailles. 
 379
§ 9. Soins d’entretien. 
 381
§ 10. Froment de printemps. 
 383
§ 11. Quantités des produits. 
 ib.
Sect. II. Du seigle. 
 386
Sect. III. De l’orge. 
 390
Sect. IV. De l’avoine. 
 393
Sect. V. Du sarrasin. 
 393
Sect. VI. Du Maïs. 
 396
Sect. VII. Du millet et du sorgho. 
 403
Sect. VIII. Du riz. 
 405
Sect. IX. De quelques autres plantes graminées. 
 409
Paturins : Flottant, d’Abyssinie ; Alpistes ; Zizanie. 
 410


Section ire. — Du froment.

Le Froment (Triticum, Linn.), en anglais, Wheat ; en allemand, Weizen ; en italien, Grano, et en espagnol, Trigo, a des usages beaucoup plus importans que nombreux et qui sont trop généralement connus pour que nous croyions devoir les détailler ici. Ses tiges servent de fourrage et de litière ; on les emploie parfois à divers usages économiques. Ses grains, dont on réserve le son pour la nourriture des animaux de basse-cour, et dont on emploie diversement la farine, soit pour en obtenir le meilleur pain connu, soit pour la transformer en quelques-unes de ces pâtes vendues sous le nom de vermicelle, semoule, etc., contiennent sous un petit volume, plus de parties nutritives qu’aucune autre substance végétale, et sont considérées à bon droit comme le plus riche produit de notre sol.

[15:1:1]
§ ier. — Espèces et variétés.

Soumis à la culture de temps immémorial, et répandu sur une grande partie du globe, le Froment a éprouvé, plus qu’aucune autre plante, l’influence des causes qui tendent à faire varier les végétaux ; aussi s’est-il modifié à tel point qu’il en existe aujourd’hui des centaines de variétés, et que, tous les jours encore, nous voyons celles-ci changer et se subdiviser sous nos yeux. Leur grand nombre, leur peu de fixité, et par-dessus tout la confusion de leur nomenclature, font qu’il est très-difficile de les déterminer avec quelque précision ; et, ce qui ne l’est pas moins, c’est de les rapporter à leur souche primitive.

A-t-il existé originairement une seule ou plusieurs espèces de froment ? Ces types se sont-ils conservés jusqu’à nous, et peut-on les retrouver parmi les nombreuses variétés que nous possédons ? Ces questions, probablement, ne seront jamais résolues, ou plutôt elles le seront de diverses manières, comme elles l’ont été jusqu’à présent. Mais, ce qu’il y a ici d’évident, c’est : 1o qu’il est nécessaire pour les cultivateurs de pouvoir reconnaître les variétés, ou du moins les principales d’entre elles, attendu que leurs différences ne se bornent pas à la couleur, à la forme de l’épi ou à quelques autres caractères extérieurs, mais, presque toujours, s’étendent aux qualités économiques et agricoles ; 2o qu’il n’est possible d’arriver à cette connaissance qu’en créant, à défaut d’espèces naturelles bien constatées, des groupes ou des espèces artificielles.

Linné, dont les travaux de classification ont embrassé l’universalité des plantes connues de son temps, avait admis 7 espèces différentes de froment cultivé ; 5 parmi les froments à grain nu, et 2 parmi ceux à balle adhérente ou épautres. Vers le même temps, Haller s’efforça de faire sentir la nécessité de débrouiller les variétés et de fixer, si l’on pouvait, leur nomenclature ; il en donna l’exemple en décrivant, une partie de celles cultivées alors en Suisse. Mais c’est en France qu’a été exécuté le premier travail important sur les variétés. Vers 1780, un des agronomes qui aient rendu les services les plus réels à notre économie rurale, M. Tessier, entreprit, sur tous les fromens français et étrangers qu’il put se procurer, une suite d’études dont il publia les résultats quelques années après. Ce travail, regardé à juste titre comme classique, a, pendant longtemps, servi de base à tous ceux du même genre, ou plutôt il a été reproduit textuellement ou par extrait dans la plupart de nos ouvrages agronomiques. À une époque plus récente, M. Seringe, aujourd’hui directeur du Jardin botanique de Lyon, fit paraître sur le même sujet des écrits très-estimés, et particulièrement sa Monographie des céréales de la Suisse. Enfin, très récemment, un de nos botanistes les plus distingués, M. Desvaux, s’est livré à de nouvelles recherches approfondies sur les espèces et les variétés de froment, et en a consigné les résultats dans un Mémoire imprimé parmi ceux de la Société d’agriculture, sciences et arts d’Angers[1]. Ce travail, à la fois botanique et économique, nous paraît, quoique nous n’en adoptions pas toutes les idées, devoir être désormais une des sources d’instruction les plus utiles sur cette matière. Beaucoup d’autres écrits sur les céréales ont été publiés par des botanistes et des agronomes étrangers. Il ne peut entrer dans notre plan d’en faire ici l’examen. Nous devons cependant mentionner d’une manière particulière celui de M. Metzger, intitulé Europaeische cerealien, qui, par son plan et son exécution, nous parait être le plus utile et le plus éminemment classique de ceux jusqu’ici publiés sur cette matière[2].

Tant de travaux entrepris dans l’Europe entière montrent assez quel intérêt on attache partout à la connaissance des variétés de céréales ; mais on ne peut, d’un autre côté, se dissimuler que les difficultés sont telles qu’elles vont quelquefois jusqu’à prendre le caractère d’objections. Il est certain, par exemple, que la disposition de beaucoup de variétés à changer et se modifier, rend leur désignation incertaine et, jusqu’à un certain point, illusoire. Il est également vrai que les divisions ou les groupes sous lesquels on les classe, ne sont pas suffisamment tranchés ; les nuances sont si nombreuses et les dégradations tellement liées entre elles, que l’on ne peut être absolument étonné de l’opinion émise par M. Desvaux, que, depuis l’engrain jusqu’au blé de Flandre ou au plus grand des poulards, tout ne formait originairement qu’une seule et même espèce, qui s’est, depuis, modifiée en cent manières.

Ces difficultés, toutefois, en montrant les imperfections inévitables d’un travail de ce genre, et la nécessité qu’il soit refait ou retouché de loin en loin, ne diminuent en rien son utilité. Dès-lors qu’entre des plantes analogues, et des plantes surtout d’une utilité telle que le froment, il y a différence de qualités un peu prononcée, il devient nécessaire aussi qu’il y ait distinction. Nous allons donc présenter la série, non pas de toutes, mais des principales variétés, en indiquant, autant que nous le pourrons, les différences et les qualités distinctives de chacune. Comme nous serons obligés d’employer quelques expressions botaniques, nous les expliquerons ici, en donnant une idée de la structure de l’épi et des parties qui le composent.

Un axe central (fig. 533) A, vu de face, et B de profil, de la nature de la paille, mais d’une consistance plus ferme, comme articulé, marqué de dents ou d’entailles saillantes et alternes des deux côtés opposés, sert de support commun ou de point d’attache aux parties de l’épi.

Celui-ci est composé de la réunion des épillets, insérés chacun sur une entaille de l’axe et qui se trouvent ainsi alternes et opposés. Quand on regarde l’épi de manière à ne voir que les épillets situés d’un même côté de l’axe, on le voit ce que nous appellerons de face. Si au contraire on le regarde de manière à apercevoir également les deux séries d’épillets, nous dirons qu’on le voit de profil.

L’épillet (fig. 534) est un petit groupe de 3 à 5 fleurs, dont une ou deux sont ordinairement stériles, et dont chacune des autres devient un grain. C’est ce que les cultivateurs, dans une partie a de la France, appellent maille ; on dit un blé qui porte 3 ou 4 grains à la maille, c’est-à-dire qui a 3 ou 4 grains par épillet. Sa base, à droite et à gauche, est partiellement embrassée par une enveloppe a 2 valves a a, faisant l’office du calice des autres fleurs, et que, dans les graminées, on appelle la glume.

Celle-ci porte sur son dos une nervure, ou plutôt un pli longitudinal plus ou moins prononcé, qui dans certaines espèces, représente assez bien la quille d’une carène, et dont l’extrémité, ordinairement échancrée, se termine en une pointe ou une dent plus ou moins alongée.
Fig. 535

Chaque fleur (devenue grain) (fig. 535), a deux enveloppes propres qui sont les balles ; l’une intérieure, mince et aplatie bb, appliquée contre la tossette du grain, l’autre extérieure, enveloppant le dos du même grain, et dès-lors plus grande et plus renflée cc. Celle-ci porte la barbe quand elle existe, et, dans les espèces qui n’en ont pas, une pointe plus ou moins aigue.

Les barbes sont assez reconnaissables pour n’avoir pas besoin de définition.

Nous ajouterons que l’on appelle blés tendres ceux dont la cassure est farineuse ; et blés durs, cornés ou glacés, ceux dont la cassure, plus nette, présente à peu près l’apparence de la corne. Il y a, entre ces deux qualités, des intermédiaires à tous les degrés.

Les fromens cultivés peuvent être partagés en deux séries ou divisions principales : 1o celle des fromens proprement dits, à grain libre ou nu, se séparant de la balle par le battage ; 2o celle des épautres ou fromens à balle adhérente.

Dans la première série nous admettrons, avec MM. Seringe et Metzger, les quatre groupes ou espèces qui suivent : A. Froment ordinaire (Triticum sativum, Lam. ; Tr. vulgare, Wild. ; — B. Froment renflé, gros blé, poulard ou pétanielle (Tr. turgidum, L.) ; — C. Froment dur ou corné (Tr. durum, Desf.) ; — D. Froment de Pologne (Tr. Polonicum, L.).

La seconde série comprendra trois espèces, savoir : E. Epautre (Tr. spelta, L.) ; — F. Froment amidonnier (Tr. amyleum, Ser.) ; — G. Engrain ou Froment locular (Tr. monococum, L.) — Nous allons reprendre successivement ces sept groupes, en rattachant à chacun les principales variétés qui lui appartiennent.

A. — Froment ordinaire (Tr. sativum).
a. Variétés sans barbes (fig. 536 et 537)[3].

Epi long, étroit, un peu pyramidé dans la plupart des variétés, court et ramassé dans quelques autres ; à quatre côtés inégaux, dont deux plus larges sont ceux de la face des épillets, et deux plus étroits, ceux de leur profil. Epillets planes et en éventail. Glume légèrement échancrée au-dessous du sommet, et terminée par une pointe courte. Les sommités des balles distinctes et un peu écartées ; la valve extérieure ovale-acuminée, s’alongeant en une pointe droite ou crochue. Grain oblong, ovale ou tronqué ; rougeâtre, jaune ou blanc, selon la variété ; ordinairement tendre ou demi-tendre. Paille creuse.

Les blés de cette espèce sont les plus répandus en France et dans une grande partie de l’Europe : ils sont aussi les plus estimés sous le rapport de la qualité du grain ; aussi les désigne-t-on, ou du moins les meilleurs d’entre eux, sous le nom de blés fins, par opposition aux gros blés qui appartiennent à l’espèce du poulard (Triticum turgidum). Leur paille est également mise au premier rang, parmi celles de froment, pour la nourriture du bétail. Ils redoutent plus que les poulards, l’excès de fertilité ou d’humidité du terrain ; leur maturité est plus précoce de 8 à 10 jours. Quoique les principales variétés soient à grain tendre ou farineux, il s’en trouve aussi quelques-unes à grain demi-dur ou même tout-à-fait dur ; ce sont surtout celles qui nous viennent du Midi. Cette espèce contient des blés d’automne et des blés de mars. Pour indiquer ces derniers, que nous n’avons pas classés séparément, nous les marquons d’une † au-devant du nom. Ceux qui sont réputés ou présumés propres à la fois aux deux saisons, porteront la marque ††.

Fig. 536

l. Froment commun d’hiver à épi jauneâtre (fig. 536). — Epi alongé, assez sensiblement pyramidé ; épillets un peu écartés ; grain rougeâtre, prenant une nuance plus ou moins dorée ou jaunâtre, selon le terrain et la saison, oblong, tendre. C’est le blé de la Beauce, de la Brie, et en général le plus répandu dans les plaines du centre et du nord de la France, où souvent on ne lui donne d’autre nom que celui de froment, ou ceux de blé d’hiver, blé de saison.

† 2. Froment de mars blanc sans barbes. Sous-variété printanière du précédent ; épi semblable de forme et de couleur, mais de moindre dimension ; grain plus court. Il est, comme blé de mars, presque aussi estimé dans le centre de la France que le no 1 l’est comme blé d’automne ; attendu, cependant, sa moindre importance pour les cultivateurs, ils mettent moins de soin à l’épurer, et souvent on le trouve mêlé de la variété barbue no 19.

3. Froment blanc de Flandre, blanc-zée, blé blazé de Lille. Epi plus gros, plus élargi que dans le no 1 ; épillets plus serrés, balles blanches ; grain blanc, oblong, tendre, plus estimé que tous les autres fromens dans le département du Nord.

4. Froment de Talavera. Très-voisin du précédent par la qualité de son grain ; épi moins élargi, à épillets plus écartés. Ce froment a passé d’Espagne en Angleterre, où sa culture a pris beaucoup d’extension, et d’où nous l’avons reçu il y a environ 20 ans. Il était plus caractérisé originairement qu’il n’est aujourd’hui ; nous avons même lieu de croire qu’il est maintenant confondu dans plusieurs localités avec le no 1 ou avec le suivant.

5. Froment blanc de Hongrie (fig. 537). Epi blanc, ramassé, presque carré, à épillets élargis et pressés ; grain blanc, arrondi. Cette variété, introduite d’Angleterre en même temps que le blé de Talavera, a été, depuis quelques années, cultivée avec beaucoup de succès et propagée dans les environs de Blois, par M. Rattier, sous le nom de blé anglais. Son grain est quelquefois supérieur en poids à celui du blanc-zée, sa paille est moins longue ; c’est, au total, un des meilleurs blés blancs.

6. Blé Fellemberg (de mars). Epi très-blanc, paille et épi presque aussi longs que dans les blés d’automne, mais grain petit, presque glacé. Ce froment vigoureux, et très beau sur pied, a contre lui la petitesse et la dureté de son grain, et, de plus, l’inconvénient d’être assez sujet a s’égrener.

†7. Blé Pictet (de mars). Sous-variété sortie du Fellemberg, ayant les épis au moins aussi beaux, et le grain plus long, plus tendre, tenant mieux dans la balle ; c’est un des bons blés de printemps, quoique son grain n’égale pas tout-à-fait en couleur et en qualité celui du n° 2.

8. Touzelle blanche. Epi très-blanc à épillets écartés ; grain long, d’un blanc jaunâtre en Provence, devenant roux et glacé dans le Nord, où il supporte d’ailleurs difficilement l’hiver. Sa paille est extrêmement cassante et il s’égrène au moindre choc. Ces défauts nous font penser que, même dans le Midi, on pourrait remplacer la touzelle avec avantage par quelque espèce analogue, et notamment par la suivante.

9. Richelle blanche de Naples. Ce froment est renommé dans le commerce du Midi par sa haute qualité. Son épi est blanc, ses balles sont terminées par une arête courte comme une petite barre, quelquefois crochue. Le grain est oblong, nourri, d’un blanc jaunâtre mat. Il a été introduit depuis peu d’années, par M. Darblay, dans les environs de Paris, où, d’après les premiers essais, son succès, qui serait très-désirable, laisse encore du doute. Il lui faut une terre très-saine, de même qu’à tous les blés méridionaux.

††10. Blé d’Odessa sans barbes'' (de M. Bonfils).—Parmi les divers blés d’Odessa essayés en France à diverses époques, nous ne connaissons encore que celui-ci dont la culture se soit maintenue. Introduit en Auvergne par M. Bonfils, il y a eu beaucoup de succès et s’est rapidement propagé. Il est, cependant, un peu plus sensible au froid que les espèces ordinaires du pays, et pourra, par cette raison, convenir moins qu’elles aux départemens du nord de la France ; son épi, un peu irrégulier de forme et à épillets inégaux, est d’un jaune faiblement teint de rouge pâle ; la balle se termine en une pointe longue, comme une demi-barbe ; le grain, jaunâtre, est de fort belle qualité. On assure que ce froment est également de mars et d’automne, ce qui a besoin d’être confirmé par une plus longue expérience.

11. Blé de haie, ou froment blanc velouté. — Epi carré, épais, très-régulier ; glumes et balles couvertes d’un duvet velouté ; grain presque court, d’un blanc jaunâtre, de belle qualité. Ce froment, que j’ai reçu d’Angleterre et répandu depuis environ 20 ans sous le nom de blé de haie, n’est pas le même que celui reçu et décrit autrefois par M. Tessier. Il paraît que le nom de blé de haie, dont l’origine est très-vague, a été donné successivement par les Anglais à plusieurs variétés.

12. Froment rouge ordinaire sans barbes. — Cette variété est estimée dans plusieurs parties de la France, comme productive, rustique et convenable aux terres fortes ; son grain, plus coloré que celui des blés à balle blanche ou jaune, et généralement d’une valeur commerciale un peu moindre, est néanmoins de fort bonne qualité.

13. Blé Lammas ; blé rouge anglais. — Epi d’un rouge clair, souvent doré ; un peu moins grand que celui du n° précédent ; grain de très-bonne qualité, le plus fin des blés rouges. Le Lammas a été introduit d’Angleterre avec de grands éloges, dont une partie sont mérités ; mais sa culture, après avoir pris d’abord beaucoup d’extension, a rétrogradé, parce que les hivers rigoureux lui ont été plus funestes qu’à nos blés ordinaires. Il est hâtif, assez sujet à s’égrener, et doit être, par cette raison, coupé un peu avant sa complète maturité. Il est assez généralement regardé comme s’accommodant mieux d’un terrain médiocre que la plupart des autres fromens.

†14. Blé de mars rouge sans barbes. — Cette variété, qui nous est venue du nord de l’Allemagne, a l’épi d’un rouge pale, le grain presque dur. la paille longue. Quoique son grain ait durci depuis quelques années, nous pensons qu’il mérite d’être essayé comparativement avec ceux de sa saison.

††15. Blé du Caucase, rouge sans barbes. — Epi d’un rouge brûlé, long, étroit, à épillets écartés ; grain alongé, d’un rouge clair, dur et d’assez belle qualité. Ce froment, semé à l’automne, est remarquable par sa précocité, qui permettrait probablement d’en faire un blé de mars ; il a l’inconvénient que sa paille, quoique dure, est mince du pied et sujette à verser.

†16. Blé de mars carré de Sicile.— Epi dressé d’un rouge brun, court, carré, à épillets très-serrés ; grain rouge presque dur, d’assez bonne qualité. Variété hâtive parmi les blés de mars. La paille est assez haute et remarquablement grosse dans sa partie supérieure.

††17. Blé rouge velu de Crète. — Epi d’un roux foncé, velu, compacte, a épillets très-étalés, portant 4 et jusqu’à 5 grains, lesquels sont courts, un peu anguleux, d’un jaune rougeâtre opaque, presque durs, et paraissent de bonne qualité. Ce froment, que nous avons eu de la collection de M. Desvaux, offre de l’intérêt par la beauté de ses épis, le nombre de ses tiges et sa précocité. Il nous paraît mériter des essais suivis.

b. Variétés barbues (fig. 538 et 539)

Caractères généraux des variétés sans barbes de la même espece, avec cette différence que l’épi est barbu, et la glume ordinairement terminée par une pointe alongée.

De même qu’ils se rapportent botaniquement aux précédens, les fromens ordinaires barbus s’en rapprochent aussi par leurs qualités : leurs bonnes variétés sont au nombre des blés fins, quoiqu’en général le grain en soit un peu moins tendre et un peu plus coloré. Nous ne connaissons même pas de vrais blés blancs parmi les barbus, si ce n’est celui du Cap, qui encore est jaunâtre, et, de plus, est étrangé à la grande culture en France. Leur paille, quoique creuse, est ordinairement plus ferme que celle des fromens sans barbes ; c’est un avantage sur pied, mais après le battage elle est moins estimée pour le bétail, il s’y trouve toujours quelques barbes, et le mélange de celles-ci gâte surtout la balle ou menue paille qui, dans les espèces sans barbes, est une provende estimée pour les bœufs et pour les vaches. La section des fromens ordinaires barbus renferme des blés d’hiver, mais ceux de printemps (dont nous ne décrirons ici qu’une petite partie) y sont en plus grand nombre ; aussi Linné en avait fait son espèce Triticum æstivum.

18. Froment barbu d’hiver à épi jaunâtre (fig. 538). Epi comprimé, dressé, à barbes divergentes ; grain rougeâtre ou jaunâtre. Ce froment, autrefois très-répandu en France, est rustique et productif ; mais, a mesure que la culture fait des progrès, il cède la place aux blés sans barbes, qui ont, en général, un peu plus de valeur sur les marchés. Il est encore cependant très-cultivé ; c’est le blé le plus ordinaire dans le département de l’Ardèche ; c’est aussi, d’après ce que nous a mandé M. Creuzé-Delesser, l’espèce dominante dans le département de la Vienne, ou elle est fort estimée par les minotiers et les boulangers.

†19. Blé de mars barbu ordinaire. Epi moins grand et plus pyramidé que celui du précédent, a grain plus court et d’une nuance plus claire. C’était autrefois le blé de mars le plus répandu en France ; il l’est encore beaucoup et se trouve fréquemment mêlé avec la variété sans barbes n° 2, qu’il devance un peu en précocité, à laquelle il est inférieur par la qualité de la paille, mais nullement par celle du grain.

†20. Blé de Toscane à chapeaux. Ce froment, renommé par le grand emploi que l’on fait de sa paille en Toscane, pour la fabrication des chapeaux dits de paille d’Italie, a une telle ressemblance avec le précédent, que l’on peut à peine l’en distinguer. Dans nos essais comparatifs, il s’est montré un peu plus élevé et d’une nuance d’épi un peu plus jaune. Quand on le sème dans la seule vue du grain, la paille, au lieu de présenter cette finesse extraordinaire que lui donne, en Italie, une culture artificielle, est au contraire grosse et forte : mais affaibli par le semis très-épais en terre médiocre, on en a obtenu, en France. du tressage beau et fin, quoique n’égalant pas éncore celui d’Italie.

††21. Blé du Cap. Epi blanc, long ; à épillets très-écartés, a barbes longues, fortes et rudes ; grain alongé, d’un blanc jaunâtre mat. Cette belle variété, qui est plutôt de mars que d’automne, offre beaucoup d’intérêt par la qualité de son grain ; malheureusement elle dégénère facilement et aurait besoin d’être souvent renouvelée. Nous la croyons plus convenable, au midi qu’au nord de la France.

22. Blé Hérisson (fig. 539) Variété remarquable par son épi compacte, d’une forme irrégulière, un peu contournée, hérissé de. barbes très-nombreuses, divergentes et confuses. La couleur de l’épi varie du blanc jaunâtre au cendré bleuâtre et même au brun, avec une teinte glauque très-prononcée avant la maturité, et souvent encore après. Le grain est court, rougeâtre, presque dur et très-pesant. Ce froment, dans des essais encore récens, nous a paru taller beaucoup et mériter d’être étudié avec suite ; il est d’automne. Metzger fait mention d’une variété de printemps, à grain blanc, qui ne nous est pas connue.

B.—Froment renflé ou Poulard (Tr. turgidum).

Epi barbu, carré, compacte, ordinairement à 4 faces égales, quelquefois, aussi, ayant deux côtés plus larges, qui, dans ce cas, sont toujours ceux du profil des épillets ; les angles et les barbes disposés sur quatre lignes parallèles à l’axe de l’épi ; épillets épais, presque toujours plus larges que hauts ; glume renflée, tronquée brusquement au sommet, et dont la nervure dorsale, très-prononcée, se termine en une pointe arquée ; balles très-gonflées, courtes, plutôt refermées qu’écartées à leur sommet ; grain oblong ou raccourci, bossu ou voûté sur le dos, souvent déprimé et presque anguleux sur les autres faces ; paille dure et pleine, surtout au sommet.

Les qualités générales des blés poulards sont d’être rustiques, vigoureux et productifs, d’avoir une paille haute, forte et résistante, qui les rend moins susceptibles de verser que les blés à paille creuse ; ils sont par là, et par leur force de végétation et d’absorption, plus propres que ceux-ci à être semés sur des défrichemens nouveaux, dans des terrains bas, humides, ou qui, par des circonstances quelconques, sont trop riches en humus pour que les blés fins y viennent à bien. Leur grain est inférieur en qualité à celui des fromens ordinaires : dans la plupart des variétés sa couleur est terne ; il rend à la mouture beaucoup de son, une farine médiocre, et a, dès-lors, une moindre valeur sur les marchés. Il est tendre dans quelques variétés, demi-dur, et même presque dur dans d’autres.

Tous les poulards sont barbus, quoique dans plusieurs d’entre eux les barbes tombent facilement après la maturité. (M. Desvaux en a décrit un comme étant sans barbes, mais, dans l’essai que nous en avons fait, il s’est trouvé barbu.) Nous ne connaissons également parmi ces blés aucune variété de printemps ; tous sont d’automne, mais plusieurs peuvent être semés avec succès tardivement, jusqu’en décembre ou même janvier. La paille est peu estimée, à raison de sa dureté, qui est souvent telle que les bestiaux la refusent tout-à-fait. Avec ces défauts et ces qualités, les poulards, très-peu usités dans les riches plaines du Nord, sont fort cultivés dans le midi de la France et dans plusieurs départemens du centre et de l’ouest.

a. Variétés à épi glabre ou lisse (fig. 540).

23. Poulard rouge lisse ; gros blé rouge, épaule rouge du Gâtinais (fig. 540). Epi d’un rouge brun souvent recouvert d’une teinte glauque, carré dans une des sous-variétés, fortement aplati dans une autre ; glume et balles très-lisses et luisantes ; paille très-dure.

Ce froment, assez répandu dans le centre de la France, y est regardé comme d’une utile ressource pour les terrains humides et pour les ensemencemens tardifs. Son grain est rougeâtre, ordinairement tendre ou demi-tendre, et d’une qualité médiocre.

24. Poulard blanc lisse ; épaule blanche du Gâtinais. Epi blanc on jaunâtre, à balle luisante ; grain d’une nuance plus claire d’une qualité plus estimée que le précédent ; paille un peu moins dure. Quoique pleine aussi.

Un cultivateur très-recommandable, M. Leblanc du Plessis, de Vitry-sur-Marne, a multiplié et annoncé il y a peu d’années, sous le nom de blé de Taganrock un froment qui nous a paru identique au poulard blanc.

25. Blé Garagnon de la Lozère. Cette variété nous a été communiquée par M. De Sampigny, qui nous l’a signalée comme étant spécialement employée, dans la Lozère, en potages, à l’instar du riz. C’est un poulard blanc lisse, à épi plus court que le précédent, moins serré, moins régulier, à barbes tantôt blanches, tantôt noires. Le grain, d’un blanc jaune, tendre et de moyenne grosseur, annonce une belle qualité.

26. Pétanielle blanche d’Orient. Nous avons reçu sous ce nom, de M. Risso, de Nice, un froment très-analogue au précédent, et qui pourrait en être le type ; il a seulement l’épi plus fort, et le peu que nous avons vu de son grain annonce aussi une qualité remarquable pour un poulard ; malheureusement ces deux belles variétés, qui peut-être n’en font qu’une, nous ont paru un peu délicates ; elles seront probablement mieux appropriées au midi qu’au nord de la France.

b. Variétés à épi velu (fig. 541, 542 et 543).

27. Poulard blanc velu. Epi carré, très-régulier, très-velouté, dont les barbes se détachent presque complètement à la récolte. Cette variété, cultivée en Touraine et dans plusieurs contrées voisines, a beaucoup d’analogie par ses qualités avec le poulard blanc lisse.

28. Pétanielle rousse, grossaille, grossagne, gros blé roux, poulard rouge velu (fig. 541). Ce froment, qui présente plusieurs variantes quant à la longueur, à la grosseur et à la nuance de ses épis toujours très-velus, est répandu dans les départemens méridionaux de la France, dans une partie de ceux de l’ouest, en Auvergne, etc. Son grain est plus long et plus gros que celui du poulard rouge lisse, ordinairement plus dur et d’une nuance, plus grisâtre, il s’en rapproche, du reste, par ses défauts et ses qualités.

29. Blé gros turquet. Sous-variété du précédent, a épis épais, peu alongés, régulièrement carrés, d’un cendré rougeâtre ; à grains très-gros. Il nous a paru être un des plus vigoureux et des plus productifs parmi les poulards velus.

30. Blé de Saint-Hélène (fig. 542). Ce froment, propagé par M. Noisette, sous le nom de blé géant de Sainte-Helène, est également une sous-variété du n° 28, et a beaucoup d’analogie avec le gros turquet ; son épi est encore plus gros, moins régulièrement carré, les épillets inférieurs étant souvent plus élargis que ceux de la partie supérieure ; la qualité du grain est très-analogue à celle des deux précédents, mais il parait les surpasser encore en produit.

Nous avons reçu de plusieurs collections, sous le nom de blé de Dantzick, un froment absolument identique à celui de Sainte-Hélène, ce qui peut faire présumer que celui-ci a été originairement transporté d’Europe dans cette île, d’où il nous serait revenu.

31. Blé de Miracle, blé de Smyrne (Tr. turgidum, L.), (fig. 543). Linné avait fait une espèce de ce froment remarquable, qui, n’étant toutefois qu’une variété du turgidum, a été réuni à celui-ci par les botanistes modernes. L’apparence extraordinaire de son épi, large, épais, et qui présente comme une masse de plusieurs épis soudés ou greffés les uns sur les autres, a depuis long-temps fait du blé de miracle un objet d’intérêt pour les cultivateurs ; chacun l’a essayé, et presque chacun y a renoncé après quelques années d’épreuve, parce qu’il est difficile sur le terrain, délicat à supporter l’hiver, et que son grain, quoique plus rond, plus jaune et plus beau que celui des autres poulards, parait ne leur être pas supérieur en qualité. Ce sera toujours une variété curieuse, mais il est peu probable qu’il s’établisse solidement dans la grande culture de nos contrées septentrionales. Il lui faut une terre à la fois riche et très-saine ; dans une terre médiocre, il dégénère promptement et reprend un épi simple.

32. Poulard bleu, blé bleu conique des Anglais. Cultivée en Angleterre et sur quelques points de la France, cette variété y est estimée pour son produit et sa rusticité ; elle ne diffère, du reste, des autres poulards velus, que par la nuance bleuâtre de ses épis, et par son grain un peu moins gros, qui est d’assez bonne qualité.

33. Petanielle noire. Parmi les nombreuses variétés du Triticum turgidum, celle-ci est une des plus remarquables par la hauteur de ses tiges, par le volume et le poids de ses épis, enfin par l’abondance et la grosseur de son grain ; son épi, noir ou noirâtre, perd assez facilement ses barbes après la maturité. Ce froment a très-bien réussi, depuis deux ans, aux environs de Paris ; mais cette épreuve n’est pas assez longue pour juger s’il conviendra au climat du nord de la France, comme il convient à celui du midi. Son grain annonce, du reste, les mêmes défauts que ceux de la plupart des blés de sa race.

C. — Froment dur ou carné (Triticum durum). (fig. 544.)

Epi dressé, presque cylindrique dans quelques variétés, à faces déprimées avec des angles peu prononcés dans d’autres ; barbes très-longues et roides ; épillet plus long que large ; glume velue ou glabre, ovale-alongée, terminée par une pointe droite ; grain long, anguleux, très-dur et glacé ; paille roide et dure.

Les fromens de cette série appartiennent tous aux climats chauds ; on les cultive beaucoup en Afrique, dans le midi de l’Europe, et particulièrement dans les provinces méridionales de l’Espagne mais point ou peu en France, dont le climat leur convient mal. Nous ne parlerons donc pas en détail de leurs variétés et nous en mentionnerons une seule, qui peut figurer avec quelque avantage au nombre de nos blés de mars.

†34. Trimenia, ou blé trémois barbu de Sicile (fig. 544). Son épi, glabre et jaunâtre, est presque quadraugulaire, long, un peu étroit, les barbes droites et peu écartées. Le grain, de forme alongée, est moins anguleux que dans les autres variétés de cette espèce ; la paille est fine, roide et assez dure, ce qui n’empêche pas que le bétail ne la mange fort bieu. Depuis environ 20 ans que ce blé a été introduit par François de Neufchateau, nous l’avons semé plusieurs fois avec succès aux environs de Paris et en Gâtinais ; il nous a paru moins difficile sur le terrain que les autres blés de mars, et pourrait, dans certains cas, leur être préférable, quoique le peu d’apparence de son grain lui donne, relativement à eux, du désavantage pour la vente.

D. — Blé de Pologne (Tr. Polonicum).
(fig. 545.)

Cette espèce se distingue facilement de toutes les autres, par ses grands et longs épis barbus, d’un blanc jaunâtre, par ses glumes très-alongées, et par son grain très-long aussi, de la forme de celui du seigle, et glacé au point d’être presque transparent.

35. Quoique le blé de Pologne ait quelques variétés, nous ne parlerons que de celle à épi long, connue aussi sous les noms de seigle de Pologne, seigle d’Astracan, etc. (fig. 545), qui a été l’objet d’essais multipliés en France. Malgré sa belle apparence et la bonne qualité de son grain, il a été presque partout abandonné après quelques années de culture : comme blé d’automne, il est délicat pour notre climat, où les hivers lui sont assez souvent funestes ; comme blé de printemps, il mûrit incomplètement et son grain reste imparfait ; nous l’avons de plus trouvé toujours peu productif ; nous ne saurions donc en recommander la culture. Ne doutant pas, toutefois, qu’il ne soit long-temps encore l’objet de nouvelles tentatives, nous conseillerons, si on le sème avant l’hiver, de lui donner une terre très-saine, attendu qu’il craint singulièrement l’humidité, et si l’on en veut faire un blé de printemps, de le semer dès le mois de février. M. le comte de Bussy, qui cultive le blé de Pologne depuis 10 ans, aux environs de Nogent-le-Rotrou, nous a dit en être assez satisfait, en choisissant cette époque de semaille. Nous ajouterons que notre opinion, peu favorable sur cette belle espèce de froment, se rapporte seulement au nord de la France ; nous ne croyons pas impossible que, dans le midi, il ne se montre beaucoup meilleur, d’autant plus que, malgré son nom, nous le regardons comme originaire d’Afrique. Les noms de blé d’Egypte, blé du Caire, qui figurent au nombre de ceux qu’on lui donne en Allemagne, paraissent l’indiquer, et ce dont nous sommes certains, ’est que Broussonnet en a envoyé, il y a environ 30 ans, du royaume du Maroc, au Jardin des Plantes, sous le nom de blé de Mogador.

E. —Epeautre (Tr. Spelta).
(fig. 546 et 547.)

Epi long et grêle, à épillets écartés, laissant l’axe à nu dans leurs intervalles ; glume épaisse, coriace, tronquée ; axe de l’épi fragile ; balles adhérentes au grain.

Les épeautres sont beaucoup moins cultivées que les fromens a grain nu, ce qui tient sans doute principalement à ce que leur grain ne se séparant pas de la balle par le battage, on est obligé, pour le dépouiller, de le faire passer une première fois sous la meule un peu soulevée ; ces blés sont regardés comme plus rustiques, moins difficiles sur le terrain que les autres fromens et résistant mieux à l’humidité. Ils sont principalement cultivés dans les pays froids et montueux, notamment en Suisse et dans une partie de l’Allemagne septentrionale ; tous sont d’automne, quoique susceptibles de mûrir semés jusqu’en février ; quelques-uns, même, selon Metzger, préfèrent cette dernière époque.

Le grain des épeautres, bien qu’un peu anguleux et de médiocre apparence, donne une farine très-estimée pour sa douceur et sa finesse, et que l’on emploie, de préférence à toute autre, pour les pâtisseries légères.

36. Les variétés barbues ou sans barbes, lisses ou velues, sont assez nombreuses ; la plus cultivée est l'épeautre sans barbe, à épi blanc ou rougeâtre (fig. 546), qui paraît être la meilleure pour le produit et la qualité.

††37. L’épeautre noire barbue (fig. 547) est aussi une espèce vigoureuse et productive, mais qui, d’après Metzger, doit être semée de préférence en février ou au commencement de mars.

F.—Froment amidonnier (Tr. Amyleum).
(fig. 548.)

Epi barbu, comprimé, composé d’épillets étroits, rapprochés, et imbriqués régulièrement sur deux rangs ; épillet à deux grains.

Les blés de cette race étaient autrefois compris parmi les épeautres, et en ont été separés par les botanistes modernes ; on leur donne fréquemment dans la pratique le nom d’épeautres de mars. Ce qui a été dit des qualités de l’espèce précédente leur est très-généralement applicable ; mais tous sont de printemps et veulent être semés de bonne heure à la fin de l’hiver.

†38. Parmi leurs varietés, qui sont assez nombreuses, celle à épi blanc et glabre (fig. 548) est d’une très-ancienne culture en Alsace, ou elle est estimée comme productive et de bonne qualité, et où on lui donne les noms d’amelkorn, d’amylon et d’épeautre de mars. D’après le témoignage de M. Wagini, elle réussit dans les terrains médiocres, trop pauvres pour l’épeautre d’automne ; la paille en est estimée pour le bétail.

G. —Froment engrain (Tr. Monococcum).
(fig. 549.)

Epi barbu, dressé, étroit, très-aplati, composé de deux rangées d’épillets très-resserrés et à un seul grain.

Cette céréale, qui, par l’apparence de son épi, ressemble plus à une petite orge à deux rangs qu’à un froment, est inférieure à toutes les espèces précédentes, et pourtant elle ne laisse pas d’être fort utile, à raison de la facilité avec laquelle elle réussit dans les plus mauvaises terres calcaires ou sablonneuses. Dans une partie du Berry et du Gâtinais, on la sème avec succès sur des terrains regardés connue trop pauvres pour produire du seigle. Nous l’employons personnellement en grand sur des terres excessivement calcaires, où, sans fumure, elle donne d’assez bonnes récoltes ; sa paille est très-bien mangée par le bétail. L’engrain doit être semé a l’automne et peut l’être jusqu’en décembre, attendu sa grande rusticité. On le sème quelquefois aussi sur la fin de l’hiver, mais il faut que ce soit de bonne heure, dès février, attendu que sa maturité est un peu tardive.

†39. Nous n’en connaissons d’autre variété que celle figurée ici (fig. 549), dont l’épi est d’un jaune roux.

Quelques considérations additionnelles sur les especes et les variétés de froment.

Blés rouges et blés blancs. On a vu plus haut que, parmi les variétés du froment ordinaire (Triticum sativum), il s’en trouve à grain blanc et à grain rouge ou rougeâtre : les premiers, désignés sous le nom de blés blancs, sont regardés comme les meilleurs de tous les fromens ; on a, depuis quelques années, mis beaucoup d’intérêt à les introduire dans le centre de la France, et presque partout les cultivateurs en ont été extrêmement satisfaits ; mais, dans beaucoup de lieux, les meuniers et les boulangers les ont décriés, au point d’en faire quelquefois délaisser la culture. Le mémoire de M. Desvaux contient à ce sujet des remarques importantes, dont nous croyons utile de reproduire ici la substance. Le défaut des fromens blancs est de donner une pâte trop courte et moins liée que celle des fromens rouges ; cela tient à ce qu’ils contiennent une trop grande proportion de fécule ou d’amidon, au détriment de celle du gluten. Il suffirait. dès-lors d’y ajouter, à la mouture, une petite portion de blé dur ou glacé, dans lequel le gluten surabonde, pour en obtenir une pâte parfaite. Ce mélange, selon M. Desvaux, pourrait, au besoin, être suppléé par l’addition à la farine de blé blanc d’une petite quantité de gélatine animale.

Blés durs et blés tendres. Selon M. Desvaux, les fromens durs ne donnent que 70 parties de pain sur 100 parties de farine brute, tandis que les fromens tendres, et les blancs spécialement, en donnent 90. Ce serait une grande raison pour préférer les derniers ; toutefois les blés durs ont aussi leurs avantages ; le pain fait avec leur farine, quoique moins blanc, est plus savoureux, sèche et durcit moins promptement, et paraît être plus nutritif. Si ce dernier point pouvait être apprécié rigoureusement en chiffres, cela établirait peut-être la compensation. Nous ajouterons que les blés durs sont d’une conservation meilleure et plus facile que les blés tendres ; enfin, on sait qu’ils sont les plus propres à la confection du vermicel et des autres a pâtes analogues. —Les circonstances qui tendent a donner au grain du froment l’une ou l’autre de ces qualités sont imparfaitement connues. On sait qu’en général, les climats chauds, tels que celui de l’Afrique, donnent des blés durs, tandis que, dans le Nord, ce sont les blés tendres qui dominent ; mais cette règle présente bien des exceptions : ainsi, nous avons vu la touselle devenir beaucoup plus glacée aux environs de Paris qu’elle ne l’est en Provence ; quelquefois dans le blé de Pologne, froment dur par excellence, et dont la substance est presque vitreuse, on trouve des grains complètement tendres et farineux ; d’autres espèces, et notamment le trimenia barbu de Sicile, présentent assez fréquemment des grains dont une moitié est tendre et l’autre cornée. Les causes de ces variations, qui ne sont pas sans importance pour les cultivateurs, mériteraient d’être recherchées.

Blés d’hiver ou d’automne et blés de printemps. Linné avait fait de ces deux sortes de blés deux espèces botaniques ; ses successeurs ne les ont pas admises, et, comme botanistes, ils ont eu raison. Mais les agronomes, beaucoup d’entre eux du moins, ont eu tort d’abonder tellement dans ce sens qu’ils aient presque regardé comme une hérésie de faire mention de blés de mars et de blés d’automne comme de choses distinctes. Bien que ce ne soient, à la vérité, que des qualités acquises, qu’une habitude de tempérament résultant d’une longue succession de semis dans une saison donnée, il est certain, cependant, que cette qualité est fort importante à considérer pour le cultivateur. Plusieurs écrivains ont avancé que l’on pouvait faire à volonté, en 3 ou 4 ans, un blé de mars d’un blé d’automne, et réciproquement. Cette assertion nous paraît très-hasardée ; il est peu probable que l’on puisse faire ou défaire en 3 ou 4 ans ce qui, dans nos espèces acquises, est le résultat de la continuité d’une même influence pendant des siècles. D’un autre côté, le peu de faits que nous connaissons est, en général, contraire à cette opinion. Nous pensons, enfin, qu’elle peut être récusée par cela seul qu’elle est généralisée ; il est possible, en effet, qu’à l’épreuve, cette proposition se trouvât vérifiée pour une variété de froment, et qu’elle fût démentie pour dix autres. Les agriculteurs doivent donc se garder de ces raisonnemens théoriques qui tendent à leur persuader que du blé d’automne et du blé de mars sont à très-peu près la même chose ; s’ils ont à semer du froment au printemps, qu’ils prennent un vrai blé de mars, et qu’ils choisissent plus soigneusement encore un vrai blé d’hiver, s’ils sèment en automne. Mais tout en nous faisant ici les avocats de la routine contre la fausse science, nous sommes très-loin de rejeter des essais et des tentatives ayant pour but d’éclairer ces questions et d’augmenter l’utilité des variétés. Voici même un sujet de recherches que nous proposerons. Rien ne serait, selon nous, plus important que d’arriver à trouver un froment qui pût servir également pour les deux saisons, qui fût à la fois très-rustique comme blé d’hiver, et assez hâtif pour que, semé en mars et même en avril, il parvint constamment, et dans le temps ordinaire des moissons, à sa maturité complète. On conçoit l’avantage qu’offrirait un pareil blé pour réparer les désastres d’un hiver rigoureux, ou les destructions locales causées par les inondations, par les mulots, les insectes, etc. En pareils cas, on a vu les fermiers manquer de blés de mars pour les réensemencemens, et être obligés de remplacer par de l’orge et de l’avoine leurs fromens détruits. Ici, les blés d’automne offriraient une ressource immédiate. Ce problème est probablement très-difficile à résoudre, attendu qu’il ne suffirait pas de la double condition énoncée plus haut, mais qu’il faudrait encore que ce fût un blé productif et de bonne qualité. Malgré la difficulté, nous ne croyons pas la chose impossible : la nature est si libérale en variétés et en combinaisons de qualités ! Nous proposons cette tâche à des agriculteurs à la fois jeunes, éclairés et persevérans ; il s’en élève heureusement aujourd’hui de tels en France. Un de leurs devanciers dans la carrière, un des meilleurs cultivateurs que nous possédions, M. Bourgeois, de Rambouillet, l’a déjà essayé sur le blé lammas sans un succès décisif ; semé en mars, le grain n’était pas toujours assez nourri ou assez complètement mûr pour faire un bon blé marchand, et cette condition est de rigueur : à défaut du lammas, un autre froment d’automne la réalisera peut-être. Nous avons indiqué par des marques ††, dans l’énumération qui précède, quelques variétés réputées ou soupçonnées être des deux saisons ; on pourrait commencer par celles-là sans renoncer à en essayer d’autres. Enfin, on a la ressource des variations naturelles et spontanées : en s’attachant à rechercher dans un bon froment d’automne, sur pied, des épis qui, sans altération accidentelle, fussent d’une maturité beaucoup plus précoce que le reste du champ, on parviendrait peut-être, ainsi, à créer ou trouver une variété qui satisfit aux conditions énoncées. C’est une œuvre de patience que nous proposons ; mais on a bien vu des hommes employer leur vie à étudier et créer des variétés de jacinthe ou de tulipes ; pourquoi n’en verrait-on pas qui destineraient quelques semaines par année à étudier et créer des variétés de froment ?

§ ii. — Choix du terrain.

Les sols qui ont été désignés dans la seconde section du chapitre ii de ce livre, sous le nom général d’argilo-sableux, sont ceux qui conviennent le mieux au froment ; mais ils ne sont pas les seuls dans lesquels cette précieuse graminée puisse donner de bons produits. Chaque jour, grâce à l’emploi plus abondant et mieux raisonné des engrais et des amendemens, on s’aperçoit qu’il est possible d’étendre profitablement sa culture à des terrains qui n’en avaient point encore porté. — On doit regarder son apparition sur beaucoup de points de la France comme une preuve évidente des progrès agricoles. Avec une préparation convenable, les terres fortes peuvent donner de beaux fromens. Toutefois les terres franches leur sont préférables, non seulement parce qu’il est plus facile de les travailler, mais encore parce qu’elles réunissent au plus haut degré les propriétés physiques les plus favorables, c’est-à-dire une consistance moyenne et une aptitude convenable à retenir l’humidité pluviale, tout en se pénétrant suffisamment de la chaleur solaire.

Le sol, les engrais et les amendemens apportent une grande différence, non seulement dans la quantité des produits du froment, mais dans les proportions relatives de ces produits, pailles et grains, et même dans celles des parties constituantes du grain, considéré chimiquement. — Si le choix des fumiers peut ajouter, aussi sensiblement qu’on l’a répété, à la quantité de gluten, il est certain que la nature du terrain influe beaucoup sur celle de la farine et du son. — Un champ humide produit des grains à écorce épaisse ; — un champ plus accessible à la chaleur donne une paille sensiblement moins longue, mais des grains mieux nourris en farine et par conséquent de plus de valeur, puisque le volume du son est toujours en raison inverse du poids total.
§ iii. — De la préparation du sol.

Une des circonstances les plus nécessaires à la réussite du froment, c’est que le sol soit net de mauvaises herbes et suffisamment ameubli, au moins à quelques pouces de sa surface ; car, après un labour profond, il n’est pas nécessaire de donner au soc une grande entrure avant d’exécuter les semailles.

Nous venons de dire, après un labour profond, et, en effet, ce serait se faire une fausse idée de la croissance du froment, de croire que, parce que ses racines se contentent, à la rigueur, de 5 à 6 pouces, elles ne sont pas susceptibles de s’étendre d’avantage. Il est de fait que leur longueur est proportionnée à l’épaisseur de la couche arable, et il est hors de doute que leur développement plus ou moins grand influe sur celui de la tige. Toutefois, pour que ce développement ait lieu même au-delà des limites ordinaires, il n’est pas indispensable que le sol ait été tout nouvellement remué à une grande profondeur. — On a même cru remarquer que cette céréale s’accommode mieux, après l’émission de ses premières racines, d’un fond de consistance moyenne, que de celui qui aurait été ameubli à l’excès, et que, généralement, elle craint moins les effets du déchaussement dans le premier que dans le second cas.

A la surface du sol, il faut aussi, par un autre motif, éviter plutôt que chercher à atteindre une pulvérisation complète. Les petites mottes que les cultivateurs aiment à voir sur leurs guérets après les semailles, ont l’avantage de retenir la neige, et, en se fendant plus tard à la suite des gelées, elles procurent aux jeunes plantes un utile rechaussement.

De tout cela il ne faut pas conclure que le froment se plaise sur des terrains peu ou mal labourés. La première observation doit engager seulement à ne pas donner trop de profondeur aux derniers labours, la seconde à modérer l’énergie des hersages ; et il n’en reste pas moins démontré que plus la terre a été ouverte aux gaz aériens, mieux elle est propre à la végétation du froment. — Le système de Tull, qu’avait en quelque sorte adopté Duhamel ; Celui que le major Beatson a cherché tout récemment à faire prévaloir, et dont on ne peut nier quelques-uns du moins des résultats, viennent à l’appui de cette vérité. — Il est évident que les petites mottes dont il a été parlé ne font qu’ajouter aux bons effets des labours, puisqu’elles multiplient les points de contact du sol avec l’atmosphère. C’est en grande partie pour se donner le temps de préparer convenablement les champs aux semailles d’automne, qu’on a si longtemps suivi sur une grande partie de la France, et qu’on suit malheureusement encore dans beaucoup de lieux, la coutume de jachères biennales ou triennales, et que, même d’après les méthodes de culture les plus perfectionnées, on a fréquemment recours à des jachères partielles. C’est par suite du même principe que les fromens succèdent généralement avec avantage aux cultures fumées qui ont exigé de fréquens binages ou des butages. Dans toutes ces circonstances, le but principal est atteint : la terre est nettoyée, suffisamment ameublie, riche sans excès, pénétrée des gaz atmosphériques. La coïncidence de ces deux dernières conditions, comme on a pu déjà le pressentir, semble acquérir une importance toute particulière relativement au froment, lorsqu’on songe que c’est une des plantes qui réussissent le moins bien sur les terres qui n’ont point été encore ou qui n’ont pas été depuis longtemps sillonnées par la charrue. Personne n’ignore, en effet, qu’après un défoncement sur une défriche quelconque, ou sur une vieille luzerne retournée, etc., le froment donne, comparativement à toutes les racines, et même à l’avoine, à l’orge et au seigle, de fort chétifs produits. Cependant, il faut se hâter d’ajouter que le trèfle, comme culture étouffante (voy. l’art. Assolement), lorsqu’il n’occupe le sol que peu de temps, et par cela même sans doute qu’il ne l’occupe que peu de temps, est une excellente préparation pour le froment. Cette exception, si on peut la considérer comme telle, est désormais bien connue.

Il serait impossible d’indiquer d’une manière précise le nombre de labours qu’il convient de donner pour préparer un champ aux semailles de blé, sans répéter en partie ce qui a été dit dans le chapitre v de ce livre, et dans la 3e section du chapitre ii, puisque ce nombre doit, de toute nécessité, varier en raison de la nature et de l’état du sol. — Sur une jachère, 3 ou 4 façons sont parfois insuffisantes ; — sur un trèfle rompu, — après une culture de vesce ou de sarrasin, — après une récolte de féverolles binées, etc., etc., — un seul labour peut, au contraire, assez souvent suffire.

Les cultures intercalaires, considérées comme préparation au semis du froment, doivent donc être prises en grande considération. On a cherché à établir, sur ce point, des règles générales à l’article Assolement ; nous croyons devoir en rappeler ici les conséquences pratiques : Dans les terres fortes, les fèves pour les blés d’automne, les choux pour ceux de printemps, lorsque leur réussite a été assurée par de riches engrais, sont généralement suivis d’une belle moisson. Si nous ne consultions que notre propre expérience, nous en dirions autant de la betterave, et il serait facile de trouver ailleurs bon nombre d’écrits et d’exemples à l’appui de notre opinion ; mais, comme nous n’ignorons pas que les avis des cultivateurs sont encore partagés sur ce point, nous laissons à l’avenir le soin de prononcer en dernier ressort, bien convaincus, pour notre part, que sa décision sera favorable. — M. Mathieu de Dombasle a reconnu, conformément à la pratique allemande, que le colza ou la navette précède ordinairement une belle récolte de blé ; nous avons pu fréquemment constater le même résultat sur divers points de la France, et, plus particulièrement, chez un habile cultivateur de l’Ouest, M. B. Cesbron, qui ne craint pas, dans ses assolemens, ordinairement très-fructueux, de faire venir régulièrement le froment après le colza. — Dans les terres franches, moins tenaces que les précédentes, le trèfle est, ainsi que nous l’avons déjà dit, une des meilleures cultures préparatoires. Enfin, dans les sols encore plus légers, la lupuline peut, jusqu’à un certain point, le remplacer pour cette destination. Quant aux pommes-de-terre, l’opinion la plus répandue parmi les cultivateurs praticiens leur assigne une autre place ; et, quoique nous soyons fondés à dire qu’avec d’abondans engrais elles n’épuisent pas assez le sol et ne l’effritent pas tellement qu’on ne puisse obtenir après elles de beaux fromens, toujours est-il qu’à moins d’expériences répétées avec succès pour chaque localité particulière, nous ne voudrions pas recommander d’une manière générale de faire suivre immédiatement leur récolte d’une culture de froment, ou tout au moins de froment d’automne.

Les amendemens calcaires conviennent particulièrement à la culture du froment, dans tous les cas où l’on peut les employer conformément aux principes qui ont été développés ailleurs. — Dans les départemens où l’on fait un usage convenable de la chaux, on a remarqué que la qualité des blés s’est progressivement améliorée, non que les pailles y acquièrent des dimensions plus qu’ordinaires, mais parce que les épis y sont plus pleins et mieux nourris ; parce que la terre, disent les laboureurs, devient plus grainante. Ce fait, d’une grande importance, et sur lequel l’attention du cultivateur n’a pas été peut-être jusqu’ici assez attirée, si l’on s’en rapporte aux analyses répétées de Saussure, ne peut être dû à l’assimilation du carbonate de chaux dans l’acte de la nutrition ; car la petite proportion de ce sel qu’on retire par l’incinération des chaumes disparait dans les épis pour faire place à une quantité presque toujours assez considérable de phosphate de chaux. Mais, soit que ces phosphates apparaissent dans le sol en même temps que les carbonates, à mesure que la chaux change d’état, soit que cet oxide forme avec les engrais, conformément à l’opinion de Chaptal, de nouvelles combinaisons mieux appropriées aux besoins de la plante, toujours est-il que si l’explication est incomplète ou douteuse, les effets sont avérés. Il y a quelques années, diverses personnes employèrent des résidus d’os, dont on avait extrait en grande partie la gélatine ; le journal de la Société industrielle d’Angers constata les résultats avantageux de ces essais sur les fromens. L’un de nous fit aussi des expériences qui lui donnèrent à penser que le phosphate de chaux, malgré son apparente insolubilité, pourrait bien être un utile stimulant de la végétation des blés. Toutefois, comme ces os contenaient encore visiblement de l’engrais, la question dut rester indécise. — Il est fort à désirer que de nouvelles tentatives viennent jeter quelque jour sur la théorie si curieuse et encore si peu avancée des stimulans. — Qu’on ne perde pas de vue les effets prodigieux du plâtre sur les légumineuses.

Presque partout on emploie exclusivement les engrais de litière produits dans la ferme même, mais il y a deux manières de les appliquer : En se conformant aux anciens usages, on fume directement pour le froment ; et quoique cette méthode ait l’inconvénient de porter souvent dans le sol les germes de mauvaises herbes, ou de faire partiellement verser les récoltes, lorsqu’on ne peut disposer que d’une faible quantité de fumiers, elle est encore la meilleure, surtout si ces fumiers sont déjà en partie consommés lorsqu’on les répand. — D’après le nouveau système de culture, au contraire, la masse des engrais disponibles étant beaucoup plus considérable, et l’usage de les répandre moins consommés commençant à prévaloir, on fume abondamment les plantes sarclées qui ouvrent la rotation, et l’on obtient parfois ensuite, sans addition de fumier, jusqu’à deux céréales séparées par un trèfle, l’une la seconde, l’autre la 4e année. Une trop grande fertilité du sol est peu favorable à la production immédiate du froment, parce qu’en donnant lieu à une végétation luxuriante des chaumes, elle les conduit a l’étiolement, et que, si elle ajoute à la longueur de la paille, ce ne peut être qu’au détriment de la qualité du grain. Aussi peut-on dire sans paradoxe que les meilleures récoltes de blé ne se font pas toujours dans les champs les plus féconds.

Assez souvent, au lieu de les répandre immédiatement sur le terrain, on transforme les engrais en composts, en les mêlant à une certaine quantité de terre et de chaux. Cette méthode est fort bonne en pratique. Un de ses principaux avantages est de faciliter plus que toute autre l’égale répartition de la matière fécondante à la surface, et par suite dans la masse du sol. — Les cendres lessivées, celles de tourbe, etc., etc., ajoutent à la masse et à l’énergie de semblables mélanges, dont on a fait connaître ailleurs la composition, les proportions et le mode d’emploi.

Quant aux engrais pulvérulens, on les emploie, par supplément aux autres, plutôt pour des cultures intercalaires, telles que celles des choux, des colzas. des navets, des betteraves, etc., que pour le froment. Cependant, lorsqu’on veut éloigner dans une terre peu féconde le retour d’une fumure complète, on peut les utiliser fort bien pour préparer une récolte céréale. Selon qu’ils sont de nature à se décomposer ou moins ou plus vite, on les répand pour cela sur le trèfle avant sa dernière coupe, ou sur le froment même avant le hersage qu’on est, en certains lieux, dans l’usage de lui donner au printemps.

Pour les terres meubles naturellement sujettes à se soulever par l’effet des gelées, le parcage peut donner encore un engrais d’autant meilleur que le fumier de mouton augmente, dit-on, la quantité de gluten du grain, et que le piétinement du troupeau produit un plombage nécessaire. L’un de nous (M. Vilmorin) s’est toujours on ne peut mieux trouvé de faire parquer sur ses blés semés sous raie, dans les sols crétacés du Gâtinais, immédiatement après les semailles.

§ iv. — Choix des semences.

Notre vénérable confrère, M. Tessier, a soutenu par d’excellens raisonnemens et démontré par des faits positifs, que le renouvellement des semences ne peut être considéré comme une chose généralement nécessaire, ou même utile à la belle qualité des blés. Cependant, tandis que les habiles cultivateurs du pays de Caux et de plusieurs autres parties du royaume semblent attester, par une longue et invariable pratique, la solidité de cette opinion, d’autres cultivateurs non moins éclairés suivent une marche contraire, et demeurent convaincus, après des expériences répétées, des avantages qu’elle leur procure.

La première solution qui se présente à l’esprit, de faits aussi contradictoires, est tout naturellement que le froment, comme le lin, le chanvre et la plupart des plantes cultivées, se conserve plus longtemps exempt de toute dégénérescence, et dans un état de belle végétation, en certaines localités, que dans d’autres. Qu’un tel résultat soit exclusivement dû à la nature du sol ou à des causes moins facilement appréciables, il n’en est pas moins positif et bien reconnu comme tel par toutes les personnes qui se sont un peu occupées de physiologie végétale, dans ses rapports avec la culture. Sans sortir des limites étroites de la France, nos jardins, nos champs en offrent de frequens et d’irrévocables exemples. D’un autre côté, les soins différens de culture peuvent influer beaucoup sur la qualité des produits. Toutes circonstances égales d’ailleurs, le fermier qui néglige les sarclages, les criblages, d’autant plus nécessaires pour lui que ses grains sont inévitablement plus salis de mauvaises graines, et qui ne chaule pas convenablement, ne peut espérer d’aussi belles récoltes que celui qui fait bien toutes ces opérations ; de sorte que, tandis que le premier se trouve fréquemment contraint de renouveler, le second peut n’avoir aucun intérêt à le faire ; car il serait aussi déraisonnable pour lui de changer sa bonne semence pour une semence moins pure et moins nourrie, par cela seul qu’elle aurait été récoltée hors de chez lui, qu’il devient indispensable au cultivateur négligent de chercher ailleurs ce qu’il n’a pas su se procurer sur son propre champ.

Selon nous, ce qu’il importe avant tout dans le choix des grains de semis, c’est qu’ils soient de bonne qualité, bien mûrs, et sans mélange de semences étrangères. La question du renouvellement nous semble secondaire toutes les fois que cette première condition a été remplie. Elle devient au contraire fondamentale lorsqu’il en est autrement.

Les fromens nouveaux doivent être, autant que faire se peut, préférés pour semences. Il résulte cependant d’essais multipliés et précis, dus aussi à M. Tessier, qu’il n’est pas indispensable de semer toujours le froment de la dernière récolte. Des blés récoltés en 1779, non seulement levèrent, mais donnèrent de fort bons produits en 1787, 1788 et 1789. D’autres semences de 2 et de 3 ans présentèrent des résultats encore plus satisfaisans. « On peut donc regarder comme certain, ajoute notre vénérable confrère, que le froment bien mûr, et soigné convenablement, conserve longtemps sa vertu germinative, et qu’au moins celui des deux ou trois dernières récoltes peut servir comme celui de la plus récente, ce qu’on a peine à persuader aux cultivateurs. Comme il est un peu plus longtemps à germer, à cause de sa sécheresse, il faut le semer un peu plus tôt. Ces remarques, appliquées à l’usage, offrent plusieurs avantages. Les ensemencemens en froment ancien sont utiles : 1o  quand la dernière récolte est trop entachée de carie, dont le principe contagieux a moins d’activité dans les vieux fromens que dans les nouveaux ; 2o  quand, la grêle ayant ravagé tous les champs d’un fermier, il ne lui reste pour ressource que les grains de ses greniers ; 3o  dans les pays où la moisson retardée approche de trop près du moment où l’on doit ensemencer les terres, par exemple, dans les cantons montagneux ; 4o  enfin, quand les grains de la nouvelle récolte ont une qualité commerciale supérieure à celle de la précédente, circonstance où l’intérêt du cultivateur et celui du public exigent que, de préférence, on sème ceux de la précédente. » (Nouveau Cours complet d’agriculture théorique et pratique.)

À ces observations importantes, nous n’ajouterons qu’une seule remarque. C’est que, dans le cas où l’on se verrait forcé d’employer de vieux blés, il serait prudent de les essayer d’avance en petit, afin de s’assurer si un certain nombre de grains n’ont pas perdu leur propriété germinative, et de pouvoir, dans l’affirmative, proportionner la quantité de semence à celle des bons grains.

§ v. — De la préparation de la semence.

Après le criblage, la seule préparation nécessaire, antérieurement aux semis, est le chaulage, opération fort importante, qui a pour but principal de détruire, à la surface des grains de blé, les poussières globuliformes qui servent à la reproduction de la carie et peut-être du charbon.

Le chaulage s’opère de plusieurs manières, et à l’aide de diverses substances. Dans quelques lieux, on emploie le sulfate de cuivre dissous et fort étendu d’eau. Dans d’autres, l’acide sulfurique affaibli, la potasse, etc., etc. Mais, de toutes les matières minérales, l’une des plus efficaces, des moins dangereuses à employer, des plus faciles et des moins dispendieuses à se procurer presque partout, est la chaux, qui a donné son nom à l’opération.

Le chaulage se fait par aspersion et par immersion. D’après la première méthode, tantôt on répand la chaux concassée sur le grain, puis on verse dessus, en ayant la précaution de remuer sans cesse le mélange, autant d’eau qu’il est nécessaire pour l’éteindre et la transformer en bouillie ; — tantôt on fait d’abord fuser la chaux à l’eau chaude, et on la répand ensuite sur le grain pour l’en imprégner entièrement à l’aide d’une spatule.

Pour chauler par immersion, après avoir fait, comme précédemment, fuser la chaux jusqu’à ce qu’elle se délaie en consistance de bouillie fort claire, on y fait tremper le blé, on l’y remue à plusieurs reprises, de manière que chaque grain soit enveloppé et soumis sur tous ses points à l’action caustique, et on ne le retire que plusieurs heures après. — M. Tessier pense que 6 boisseaux combles, ou 100 livres (50 kilogrammes) de chaux de bonne qualité suffisent au chaulage de 8 setiers (12 hectolitres 1/2) de froment, et que ces quantités exigent au moins 260 pintes (242 litres) d’eau.

La chaux bien employée est, à bon droit, considérée comme un des meilleurs préservatifs contre la carie ; cependant il résulte des expériences de M. Mathieu de Dombasle qu’on peut ajouter encore à son énergie, par l’audition d’une petite quantité de sel marin. — Voici le résumé de ces expériences, faites sur des grains atteints également de carie, et infectés beaucoup plus qu’on ne les rencontre naturellement dans les circonstances les plus défavorables : — Mille grains, récoltés sur un terrain dont la semence avait été plongée pendant 2 heures dans une solution de 3 hectogrammes de sulfate de cuivre et de 1 kilo. 5 hectog. de sel commun (hydrochlorate de soude) pour 50 litres d’eau, n’ont donné que 9 grains cariés. — Mille autres grains, provenant des mêmes semences plongées pendant le même temps dans une solution de 6 hectogrammes de sulfate de cuivre pour 50 litres d’eau, n’en ont donné que 8. — Mille grains, provenant des mêmes semences plongées pendant 24 heures dans de l’eau dans laquelle on avait delayé 5 kilog. de chaux pour 50 litres d’eau, ont produit 21 grains cariés. — Enfin mille grains, provenant des mêmes semences plongées pendant 24 heures dans de l’eau dans laquelle on avait délayé à kilog. de chaux mêlée a 8 hectog. de sel commun pour 50 litres d’eau, n’en ont produit que 2. — Il est bon d’ajouter que, sur le terrain dont la semence n’avait reçu aucune préparation, de mille grains on en avait recueilli 486 cariés.

Il résulte de ces essais que le sulfatage, comme l’avaient indiqué toutes les expériences faites jusqu’à ce jour, est un moyen puissant pour détruire la carie ; malheureusement, quoiqu’on ait exagéré ses dangers, l’emploi des sels de cuivre pourrait ne pas être sans inconvéniens en des mains inexpérimentées. — La chaux d’ailleurs est, comme on voit, d’un effet certain, et il est facile encore d’ajouter à l’action destructive qu’elle exerce sur le germe de la carie, par l’addition d’une quantité pécuniairement peu appréciable de sel marin. Nous croyons donc devoir recommander l’emploi de la chaux, de préférence à celui de toute autre substance.

On a souvent proposé, et on propose encore journellement, une foule d’autres recettes pour ajouter à l’énergie du chaulage, pour disposer les grains à une germination plus prompte, et les jeunes plantes à une végétation plus belle. Jusqu’ici, à notre connaissance, aucune d’elles n’a survécu aux éloges des inventeurs, ou a une vogue passagère. Il est très-vrai qu’il existe des moyens de favoriser et d’activer le développement des germes, soit physiquement en mettant les graines dans des circonstances plus favorables, soit même chimiquement en rendant plus promptement soluble la substance amilacée des cotylédons ; mais il est au moins douteux que l’action d’un stimulant ou d’un engrais quelconque, appliqué aux semences, puisse s’étendre à toutes les phases de la végétation des plantes qui leur devront l’existence.

§ vi. — De la quantité de graines à employer pour les semis.

Cette quantité varie ou plutôt doit varier en raison de circonstances fort différentes. Dans les bons terrains, chaque pied tallant beaucoup, il faut moins de semences que dans un terrain médiocre ; — par la même raison, il en faut moins aussi pour un semis d’automne, fait en temps opportun, que pour un semis de printemps ; — moins dans un climat où les pluies printanières favorisent le développement des talles que dans celui ou les sécheresses l’arretent de bonne heure, etc. Rozier s’était déjà élevé fortement contre les semis trop épais, lorsque celui de nos confrères dont le nom, déjà plusieurs fois cité dans cet article, se rattache depuis près d’un siècle aux progrès de l’agriculture française, M. Tessier, voulut consulter la pratique aussi sur ce point. Il fit donc en divers lieux des expériences qui le conduisirent à ces résultats : « Qu’en ne s’attachant qu’à celle dont la différence de la semence et du produit comparés est la moindre, on trouve qu’en ensemençant un arpent de 100 perches de 22 pieds (1/2 hectare), avec 180 livres de froment, au lieu de 225 qu’on est dans l’usage d’employer, on peut recolter 441 livres de froment de plus dans une terre de bonne qualité. » — Une autre expérience offre des résultats plus tranchés encore, puisqu’elle prouve qu’en ensemençant un arpent avec 100 livres au lieu de 225, on peut récolter 405 livres de plus ; mais, quoique M. Tessier ajoute qu’elle a été faite en terrain médiocre, il ne faut pas perdre de vue qu’en pareil cas il y aurait inconvénient réel à semer trop clair, car on doit avant tout désirer que le terrain soit couvert, non seulement afin d’obtenir plus de tiges et d’épis, mais aussi plus de paille, ce qui n’est pas un avantage à dédaigner.

On sème ordinairement à la volée, terme moyen, 200 litres par hectare. — Pour les semis en lignes, à 9 pouces de distance, la proportion peut être du tiers, et même de moitié moindre.

§ vii. — De l’époque des semailles.

Il est tout aussi impossible de fixer d’une manière précise l’époque des semailles que la quantité absolue des semences qu’elles exigent pour un espace donné. La disposition des climats, les variations des saisons et la nature différente des terres, apportent nécessairement d’importantes modifications.

En France, on sème les fromens dits d’automne depuis le mois de septembre jusqu’aux approches de janvier. Vers le centre, la meilleure époque parait être le milieu d’octobre.

Il résulte de longues observations, qu’en général les céréales d’automne semées tard produisent moins de paille et plus de grains que celles qu’on a semées de bonne heure. Il peut donc arriver que des semailles tardives donnent d’aussi bons et même de meilleurs produits que des semailles précoces. Mais, généralement, le contraire à lieu, et nous pensons qu’on ferait bien de semer toujours de bonne heure si on était prêt à le faire, circonstance assez rare, tantôt parce que les sécheresses, en se prolongeant, rendent les labours impossibles, tantôt parce que des pluies accidentelles ne permettent pas d’entrer dans les champs. Les terres argileuses, surtout, présentent fréquemment l’un ou l’autre de ces empêchemens ; aussi, laissant tout autre travail de côté, le semeur doit-il saisir avec empressement l’occasion favorable, celle ou les mottes se trouvent dans un état moyen entre l’humidité et une dessication excessive, de sorte qu’elles puissent obéir convenablement a l’action de la herse ou du versoir.

Au printemps, les semailles précoces sont presque toujours fort avantageuses, parce que les blés ont le temps de développer un plus grand nombre de talles avant l’époque où les chaleurs les saisissent. Malheureusement, si la dureté du sol n’est pas à craindre dans cette saison, l’eau qu’il contient en surabondance est souvent un très-grave obstacle sur les terres à froment, non seulement parce qu’elle entrave le labour ; qu’elle rend impossibles les semis sous raies ; mais encore parce qu’elle contribue physiquement à empêcher ces sortes de terres de s’échauffer aussi promptement qu’il serait désirable. Un tel effet est d’autant plus marqué que l’argile domine davantage dans la couche labourable, et que celle-ci repose sur un sous-sol peu perméable.

§ viii. — Des divers modes de semailles.

On en connaît trois principaux : les semailles à la volée, celles au semoir, enfin, celles au plantoir.

Les semailles à la volée se font sur raies, c’est-à-dire à la surface du champ, pour être recouvertes à la herse ; ou sous raies, de manière a l’être par la charrue. Nous ne répéterons pas ce qui a été fort bien dit, sur ces deux moyens, par l’un de nos collaborateurs, dans le vii chapitre de ce livre, auquel nous renvoyons le lecteur : pour les procédés généraux de sémination, ceux que l’on emploie pour recouvrir la semence et plomber le terrain ; — pour l’importance de la coopération d’un bon semeur ; — relativement à la difficulté de donner, pour exécuter les semis à la volée, des indications suffisantes pour mettre au fait celui qui ne serait pas familiarisé par la pratique avec les précautions qu’exige cette opération ; — pour le choix des instrumens ou ustensiles qu’emploie le semeur pour porter la graine qu’il répand, etc., etc.

Les avantages des semis sous raies sont de permettre : de recouvrir davantage les semences dans un terrain léger ; — de les répandre sur un fonds en quelque sorte plombé par suite de l’action de la charrue ; — de les défendre plus efficacement contre les effets du déchaussement ; mais, à côté de ces avantages, se trouve l’inconvénient grave de la lenteur du travail, qui compense souvent et bien au-delà, la perte de semences que l’on reproche avec raison aux semailles sur raies, quelques soins que l’on donne au hersage. L’extirpateur offre un moyen expéditif d’enterrer, si non précisément sous raies, au moins d’une manière analogue.

Les semis en lignes présentent d’incontestables avantages pour la culture de la plupart des récoltes dites sarclées ; mais, ainsi qu’on a pu le voir dans le chapitre déjà précédemment cité, ils n’ont pas jusqu’ici prévalu en France pour les céréales, ni même dans la plupart des provinces d’Angleterre, quoiqu’on les considère, dans beaucoup de parties de ce pays, « comme le meilleur moyen connu jusqu’ici de cultiver les grains, et aussi de conserver la fertilité du sol par la destruction des mauvaises herbes. » (Sir J. Sinclair, Agriculture pratique et raisonnée.)

Les principaux argumens que font valoir les Anglais en faveur de l’emploi du semoir, pour les céréales, sont, après l’économie des semences, la régularité du travail, la facilité de régler la profondeur selon la nature des terrains, et de donner les façons qui facilitent la végétation pendant les diverses phases de la croissance des plantes ; — de pouvoir diminuer au besoin la quantité d’engrais, tout en augmentant leur efficacité, parce qu’on les met en contact immédiat avec les racines. Ils considèrent de plus que les binages faits entre les lignes sont utiles, non seulement à la récolte principale, mais aussi au trèfle ou a toute autre prairie artificielle semée au printemps ; — que les blés semés en lignes sont moins sujets à verser, parce que leurs chaumes acquièrent plus de force ; — que les frais de moisson d’une récolte semée en lignes sont moins considérables que ceux d’une récolte semée à la volée, puisqu’il est reconnu que, dans le premier cas, trois moissonneurs font autant d’ouvrage que quatre dans le second ; — que les semis en lignes ont une croissance plus égale, et que leurs produits sont en général de meilleure qualité ; — enfin, que les semailles en ligne, par suite des binages qu’elles admettent, non seulement facilitent la destruction d’une partie des insectes nuisibles, mais concourent puissamment au succès des assolemens dans lesquels les céréales reviennent fréquemment, parce qu’elles empêchent l’envahissement progressif des mauvaises herbes.

À ces diverses raisons, dont plusieurs ne sont ni sans fondement, ni sans importance, nos praticiens objectent le prix élevé des semoirs, qui ne permet pas de les introduire dans les petites exploitations ; l’irrégularité du travail de la plupart d’entre eux sur les sols pierreux ou en pente ; — le surcroît de main-d’œuvre, qui ne leur paraît pas suffisamment compensé par la différence des récoltes ; — les retards indispensables qu’entraîne l’emploi de ces sortes de machines, et qui sont incompatibles avec la célérité qu’exigent les semailles d’automne, et surtout celles de printemps, dans les saisons pluvieuses ; — enfin, loin d’admettre que les semis en lignes aient une croissance plus régulière, ils ont reconnu qu’elle est parfois tellement inégale, par suite des développemens progressifs des talles latérales, qu’à l’époque de la moisson, lorsqu’une partie des chaumes et des épis ont atteint un grand développement et une maturité complète, les autres restent faibles et presque verts.

Quoi qu’il en soit, les résultats officiels des essais que M. Hugues a faits sur divers points du royaume, pendant le cours des deux années précédentes, sont de nature à éveiller de plus en plus l’attention de nos concitoyens sur une question qui nous semble, malgré sa gravité, fort incomplètement résolue.

Il est certain que le semoir Hugues paraît devoir lever une partie des plus fortes objections dirigées contre ces sortes de machines. Presque partout on a reconnu sa solidité et la bonté de son travail, même dans des circonstances peu favorables. A la vérité, il ne peut être livré aux cultivateurs à moins de 250 à 400 fr., selon les dimensions et la rapidité du travail qu’on en obtient ; mais, dans une exploitation d’étendue moyenne, le prix d’achat serait bientôt couvert par l’économie de la semence, puisque cette économie est d’environ moitié. Quant au temps employé pour le semis, et aux frais qu’il nécessite, on verra que la différence est peu appréciable, en comparant les résultats suivants, extraits du procès-verbal du 9 octobre 1832, dressé par M. Bella, directeur de l’Institut royal agronomique de Grignon :

Avec le semoir de M. Hugues :

Seigle : 10 ares, semé à 6 pouces. Semence : 12 lit. 50 centil. à 12  fr. l’hect. 1  f. 50  c.

Temps employé :
18 minutes.
2 hommes à 20  c. l’heure, 0  fr. 12  cent.

1 cheval à 30  c. l’heure, 0  fr. 09  cent.

0   21

1  f. 71  c.

A la volée par un semeur de Grignon :

Seigle : 10 ares, semé à la volée. Hersage : 2 herses en bois attelées charnue d’un cheval conduit par un seul homme.

Semence : 22 litres a 12  fr. l’hectolitre

Temps
employé :
10 minutes d’un semeur à 20  c. l’heure, 0  f.03  cent.

13 minutes d’un homme aux herses, à 20 cent. l’heure. 0  fr. 04  cent.

30 minutes de 2 chevaux à 30  c. l’heure, 0  fr. 13  c.

0 20

Total..2 f. 84 c.

Jusque là, l’avantage en faveur du semis en lignes est donc de l fr. 14 c. pour les 10 ares, ou de 11 fr. 40 c. pour l’hectare. — Voici quels ont été les produits :

D’après la méthode de M. Hugues, 40 gerbes ont donné : 3 hectolitres 79 centilitres de grains ; — 24 gerbes de paille, 318 1/2 kilog. ; et 14 bottes dito, 105 1/2 kil. = En tout, 424 kil.

D’après la méthode de Grignon, 44 gerbes ont donné : 3 hectolitres 25 centilitres de grain ; — 24 gerbes de paille, 314 1/2 kil. ; et 18 bottes dito, 106 3/4 kil. = En tout, 421 1/4 kil.

Différence en faveur du semoir : 19 litres 54 centilit. pour les 10 ares, ou 195 lit. 4 cent, par hectare.

M. Bella ajoute : « L’un et l’autre seigles étaient de première qualité et du même poids, de 73 kil. l’hectolitre. La paille obtenue par le semoir était la plus belle, et a donné une gerbée de plus. Chaque partie a été faite sur une planche de 138 mètres de longueur sur 7 mètres 25 centimètres ; mais il est bon de faire observer que la partie faite selon la méthode de Grignon était couverte d’une rangée d’ormes sur toute la longueur de la planche, tandis que l’autre partie a été faite tout à côté de la première sur toute la longueur. » Sans doute cette circonstance a dû influer sur les résultats ; toutefois, dans beaucoup d’autres lieux, où les chances avaient été rendues plus égales, un succès plus grand encore a couronné le zèle ardent de M. Hugues. Si l’on ajoute à ces données les résultats obtenus pendant 10 ans dans la ferme expérimentale du département de l’Ain ; — les longues expériences de M. Devrède, constatées tout récemment par les soins de la Société d’agriculture de Valenciennes, dans le journal la Flandre Agricole et Manufacturière ; celles que fait depuis 6 ans, dans le midi, M. A. de Gasparin, etc., etc. : il sera difficile de ne pas reconnaître que les semis en lignes, même pour les céréales, présentent des avantages marqués selon les lieux et les circonstances. — Selon les lieux, car nous ne pensons pas qu’ils puissent réussir également sur tous les terrains et dans tous les climats ; — dans les sols arides ou sous les feux d’un soleil brûlant, comme dans les terres substantielles et fraîches, ou sous les latitudes du centre et du nord ; — pour les semis de printemps, connue pour ceux d’automne, etc. — Selon les circonstances, parce que le prix comparatif du blé et de la main-d’œuvre n’est pas toujours le même.

Ainsi qu’il a été dit ailleurs, les semis au plantoir ont été à peu près abandonnés, et nous pensons que c’est avec d’autant plus de raison qu’il est facile, à moindres frais, d’atteindre à bien peu près le même but, à l’aide des semoirs perfectionnés. Cependant nous ne pouvons omettre de parler de la méthode suivie, pendant plusieurs années, par le cultivateur distingué de Valenciennes dont nous avons déjà, un peu plus haut, fait pressentir le succès. « Je suppose, dit M. Devrède, le champ que j’ai dessein de planter de 6 mencaudées (1 hectare 37 ares 38 centiares), la terre bien préparée, comme pour un semis à la volée ; je pose deux cordes en travers de mon champ, soit sur sa longueur, soit sur sa largeur… Je les espace à 9 pouces de distance, et je place à chaque bout du champ un bâton de cette dimension. Deux planteurs, suivis chacun d’un enfant de dix à douze ans, sont armés d’un plantoir de la forme de ceux dont on se sert pour les colzas, si ce n’est que l’extrémité qui doit entrer en terre est en forme de boule de cinq pouces de diamètre, aplatie du côté de la terre, et au milieu de laquelle se trouve une broche de fer de deux pouces de diamètre et de deux pouces et demi de longueur. Avec cet instrument, les planteurs font des trous distans de 6 à 7 pouces, le long des cordes. La boule plate du plantoir tasse la terre, l’empêche de retomber dans les trous avant que les enfans qui suivent aient déposé trois à cinq grains de blé….. Comme les planteurs et les enfans arrivent ensemble à chaque bout, ils s’empressent de déplacer les cordes et de les replacer à la distance de 9 pouces que les lignes doivent toujours conserver entre elles. On commence la plantation par un des bouts, et l’on travaille en avançant dans le champ, afin de piétiner l’ouvrage qu’on laisse derrière soi. — Un hersage suffit alors : on pourrait même s’en dispenser si la terre se prête bien au piétinement, et si l’on voyait les trous bien bouchés.

D’après ce procédé, selon M. Devrède, l’ensemencement d’un hectare coûte 13 fr. 05 c., tandis que, d’après la méthode ordinaire, il ne revient qu’a 1 fr. 08 c. dans les mêmes circonstances ; mais, d’un autre côté, ce même hectare, au lieu de recevoir 1 hectolitre 1/5 de blé, n’en reçoit que 36 litres, et cependant, au lieu de 26 hectolitres 10 litres de produit moyen, il donne 39 hectolitres 15litres. — L’auteur ne parle pas des produits en paille.

Certes, sans nier de semblables résultats, nous sommes loin de croire qu’on en obtiendrait partout d’analogues ou même d’approchans ; mais, nous n’en tirons pas moins une induction de plus en faveur des semis en lignes, et nous concluons, comme nous avons commencé, en recommandant aux cultivateurs, non de changer immédiatement leurs méthodes, mais, lorsqu’ils en auront la possibilité, de les comparer à une autre pratique qu’il serait injuste de rejeter sans examen attentif, et maladroit de ne pas adopter partout où elle offrirait un avantage bien constaté. — Nous ne pouvons terminer plus utilement ce § qu’en citant encore M. Tessier, et en faisant connaître le résultat des expériences faites par lui à Rambouillet. — « L’ensemencement au plantoir, dit-il, a de l’avantage sur celui a la volée lorsque le blé est cher, dans un pays où les bras sont nombreux et les salaires à bon marché… En calculant a quel prix doivent être le froment et la main-d’œuvre pour qu’il y ait compensation dans l’une et l’autre méthode, j’ai trouvé qu’en supposant le prix de la main-d’œuvre constamment le même, l’avantage qu’il y a d’ensemencer au plantoir cesse lorsque le froment est à 13 fr. 74 c. l’hectolitre, ou il devient zéro : alors commence l’avantage pour l’ensemencement à la volée. J’observe d’ailleurs que, comme le profit de l’ensemencement au plantoir est en raison inverse de l’ensemencement à la volée, et qu’en prenant 13 fr. 74 c. pour le prix où l’une des méthodes n’a aucun avantage sur l’autre, il est clair que l’augmentation ou la diminution de l’avantage ou du désavantage suivra, à partir de ce point, la progression croissante ou décroissante des nombres naturels t. 2, 3, 4, etc. — Pareillement, supposant le prix du froment toujours le même, et celui de la main-d’œuvre variable, l’avantage en faveur de la méthode au plantoir cesse lorsque la journée d’homme est à 2 fr. 23 c., et celle d’enfant à 75 c. — On voit que l’avantage de l’une ou de l’autre méthode dépend absolument des différentes variations que peuvent subir et le prix de la main-d’œuvre et celui du froment ; que, quant à celui-ci, il n’est guère possible qu’il tombe a un prix assez modique (13 fr. 74 c.) pour faire perdre entièrement à l’ensemencement au plantoir son bénéfice ; qu’il n’en est pas de même du prix de la main-d’œuvre, qui, dans beaucoup d’endroits, peut être porté a 2 fr. 25 c. pour homme et 75 c. pour enfant.… » (Nouv. Cours d’agric. 1822.)

§ ix. — Des soins d’entretien des fromens.

Les soins que l’on donne fromens pendant leur végétation varient autant selon les coutumes locales que selon les véritables besoins de leur culture. En résumé, les principaux sont : des roulages, — des sarclages, — des hersages — et des binages.

Les roulages ne sont qu’accidentellement nécessaires. Sur les terres légères, un peu humides, tourbeuses, calcaires ou crayeuses, lorsqu’elles ont été soulevées par l’effet des gelées, et qu’il s’est formé à leur surface un boursoufflement qui met à nu une partie des racines, ces sortes d’opérations produisent un très-bon effet. En pareil cas, l’action d’un rouleau dont la pesanteur est proportionnée à la porosité du sol, peut sauver un champ de céréales d’une destruction presque totale. — Dans quelques parties de la Normandie, il est curieux de voir, sur des sols de cette nature, aussitôt que la saison le permet, les hommes, les animaux et même les voitures diverses qui composent le matériel de chaque ferme, parcourir en tous sens les champs de céréales, pour empêcher les désastreux effets du déchaussement. — C’est ici le lieu de rappeler que le parcage des moutons, en tant qu’il suit immédiatement les semailles, est, en pareil cas, une excellente pratique.

Les sarclages (voy. pag. 232 et suivantes), dont chacun connait l’importance et le but, quoique le manque de bras, ou, d’autres fois, l’incurie de certains cultivateurs les fasse négliger et même entièrement supprimer dans quelques lieux, sont cependant d’un usage plus général que les roulages. Sur les sols légers, ils produisent aussi, par le piétinement des femmes et des enfans chargés de les exécuter, une sorte de plombage fort utile.— Sur les terres argileuses ils pourraient avoir des résultats fâcheux, si on les entreprenait à contre-temps. Il faut donc soigneusement choisir le moment où la couche labourable n’est ni assez durcie pour entraver l’arrachement des mauvaises herbes, ni assez humide pour se comprimer sous les pieds des travailleurs. Il faut aussi avoir égard, avant de sarcler, à l’état de croissance des touffes de blés. Si on commençait avant qu’elles couvrissent suffisamment le sol, il pourrait arriver que beaucoup de plantes nuisibles prissent de nouveau le dessus. Si on tardait jusqu’au moment où les tiges granifères se développent, on courrait le risque de nuire au succès futur de la récolte. — C’est ordinairement, pour nos régions du centre, dans le courant d’avril qu’on rencontre l’époque la plus favorable ; néanmoins, si, à cette même époque, au lieu d’arracher les chardons, soit à la main, soit à l’aide de l’espèce de pince décrite et figurée page 233, on cherchait à les couper avec le sarcloir (voy. même page), on les verrait bientôt repousser de la racine, plus nombreux qu’avant l’opération. Par cette raison, il est bon de n’échardonner que lorsque le blé est déjà un peu grand et en tuyaux, c’est à-dire vers le commencement de mai. — Si au lieu d’un seul sarclage on était en position d’en donner plusieurs, ce qui est presque toujours utile, on devrait alors, étudiant les phases de la végétation des principales plantes nuisibles, les détruire successivement aux approches de la floraison de chacune d’elles.

Le hersage des blés, toujours plus facile et beaucoup plus profitable sur les terres fortes que sur les terres légères, n’est autre chose qu’un binage économique, donné dans le courant de mars, aussitôt que la terre est suffisamment ressuyée. En blessant au collet de la racine les jeunes touffes de céréales, et en les recouvrant en partie de terre, la herse provoque le développement de nouvelles racines et de nouvelles tiges coronales qui compensent et bien au-delà, par leurs produits, la perte du petit nombre de pieds qui sont détruits pendant le travail. Cette opération, dont les avantages sont désormais reconnus, exige toutefois des précautions assez grandes (voy. pag. 228 et suivantes). « Du reste, si, après le hersage, dit Thaer, le champ a toute l’apparence d’avoir été semé récemment, de sorte qu’à peine on y aperçoive une feuille verte, et qu’on n’y voit autre chose que de la terre, c’est alors que l’opération a le mieux réussi. Si même on y trouve des feuilles de froment déchirées (on n’y trouvera pas de plantes entièrement arrachées), peu importe. Après huit ou dix jours, selon la température, on verra les plantes pousser de nouveau, et le champ paraîtra alors beaucoup plus garni de plantes qu’un autre qui n’aurait pas subi cette opération. Dans les contrées où ce procédé est universellement connu, on pardonnerait au cultivateur toute autre négligence plutôt que l’omission de ce hersage dans le moment favorable et en temps propice. On laisse alors tout autre labeur pour pouvoir mettre tous les attelages sur les champs de céréales. On ne peut pas déterminer d’une manière générale combien de traits on doit donner avec la herse, parce que cela dépend de la ténacité du sol. Il faut herser à tel point que le champ soit partout couvert d’une couche de terre meuble, et que les crevasses qui se forment sur les terrains argileux lorsqu’ils se dessèchent, soient complètement recouvertes… » (Principes raisonnés d’agriculture, traduits de l’allemand par le baron Crud.)

Quant aux binages proprement dits (voy. pag. 225 et suivantes), nous craignons, malgré leur incontestable efficacité, qu’ils ne puissent être utilisés généralement pour les céréales, que dans les exploitations où l’on croira pouvoir adopter la culture en lignes.

Voilà néanmoins ce qu’en pense M. Mathieu de Dombasle : « Le binage du blé à la houe à main est une opération longue et assez coûteuse. Cependant, l’augmentation qu’elle procure toujours sur la récolte paie largement les frais qu’elle entraîne, et le sol reste en bien meilleur état pour les récoltes suivantes. Dans le binage du blé semé à la volée, vingt ouvriers font facilement un hectare dans la journée, dans la plupart des circonstances. — Comme on donne très-rarement plus d’un binage au blé, lorsque cette opération s’exécute à la houe à main, on doit le donner le plus tard qu’il est possible, c’est-à-dire lorsque le blé est sur le point de couvrir le terrain ; si on le donnait plus tôt, il repousserait encore beaucoup de mauvaises herbes ; mais, dans le premier cas, elles sont bientôt étouffées par les blés… »

Tous ces travaux ont pour but d’activer la végétation des blés. En de rares circonstances, soit que le terrain présente une fertilité excessive, soit que la douceur insolite de l’hiver ait occasioné le développement trop précoce des tuyaux, il peut être nécessaire de la retarder. Pour cela, on a recours à la faulx, à la faucille ou à la dent des animaux, et un champ de froment peut ainsi se transformer momentanément en un excellent pâturage, sans préjudice notable pour le succès futur de la récolte de grains. Toutefois, il ne faut user de l’un ou de l’autre de ces moyens qu’en des cas peu ordinaires. Quand on fauche, comme on peut couper les feuilles sans attaquer le collet de la plante, la végétation est moins retardée que lorsqu’on fait parquer les moutons qui broutent fort près de terre. On doit donc, avant tout, bien connaître la fécondité du sol sur lequel on opère, et tâcher d’apprécier les probabilités souvent trompeuses de la température des saisons.

Cette sorte d’affanage s’exécute vers la fin de l’hiver. À cette époque, les fanes peuvent déjà procurer un fourrage assez abondant. — D’autres fois on attend le milieu du printemps pour couper à la faucille la sommité des feuilles seulement, à la manière des cultivateurs de la Beauce et de plusieurs autres parties de la France.

Il est heureusement fort rare que les semailles d’automne se montrent assez mal au printemps pour qu’on soit obligé de les détruire. Il est arrivé cependant, dans l’appréhension d’une récolté décidément mauvaise, de mettre la charrue dans les fromens, pour y semer de l’orge, de l’avoine, ou quelque autre plante de mars. Nous engageons les cultivateurs à ne pas prendre, sans de mûres réflexions, ce parti extrême ; car souvent les récoltes trop claires donnent de meilleurs produits que celles qu’on leur substitue. — Dans le Mecklembourg, ainsi que l’attestent des expériences curieuses consignées dans les annales de la Société d’agriculture de cette contrée, « l’on a quelquefois semé, au moyen d’un fort hersage, de l’avoine sur un froment d’automne, qui semblait détruit par la gelée ; on a récolté le froment avec l’avoine, et fait sur le tout une bonne récolte ; mais le froment a surpassé l’avoine en quantité. »

Il est probable qu’on trouverait chez nous plus avantageux, après ce hersage, de répandre de la semence de blé de printemps. Du reste, il doit être assez rare d’obtenir, de l’une ou de l’autre de ces manières, des produits qui mûrissent bien également. [15:1:10]
§ x. — Des fromens de printemps.

Le succès des fromens de printemps est beaucoup moins certain que celui des fromens d’automne, dans toutes les parties du sud et même du centre de la France, et leur culture est d’ailleurs moins productive ; aussi, sont-ils à peine connus dans beaucoup de nos départemens. Cependant, ils offrent, partout où ils peuvent prospérer, une importante ressource, soit pour suppléer aux céréales d’automne, détruites par les intempéries de l’hiver, soit pour faire partie des assolemens dans lesquels le terrain ne peut être en état de recevoir des semences automnales.

Les fromens trémois exigent un terrain bien préparé par les labours, et riche en engrais d’une facile décomposition. — Comme leur végétation foliacée est promptement arrêtée par les chaleurs, ils tallent moins que les autres, et doivent par conséquent être semés plus épais. — En général, on trouvera rarement de l’inconvénient à semer jusqu’à 250 litres par hectare, quoique le moindre volume des grains puisse faire considérer cette quantité comme excessive, comparée à celle qu’on emploie pour les blés d’automne.

On a remarqué que les fromens de mars s’accommodent beaucoup mieux que les fromens de septembre, des sols légers, à la condition qu’ils aient de la profondeur, et par conséquent de la fraîcheur. C’est une raison de plus pour les semer de bonne heure, attendu que ces sortes de terrains sont plus tôt que d’autres accessibles à la charrue. Les semailles ont donc lieu ordinairement, dans le centre de la France, dès la mi-mars, quoiqu’elles réussissent encore, généralement, en avril et parfois en mai.

Les travaux d’entretien des céréales printanières sont moins nombreux que ceux que nous avons recommandés précédemment pour les céréales d’hiver. Le sarclage de mai ou de juin est, le plus souvent, la seule façon qu’on leur donne.

[15:1:10]
§ xi. — De la quantité des produits.

Le froment n’est pas seulement la plus utile, il est aussi une des plus productives de nos céréales ; car, si, à volume égal, il a plus de poids, ce qui est un indice suffisant de sa supériorité nutritive, assez souvent, sur une étendue donnée de terrain, il rend autant et plus en volume.

Toutes circonstances égales, lorsqu’un froment de bonne qualité pèse 80 kilog. à l’hectol., le seigle, qui s’en rapproche le plus, arrive rarement de 72 à 75 kilog. ; — l’orge vient ensuite, et l’avoine en dernier lieu. D’ailleurs, à poids égal, le froment contient encore beaucoup plus de parties nutritives que ces diverses céréales.

La quantité de semence raisonnablement nécessaire pour semer un hectare à la volée, étant de 2 hectol. 15 litres à 2 hectol. 20 lit., on sait qu’il est des localités où l’on peut espérer recueillir, sur cet espace, au-delà de 20 fois la semence, et ce chiffre, quelque beau qu’il paraisse, est encore parfois de beaucoup dépassé. — Nous avons cité l’exemple de M. Devrède ; nous pourrions en ajouter plusieurs autres pris également en Flandre ou en Angleterre. Mais aussi, à côté d’une fécondité si remarquable, due autant à une excellente culture qu’à un excellent sol, nous trouverions, en parcourant des contrées moins favorisées et moins éclairées, que le produit de l’hectare se réduit trop souvent à 6 ou 7 hectolitres. — Généralement, selon que le sol est médiocre ou fertile, cultivé avec négligence ou avec soin, etc., on doit trouver le terme moyen entre 8 et 16 hectol.

En adoptant les bases fixées par M. de Morel-Vindé (voy. p. 267), l’hectare de blé froment doit donner, terme moyen, 720 bottes de paille d’environ 5 kilog. chacune, ou 3, 500 kilog. — Sur des terres d’excellente qualité, nous avons trouvé un grand tiers de moins, et Thaer est encore resté au-dessous de notre estimation, en établissant que « le froment donne ordinairement en paille le double de son poids en grain : sur les terrains élevés, quelque chose de moins ; sur les terrains bas, quelque chose de plus. » — Au milieu de données aussi vagues, et qui doivent nécessairement l’être, tant est grande la diversité des produits, non seulement de localité à localité, mais d’année à année, on sent qu’il serait bien difficile de donner des chiffres un peu précis. — La quantité de paille varie plus encore que celle du grain.

Oscar Leclerc-Thoüin et Vilmorin .

Section ii. — Du Seigle.


Le Seigle (Secale cereale) ; en angl., Rye ; en allem., Rocken ; en ital., Secale, et en esp., Centeno, est certainement une de nos plus précieuses céréales, sous le double point de vue de ses nombreux usages économiques et de la propriété qu’il possède de prospérer dans beaucoup de lieux où la culture du froment serait impossible, ou tout au moins peu productive. — Son grain donne une farine, à la vérité moins blanche et moins nourrissante que celle du froment, mais qui procure cependant, seule ou mélangée avec cette dernière, un pain de bonne qualité, fort agréable au goût, qui se conserve longtemps frais, et qui sert encore à la nourriture de l’homme dans une grande partie de l’Europe. — Le seigle fait aussi la base du pain que l’on donne aux chevaux en divers lieux, et dont l’emploi commence à se répandre parmi nous. Tantôt, après une mouture grossière et sans blutage préalable, on le mêle, en proportions variables, à de la farine également grossière d’avoine ou d’orge ; — tantôt à celle de pois, de gesses, de féverolles. — Le grain de seigle sert à nourrir et à engraisser les volailles ; — on le transforme en gruau ; — on l’utilise pour la fabrication de la bière, celle de l’eau-de-vie de grain, etc. Nous verrons ailleurs que cette même céréale produit un des fourrages verts les plus abondans et les plus économiques que l’on puisse donner aux bestiaux après la consommation des racines hivernales, et l’un des plus propres à rafraîchir les chevaux fatigués, ou à renouveler les produits des vaches laitières.

La paille de seigle est tellement utile qu’il arrive parfois qu’on en préfère la récolte à celle du grain même. On l’emploie généralement comme litière. — Dans beaucoup de lieux, on en fait un cas particulier pour affourrager les moutons, les vaches et les bœufs : elle sert à faire des liens, des paillassons ; — à remplir les paillasses ; — à garnir les chaises ; — à fabriquer des chapeaux communs ; — enfin à former des toitures qui ne manquent ni de solidité ni de durée.

[15 :2 :1]
§ ier. — Des variétés du seigle.

Le seigle a, comme le froment, les épillets solitaires sur chaque dent de l’axe central de l’épi, mais il en diffère en ce que ces mêmes épillets ne renferment que deux fleurs, qui portent une arête au sommet de la valve externe de leur balle ; on trouve cependant accidentellement le rudiment stérile d’une 3e fleur

On ne cultive qu’une espèce botanique de seigle. — Ses tiges, articulées et garnies de feuilles étroites, s’élèvent parfois au-delà de 6 pieds (2 mètres) ; — l’épi qu’elles portent à leur sommet est plus grêle que celui du froment, et entouré de barbes assez longues ; — ses épillets, biflores, ont les valves garnies de cils rudes ; ils sont accompagnés chacun de deux paillettes calicinales sélacées dont la longueur ne dépasse pas celle des fleurs.

Cette espèce a donné naissance, sous l’influence de la culture et des climats, à diverses variétés transmissibles par le semis, ou, en d’autres termes, à des races parmi lesquelles nous distinguons les suivantes :

Fig. 550.
1. Le Seigle d’automne (fig. 550), qui est au seigle de printemps ce que les fromens d’hiver sont aux fromens marsais. Sur pied, on le reconnaît à sa végétation plus forte, à ses produits en tout plus abondans ; — après la récolte, à la grosseur et au poids plus considérable de ses grains.

2. Le Seigle de mars ou Trémois, qui a la paille moins longue et plus fine que celui d’automne, et dont le grain est plus menu, quoique pesant et de bonne qualité. Diverses expériences positives de M.Tessier démontrent que cette variété, si on la sème en automne, perd d’année en année les faibles caractères qui la distinguent, et qu’elle reprend tous ceux de la race, ou plutôt de l’espèce hivernale.

3. Le Seigle de la Saint-Jean, qui se distingue des deux autres par la longueur de sa paille et de ses épis, par son grain un peu plus court que celui du seigle d’automne, et la propriété qu’il possède bien sensiblement de taller davantage et de mûrir plus tard. En Saxe, où on le cultive à la fois comme fourrage et pour son grain, on le sème, ainsi que l’indique son nom, vers la fin de juin ; on le fauche en vert, ou on le fait pâturer depuis l’automne jusqu’aux approches du printemps, ce qui n’empêche pas de le moissonner l’été suivant. — Cependant-, comme l’a fait observer ailleurs celui de nous qui a particulièrement contribué, dans ces derniers temps, à faire mieux connaître en France le seigle de la Saint-Jean (M.Vilmorin), cette époque de semaille n’est pas de rigueur, ce dernier pouvant être, aussi bien que notre espèce commune, semé à l’automne et mûrir en temps ordinaire, l’année d’après. — D’un autre côté, quelques essais ont paru établir que notre seigle d’hiver, comme l’espèce du Nord, peut en quelques circonstances être semé au milieu de l’été et donner des résultats analogues ; en sorte que la différence entre les deux races, sous ce rapport, n’a pu être encore parfaitement établie. Ce qui est quant à présent bien constaté, c’est que le seigle de la Saint-Jean constitue une variété intéressante par sa grande vigueur, et qui mérite, à tous égards, d’être essayée comparativement avec notre espèce ordinaire, comme grain et comme fourrage. À raison de la petitesse de son grain et de la force des touffes, il demande environ 1/5 de semence de moins que le seigle commun.

Il est probable que la variété que Thaer a reçue des provinces russes des bords de la mer Baltique, et qu’il désignait sous le nom de seigle à buisson, diffère fort peu, si elle diffère réellement, de celle-ci. Voici ce qu’il en dit : « Elle résiste beaucoup mieux aux intempéries que les autres, elle talle davantage, ne verse pas si facilement, lors même qu’elle végète sur un sol très-riche, et, sur un terrain bon et bien ensemencé, elle donne toujours un plus haut produit ; seulement, il faut absolument qu’elle soit en terre avant la fin de septembre. Si on la sème plus tard et sur du terrain tout à-fait maigre, sans doute elle perd ses avantages. Elle pousse ses tiges, fleurit et mûrit sensiblement plus tard que le seigle ordinaire ; pour pouvoir la récolter en même temps que l’autre, il faut la semer de très-bonne heure. Cette variété me paraît très-constante ….. »

En résumé, on peut conclure de ce qui précède, que les races les plus tardives de seigle sont aussi les plus productives, et il est hors de doute que le seul changement de position peut leur faire acquérir ou perdre à la longue cette double propriété. Aussi remarque-t-on que sur les montagnes, notamment dans le Briançonnais, l’Auvergne, etc., où elles mûrissent plus tard que dans la plaine, elles oui une végétation plus forte, une paille plus abondante, des épis plus volumineux et des grains plus gros.

[15:2:1]
§ ii. — Choix du terrain.


Le seigle est beaucoup moins exigeant que le froment, sur le choix des terrains. — On peut dire que tous ceux qui ne contiennent pas une humidité surabondante lui conviennent. — Il vient très-bien dans les sols argilo-sableux, substantiels et profonds, quoiqu’on ne l’y rencontre pas souvent, parce que ses produits sont inférieurs en qualité à ceux du froment, qui aime de prédilection ces sortes de sols. — Il vient également bien dans les terres sablo-argileuses, sableuses même, et sans beaucoup de fond. — Enfin, et c’est un de ses plus précieux avantages, il couvre utilement des sols crayeux ou marneux de très-peu de valeur.

Moins que les autres céréales, celle-ci redoute l’aridité du fonds sur lequel elle croît, sans doute parce que sa végétation rapide et sa maturité précoce font qu’elle ombrage mieux la couche labourable dès sa jeunesse, et qu’elle n’a plus autant besoin d’humidité pour continuer sa courte existence, à l’époque des fortes chaleurs de nos étés. — Par suite de cette disposition, le seigle, dont les tiges sont proportionnellement plus grêles et les grains moins pesans que ceux du froment, exige aussi des champs moins féconds. Il parvient à maturité complète dans les régions montagneuses, où les courts étés sont loin de suffire toujours à celle de nos autres grains, l’orge exceptée, tandis que, dans la plaine, on le moissonne parfois assez tut pour obtenir après lui une seconde récolte fourragère ou une culture propre à être enfouie. — Enfin, il redoute si peu l’intensité du froid qu’on le voit prospérer, en dépit des hivers vifs et longs du nord, jusque dans les contrées voisines du cercle polaire.

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§ iii — Préparation du terrain.

Ce que nous avons dit de la préparation du sol, pour les semailles du froment, peut s’appliquer en grande partie à celles du seigle. Cependant il est d’observation que ce dernier préfère un guéret plus entièrement divisé. Le but des labours est donc, pour lui, d’arriver à un ameublissement aussi grand que possible, ce qui ne veut pas dire que leur nombre doive être pour cela plus considérable, attendu que la pulvérisation des terres légères est beaucoup plus facile que la division, même incomplète, des terrains argileux.

Le seigle prend dans les assolemens le rang du froment qu’il remplace, mais il est à remarquer qu’il ne paraît pas donner comme lui de moindres ou de moins bons produits sur les terres neuves ou renouvelées par une longue culture forestière ou herbagère ; de sorte que, si nous nous en rapportions à notre propre expérience, nous le regarderions comme aussi propre que l’avoine à féconder les premières années d’une défriche.

Le trèfle ne réussissant pas dans toutes les terres à seigle, la lupuline ou le sainfoin le remplacent avantageusement comme culture préparatoire de cette céréale. Nous ne répéterons pas ce qui a été dit, à l’article Assolement, des autres plantes fourragères et industrielles des sols légers. — Comme pour le froment, un terrain bien net est une condition importante de succès. Toutefois, moins peut-être que les autres blés, et notamment que ce dernier, le seigle favorise la multiplication des mauvaises herbes.

La plante utile qui nous occupe réussissant plus ou moins bien sur des sols médiocres, on se montre souvent pour elle fort avare d’engrais ; mais, en notant ce fait, nous sommes loin de l’approuver, et les bons cultivateurs sont d’autant plus soigneux de semer leur seigle en des terrains non épuisés, qu’ils connaissent le prix de sa paille et qu’ils savent appréciera sa valeur la différence de ses produits, aussi bien que de ceux en grain. — On reste, tous les fumiers et les amende-mens favorables aux fromens, pour les terres de consistance moyenne ; tous ceux qu’on emploie de préférence dans les sols légers, pour les localités sablonneuses ou calcaires, peuvent être avantageusement appliqués au seigle.

[15:2:4]
§ iv. — Du choix de la semence.

Le choix de la semence de seigle ne présente aucune particularité qui n’ait trouvé place dans la section précédente. On ne lui donne ordinairement aucune préparation, quoiqu’elle soit sujette à l’ergot, et qu’on puisse croire que le chaulage détruirait le germe de cette singulière maladie, dont il sera parlé plus loin, en même temps que de toutes celles qui affectent d’une manière générale les plantes de grande culture.

[15:2:5]
§ v. — De la quantité de semence et de l’époque des semis.

La quantité moyenne de seigle qu’on emploie aux environs de Paris est de 120 livres (60 kilog.) par arpent de 100 perches de 18 pieds (34 ares 19 centiares). Il en faut un peu plus dans les très-mauvaises terres, un peu moins dans les bonnes. M. Mathieu de Dombasle n’établit aucune mesure fixe entre 150 et 200 litres par hectare. Il est certain que la qualité différente du sol et le mode particulier de semis rendent difficile d’arriver à plus de précision, à moins d’entrer dans des détails particuliers à chaque localité.

On est dans l’usage de semer le seigle d’hiver avant le froment. « On ne saurait, disait Rozier, le confier à la terre de trop bonne heure, soit dans les plaines, soit dans les pays élevés. Plus la plante reste en terre, plus belle est sa récolte, si les circonstances sont égales. Sur les hautes montagnes, on sème en août ; à mesure que l’on descend dans une région plus tempérée, au commencement ou au milieu de septembre, afin que la plante et sa racine aient le temps de se fortifier avant le froid. Si la neige couvre la terre, et que la gelée ne l’ait pas encore pénétrée, la végétation du seigle n’est pas suspendue.

Dans le midi, il importe que les semailles soient finies à la fin de septembre, parce qu’il est nécessaire que les racines et les feuilles profitent beaucoup pendant les mois d’octobre, novembre et décembre, saison des pluies, et acquièrent assez de force pour résister à la chaleur et souvent à la sécheresse des mois d’avril et mai suivans. Toutes semailles faites à la fin d’octobre y sont casuelles, et bien plus encore à mesure qu’on approche de la fin de l’année. »

Le seigle de printemps ne se cultive guère que dans les pays de montagnes et dans les lieux ou des causes particulières empêchent les semailles d’automne. Comme les autres céréales de mars, il est moins productif que la race automnale. Toutefois, la récolte, au moins en grains, est souvent presque égale, et l’on ne doit pas être surpris de voir sa culture gagner depuis quelque temps sur divers points de la France.

[15 : 2 : 6]
§ vi. — Du mode d’ensemencement, de la culture ultérieure et des produits comparatifs du seigle.

Le prix modique du seigle en grain, et la valeur assez importante de sa paille, qui augmente au lieu de diminuer quand on le sème un peu dru, parce qu’elle croit et s’effile davantage, font qu’il n’y aurait pas grand avantage, d’une part, à diminuer la quantité de semence, et de l’antre à espacer les touffes par un semis en lignes. Aussi, on sème toujours à la volée, et on recouvre à la herse ou à la charrue, en ne perdant jamais de vue qu’une trop grande profondeur serait une entrave à sa prompte germination. — Le seigle pourrit assez tacitement en terre.

Dans la plupart des provinces voisines des rives de la Loire, en Sologne, dans le Berry, partout où la culture en sillons est usitée, après avoir égalisé la surface du champ à la herse ou à la rabattoire (fig. 551), et repandu la semence, on l’enterre en reformant les ados par deux traits de charrue.

Un exemple curieux de la facilité que présente la culture des seigles a été rapporté autrefois par M. Tessier. Un fermier, qui en avait semé sous ses yeux, dans une terre nouvellement défrichée, en fit une belle récolte au mois de juillet. Il avait laissé passer de quelques jours l’époque précise de la maturité, et, connue la saison était très-sèche, il s’en égrena beaucoup. Au mois d’août suivant, il fit labourer sa pièce pour l’ensemencer en moutarde ; mais, s’étant aperçu ensuite qu’il levait une aussi grande quantité de seigle que s’il en eût semé de nouveau, il le laissa croître et se procura une récolte non moins abondante que la première, sans qu’il lui en ait coûté ni labour, ni semence.

Il peut arriver, et il arrive en effet dans des circonstances favorables, qu’en semant le seigle dès la fin de juin, ou même après une récolte enlevée de bonne heure en juillet, on peut le faucher ou le faire pâturer avant l’époque des grands froids, sans diminuer sensiblement les produits de la moisson suivante. —Il paraîtrait, d’après des renseignemens recueillis par M. Tessier, et consignés par lui dans le Cours complet d’agriculture de Déterville, que, dans le nord de l’Allemagne, c’est le seigle trémois qu’on applique à cet usage. Nous ne sachons pas qu’aucune expérience analogue ait été faite en France, où nous avons vu au contraire préférer constamment le seigle d’hiver, ou mieux encore celui de la Saint-Jean, dont on peut espérer faire une première coupe au commencement et une seconde coupe à la fin de septembre ou dans le courant d’octobre. — Malheureusement cette pratique, avantageuse dans les climats où les pluies d’été se succèdent avec quelque fréquence, n’est pas applicable partout ailleurs.

L’usage de cultiver le seigle mêlé à des proportions variables de froment, s’est conservé dans plusieurs départemens, ou l’on trouve que ce mélange, connu sous le nom de méteil, est plus productif que l’une ou l’autre céréale semée seule dans les mêmes proportions. En d’autres localités, le méteil a fait place à du froment pur. Nous croyons que c’est un bien, puisqu’il est certain que cette innovation ne peut être la suite que d’une amélioration du sol, et que le froment donne en définitive le meilleur pain. Néanmoins, nous ne pensons pas qu’on doive proscrire absolument la première méthode, encore assez fréquente dans le Midi, malgré l’inconvénient assez grave de la précocité plus grande du seigle. —M. le comte Louis de Villeneuve a eu l’heureuse idée, pour ses propriétes de la Haute-Garonne, de faire venir de la semence de seigle de la région la plus élevée de la montagne Noire, pour remplacer celle de la plaine, et il est ainsi parvenu à rapprocher sensiblement l’époque de la maturité des deux espèces. — Le seigle de la Saint-Jean, plus tardif que le seigle ordinaire, serait également propre au même usage.

Nous avons vu qu’à volume égal le seigle pèse sensiblement moins que le froment. Rarement ses produits en volume sont beaucoup plus considérables. En suivant l’assolement triennal, jachère fumée, froment et seigle, il arrive même que ce dernier, comme cela doit être, rend moins que le premier. Mais, lorsque les deux céréales sont mises, par rapport à l’engrais et à la nature du sol qui conviennent à chacune d’elles, dans des circonstances également favorables, le contraire a lieu.—Schwertz pour la Belgique et Arthur Young pour l’Angleterre, ont établi que le produit en volume du seigle est à celui du froment, dans le premier de ces pays, comme 12,28 : 11,80, et, dans le second, comme 9,58 : 9,39.—En France, nous avons éprouvé qu’en des localités différentes les résultats peuvent être complètement opposés. Dans des sols doux et légers, le seigle nous a donné environ 1,8 de plus que le froment ; dans les terres fortes, le froment a rendu au contraire beaucoup plus que le seigle ; aussi se garde-t-on, généralement, de le cultiver dans ces sortes de terre. Notre remarque ne contribue pas moins à faire mieux sentir la difficulté de pareils calculs, et le peu de foi qu’ils doivent inspirer lorsqu’ils ne sont pas basés sur des renseignemens précis et surtout nombreux.

Oscar Leclerc-Thoüin et Vilmorin .

Section iii. — De l’orge.

L’Orge (Hordeum, Linn.) : en anglais, Barley ; en allemand, Gerste ; en italien, Orzo, et en espagnol, Cebado, a des usages aussi nombreux qu’importans. Sa farine, quoique plus courte que celle du froment et même du seigle, est cependant susceptible de donner un pain rude et de qualité inférieure, mais nourrissant et sain, et qui s’améliore beaucoup par le mélange du seigle ou du froment. — On mange aussi l’orge à l’état de gruau ou d’orge mondé. Dans ce dernier état, sous une forme analogue à celle du riz, et associée à de la viande, elle est fréquemment utilisée dans les fermes allemandes pour la nourriture de la famille. — Le grain d’orge est diversement employé dans l’art de la distillerie. — En médecine, on le considère comme rafraîchissant ; — enfin, personne n’ignore l’usage considérable qu’on en fait, dans une grande partie de l’Europe, pour la fabrication de la bière.

Nous verrons ailleurs avec détail que cette même graminée donne un excellent fourrage vert. — Sa paille, quoiqu’il y ait beaucoup de diversité dans l’opinion des écrivains et des cultivateurs, sur la valeur nutritive qu’on doit lui attribuer, diversité qui peut être due autant au choix des variétés qu’à la nature du terrain ; sa paille, disons-nous, si on s’en rapporte aux analyses chimiques, est cependant supérieure à celles du froment et du seigle, comme fourrage sec. — L’orge en grain est fort souvent substituée, dans le Midi surtout, à l’avoine, pour la nourriture des chevaux. — Trempée, et encore mieux moulue ou simplement écrasée entre deux cylindres, et déjà en état de fermentation, elle augmente considérablement le lait des vaches, engraisse rapidement les bœufs, les cochons, les volailles, etc.

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§ ier. — Espèces et variétés[4]

Dans le froment, les épillets, solitaires sur chaque dent de l’axe, sont alternés sur deux côtés opposés. Dans l’orge, ils sont ternés sur chaque dent ; les deux latéraux sont souvent mâles et pédicellés ; celui du milieu, sessile et hermaphrodite. Cependant, ce dernier caractère, très-ordinaire dans les espèces sauvages, l’est beaucoup moins pour les espèces cultivées. Il en est dont toutes les fleurs sont même constamment hermaphrodites. — Les glumes sont à deux valves, qui forment une sorte d’involucre à six feuilles ; — chaque glume renferme une seule balle a deux valves.

A. Orge carrée[5] ; — Orge commune de De Candolle (Hordeum vulgare, Lin.).

L’orge carrée a presque toujours toutes ses fleurs hermaphrodites et munies de barbes longues et droites. — Des 6 rangées de fleurs, 4 sont plus proéminentes que les autres, et donnent ainsi à l’épi une forme à peu près quadrangulaire.

1. Escourgeon, scourgeon (en Flandre) ; — Orge d’hiver ; — O.carrée d’hiver (Hordeum vulgare hybernum) (fig.552). — C’est l’orge hivernale par excellence. Elle est très-estimée et fort cultivée dans le nord de la France, où on la regarde comme la meilleure pour la bière, et la plus productive de ses congénères. Semée avant l’hiver, elle mûrit la première de tous nos autres grains. — Si on la semait au printemps, elle pourrait parfois réussir ; mais une telle pratique serait d’autant moins avantageuse dans les circonstances ordinaires, qu’elle ne monterait pas du tout si le printemps était sec.

2. Orge carrée de printemps ; — petite Orge ; Escourgeon de printemps (H. vulgare æstivum). — Cette variété, très-répandue dans le nord de l’Allemagne, est fort peu cultivée en France. Elle est cependant hâtive, passe pour s’accommoder mieux qu’aucune autre des terrains médiocres, et peut être semée avec chances de succès jusqu’à la fin de mai.

3. Orge noire (H. vulgare nigrum). — Celle-ci diffère des autres, autant par sa manière de végéter que par la couleur de son grain. Quoique bien évidemment de printemps, puisque, semée en automne, elle ne réussit pas, du moins sous le climat de Paris, si on la met en terre plus tard que la fin de mars, elle ne monte pas toujours. Dans ce cas, elle devient quelquefois bisannuelle : ses touffes se conservent vertes, passent l’hiver beaucoup mieux que si elles n’avaient commencé à se développer qu’en automne, et fructifient abondamment l’année suivante. Une telle disposition pourrait la rendre doublement avantageuse, comme fourrage la 1re année, et comme récolte à grain la 2e. Quand elle monte bien, son produit est très-considérable.

4. Orge célesteOrge carrée nue ; — petite Orge nue (H. vulgare nudum ; — H. cœleste, L.). — L’orge céleste est regardée comme une des plus productives, mais sous la condition, plus rigoureuse pour elle que pour toutes les autres, d’un bon terrain. On a pu remarquer avec Thaer qu’elle talle infiniment plus, quoique sur un même sol, et quoique les plantes soient à une même distance. — La paille est plus longue et de qualité supérieure. — Les épis acquièrent des dimensions plus considérables et contiennent plus de grains. — Mais le caractère qui la distingue le plus éminemment, c’est que les balles de la corolle s’écartent et laissent la graine entièrement nue après le battage. — D’après des essais multipliés, on doit regarder cette orge comme une des plus profitables à cultiver. — Elle peut être semée avec succès jusqu’au commencement de mai.

B. 5. Orge à six rangs ; — Orge hexagone ; — Orge à six Quarts ; — grosse Orge (en Gâtinais) (Hordeum hexastichum, Lin.) (fig. 553).

L’orge hexastique diffère particulièrement de l’orge carrée, par ses épis gros, ramassés, un peu pyramides, a six rangs égaux, séparés par des sillons profonds.

Cette espèce est d’hiver ; cependant, semée au printemps, elle monte et mûrit parfaitement, de sorte qu’on peut la considérer comme des deux saisons. Cette première qualité, fort importante en culture, la distingue déjà nettement de l’escourgeon, dont la plupart de nos auteurs lui ont mal à propos donné le nom. — Elle est d’ailleurs plus tardive que celle-ci de 8 à 10 jours, peut-être un peu moins rustique, mais encore plus productive quand elle s’hiverne bien. — À la vérité son grain est moins lourd et par conséquent moins bon ; — sa paille est plus grosse et plus ferme.

C. Orge à deux rangs, — Orge distique
(Hordeum distichum, Lin.).

Cette espèce à l’épi long, étroit ; des 3 fleurs accolées ensemble sur chaque dent de l’axe, celle du milieu est seule fertile et munie de barbes ; — les grains sont disposés sur deux rangs parfaitement distincts.

6. Orge couverte à deux rangs, — Orge (dans presque toute la France) ; — Pamelle, — Paumoule (dans la Picardie) ; — Marsèche (dans le Berry) ; — Baillarge (dans le Poitou), — Petite Orge (en Gâtinais) ; — grosse Orge plate, etc. (fig. 554.) — Elle est généralement cultivée dans la plupart de nos départemens. — Son grain est souvent plus gros et plus lourd que celui de l’escourgeon ; — on en fait cas pour la bière. Cette orge est très-productive dans de bons fonds.

7. Orge nue à deux rangs ; — grosse Orge nue (Hordeum distichum nudum, H. P.). — Si l’on jugeait cette variété seulement sur la qualité de son grain, aussi lourd au moins que celui de froment, et qui rend son poids presque entier d’une farine supérieure à celle des autres orges, on devrait la regarder comme bien préférable, non seulement à l’orge ordinaire à 2 rangs mais encore à peu près à toutes les autres ; cependant elle n’a pas pris jusqu’à présent dans la culture, ce qui est dû, sans doute, au défauts qu’on lui a reconnus. Ainsi, elle rend moins en volume que les autres espèces ; sa paille est cassante, au point que, dans les années orageuses, la récolte en est parfois fort détériorée ; enfin, elle est très difficile à battre, défaut qui lui est commun avec l’orge céleste. Elle est du reste, plus hâtive que celle-ci et que la plupart des autres espèces.

D. 8.Orge éventail ; — Orge pyramidale (De. Cand.) ; — Orge riz ; — Riz d’Allemagne, etc. (Hordeum zeocriton, Lin.) (fig.555)

Epi aplati, court, pyramidé ; — grains disposés comme dans le groupe précédent sur deux rangs ; — barbes évasées en forme d’éventail.

L’orge éventail, peu connue en France, est cependant robuste, productive ; son grain, quoique comprimé, est plus gros et souvent plus lourd que celui de toutes les autres orges couvertes. — Elle se sème au printemps.

E. 9. Orge trifurquée (Hordeum trifircatum, Seringe) (fig. 556).

Cette variété, très-singulière, est sans barbes ; — elle figure un gros épis de froment, dont les balles seraient terminées par de petites languettes à trois pointes ; — son grain est nu, court ; — sa paille extrêmement grosse. Quoiqu’elle nous ait paru peu productive et plutôt curieuse qu’économique, cependant sa qualité d’orge nue doit engager à ne la condamner qu’après des essais suffisamment approfondis. Elle se sème au printemps.

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§ ii. — Choix et préparation du terrain.

L’orge n’est par très-difficile sur le choix du terrain. Toutefois elle se plaît de préférence sur les sols de consistance moyenne, sablo-argileux, moins compactes que ceux dont s’accommode au besoin le froment, et moins légers que ceux dans lesquels le seigle peut encore prospérer. —Ajoutons que l’orge est une ressource précieuse pour les terrains calcaires même à l’excès.

En Angleterre, ou cette plante donne des produits parfois égaux, sous le point de vue pécuniaire, à ceux du froment, et où on la cultive avec un soin particulier, elle succède rarement à une jachère morte. Généralement, elle vient après une récolte de turneps ou de pommes-de-terre ; — quelquefois après des pois ou des fèves ; — jamais, chez les bons fermiers, après un autre grain.

Selon l’état du sol, on le prépare à recevoir la semence d’orge, soit par un seul labour d’automne et quelques façons à l’extirpateur, au printemps ; — soit par deux labours, l’un qui suit immédiatement la récolte préparatoire, l’autre qui précède le semis ; — soit enfin par trois labours ; si la malpropreté du sol l’exige, ce qui n’arrive que trop souvent lorsque, contrairement au principe, on entreprend de cultiver cette céréale après une autre.

Quel que soit le nombre des labours, leur profondeur est presque toujours un élément de succès. — Il faut aussi que leur résultat soit un ameublissement aussi parfait que possible, puisque, comme le savent très-bien tous les praticiens, l’orge ne réussit jamais mieux que lorsqu’elle est semée dans la poussière

Très-rarement on fume directement pour l’orge, mais toujours, dans un bon système de culture, on lui destine des terres qui n’ont pas été épuisées par les récoltes précédentes. — Les engrais animaux, trop abondans, la disposeraient à acquérir, avant de monter en épis, une trop grande vigueur de végétation et nuiraient à son produit en grain, à moins que l’on ne put recourir, pour les variétés hivernales, à l’effanage, dont nous avons parlé ailleurs.

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§ iii. — Epoques et modes de semis.

En Suède et en Laponie, l’orge est cultivée de préférence à tout autre grain, à cause de la rapidité de sa végétation, qui s’accomplit ordinairement en moins de huit semaines. —Au rapport de Linné, semée le 26 mai, elle peut être récoltée le 28 juillet.

Dans les parties méridionales de l’Europe, on la sème presque toujours avant l’hiver. En Espagne et en Sicile, il n’est pas rare d’obtenir deux récoltes d’orge sur le même champ qu’on ensemence une première fois en automne, de manière que la maturité arrive en mai, et une seconde fois en mai, pour moissonner en automne.

En Angleterre, comme en France, on sème l’escourgeon, et parfois l’orge hexagone, pendant tout le courant de septembre et une partie d’octobre. Quoiqu’elles puissent l’une et l’autre être accidentellement endommagées par les froids et l’humidité excessives, leur culture, celle de l’escourgeon surtout, est assez étendue et fort importante dans plusieurs départemens du nord.

C’est de la fin de mars au 15 avril qu’on fait le plus communément les semailles d’orges printanières ; — cependant, ainsi que nous avons déjà dû l’indiquer en parlant des espèces et variétés de cette saison, la plupart réussissent encore dans le courant de mai, quelquefois même au commencement de juin dans les terrains frais.

Quoique en Angleterre on fasse, à ce qu’il parait, quelquefois les semis d’orge au semoir et en lignes, le semis à la volée, exclusivement pratiqué chez nous, l’est aussi presque partout dans ce pays.

La quantité moyenne d’orge qu’on peut répandre sur un hectare varie suivant la qualité du sol et le choix des variétés. M. De Dombasle, que l’on sait être généralement porté pour les semis épais, recommande d’employer, pour la grosse orge plate, ainsi que pour l’orge nue à deux rangs, 250 à 300 lit. de semence par hectare ; — pour la petite orge quadrangulaire, 225 à 250 ; — pour l’orge céleste, 200 suffisent, parce que cette variété, dont le grain est moins gros, couvre d’ailleurs davantage de terrain par son tallement. — Dans beaucoup de lieux, le maximum, pour les deux premières variétés, est de 250, et, pour la petite orge, de 200 litres seulement.

Toutes les orges printanières aiment à être recouvertes un peu profondément. — Quand on les sème à la charrue, on peut les enterrer à 3 ou 4 pouces (0m 081 à 0m 108). Dans les sols légers, c’est même une condition importante de leur réussite. Aussi, quand on ne sème pas sous raie, doit-on chercher à donner à la herse la plus grande entrure possible.

Il est à peine besoin de dire que pour cette plante, comme pour toute autre, il est nécessaire de choisir des graines de bonne qualité nettes et bien nourries. On a aussi recommandé de les chauler, dans la crainte du charbon. Cette précaution, qui ne présente aucun inconvénient, peut être souvent utile.

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§ iv. — De la culture d’entretien et de la quantité des produits.

Les façons qu’exige l’orge ultérieurement aux semailles sont peu nombreuses, et souvent totalement négligées ; — on roule sur les terrains qui exigent cette précaution ; — on herse quelquefois lorsqu’une forte pluie a durci le terrain à sa surface, pour faciliter la sortie des germes ; mais, dès que la plante est levée, cette opération, à moins qu’on ne la fasse avec beaucoup de circonspection et à l’aide d’instrumens légers, présente plus d’inconvéniens que d’avantages, parce que l’orge casse avec une extrême facilité. La plupart des variétés d’orge pèsent moins, à volume égal, que le seigle, et à plus forte raison que le froment, quoique la disproportion ne soit pas toujours la même. La grosse orge nue à deux rangs fait seule exception à cette règle. Après elle viennent l’orge céleste et les autres orges nues ; puis, parmi les espèces ou variétés à semences couvertes, l’orge éventail, l’orge proprement dite, l’escourgeon d’hiver et celui de printemps, qui occupe un des derniers rangs. — Mais si, sous le rapport du poids, comme sous beaucoup d’autres, l’orge le cède au froment, généralement elle l’emporte du moins sous celui de la production. — D’après Schwertz, la moyenne du froment par journal de Magdebourg, étant en Belgique de 11,80 sheffels de Berlin, celle de l’orge est de 17,93. — Du temps d’Arthur Young, la différence en Angleterre était de 9,39 à 12,60 en terrains ordinaires, et, dans les lieux où la culture du froment avait fait le plus de progrès, de 15 à 18 seulement. Nous ignorons si de pareils calculs ont été faits pour la France.

Nous avons déjà dit que la paille de cette céréale est peu estimée dans beaucoup de lieux, tandis que dans d’autres on en fait grand cas. La masse de ses produits varie considérablement de saison à saison et de variété à variété.

Oscar Leclerc-Thouin et Vilmorin .

Section iv. — De l’Avoine.

L’Avoine (Avena sativa, Lin.) ; en anglais, Oat, en allemand, Haber ; en italien, Vena, et en espagnol, Avenua, sert beaucoup moins fréquemment qu’aucune des céréales précédentes à la nourriture de l’homme. Ses grains rendent peu de farine, et le pain qu’on en obtient est noir, lourd, amer et d’une saveur désagréable. Cette même farine sert à faire des bouillies et des gâteaux de plusieurs sortes. — Le gruau d’avoine, tel qu’on le fabrique en assez grande quantité dans une partie de la Bretagne, est aussi utilisé en quelques lieux comme aliment ; on l'emploie dans la médecine hygiénique. — On extrait de l’eau-de-vie du grain de cette plante. — Ses fanes vertes procurent un fourrage abondant et très-sain pour tous les ruminans ; — sa paille, quoiqu’elle ne leur plaise plus autant, leur convient cependant encore. Dans les provinces du centre de la France, on la destine particulièrement aux vaches, pour lesquelles on la considère comme un excellent fourrage. Parfois on la donne en petite quantité sans l’avoir battue ; — Mais ce sont ses grains qui font incontestablement le principal mérite de l’avoine pour la nourriture des animaux de travail. Les chevaux auxquels on veut donner de l’ardeur, les moutons qu’on engraisse, les brebis nourrices dont on veut augmenter la quantité du lait, les oiseaux de basse-cour dont on cherche à accélérer la ponte printanière, se trouvent également bien d’en manger. — Les balles d’avoine ont de plus quelques usages économiques.

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§ ier. — Espèces et variétés.


Les caractères généraux de l’avoine sont d’avoir une glume bivalve, qui renferme le plus souvent deux, quelquefois un plus grand nombre de fleurs hermaphrodites, à côté desquelles on en rencontre parfois de stériles par défaut d’organes femelles. La balle est aussi à deux valves pointues, dont l’extérieure porte une arête genouillée. Cette arête manque ou tombe de bonne heure dans beaucoup de variétés. Les fleurs sont disposées en panicules.

1. L’Avoine commune (Avena sativa) (fig.557) a les fleurs disposées en panicules lâches ; — les épillets sont ordinairement à deux fleurs. Les grains sont alongés, lisses et de couleur variable. Cette espèce, comme son nom l’indique, est la plus généralement cultivée. Elle a donné naissance à diverses races d’un mérite reconnu, mais dont il est difficile de déterminer la valeur relative, attendu que l’abondance et la qualité de leurs produits sont étroitement dépendantes de circonstances de climat et de terrain peu appréciables autrement que par des essais locaux. Nous indiquerons les principales seulement de ces variétés.

2. L’Avoine d’hiver se distingue de la précédente plutôt par sa rusticité plus grande que par ses caractères botaniques. Cependant elle en diffère assez sensiblement par la couleur de ses balles rayées de gris brun. — Dans une partie du sud-ouest et de l’ouest de la France, notamment en Bretagne, on la sème en septembre et au commencement d’octobre. Sa maturité est précoce, sa paille fort abondante, et ses grains, à la fois plus nombreux et plus pesans, sont par cela même de meilleure qualité que ceux de l’avoine commune. — Malheureusement elle parait être d’une réussite fort incertaine dans le centre, l’est, et à plus forte raison le nord de la France. Dans ces contrées, on peut néanmoins l’employer très-utilement, comme on le fait dans une partie du Berry, pour les premiers semis de février ou même de la fin de janvier. La propriété qu’elle possède de mieux résister aux froids que les avoines printanières, lui donne en pareil cas, sur elles, un avantage marqué, en certaines années.

3. L’Avoine noire de Brie est une des variétés les plus productives dans les bons terrains ; son grain, noir comme son nom l’indique, court, mais renflé, est de très-bonne qualité.

4. L’Avoine de Géorgie, nouvellement introduite, et, selon nous, trop peu connue encore dans nos départemens, a le grain d’un blanc jaunâtre. Ce grain, remarquablement gros, lourd et si bon qu’il faut éviter de le donner en trop grande quantité, n’a d’autre inconvénient que la dureté de son écorce, qui le rend d’une mastication difficile pour les vieux chevaux. Sa paille est grosse, élevée et cependant douce et fort bonne comme fourrage. Ses feuilles sont très-larges. Cette variété, précoce et féconde, au moins sur les bonnes terres, nous parait devoir attirer l’attention des cultivateurs.

5. L’Avoine patate, A. Pomme-de-terre, a le grain blanc, court, mais pesant et farineux, cette variété s’est beaucoup répandue depuis un certain nombre d’années en Angleterre. Dans les essais faits en France, du moins dans ceux qui nous sont connus, elle s’est d’abord montrée excellente, mais elle n’a pas soutenu long-temps cette supériorité. Elle nous a paru particulièrement sujette au charbon.

6. L’Avoine unilatérale ; — A. de Hongrie ; — de Russie (Avena orientalis) (fig. 558), est considérée par la plupart des botanistes comme une espèce distincte, facile à reconnaître à ses panicules resserrées, dont les grains, portés sur de très-courts pédicules, s’inclinent tous du même côté. On en cultive deux variétés, l’une à grains blancs, l’autre à grains noirs. Cette dernière est extrêmement productive dans les bons terrains. D’après plusieurs essais répetés chez l’un de nous, elle est au contraire inférieure à l’avoine commune dans les terrains pauvres ; son grain est, surtout en pareil cas, maigre et d’un faible poids ; elle est, d’un autre côté, assez sujette à échauder. Malgré ces inconvéniens, son grand produit en grain et en paille lui fait donner dans plusieurs lieux la préférence sur toutes les autres. — L’avoine unilatérale blanche est remarquable par la force et la hauteur de sa paille. Son grain est souvent encore inférieur en qualité à celui de la noire, mais elle réussit mieux sur les mauvais fonds.

7. L’Avoine nue (Avena nuda) (fig. 559) est aussi considérée comme une espèce ; elle diffère des autres par ses épillets de 4 à 5 fleurs réunies en petites grappes, et par la disposition de ses grains à sortir tout mondés de la balle par l’effet du battage. Cette espèce, qui, au dire de M. De Candolle, est préférée dans certains pays pour la confection du gruau, nous a toujours paru d’un faible produit.

8. L’Avoine courte ; — A. pied de mouche (Avena brevis) (fig. 560), a les feuilles courtes très-érigées, d’un vert blond ; — la panicule est lâche et légère ; — les barbes, persistantes et fortement genouillées, sont plus courtes que celles des autres espèces ou variétés ; — les grains sont aussi sensiblement plus courts. Cette espèce, cultivée dans plusieurs contrées montagneuses, notamment en Auvergne, dans le Forez, l’Espagne, etc., est regardée au Mont-Dore comme préférable à toute autre pour l’emploi des mauvais terrains. Elle s’élève beaucoup, est très-hâtive ; son grain, à volume égal, est moins nourrissant que celui de l’espèce ordinaire, mais, dit on, plus sain ; — ses tiges, longues et fines, produisent, vertes ou sèches, un excellent fourrage.

[15 : 4 : 2]
§ ii. — Choix et préparation du terrain.

Si l’orge se plaît de préférence dans les régions méridionales de l’Europe, l’avoine préfère celles du nord ; — l’une prospère souvent en dépit des longues sécheresses ; — l’autre aime la fraîcheur et ne redoute l’humidité qu’autant qu’elle est trop permanente. Aussi sa culture, très-importante dans les départemens du nord et du centre de la France, l’est-elle beaucoup moins dans ceux du midi.

De toutes les céréales, celle-ci est la moins difficile sur le choix du sol. Les argiles compactes ; — les terrains tourbeux, les marais, les étangs nouvellement desséchés ; — les graviers, les sables suffisamment humectés, lui conviennent presque également. — On la voit prospérer sur de riches défriches ; sur un défoncement qui ramène à la surface une quantité notable de terre vierge ; — comme sur une lande écobuée, et après toutes les cultures qui ne contribuent pas ainsi qu’elle à faciliter l’envahissement des mauvaises herbes. On la cultive même fréquemment à la suite d’un blé ; mais une pareille coutume, résultat inévitable du triste assolement triennal avec jachère, est aussi vicieuse en théorie qu’en pratique. La véritable place de l’avoine est après une culture sarclée, ou sur le défrichement d’une prairie naturelle ou artificielle.

De même que l’avoine est peu difficile sur le choix du terrain, elle l’est fort peu aussi sur sa préparation, ce qui ne veut pas dire qu’elle ne puisse bien payer les frais d’une culture plus soignée que celle qu’on lui accorde d’ordinaire. Il n’y a rien à ajouter, à ce sujet, à ce que disait, il y a peu d’années, feu Vict Yvart : « Cette plante robuste et peu délicate est une de celles qui souffrent le moins de la négligence du cultivateur qui prend souvent peu de soins pour assurer son succès. Toute sa culture se borne communément a un simple labour ; mais, s’il suffit quelque-fois, comme nous en citerons des exemples, il ne faut pas en conclure cependant, comme on ne le fait que trop souvent, qu’il soit le seul, dans tous les cas, rigoureusement indispensable. Un assez grand nombre de faits démontrent que deux et même trois labours sont très-souvent amplement payés par un accroissement proportionnel de produit, indépendamment du nettoiement de la terre, objet qui est toujours de la plus haute importance ; et, parce que, dans la routine ordinaire, la terre destinée à cette culture ne reçoit point immédiatement d’engrais, il est aussi absurde d’en conclure qu’elle peut et doit toujours s’en passer, qu’il le serait d’avancer que, quoiqu’elle n’exige pas toujours, pour prospérer, le terrain le plus fertile et le mieux préparé, ses produits ne sont pas généralement proportionnés à la qualité et à l’état de la terre. »

[15 : 4 : 3]
§ iii. — Choix et préparation de la graine.

Dans quelques lieux, par suite d’un faux calcul d’économie, on sème les avoines les plus menues, dans le but de diminuer la quantité de semence, afin de réserver les autres pour les chevaux. Une pareille pratique est si évidemment vicieuse que nous ne nous arrêterons pas à la combattre. L’expérience a démontré à tous ceux qui ont voulu faire des essais comparatifs, que la méthode contraire est en résultat, beaucoup plus avantageuse.

Dans d’autres localités, on néglige les criblages, ou, tout au moins, en les exécutant, on ne prend pas assez le soin de rejeter les graines étrangères, telles que celles de la sauve ou moutarde des champs, de l’ivraie et surtout de la folle-avoine, dont les grains plus légers se rassemblent cependant d’eux-mêmes au-dessus des autres. — Cette dernière plante, l’une des plus rustiques de celles qui envahissent nos moissons, se multiplie de préférence dans les terrains frais qui conviennent à l’avoine, dont elle devance la maturité. Ses semences se conservent longtemps en terre sans perdre leur faculté germinative, de sorte qu’on ne peut trop attentivement les séparer des bonnes graines, préalablement aux semis. La moindre négligence, à cet égard, pourrait occasioner plus tard de graves inconvéniens, et, à coup sûr, nous ne sommes pas les seuls à avoir remarqué des cultures tellement infestées de folle-avoine, qu’il ne restait au propriétaire d’autre ressource que de faucher, vers l’époque de la floraison, les avoines dont il espérait récolter le grain, et de laisser en jachère les champs qu’à l’aide, peut-être, d’un seul criblage attentif, il aurait pu soustraire à cette fâcheuse nécessité.

Dans le cas où les panicules d’avoine seraient entachés de charbon, il pourrait être fort utile de chauler les grains qui en proviendraient ; car, quoiqu’il ne soit pas rigoureusement démontré que cette étrange maladie soit contagieuse, il est d’observation qu’en certaines circonstances, qui jusqu’à présent n’ont pu être bien appréciées, le chaulage en diminue les effets.

[15 : 4 : 4]
§ iv. — De l’époque des semailles et de la quantité des semences.

Selon les variétés que nous avons fait connaître, on sème l’avoine depuis septembre jusqu’en mars et même en avril. — La première époque est préférée avec raison dans le midi et une partie de l’ouest de la France, et devrait l’être, pour tous les sols légers, partout où les froids ne sont point assez intenses pour endommager cette céréale, parce qu’elle aurait moins à redouter les sécheresses du printemps. Aux environs de Paris, on choisit février et mars. En général, conformément au vieux proverbe : Avoine de février remplit le grenier, on se trouve bien de semer aussitôt qu’on n’a plus à redouter les très-fortes gelées et l’excessive humidité du sol. Non seulement les avoines mises les premières en terre sont les plus belles, si le temps leur est favorable, mais elles mûrissent plus tôt, de sorte qu’elles ont moins à craindre les effets de la grêle, des vents, et qu’elles donnent plus de temps pour préparer le sol à recevoir d’autres cultures. — Dans plusieurs localités, on donne pour motif des semailles tardives de l’avoine, la nécessité de détruire, en faisant ce semis, la raveluche ou sanve (Sinapis arvensis), qui, sans cela, serait beaucoup plus abondante et nuirait à l’avoine.

Il est toujours fort difficile, en agriculture, d’indiquer des quantités précises. C’est surtout par rapport aux semis d’avoine que cette difficulté se fait sentir. Non seulement il faut plus de grains pour les semailles à la herse que pour les semis sous raies ; — pour ceux qu’on effectue en automne, quand on a encore tout à redouter des gelées, que pour ceux qu’on diffère jusqu’à la fin de l’hiver ; mais l’état de fécondité du sol et les coutumes locales, en général, basées sur la connaissance du climat, apportent de si grandes différences qu’il serait fort imprudent de chercher à formuler ce qui doit varier sans cesse. De toutes les céréales, l’avoine est cependant celle qu’il y a le moins d’inconvénient à semer épais. Dans quelques parties de l’Angleterre, on ne craint pas d’employer, au dire de M. de Dombasle. jusqu’à 6 hectol. par hectare. — En France, la quantité la plus ordinaire est, comme pour l’orge, de 2 à 3 hect., bien que, sur divers points, on en répande quelquefois moins encore sur les bonnes terres.

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§ v. — Du mode des semis et des cultures d’entretien.

Quoiqu’on ait proposé, à diverses reprises, de semer l’avoine en lignes comme les blés, à l’aide du semoir ou du plantoir, ni l’une ni l’autre de ces coutumes n’ayant prévalu nulle part, nous ne nous occuperons ici que des semis à la volée. — Ils ne se pratiquent pas partout de la même manière : tantôt on laboure le sol préalablement aux semailles ; on sème, et on recouvre à la herse. — Tantôt on répand la graine sur le vieux labour, et on l’enterre par une seule façon à l’extirpateur ou à la charrue. — D’autres fois, enfin, on sème à la surface du champ non labouré, et on couvre à la charrue.

Le premier moyen convient sur les sols compactes qui exigent plusieurs labours préparatoires ; dans lesquels les graines lèveraient mal et tardivement, si elles étaient trop profondément enterrées ; et qui ne se prêteraient d’ailleurs que fort difficilement aux deux autres moyens. C’est la méthode la plus ordinaire.

Le second est excellent sur les terres de consistance moyenne, lorsqu’elles ne sont pas rassises, depuis le dernier labour, assez pour rendre l’action de l’extirpateur pénible ou incomplète.

Le troisième moyen remplit suffisamment le but qu’on se propose dans les terrains légers, parce que, d’une part, un seul labour les divise suffisamment, et que, de l’autre, il importe que les semences soient à une assez grande profondeur pour profiter du peu de fraîcheur qu’elles ne trouveraient pas plus près de la surface.

Les cultures d’entretien se bornent à des sarclages, et, selon les circonstances, des roulages ou des hersages. Pour ces trois opérations, nous renvoyons à ce qui a été dit précédemment à l’occasion du froment. — Afin d’éviter un double emploi, nous prions également le lecteur de consulter, pour les récoltes des blés et de l’avoine, la 3e section du chap. XI de ce livre. Pour le javelage et les diverses manières de l’exécuter, voir page 299, et la figure 412.)

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§ vi. — De la quantité des produits.

On a souvent cherché à comparer les produits de l’avoine à ceux de l’orge, pour faire ressortir les avantages de la culture de l’une ou de l’autre de ces céréales. Pécuniairement parlant, la différence tient surtout à deux causes dont on n’a pas toujours assez tenu compte : le climat et les moyens de consommation. — Si, dans le midi, l’orge est généralement plus productive, dans le nord il arrive souvent le contraire. A cet égard, c’est au cultivateur, avant de se fixer, à bien étudier le pays qu’il habite. — D’un autre côté, le prix relatif de ces deux grains varie selon les besoins du commerce, pour la fabrication de la bière ou la nourriture des chevaux, de manière que chacun, sous ce second point de vue, ne doit encore prendre conseil que de la position dans laquelle il se trouve. FIG. 561.

En Belgique, d’après les calculs de Schwertz, la production de l’avoine est en volume à celle de l’orge, comme 24 à 17. Arthur Young est arrivé à très-peu près aux mêmes résultats pour l’Angleterre. La différence est au moins aussi forte au nord et au centre de la France.

Oscar Leclerc-Thouin et Vilmorin.

Section v. — Du Sarrasin.

Le Sarrasin (Polygonum Fagopyrum L.) ; en anglais, BuckWheat ; en allemand, Buch-weizen, Heidekorn ; en italien, Grano saraceno, Polenta negra ; en espagnol, Trigo negro ; vulgairement blé noir, carabin, bucail, bouquette, appartient à l’octandrie trigynie de Linné et à la famille naturelle des polygonées. Il se reconnaît aux caractères suivans : racine fibreuse, annuelle ; tige herbacée, dressée, haute d’un pied ou deux, cylindrique, glabre, légèrement pubescente à l’articulation de chaque feuille, rameuse, rougeâtre dans sa partie inférieure ; feuilles très-distantes entre elles, cordiformes, aiguës, un peu sinuées et portées sur des pétioles longs d’un pouce à trois ; fleurs blanches, disposées à aisselle des feuilles en épis courts et serrés, dont les supérieurs, plus courts que les inférieurs, forment une sorte de corymbe terminal ; calice persistant, divisé supérieurement en cinq lobes ovales ; cinq étamines en dehors des tubercules du disque, et trois en dedans ; anthères globuleuses, rougeâtres ; ovaire comme pyramidal et triangulaire ; fruit d’un noir pâle, à trois angles fort saillans. — On croit que le sarrasin est originaire de la zone tempérée de l’Asie, où sa culture est assez répandue, et d’où il nous a été apporté à l’époque des Croisades suivant les uns, vers la fin du xve siècle suivant les autres. Aujourd’hui, il est naturalisé dans tout le centre et le midi de l’Europe.

Une autre espèce, que, depuis quelques années, les agronomes ont tenté d’introduire dans la grande culture, est le Sarrasin de Sibérie ou de Tartarie (Polygonum Tataricum), (fig. 562), qui diffère du premier par ses graines plus dures, plus petites, munies de dents sur leurs angles, et par ses tiges plus jaunâtres, plus fermes et plus ramifiées. On dit qu’il a sur son congénère l’avantage d’être plus rustique, plus vigoureux, plus précoce, plus productif ; d’exiger moins de semence, et de donner un grain plus pesant, plus facile à vanner, qui acquiert de la qualité en vieillissant ; mais son grain s’échappe encore plus facilement du calice, et se moud plus difficilement ; la farine qu’on en retire est noirâtre, plus rebelle que celle du sarrasin ordinaire à la fermentation, et amère. Il est vrai qu’on attribue cette amertume à l’écorce du grain, et qu’on pourrait vraisemblablement la faire disparaître par un procédé de moulure qui séparerait exactement la farine de l’écorce. Quant au produit, il a été de plus de 80 p. 1 dans les essais de MM. de Turmelin et Martin, de l’Isère, insignifiant, au contraire, dans ceux de Thaer.

Le tissu du sarrasin est tendre et aqueux ; il se décompose promptement quand on l’enfouit. Dans 100 parties en poids de paille sèche de sarrasin, le professeur Sprengel a trouvé 22, 600 de matières solubles dans l’eau ; 23, 614 de matières solubles dans une lessive alcaline caustique ; 0, 900 de cire et de résine ; 52, 886 de fibre végétale. L’extrait aqueux ne contenait que quelques traces d’albumine, beaucoup d’acide libre ou d’un sel végétal acide, peu de gomme et beaucoup de mucilage ; la saveur de cet extrait était fortement acide, âcre et astringente ; les cendres de la paille de la même plante contenaient, comparativement aux autres plantes ordinairement employées comme engrais, beaucoup d’acide phosphorique, d’acide sulfurique, de chlore, de soude et surtout de magnésie. Les expériences de Vauquelin lui ont indiqué, dans la paille de sarrasin, 20 à 30 p. 100 de carbonate de potasse. Sprengel, au contraire, n’a obtenu de 100 parties en poids de la paille réduite en cendres, que 0, 332 de potasse caustique.

Les fleurs du sarrasin, nombreuses et odorantes, s’épanouissent successivement, et, par conséquent, leurs graines n’arrivent pas toutes en même temps à leur maturité. Cent parties de ces graines, analysées par le professeur {{sc|Zenneck}, lui ont donné les résultats suivans : 26.94 fibre végétale ; 52, 29 fécule ; 10, 47 gluten ; 3, 06 matière extractive avec sucre ; 2, 53 matière extractive oxigénée ; 0, 36 résine, et 0, 22 albumine. La farine de sarrasin a une saveur propre, qui paraît plus développée dans les pays granitiques (Bosc).

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§ ier. — Usages du sarrasin.

Le sarrasin est susceptible de recevoir quatre destinations différentes. Il peut servir à la nourriture de l’homme, à celle des bestiaux, à celle des abeilles, et à l’engraissement du sol.

Son grain seul est consommé par l’homme. La farine qu’on en tire est convertie en bouillie, en galettes, en gâteaux, d’une faculté nutritive assez grande, et qui ne causent pas d’aigreurs sur l’estomac. En temps de disette, de même que dans les pays pauvres, comme, par exemple, la Bretagne, on en fabrique aussi du pain. Ce pain lève mal, et cependant, à en juger par l’analyse du professeur Zenneck, le blé noir n’est guère moins riche en gluten que le froment. Faut-il conclure de là, avec ce professeur, que si l’on appliquait à la mouture du sarrasin un meilleur mécanisme, sa farine, qui, d’ailleurs, donne à peu près le même produit que le seigle en amidon, ne le céderait pas en qualité à celle de plusieurs sortes de blés ? ou bien, doit-on admettre que le gluten n’est pas la cause première de la fermentation panaire ? — Le grain du blé noir a été employé à la distillation en Angleterre, et il l’est encore sur le Continent (Loudon). — Mais c’est à la nourriture de la volaille et des bestiaux qu’il est particulièrement consacré. Suivant Arthur Young, un bushel (36 lit. 35) équivaut à 2 bushels d’avoine, pour la nourriture des chevaux ; 8 bushels de la farine les entretiennent autant que 12 bushels de farine d’orge. M. Mathieu de Dombasle se borne à dire que ce grain a autant de valeur que l’orge pour la nourriture et l’engraissement des cochons, et qu’il est plus nutritif que l’avoine pour les chevaux. Rozier assure que mêlé à celle-ci par portions égales, et donné aux chevaux et au bétail qui travaille, il les entretient en chair ferme. Bosc prétend qu’il fait pondre de bonne heure les oiseaux de basse-cour qu’on en nourrit. Il enivre, dit-on, les animaux qui en mangent pour la première fois.

Tels sont les emplois du grain. Quant aux tiges et aux feuilles, elles forment un assez bon fourrage, lorsque la plante est fauchée pendant la floraison, et qu’elle est donnée aux bestiaux encore verte. Dans cet état, elle possède une faculté nutritive supérieure à celle du trèfle, suivant Loudon ; inférieure, suivant M. De Dombasle. Elle influe, dit-on, favorablement sur la quantité et sur la qualité du lait, chez les vaches qui la consomment. On ne sait trop si les bestiaux trouvent du plaisir à la manger, comme quelques agronomes l’assurent, ou si elle leur cause d’abord quelque répugnance, comme d’autres le pensent, et ainsi qu’on peut le supposer a priori, en ayant égard au principe âcre qu’elle contient. Elle ne parait pas d’ailleurs sans quelque inconvénient ; des expériences faites à Mœglin, et plusieurs faits rapportés par différens observateurs, tendent à montrer que, sous certaines conditions du moins, elle fait enfler la tête des moutons qui s’en repaissent, et leur occasione des boutons dans cette région du corps. A l’état de dessiccation, elle ne paraît presque pas appétée par les animaux, et on ne la conserve pas volontiers au-delà de Noël pour la leur donner, soit à cause de cette circonstance, soit parce qu’elle est difficile à dessécher. Sous le rapport de sa valeur nutritive, M. Sprengel place la paille de sarrasin au dernier rang, dans une série composée de 12 espèces de pailles communément employées comme fourrages et chimiquement analysées par lui. Rozier dit que les chevaux la mangent lorsqu’elle est battue.

Les fleurs de sarrasin fournissent une riche pâture aux abeilles pendant un espace de temps assez considérable, dans une saison ou les autres fleurs commencent à manquer ; les abeilles qui se nourrissent de leur nectar, produisent un miel très-coloré, mais de bonne qualité, comme le prouve celui du Gâtinais, si connu à Paris (Bosc).

Enfin, on cultive encore le sarrasin pour le faire servir d’engrais, en l’enterrant pendant sa floraison. C’est une des meilleures plantes que l’on connaisse pour former un engrais végétal, est-il dit dans le Calendrier du bon Cultivateur. — Comme litière destinée à être convertie en fumier, M. Sprengel classe la paille du sarrasin entre celle des vesces et celle des fèves.

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§ ii. — Culture du sarrasin.

Après avoir fait connaître les caractères, les propriétés économiques et les principaux usages du sarrasin, envisageons-le plus spécialement sous le rapport de la culture et de l’assolement.

Voici les principaux avantages qu’il présente a cet égard : il se contente de terrains trop maigres pour toutes les autres espèces de grains d’été ou de printemps ; il y produit davantage. C’est l’unique récolte qui réussisse entre celles de seigle dans les contrées sablonneuses (Thaer). Sur les terres qui n’ont pu être suffisamment préparées, il est plus profitable que l’orge (Arthur Young). On le place indifféremment avant ou après toute espèce d’autre récolte. Il est très-propre à combler une lacune dans l’assolement, à remplacer d’autres plantes ou même de céréales à fourrage qui n’auraient pas réussi, ou qu’on n’aurait pu semer à l’époque convenable, et à atténuer ainsi les effets de la disette. On peut facilement, dit M. de Dombasle, le semer en seconde récolte après du seigle, du colza, des vesces, etc., et même après du blé, lorsqu’on veut le faucher en vert ou l’enfouir pour engrais. Le trèfle, la luzerne, le sainfoin, et probablement aussi, les autres espèces de plantes de prairies artificielles, réussissent parfaitement bien dans sa société, peut-être mieux que dans celle de toute autre espèce de récolte. Il laisse le sol dans un aussi bon état d’ameublissement et de propreté qu’une récolte sarclée, et est moins épuisant qu’aucune autre céréale, parce qu’il ombrage davantage la terre et tire beaucoup de nourriture de l’atmosphère. Enfin, sa culture exige peu de travail.

Quant à ses défauts, en ce qui concerne sa culture, on lui reproche sa sensibilité au froid et aux intempéries, l’incertitude de ses produits, l’inégalité avec laquelle il mûrit ses graines dans un même champ ; la facilité un peu trop grande avec laquelle il les laisse tomber, et la difficulté de sa dessiccation.

Suivant Rozier et quelques autres agronomes, il préfère les terrains forts à tous les autres ; d’après M. de Dombasle, au contraire, il réussit mal dans l’argile et se complaît dans les terres meubles. Il est possible que cette divergence d’opinions tienne aux différens effets du climat, de l’exposition et du mode de culture, ou qu’elle n’existe réellement pas, et que les deux assertions se concilient en ce sens que la végétation du sarrasin serait plus vigoureuse sur les sols de la première espèce, et que ceux de la seconde seraient plus favorables à sa fructification. Quoi qu’il en soit, c’est principalement sur les sols légers, sablonneux et arides, qu’on le place. On sait, en Bretagne et ailleurs, qu’il réussit sur les défrichemens de bruyères et de landes ; cependant on ne craint pas, dans maintes contrées, dans la Frise orientale, par exemple, de le cultiver sur des emplacemens de marais qu’on a assainis et écobués. Concluons de là qu’il n’est pas difficile sur la nature du sol, et que, comme toute autre plante, il croît plus vigoureusement sur les sols riches, bien fumés, mais aux dépens peut-être de sa fructification. C’est, dit V.Yvart, une des plantes les plus précieuses pour les assolemens des terres sèches, siliceuses, caillouteuses et cretacées.

La croissance du sarrasin est rapide. Il est très-sensible aux influences atmosphériques : la moindre gelée le détruit. On prétend que les éclairs lui causent beaucoup de mal (Duhamel), et que sa fleur coule dans ce cas, ou lorsque les phénomènes électriques se développent dans l’air sans qu’il pleuve (Thaer). Elle ne supporte pas non plus la trop grande ardeur du soleil, ni les vents violens de l’Est. — Le sarrasin ne craint pas une température sèche. Immédiatement après qu’il a été mis en terre, il lève, même par les plus grandes sécheresses ; mais, lorsqu’il se revêt de sa troisième feuille, il demande la pluie pour pouvoir développer les autres ; sa longue floraison se développe quelques semaines après, et alors il doit avoir alternativement de la pluie et du soleil pour que sa croissance s’achève et que ses fleurs nouent ; après sa floraison, il veut derechef un temps sec qui accélère et égalise la maturation de ses fruits, qui arrive après un temps variable entre 2 et 3 mois.

On peut semer le blé noir à toute époque de la belle saison, en prenant garde qu’il ne soit exposé ni aux gelées du printemps, ni a celles de l’automne. Pour plus de sûreté, ou pour avoir un produit continu en fourrage, on sème à 3 ou 4 époques différentes. Si le champ doit être fumé, il convient de répartir le fumier de manière à en répandre la moitié seulement avant l’ensemencement du sarrasin, et le reste après la récolte. Les débris de bruyère lui conviennent particulièrement.

Ordinairement, on ne donne qu’un labour au champ qui doit le recevoir. Cependant Thaer croit qu’il est indispensable de labourer deux fois, afin, surtout, de détruire les mauvaises herbes, et M. De Dombasle va jusqu’à dire que, si 4 ou 5 labours sont nécessaire pour ameublir le sol, on ne doit pas les épargner. A Roville, on exécute 2 labours : l’un en avril, l’autre en mai, et on les fait précéder chacun d’un hersage. Au reste, le nombre des façons préparatoires peut varier, suivant l’usage auquel on destine la plante.

Le mode de sa végétation exige qu’on emploie peu de semence. Il n’en faut guère qu’un demi-hectolitre par hectare, quand on a en vue la production de sa graine, et le double quand on veut le faire servir d’engrais (Vilmorin). La graine demande à être enterrée peu profondément, et par un simple coup de herse ou d’extirpateur.

On choisit pour la récolte le moment où la plus grande partie des graines sont mûres. Il y a deux manières de l’exécuter : l’une consiste à couper les tiges avec la faulx ou avec la faucille ; l’autre, à les arracher. La première est plus expéditive et plus usitée ; la seconde diminue la perte qui résulte de l’égrenage, et permet à un plus grand nombre de graines d’achever leur maturation après le moment de la récolte. On réunit les tiges en bottes qu’on dresse les unes contre les autres, et qu’on laisse plus ou moins longtemps sur place en les disposant en moquettes, comme il a été expliqué au chap. des Récoltes, pour les préserver des déprédations des oiseaux.

On est presque toujours forcé, dit le directeur de Roville, de procéder au battage lorsque les plantes sont a moitié sèches, et alors on ne peut conserver la paille. Un étend le grain en couches très-minces dans les greniers, afin d’en achever la dessiccation. Le sarrasin se bat très-bien au fléau et à la machine.

Le produit qu’il donne est très-variable. Lorsqu’on le sème après une récolte de céréales, dit Thaer, on compte en 7 ans, sur une bonne récolte, trois médiocres et trois mauvaises ; si on le confie à un champ qui est resté en repos ou en pâturage pendant plusieurs années, on s’attend en revanche à une bonne récolte sur deux : 20 à 25 hectolitres de grain par hectare doivent être regardés comme une bonne récolte ; dans les années particulièrement favorisées, le produit peut s’élever au double. Celui du sarrasin, cultivé comme fourrage, est également variable : à terrain égal, Thaer l’a trouvé plus considérable que celui des vesces. Lorsqu’on enterre en vert, on fait agir la charrue à simple ou à double versoir.

J. Yung.

Section vi. — Du Maïs.

Le Maïs (Zen Maïs, Linn.) ; en anglais, Maïze ; en allemand, Mays ; en italien, Gran turco ; en espagnol, Maiz, vulgairement connu en différens lieux sous les noms de blé d’Inde, blé de Turquie, blé d’Espagne, blé de Barbarie ou de Guinée, etc., parait originaire des Deux-Mondes, ainsi qu’il ressort des preuves historiques que j’ai développées ailleurs.

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§ ier. — Usages.

Il n’est aucune plante d’un intérêt plus grand et d’une utilité plus générale que le Maïs}. Il croit sous les tropiques, à côté du manioc et de l’igname, et ses épis féconds se retrouvent dans une grande partie des régions tempérées rivaux de ceux du blé. Il sert, sous un grand nombre de formes différentes, à la nourriture des hommes, à celle des animaux domestiques ; — aux besoins de l’économie. Industrielle ; — et il offre des ressources à la médecine hygiénique.

Sous le premier point de vue, on utilise ses grains, tantôt simplement grillés ou bouillis quelque temps avant leur complète maturité ; tantôt réduits en farine et sous forme de pâte, d’une digestion facile, à laquelle on a donné, selon sa consistance, le choix des assaisonnements et le mode de préparation, les noms de polenta, de gaude ou de millias ; — d’autres fois, sous forme de pain ou de gâteaux, avec ou sans mélange de farine de froment, de seigle, de sarrasin, de fécule ou de pulpe de pommes-de-terre. Soumis a la fermentation alcoolique, le maïs peut remplacer l’orge ou le blé dans la préparation de la bière. — On en extrait, par infusion, après l’avoir torréfié, un breuvage qui a l’apparence du café, et dont les Chiliens sont fort avides. — Sous les tropiques, la tige de cette plante est tellement sucrée que les Indiens la sucent, comme dans d’autres lieux on suce la canne à sucre. Le suc qu’on peut en extraire, après avoir fermenté, sert, en divers lieux, à la préparation de liqueurs spiritueuses ; et, si des expériences diverses n’ont pas encore suffisamment démontré qu’il contienne une assez grande quantité de sucre pour permettre de l’utiliser profitablement a l’extraction de ce précieux produit, on peut en retirer, en proportion notable, du vinaigre par la fermentation acide, ou de l’alcool par la distillation. Ajoutons que ce même suc concentré par une chaleur modérée, et étendu de beaucoup d’eau, fournit une boisson douce et rafraîchissante : mêlé avec du jus de groseilles, et sans addition de sucre ou de sirop, il donne un breuvage aussi sain qu’agréable.

Nous n’avons pas à nous occuper ici de l’emploi du maïs comme fourrage ; ses grains sont une excellente nourriture pour presque tous les animaux ; — les chevaux s’en accommodent fort bien ; — les porcs ne s’en dégoûtent jamais, et l’on sait combien les oiseaux d’étang et de basse-cour en sont avides.

On peut employer les feuilles du maïs pour la fabrication du papier. — En Amérique, on extrait de ses grains une sorte d’huile grasse dans la proportion d’un litre environ par boisseau. — Dans le même pays, on fait de ses spathes des chapeaux assez solides. — Ailleurs on en fait des nattes, on en tresse des liens ; — on en remplit les paillasses, matelas, coussins, etc., et ce dernier emploi est d’un très-bon usage.

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§ ii. — Espèces et variétés.

Nous cultivons depuis plusieurs années, dans le Jardin dont la direction nous est confiée, quatre espèces de maïs, dont la première seule a jusqu’ici fixé l’attention des cultivateurs européens. Ce sont : le Zea maïs, Lin., foliis intergerrimis (à feuilles entièrcs) (fig. 563 et 564) ; — le Zea Curagua, Mol., foliis subserratis (à feuilles denticulées) ; — le Zea Hirta, Nob., foliis hirtis (à feuilles velues) ; — et le Zea erithrolepis, Nob., seminibus compressis, glumis rubris (à grains comprimés, à rafle rouge).

Ces espèces, dont les caractères ne s’altèrent jamais au point de devenir méconnaissables, ont donné naissance, la première surtout, à un grand nombre de variétés transmissibles de semis, ou plutôt à une multitude de races qui diffèrent entre elles par la couleur, la forme, le volume des grains, leur consistance, l’époque de leur maturité, ou par d’autres modifications plus légères, mais assez solides néanmoins pour se reproduire. — Les unes sont préférables à raison de la grosseur ou de la qualité des grains, les autres à cause de leur plus grand produit, de leur précocité ou de leur aptitude à résister au froid, à la sécheresse, etc.

Dans notre ouvrage, où sont figurées de grandeur naturelle et représentées en couleur les principales variétés de maïs, nous avons rangé ces variétés en trois sections basées sur la couleur des grains, caractère assez fixe lorsqu’on à soin d’éviter les effets de l’hybridité si fréquente chez les végétaux monoïques.

A. variétés à grains roux.
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1. Maïs d’août ou d’été, connu en Piémont sous le nom de melia ostenga ou agaostana, dérivé de ce que cette variété, la plus généralement cultivée en Italie, y vient à maturité dans le mois d’août. Cent épis produisent 20 à 24 livres de grains ; le poids moven de l’émine (23 litres) n’excède pas 49 livres. — La durée ordinaire de la végétation de ce maïs est de quatre mois.

2. Maïs d’automne ou maïs tardif, connu des cultivateurs piémontais sous le nom de melia invernenga, parce qu’on le récolte dans l’arrière-saison. Cependant, semé en même temps que la variété précédente, il ne mûrit que deux semaines plus tard. — L’égrenage de cent épis donne 34 livres de grains, et le poids moyen des 23 litres est de 47 livres.

3. Maïs quarantain. Il mûrit en quarante jours dans les conditions les plus favorables à sa culture. — Cent épis rendent 14 à 17 livres, et le poids de 23 litres est de 47 à 48. — La durée ordinaire de sa végétation est d’environ trois mois.

4. Maïs de Pensylvanie. Cette variété intéressante, mais un peu tardive, cultivée primitivement au Jardin des plantes de Paris, fut envoyée, il y a une douzaine d’années, par A. Thouin, dans les diverses parties de la France et de l’Europe méridionale. — On a compté jusqu’à 14 épis sur un pied isolé de ce maïs, l’un des plus féconds connus. Le produit moyen de 100 épis est de 40 à 50 liv., et le poids de 23 litres, de 47. Beaucoup plus tardive que les variétés précédentes, à l’époque de son introduction, elle n’offre plus qu’un retard de 12 à 13 jours sur la variété no 1.

5. Maïs des îles Canaries. — Cent épis donnent 25 à 30 livres de grains ; — les 23 litres pèsent 46 livres. — La durée de la végétation est de 4 mois 1/2.

6. Maïs des Landes. — Cent épis rendent 30 livres, et le poids des 23 litres est supérieur à celui de la variété précédente. Il arrive à maturité dans l’intervalle de 4 mois.

7. Maïs de Grèce. — Introduit en Piémont par Giobert. — Le produit de 100 épis est à peu près de 23 livres. — Le grain pèse un peu plus que celui de la variété no 1.

8. Maïs à épi renflé. — Cent épis ne rendent que 18 livres de grains, et 23 litres pèsent 44 livres. — Durée de la végétation, 4 mois.

9. Maïs d’Espagne. — Cent épis n’ont donné que 12 livres de grains, d’un poids inférieur à celui du maïs no  1. — Sa végétation est de 15 à 20 jours plus tardive que celle de cette même variété.

10. Maïs cinquantain. — Cent épis rendent 23 livres de grains un peu plus pesans que ceux du no 1. — Sa maturité devance d’une quinzaine de jours celle du maïs d’août.

11. Maïs nain ou à poulet. — Remarquable par la petitesse de ses dimensions. — Cent épis ne rendent que 9 à 10 livres. — La pesanteur des 23 litres de grains est de 48 à 49 livres. Il croît et mûrit en moins de 3 mois, ce qui le fait rechercher également dans les contrées à étés courts, et dans les pays sujets aux sécheresses précoces.

B. Variétés à grains blancs.

12. Maïs d’automne à grain blanc. — Il mûrit quelques jours après la variété no 2 ; ainsi que les autres maïs blancs, il paraît être plus approprié aux terres humides, que les variétés à grains colorés. — Cent épis donnent 25 livres de grains, qui ne pèsent pas moins que dans la variété précitée.

13. Maïs de Guasco, de la province de ce nom au Chili. — Un peu plus productif que la variété no 2, mais plus tardif que la variété no 1.

14. Maïs de Virginie. — Introduite assez récemment en Europe, cette variété se rapproche surtout du maïs jaune de Pensylvanie. Il paraît être un des plus productifs. — Sa végétation s’opère en 4 mois.

15. Maïs de Quillota, de la province de ce nom, au Chili, où on le cultive.— Cent épis rendent 25 livres de grains, qui pèsent 44 livres. — La durée de sa végétation est de 5 mois et quelques jours.

16. Maïs à rafle rouge (Zea erythrolepis), que j’ai signalé comme une espèce distincte. — Donne un grain très-tendre qui produit une farine égale, en blancheur, à celle du plus beau froment. — Le cours de sa végétation est d’environ 4 mois.

17. Maïs à bouquet ou à faisceau. — Les nœuds supérieurs des tiges se trouvent assez rapprochés pour que les épis qui naissent à l’aisselle des feuilles offrent, par leur assemblage, l’aspect d’un bouquet ; mais, ordinairement, un seul épi arrive à maturité. — Sa végétation est de 5 mois.

18. Maïs ridé. — Cent épis donnent 25 livres de grains ; les 23 litres pèsent 37 livres. — La végétation s’opère en 5 mois.

19. Maïs hérissé (Zea hirta, Nob.). — C’est encore, ainsi que la suivante, une des 4 espèces botaniques précitées. — Cent épis rendent 25 livres environ ; les 23 litres en pèsent 45. — Sa végétation dure 5 mois.

20. Maïs curagua (Zea curagua). — Cent épis donnent 24 livres de grains, du poids de 45 livres à l’émine de 23 litres. — La durée de sa végétation est de près de 5 mois.

C. Variétés à grains rouges.

21. Maïs rouge. — L’égrenage de 100 épis donne 30 livres de grains, et les 23 litres pèsent de 45 à 46 livres. Cette variété, ainsi qu’une sous-variété qui, à la couleur près, se confond avec le maïs à poulet, sont, l’une et l’autre, très-robustes, et mûrissent facilement dans les pays tempérés.

22. Maïs jaspé. — Le produit de 100 épis est de 17 livres, les 23 litres pesant 46 à 47 livres. La maturité de son grain devance d’une semaine celle du maïs précédent.

§ III. — Choix du terrain et du climat.

À ne considérer le maïs que dans ses rapports avec la culture française, le choix du terrain n’est plus qu’une question secondaire, tandis que celui de la latitude en devient une de première importance. — En effet, cette céréale, qui aime de préférence un sol argilo-sableux et frais dans le midi, sablo-argileux et facile à échauffer vers le centre, s’accommode cependant des terres de toute nature, pourvu qu’elles soient suffisamment ameublies et convenablement fumées. On voit mûrir le maïs dans les plaines quartzeuses de la Nouvelle-Jersey ; dans le territoire de Carthagène, en Colombie, trop humide pour que l’orge et le froment y viennent bien ; dans les terres arides de la Carinthie, situées entre Trévise et Bassano. J’ai vu cette plante prospérer au milieu des plaines sablonneuses qui longent l’Adour. Au pied des Pyrénées, les Basques l’ont acclimatée dans le sol pierreux qu’ils habitent. Au-delà de ces monts, sa culture s’accommode des débris de granit et de schiste qui encombrent le terrain. On l’observe sur les montagnes du Béarn, à une hauteur approximative de 3,000 pieds. Je l’ai vue réussir aussi dans des terres graveleuses de l’Alsace, dans les terrains siliceux du pays de Baden et dans l’ardoise décomposée de quelques vallées de Maurienne. En France, il serait facile d’ajouter à la masse de semblables faits, en prenant pour point de départ, au sud, les boulbènes et les terres forts du Languedoc ou de la vallée de la Charente, et, au nord, les sables blanchâtres d’une partie de la Sarthe, où le maïs et le sarrasin semblent seuls, à côté des pins, pouvoir donner des produits quelque peu avantageux.

Quant au climat propre à la culture du maïs, on avait cru autrefois pouvoir tracer ses limites approximatives, par une ligne tirée obliquement à l’équateur, de la Garonne au Rhin, de sorte qu’à l’est du royaume, cette céréale se serait approchée du 49e degré de latitude nord, tandis qu’à l’ouest, elle n’aurait guère dépassé le 45e. — Mais on s’est aperçu depuis qu’on avait gratuitement refusé à cette dernière partie de la France un avantage dont elle peut jouir tout aussi bien que l’autre, et dont elle jouit en effet, puisqu’on cultive le maïs assez en grand pour l’engraissement des porcs et des volailles, jusqu’au nord des départemens de la Sarthe et de la Mayenne. — Il y a quelques années, la Société d’horticulture de Paris chercha à étendre la culture du maïs aux environs de cette ville, et son zèle ne fut pas sans récompense. Il est désormais hors de doute que, dans les années favorables et en faisant choix des variétés, sinon les plus productives, au moins les plus précoces, on doit en espérer des récoltes avantageuses dans le département de la Seine. Malheureusement, ainsi posée, la question agricole ne peut être considérée comme résolue. Car, d’une part, il ne suffit pas au cultivateur d’obtenir accidentellement de bons produits ; et, de l’autre, lors même que ces produits ne seraient pas aussi casuels qu’ils le sont, il faudrait examiner encore si leur abondance et leur valeur les mettraient au-dessus de tous ceux qu’on pourrait demander dans les mêmes circonstances, en même terrain. — En définitive, quoique nous voyons qu’il soit susceptible de mûrir ses épis, presque sur les cinq huitièmes de la France, nous ne pensons pas que le maïs devienne jamais, sous le 49e degré, l’objet d’une culture éminemment productive.

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§ iv. — De la préparation du terrain.

On conçoit, d’après ce qui précède, que cette préparation doit être infiniment variable, puisque l’une des premières conditions de succès étant que la terre soit suffisamment, ameublie, le nombre des labours change selon sa nature, et il devient impossible de le préciser. — Il est telle localité où, comme en Lorraine, on en donne 3 : le 1er avant l’hiver, le 2e au printemps et le 3e directement avant la semaille. — Dans d’autres, comme la Bourgogne, la Bresse, etc., on en donne 2 : le 1er en décembre, le 2e à l’époque des semis ; — enfin, il n’est pas rare qu’un seul labour suffise, mais alors ce ne peut être que dans un sol naturellement léger ; car ce labour, servant à la fois à enterrer le fumier, à préparer la couche labourable, et à recevoir la semence, doit être peu profond, afin que les racines coronales puissent atteindre les engrais à mesure qu’elles se développent.

Si l’épaisseur de la terre végétale était habituellement de 10 à 11 pouces (27 à 30 cent.), on obtiendrait ainsi des produits infiniment plus abondans que lorsqu’elle n’est que de 7 ou 8 po. (19 à 22 cent.). Mais il est bon de se rappeler ce qui a été dit ailleurs, que la profondeur des labours doit toujours être proportionnée à la quantité d’engrais. — Le maïs se trouve toujours assez bien de leur abondance, et s’accommode parfaitement de leurs diverses sortes. — Il vient fort bien sur défriches. À mesure que les Européens ont pénétré dans les deux Amériques, sur les débris encore fumans des vieilles forêts, ils ont commencé leurs cultures par des semis de cette plante. — Les Brésiliens, sans aucun labour préparatoire, jettent les graines, pour ainsi dire, au milieu des cendres. — Aucune autre plante, si ce n’est la pomme-de-terre, ne réussit aussi bien après un écobuage. — Enfin, de toutes les céréales, c’est, ainsi que le démontre la pratique du Midi, celle qui peut succéder, peut-être avec le moins d’inconvénient et le plus de succès, au froment.

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§ v. — Du choix et de la préparation des semences.

Le maïs, ainsi que le froment, conserve sa propriété germinative plus longtemps qu’on ne le croit généralement. Des expériences que j’ai répétées sur plusieurs points, démontrent qu’en certaines circonstances, il peut germer après 10 et même 12 ans ; néanmoins, je regarde comme profitable de préférer les grains de l’année précédente à ceux de 2, et, a plus forte raison, de 3 ans. — Une autre précaution recommandée, et généralement suivie chez les bons cultivateur, c’est d’éviter de prendre ceux qui avoisinent la base et la sommité de l’épi, parce qu’ils sont toujours moins bien formés et moins gonflés de la substance farineuse qui doit fournir à la première nourriture de la jeune plante.

Le maïs étant sujet au charbon, Bosc avait proposé de chauler les semences avant de les mettre en terre. Depuis que cet agronome concevait l’espérance de voir ainsi diminuer la cause première du mal, quelques faits ont paru justifier isolément ses prévisions. De nouvelles expériences auraient donc chances de succès.

La submersion des semences dans un liquide qui puisse les ramollir et les disposer à une plus prompte germination, est surtout favorable au maïs lorsque la terre est sèche ou lorsqu’on emploie des grains surannés, parce que ces derniers, toujours plus longs à germer que d’autres, courraient les risques de pourrir, sans une semblable précaution, qui active de plusieurs jours la sortie de leur germe. Cependant elle n’est utile qu’autant que la terre est suffisamment réchauffée pour que la germination ait lieu immédiatement ; autrement, elle serait plus nuisible qu’avantageuse. — L’eau pure, élevée un peu au-dessus de la température atmosphérique, à l’aide du soleil, nous a toujours paru suffire à cette opération.

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§ vi. — De l’époque des semis, et de la quantité de graines employées.

Dans les départemens méridionaux, comme en Piémont, on sème le maïs à deux époques différentes : au printemps, depuis la mi-avril jusqu'au milieu de mai ; — au commencement de l’été, depuis le mois de juin, pour succéder à une récolte de printemps ou remplacer une culture détruite par la grêle, jusqu’après la récolte du seigle et même du froment. Dans ce dernier cas, je préfère à tout autre le maïs quarantain ou à poulet.

Pour les départemens du centre, il faut attendre qu’on n’ait plus rien à craindre du retour des gelées et que la terre soit échauffée plus qu'elle ne l’est d’ordinaire dans le courant d’avril. — Les semailles tardives entraînent, à la vérité, des récoltes tardives ; mais des semis faits à contre-temps, lorsqu'ils ne compromettent, pas le succès de la culture, contribuent bien peu à avancer ses produits, puisque les graines ne lèvent que lorsqu'elles trouvent dans le sol une température convenable.

Pour indiquer la quantité de graine que comporte une étendue de terrain déterminée, il faudrait, non seulement être fixé sur le mode de semis et la qualité du terrain, mais sur la dimension que doit prendre individuellement chaque touffe, selon la variété à laquelle elle appartient. — Dans le Piémont, où la culture du maïs est très-perfectionnée, lorsqu’on sème à la volée la variété n° 1, on répand la moitié d’une émine (11 à 12 litres) par arpent. — Il y a peu d’inconvénient à semer plus épais, parce que les plantes surabondantes servent à nourrir le bétail et donnent ainsi un produit souvent bien supérieur à la légère augmentation des dépenses et de main-d’œuvre, occasionée par l’excédant de semences et par l’arrachement.


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§ vii. — Des diverses manières de semer.

On en connaît deux principales : 1° celle dont nous venons de parler, qui consiste à répandre les grains à la volée et à les recouvrir à la herse, méthode regardée comme décidément vicieuse, parce qu’elle donne des résultats irréguliers, et parce qu’elle s’oppose ultérieurement à l’emploi, pour le binage et les butages, des instrumens nouveaux qui simplifient à un si haut point ces importantes opérations ; 2° celle qui a pour résultat l’espacement régulier des plantes en lignes parallèles.

Ce dernier mode de semailles comprend les semis sous raies, les semis en sillons, ceux au plantoir ou à la houe, et ceux au semoir.

Pour semer en rayons, sous raies, un homme précède la charrue lors du dernier labour ; il dépose, à des distances à peu près régulières déterminées par le choix de la variété du maïs, deux ou trois graines à chaque fois, sur l’arête du dernier sillon, de manière que la charrue qui le suit les recouvre à une faible profondeur. — Quelquefois on laisse un ou deux sillons vides entre chaque rang, pour obtenir tout de suite l’espacement convenable ; — d’autres fois, afin de se ménager du fourrage, on sème sur tous les sillons.

Pour semer en sillons, le semeur suit la charrue, et, au lieu de laisser tomber les semences sur l’arête du dernier sillon, il la dépose avec la même régularité au fond de la petite raie formée par la jonction de ce même sillon et de celui qui l’a précédé. — Dans ce cas, on recouvre avec le dos de la herse.

Pour semer à la houe, on fait de petites fosses en quinconce avec cet outil ; et si le terrain n’a pas été préalablement fumé, on jette au fond, avant de placer les deux ou trois grains, une pelletée d’engrais ou de compost. — Dans plusieurs cantons de l’Amérique méridionale, et, à leur exemple, dans plusieurs endroits voisins des Pyrénées, on ne laboure pas la totalité des champs destinés au maïs, on fait seulement 2 traits de charrue par chaque 3 pieds, et on les coupe à angles droits par deux autres traits semblables ; c’est dans les points de jonction de ces traits qu'on creuse à la bêche ou à la houe un trou d’un 1/2 pied carré, dans lequel on met une poignée de fumier et des grains de maïs.

Pour semer au plantoir, comme on le pratique aussi en Amérique, et fréquemment en Piémont dans la petite culture, on a recours à un plantoir à une ou plusieurs pointes (voy. page 222), pour faire les trous à des distances égales, dans le sens des sillons ou le long d’un cordeau ; on introduit dans chaque trou deux ou trois graines, et on les recouvre aussitôt avec le pied.

Enfin, quand on fait usage du semoir, comme il y a un incontestable avantage à le faire partout où l’on possède une de ces machines, qui peut à la fois rayonner, ouvrir le sol, répandre l’engrais, semer et recouvrir, on met 2 ou 3 grains, par pied de longueur, dans la ligne. — Plus tard on éclaircira, de manière que chaque touffe des grandes variétés se trouve à environ 3 pieds en tous sens de la voisine ; — les variétés moins élevées doivent être beaucoup moins espacées. Du reste, nous répétons que la distance doit varier, non seulement en raison de l’espèce qui fait l’objet du semis, mais aussi par suite de la quantité et de la fécondité plus ou moins grande du terrain. — En arrachant progressivement les pieds qui se trouveraient de trop, il faut avoir soin qu'à toutes les époques de leur croissance, les autres puissent jouir complètement de l’influence de l’air et de la lumière.

Une précaution générale, que nous n’avons pas encore trouvé l’occasion de recommander, relativement aux semis de maïs, c’est de ne pas les faire trop profondément, dans la crainte d’occasioner la pourriture d’une partie des graines, surtout dans les terres compactes et un peu humides, ou lorsqu'on sème de bonne heure. — Une couverture trop épaisse compromet la réussite de beaucoup de semences ; elle retarde sensiblement la levée de toutes. — On regarde qu’un pouce au plus dans les terres fortes, un pouce et demi dans les terres légères, sont la profondeur convenable.

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§ viii. — Des cultures d’entretien du maïs.

Lorsque les jeunes pieds de maïs ont atteint quelques pouces de hauteur, qu’ils montrent leur 3e ou 4e feuille, ordinairement vers le commencement de juin, on procède à un premier binage, soit à la main (voy. pag. 226 et suiv.), ce qui peut paraître préférable à cette époque de la végétation, soit à la houe à cheval (voy. pag. 228 et suiv.). Pendant l’opération, il faut avoir soin d’éviter de recouvrir la tige, ce qui pourrait la faire pourrir, surtout s’il entrait de la terre dans le cornet. — On commence à éclaircir les pieds trop rapprochés ; — on en repique, ou on sème de nouveau dans les places vides. Si on préfère le premier moyen, quoique le plus long, pour en obtenir les meilleurs résultats possibles, on fera bien, à l’aide d’une houlette, d’arracher les jeunes plants de repiquage en mottes. Encore, malgré cette précaution, éprouveront-elles sur les autres un retard marqué. — Si l’on choisit l’autre moyen, que nous avons trouvé généralement préférable, on doit semer le maïs quarantain ou toute autre variété assez précoce pour atteindre la maturité du premier.

La seconde façon se donne 15 ou 20 jours après la première, à la charrue à deux versoirs, dite cultivateur. Elle procure à la fois un binage, un sarclage et un butage parfaits, qui a pour but, moins encore d’affermir la plante que d’ajouter à sa vigueur par suite de la sortie des nouvelles racines. — À cette époque, on supprime les tiges latérales qui poussent du collet, et qui affameraient la tige principale sans donner en compensation des produits suffisans. — C’est aussi le moment d’achever d’éclaircir. Les pieds de maïs ayant acquis 15 ou 18 pouces peuvent être utilisés à l’étable.

Dans quelques localités, avant de buter, on est dans l’usage de déposer au pied de chaque touffe un supplément d’engrais pulvérulens ou liquides. Sur les sols de consistance moyenne et un peu frais, le noir animalisé et la poudrette produisent, de cette sorte, de puissans effets. — Les Lucquois emploient les matières fécales délayées dans l’eau. C’est à cet arrosement distribué avec parcimonie au pied de chaque plante, qu’ils doivent ces abondantes récoltes de maïs quarantain qu’ils retirent des terres où ils ont semé ce grain aussitôt que le blé en a été enlevé.

Presque partout on néglige un troisième binage, parce que, une fois que le maïs couvre suffisamment le terrain, il y a beaucoup moins à redouter la croissance des mauvaises herbes, et parce que les butages perdent de leur importance à mesure que la végétation approche de sa fin. Cependant, vers l’époque de la floraison, une dernière façon, moins profonde que la précédente, est assez souvent profitable lorsqu’elle peut s’exécuter à peu de frais.

Peu de temps après la fécondation, on casse, dans beaucoup de lieux, la sommité des tiges de maïs pour les donner aux bestiaux. Sans doute il y a quelques inconvéniens à faire cette suppression, qui occasione une perturbation assez grande dans les mouvemens de la sève. Quelques cultivateurs croient avoir remarqué qu’elle nuit à la grosseur et qu’elle retarde la maturité des épis ; mais cette différence est bien peu sensible, puisque d’autres prétendent avoir observé le contraire. Quoique nous nous rangions du premier avis, nous ne voudrions pas proscrire une pratique qui, lorsqu’elle n’est pas faite trop tôt, car alors nous savons par expérience qu’elle peut occasioner la coulure des fleurs ou la naissance de sous-bourgeons latéraux, ne nous paraît pas présenter autant d’inconvéniens que d’avantages.

Lorsqu’on veut utiliser l’intervalle qui sépare les lignes de maïs par d’autres cultures, il faut renoncer aux binages et aux butages à la houe à cheval ou au cultivateur. Les binages à la main deviennent même difficiles, et le sol, qui produit davantage, se trouve aussi plus fatigué, de sorte que les avantages, en dernière analyse, ne sont pas aussi clairs qu’on pourrait le croire au premier aperçu.

La culture du maïs, même semé comme fourrage dans les interlignes, donne cependant, sans ces derniers inconvéniens, de bons produits. Détruit avant le moment de la fructification, il épuise peu le sol et il peut faire place à un semis de navets, de raves, à une plantation de choux ou autres plantes destinées à être consommées pendant l’hiver. — Entre les rangs plus rapprochés du maïs quarantain, on pourrait aussi, à une récolte fourragère, faire succéder une plantation de colza. — Enfin, on peut encore faire, simultanément avec le maïs, d’autres semis de printemps qui exigent eux-mêmes des binages, tels que ceux de haricots, de pavots, de pommes-de-terre, etc., etc. Ce dernier moyen est souvent employé dans les pays de petite culture.

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§ ix. — Récolte et conservation.

Il y a plusieurs manières de récolter le maïs. Les uns, c’est le plus petit nombre, arrachent les tiges ; — les autres les coupent à fleur de terre avec la serpe ou la houe tranchante ; — d’autres, enfin, détachent l’épi et laissent la tige sur place. — Après la cueillette, on étend les épis sur l’aire ou sous un abri aéré, et on y forme des couches de 7 à 8 pouces d’épaisseur, que l’on remue fréquemment pour que leur humidité se dissipe. Quelques cultivateurs ont soin de ne récolter que la quantité d’épis qu’ils peuvent dépouiller le même jour ou le lendemain. Cette précaution est utile pour en prévenir la fermentation.

Le dépouillement ou effeuillement des épis est presque toujours confié aux femmes et aux enfans. Assis au tour des tas de maïs qu’ils ont formés, chacun prend un épi d’une main, en détache de l’autre les spathes qui l’enveloppent, et le frottent entre les doigts pour en enlever les barbes encore adhérentes aux grains. Dans quelques pays, au lieu de dépouiller l’épi complètement, on lui laisse 2 ou 3 feuilles propres à servir d’attache à plusieurs épis qu’on lie ensemble pour les tenir suspendus. Pour compléter la dessiccation du maïs, on connaît plusieurs procédés différens. — Dans les climats méridionaux, dès que les épis sont effeuillés, on se contente de les déposer sur le sol ou sur des toiles, en couches peu épaisses, et de les remuer assez souvent pour que l’air et le soleil les dessèchent. — Dans les pays où cette céréale mûrit plus difficilement, on fait sécher les épis dans des étuves garnies de claies, et, le plus souvent, dans des fours de boulangers, dont on porte d’abord la température au-dessus de celle qu’exige la cuite du pain. On y introduit ensuite les épis effeuillés, dont l’évaporation adoucit la chaleur ambiante, et, pour obtenir une dessiccation plus prompte et uniforme, on les remue dans tous les sens 5 ou 6 fois dans la journée, à demi-heure d’intervalle. L’opération se termine ordinairement dans les 24 heures. — Si les rafles, à leur sortie du four, n’étaient pas desséchées jusqu’à leur centre ; si elles ne se rompaient pas avec facilité lorsqu’on essaie de les ployer entre les mains ; et si, enfin, les grains, sans avoir changé de couleur, n’étaient pas légèrement fendillés à leur surface, on recommencerait la même opération à une température plus douce. Il est à peine besoin de faire observer qu’une telle dessiccation porte atteinte à la vitalité du germe ; les épis destinés à la semence ne doivent donc pas être desséchés de cette manière.

Dans la plupart des régions d’une température moyenne, on renverse les feuilles conservées au nombre de 2 ou 3 à chaque épi, on les enlace et on les lie avec un nœud ou un brin d’osier, en en formant des faisceaux de 8 ou 10 épis, qu’on dépose côte-à-côte sur des cordes ou des perches, dans l’intérieur et au dehors des maisons, sous les saillies des toits, etc. Mais ce mode de conservation peut rarement s’appliquer à la totalité des récoltes un peu abondantes. — Pour suppléer a l’insuffisance des habitations, en Amérique, en Valachie, en Hongrie, on construit, pour renfermer les épis de la céréale qui nous occupe, des séchoirs couverts de chaume (fig. 565) dont le pourtour et le fond sont formés de lattes en claire-voie, assez rapprochées pour retenir les épis. On donne à ces sortes de cages une longueur et une élévation calculées sur la quantité de mais qu’on doit y renfermer, mais seulement une largeur de 2 ou 3 pieds pour que l’air puisse circuler à travers. Le séchoir est élevé sur des poteaux de bois ; la saillie du toit empêche la pluie de tomber à l’intérieur, et une porte à claire-voie, placée à l'une des extrémités, sert à s’y introduire à l’aide d’une échelle mobile. — Ce système de conservation, adopté depuis quelques années dans la ferme-modèle de Roville, est excellent ; et on ne peut douter que toutes les fois que les épis sont passablement murs, ils ne se conservent très-bien, et que, retirés de la cage quelques mois après, ils ne soient complètement desséchés.

Quoi qu’il en soit, dès que les grains de maïs sont assez secs pour se séparer de leur alvéole par le frottement réciproque de 2 épis, on peut procéder à l'égrenage par l’un des moyens suivans : — Tantôt, et c’est le procédé le plus simple, on égrène le maïs de la manière qui vient d’être indiquée ; mais ce procédé, à cause de sa lenteur, ne convient que pour de petites récoltes ou pour le maïs destiné à la semaille. — Tantôt on se sert d’une lame de fer fixée à un banc sur lequel l’ouvrier s’assied pour racler les épis l’un après l’autre. — Dans les pays de grande culture, les cultivateurs abrègent de moitié l’opération par l’emploi du fléau. Ils battent les épis sur l'aire à coups répétés, enlèvent les rafles avec la fourche ou le râteau, les mettent dans un coin, et amoncèlent le grain dans un autre. — Parfois le battage a lieu sur des claies entrelacées de manière à laisser entre les branchages un vide suffisant pour que le grain puisse passer. On peut ainsi opérer à volonté en plein air ou sous le toit de la ferme. — Il est des cantons où, pour égrener le maïs, les cultivateurs se servent d’un sac grossier qu’ils remplissent à moitié, et frappent ensuite à coups redoublés. Le peu de durée des sacs rend ce moyen dispendieux. — Dans divers endroits de la Sicile, les garçons et les jeunes paysannes se rassemblent au son d’une cornemuse et, en dansant ou trépignant sur les épis avec leurs sabots de hêtre, ils dépiquent le maïs par cette joueuse opération.

La longueur de ces diverses opérations et les dépenses qu’elles exigent ayant fait recourir aux machines, j’ai construit un égrenoir qui a été distingué à l’exposition des produits de l’industrie (1834), et dont l’usage commence à s’introduire parmi les cultivateurs. Cette machine, dont la fig. 566 représente l’élévation, vue du côté du mouvement, et la fig. 567 la coupe longitudinale et verticale, par l’axe du tambour, est mue par une manivelle AA (fig. 566 et 567), montée sur un axe en fer qui porte aussi une grande poulie G pour servir à transmettre au batteur le mouvement que la manivelle lui imprime à l’aide d’une corde B sans fin. — L’économie de temps et de force que procure cette machine, la netteté qu’elle donne au grain, sans briser la rafle, et son prix, accessible à la plupart des fortunes, sont les avantages qu’elle présente ; avantages constatés par l’expérience.

Après l’égrenage, de quelque manière qu’il ait été opéré, il est essentiel de vanner le maïs, comme on vanne le grain de toutes les céréales, afin d’en séparer la poussière, les parcelles de l’épi, et les corps étrangers qui s’y trouvent mêlés.

Le moyen le plus naturel de conserver le maïs est de le laisser en épis, mais il peut difficilement convenir aux pays de grande culture. — Lors donc qu’on a dégagé les grains de la rafle, les uns les serrent dans des greniers ou ils les remuent de temps en temps ; — d’autres les mettent dans des sacs, des coffres, des tonneaux. — En Toscane, en Sicile, à Malte et sur les côtes d’Afrique, on les enfouit, comme les grains de toute autre nature, dans des fosses souterraines, revêtues à l’intérieur de pailles ou de nattes de jonc, d’écorce, etc. — Chacun sait qu’un moyen très-propre à prolonger la durée du maïs consiste à le soumettre à un degré de chaleur dont l’intensité, assez forte, à la vérité, pour détruire la vitalité du grain, paralyse en même temps les élémens de fermentation, et durcit assez la partie du grain enchâssée dans l’axe de l’épi, pour qu’il résiste à l’attaque des insectes. Malheureusement, la farine qui provient du maïs étuvé n’est pas d’une conservation plus longue que l’autre. On ne doit donc moudre ce grain que pour la consommation de quelques semaines. Plus la farine acquiert de finesse sous la meule, plus elle est susceptible de s’altérer.

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§ x. — Des produits du maïs.

Si nous faisions, avec les voyageurs, des recherches sur les produits de la culture du mais dans les contrées méridionales, nous verrions qu’à l’aide des irrigations, on en obtient sur le même sol au moins deux récoltes par an. C’est ce qui a lieu dans quelques parties de l’Egypte, et d’une manière bien plus marquée dans l’île de Cuba, où, au dire de M. Ramon de la Sagra, on voit se succéder jusqu’à 4 cueillettes de maïs : la 1re en février, la 2e en mai, la 3e en août, et la dernière en octobre. — Au sud de l’Europe, il n’est pas impossible non plus, comme on peut le prévoir d’après ce qui précède, d’obtenir 2 récoltes, soi en faisant sur le même champ 2 cultures consécutives de maïs précoce, soit en semant, en juillet, dans les intervalles des lignes de maïs ensemencées en avril ; mais, d’une part, il faut beaucoup d’engrais pour réparer l’épuisement occasioné par cette production forcée, et, de l’autre, on chercherait vainement a l’obtenir hors de certains climats et de certaines positions favorisées par la proximité des eaux. — La multiplicité des récoltes de maïs n’est pas le seul avantage des pays aussi heureusement situés : leur abondance en est un non moins grand. — Dans quelques parties de l’Amérique du sud, il est des lieux, dit M. de Humboldt, où l’on regarde comme médiocre une culture de cette graminée, qui ne rend que cent trente à cent cinquante fois la semence.

D’après nos calculs, le produit ordinaire étant de deux épis dans les bons terrains, et d’un seul dans les médiocres, chaque épi contenant approximativement 10 à 12 rangées, et chaque rangée 30 à 40 grains, on obtient quelquefois en Piémont jusqu’à 180 pour un. — Toutefois, la récolte moyenne du maïs, dans ce même pays, n’est que de 60 p. 1. En réduisant encore ce total, on trouvera toujours que, partout ou le maïs prospère, il est de toutes les céréales celle qui donne les plus abondans produits. Matth. Bonafous.

Section vii. — Du Millet et du Sorgho.

Le Millet ou Panis (Panicum, Lin.) ; en anglais, Millet ; en allemand, Panick ; en italien, Panico et Sageno, et en espagnol, Alcaudia, n’est cultivé un peu en grand que dans quelques-unes de nos provinces méridionales. On fait entrer ses graines dans la confection du pain ; on les mange à la façon du riz, cuites dans du bouillon ou du lait ; on les emploie à la nourriture de tous les animaux domestiques. — Ses feuilles sont avidement recherchées par les bestiaux ; — enfin, ses tiges sèches servent à chauffer le four.

Il existe trois espèces principales de Panis : le commun (Panicum millaceum, Lin.) ; — le Millet d’Italie (P. Italicum), et le Moha (P. germanicum), que l’on cultive à peu près de la même manière, et dont les produits sont peu différens. Cependant le dernier, généralement préférable aux deux autres comme fourrage, est moins productif en grain (voy. le chap. Plantes fourragères).

Le Millet commun (fig. 568) se distingue facilement du Millet d’Italie (fig. 569). — Le premier porte des panicules volumineuses à longues ramifications, lâches et pendantes au sommet ; la gaine de ses feuilles est hérissée et couronnée de poils à son orifice ; ses graines sont blanches, jaunes ou noirâtres dans diverses variétés. — La seconde espèce a ses fleurs disposées en un épi serré, cylindrique, et à ramifications si courtes qu’elles sont sensibles à la base seulement ; les feuilles sont moins larges, moins longues, et ordinairement moins velues. — L’un et l’autre s’élevent à 3 ou 4 pieds (1m ou 1m 299). Quant au Moha (fig. 570), il se rapproche beaucoup du millet d’Italie. Son épi est cependant généralement plus court, ses tiges plus grèles et plus nombreuses.

Tous les millets aiment une terre légère, mais substantielle, profondément ameublie par plusieurs labours, et richement fumée. Dans les sols pauvres ou arides, ils ne donnent que peu de tiges et des épis peu chargés de graines ; — dans les sols humides, sans chaleur, ils pourrissent promptement par les racines.

Les millets, supportant mieux la chaleur et la sécheresse que la plupart de nos autres céréales, sont propres à succéder en seconde récolte à celles qui cessent d’occuper le sol à la fin du printemps ou au commencement de l’été, et à remplacer les cultures printanières détruites par quelques accidens. — Nous verrons qu’on peut aussi en tirer un parti avantageux comme fourrage.

Vers le centre de la France, dans l’appréhension des gelées, dont ces plantes ne peuvent supporter la moindre atteinte, on ne les sème que dans le courant de mai. — Plus au sud, il faut devancer cette époque, afin de profiter de l’humidité accumulée dans le sol pendant l’hiver. Lorsqu’on n’opère pas par un temps de pluie, la graine des divers millets étant fort dure, il est avantageux de la faire tremper pendant 24 heures dans de l’eau à une douce température.

Les semailles se font à la volée ou par lignes plus ou moins distantes, selon le développement que doit prendre chaque touffe, eu égard à la qualité du terrain. — En général, l’espace réservé d’un pied à l’autre est de 10 à 15 po. (0m 271 à 0m 298) environ.

Quelle que soit la manière dont on aura semé, on devra plus tard éclaircir, sarcler, biner et buter d’après les mêmes principes que ceux qui ont été exposés en parlant du maïs. Par cette raison, pour faciliter le travail de la houe à main, les semis en ligne doivent être préférés. S’ils exigent, lorsqu’on ne possède pas un bon semoir, un peu plus de temps que les autres, cette légère différence est largement compensée plus tard par la plus grande facilité, la rapidité des sarclages et des butages, la perfection du travail, et, en définitive, par l’abondance des récoltes.

On reconnaît que la plante approche de sa maturité à son changement de couleur. Les épis deviennent alors jaunâtres comme les graines ; si l’on attendait pour les recueillir que ces dernières fussent toutes parfaitement mûres, on en perdrait une grande quantité ; aussi la récolte ne doit pas être différée jusque là.

On coupe les épis à un pied de leur base, et on les suspend dans un endroit aéré et sec, jusqu’à ce que la maturation soit complète ; puis on les égrène à la main ou on les bat avec un fléau, et on les nettoie comme le blé.

Le produit en grain des panis est considérable. Malheureusement, leur qualité, comme substance propre à la nourriture de l’homme, n’est pas, à beaucoup près, en rapport avec leur quantité.

Le SORGHO (Holcus Sorghum, Lin.) ; en anglais, Millet ; en allemand, Hirse ou Sorgsamen, en italien, Sorgo, et en espagnol, Alcandia (fig. 571), est, comme on le voit par cette synonymie, souvent confondu avec le millet, dont il diffère, du reste, assez peu par ses usages économiques, sa culture et ses produits. — Sa tige forte, roide, analogue à celle du mais, dont elle se distingue cependant par ses moindres dimensions, s’élève à la hauteur de 5 ou 6 pieds (1 a 2 mèt.). Ses feuilles sont plus larges et plus longues que celles des millets. Ses fleurs et ses graines sont disposées à l’extrémité des tiges, en larges panicules formant une sorte de petit balai.

Comme le panis, le sorgho veut une terre fertile et chaude. — La manière de le semer, de le sarcler et de le buter, est en tout la même ; seulement, il est bon de l’espacer davantage. Cette plante, fort cultivée en Arabie et sur divers autres points de l’Asie, s’est répandue aussi en Italie, en Espagne, en Suisse, dans quelques parties de l’Allemagne et de la France méridionale et occidentale. Mais elle s’y est fort peu étendue, parce que, quoiqu’elle épuise le sol à peu près autant que le maïs, elle donne des produits en général moins fructueux.

Oscar Leclerc-Thouin .

Section viii. — Du Riz.

Le Riz cultivé (Oryza sativa), en anglais Rice ; en allemand, Reis ; en italien, Riso ; (fig. 572), est une plante annuelle qu’on croit originaire des Indes et de la Chine, et qui appartient a la famille des graminées. Ses racines sont fibreuses et superficielles, et ressemblent à celles du froment ; elle fournit des tiges hautes de 3 a 4 pieds, grêles, et aussi fermes que celles du blé. Les feuilles sont longues, étroites, terminées en pointes. Les fleurs portent des étamines de couleur purpurine, et forment des panicules comme chez le millet. Les grains sont contenus un à un dans une balle sans arête, à pointe aiguë, à deux valves à peu près égales ; ils sont oblongs, sillonnés, durs, demi-transparens et ordinairement blancs.

Le riz, comme toutes les plantes cultivées depuis un temps immémorial, a produit un grand nombre de variétés. Celles des Indes, notamment le benafouli et le gouonloli, donnent un grain meilleur que le riz de l’Europe. A la Chine, il en existe aussi un grand nombre d’excellentes variétés ; celle dite riz impérial parait être d’un tiers plus précoce que les autres, et peut ainsi mieux réussir au nord de l’Empire. Il y en a une au Japon dont le grain est fort petit, très-blanc et le meilleur qu’on connaisse ; il est aussi nourrissant que délicat ; les Japonais n’en laissent presque pas sortir. Mais, pour nous, les variétés les plus intéressantes sont celles cultivées en Piémont et dans les Carolines.

M. Poivre a rapporté de la Cochinchine à l’Ile-de-France une variété de riz qu’un appelle vivace ou perenne, parce qu’elle reproduit chaque année des tiges nouvelles ; son grain est brun et de bon goût ; cette espèce est peu répandue.

Il y a une dizaine d’années, on avait, en France, fondé de grandes espérances sur une variété de riz sec, provenant de la Cochinchine, envoyée à la même époque par Poivre en Europe, et mise en vogue par A. Thouin ; on prétendait qu’elle pouvait être cultivée sans inondations dans les terrains frais. Malheureusement, les essais tentés de divers côtés, et ceux que nous avons faits en Piémont ont démontré que cette variété est une plante aussi aquatique que l’espèce à laquelle elle appartient, et qu’elle ne peut fructifier sans l’intervention de l’eau. On sait en effet que les variétés de riz sec de montagne de l’Asie, particulièrement de la Cochinchine, ainsi que de Madagascar, ne prospèrent, sans être inondées, que dans les pays et aux époques ou les moussons procurent des pluies continuelles et constantes. Le grain obtenu, en cultivant ce riz comme le riz humide, nous a paru plus dur et par conséquent d’une cuisson plus longue.

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§ ier. — Usages du riz.

Les usages du riz sont nombreux et variés. L’analyse chimique y a fait reconnaître une quantité considérable de fécule, environ 96 pour cent ; aussi ce grain est-il l’une des substances les plus nutritives, et, pour une grande partie des peuples de l’Asie, de l’Afrique et de l’Amérique, il est d’une importance égale il celle du froment pour les habitans de l’Europe. L’analyse nous a prouvé que le riz cultivé en Europe offrait plus de principes nutritifs que le riz exotique ; il est moins blanc, mais plus savoureux.

Le riz seul ne parait pas susceptible de panification, et la manière la plus ordinaire de le consommer consiste simplement à le faire ramollir et gonfler dans de l’eau bouillante ou à la vapeur ; on le mange en cet état, soit seul et assaisonné avec quelques sels ou épices, ce que les Orientaux nomment pilau, soit mélangé avec les autres substances qui composent le repas ordinaire.

M. Arnal a récemment fait valoir les avantages qu’il y aurait à mélanger un septième de riz réduit en farine, avec la farine de blé destinée à la préparation du pain, et il a trouvé qu’en composant la pâte de 12 livres de froment, 2 de riz et 13 d’eau, on obtient 24 livres d’un pain excellent, très-nutritif et d’une blancheur parfaite, tandis que 14 livres de farine ne donnent habituellement aux boulangers qu’environ 18 livres de pain.

En Europe, on mange aussi le riz bouilli, mais on en prépare surtout une foule de potages, de gâteaux et de mets sucrés excellens. — On sait que la décoction des grains du riz est très-employée en médecine dans les dyssenteries et comme boisson très-salutaire. — Dans quelques pays, on en nourrit la volaille. — En Chine, ce grain, soumis à la fermentation et à la distillation, fournit une liqueur spiritueuse appelée arack, et au Japon, une sorte de boisson vineuse nommée facki. — Enfin, les Chinois en composent une pâte qui acquiert une grande dureté, qui se moule comme le plâtre, et avec laquelle ils font divers petits ouvrages de sculpture et de modelé.

La balle du riz, que les Piémontais nomment bulla, se donne aux chevaux après l’avoir légèrement mouillée, mais c’est une médiocre nourriture. — Quant à la longue paille, on n’en peut faire que de la litière pour les bœufs ; aussi en laisse-t-on souvent une bonne partie pour l’enterrer dans le sol. — Nous ne parlerons pas de l’emploi du riz pour la préparation des chapeaux et tissus appelés dans le commerce paille de riz, car on sait qu’ils sont confectionnés avec le bois de diverses espèces d’osiers et de saules, ou d’autres arbres à bois blanc. — Quant au papier de riz, il est fait avec les tiges de l’Œschynomène des marais (Œschynomene paludosa, Roxb.), plante de la famille des légumineuses, qui croit abondamment dans les plaines marécageuses du Bengale.

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§ ii. — Exploitation et insalubrité des rizières.

Il est bien constaté que la culture du riz ne prospère que sur les terrains qu’on peut inonder à volonté, ou dans les contrées soumises à des pluies régulières et abondantes. C’est ainsi qu’elle est pratiquée, quoique avec des modifications particulières, en Chine, au Japon, dans les Indes et les îles de l’Asie ; en Égypte et autres parties de l’Afrique ; aux Etats-Unis d’Amérique, notamment dans les Carolines, qui produisent du riz en abondance, et en fournissent une grande quantité au commerce européen ; enfin, en Europe, dans le Piémont et la Romagne, et en Espagne, partout où les cours d’eau sont nombreux et abondans, et où il est par conséquent facile d’inonder les champs de riz. Dans un grand nombre de localités, et surtout aux Indes, en Chine et au Japon, on cultive le riz sur des terrains où l’eau ne viendrait pas naturellement, et on l’y amène par des canaux d’irrigation, en l’élevant au moyen de machines.

La culture du riz a été essayée avec succès dans plusieurs parties de la France, en Provence, dans le Forez, le Dauphiné, la Bresse, en Languedoc et dans le Roussillon, et, de nos jours, aux environs de la Rochelle par madame du Cayla. Mais elle a été abandonnée, à cause des maladies meurtrières qui l’accompagnaient, et qui portèrent le gouvernement à l’interdire formellement. Ces ordonnances, quoique sans application depuis un très long temps, n’ont point été abolies : en sorte qu’on peut se demander si la culture du riz pourrait être rétablie en France de nos jours, sans l’intervention de l’autorité législative. En Espagne, elle avait été aussi proscrite sous peine de mort ; mais cette défense est tombée en désuétude ; cependant il est encore défendu d’établir des rizières, si ce n’est à la distance d’une lieue des villes. En Amérique, comme en Italie et en Piémont, la culture du riz est soumise à diverses mesures restrictives, qui ont pour but de diminuer les fâcheux effets de son insalubrité, dont il est facile de se convaincre en observant les visages livides. pâles et bouffis des habitans, et en remarquant que des fièvres intermittentes y règnent presque toute l’année. Dans ces derniers pays même, où l’influence délétère des rizières est en partie dissimulée par leur mode d’exploitation, si l’on écoutait les vœux des amis de l’agriculture et de l’humanité, au lieu d’encourager cette culture, on tendrait à la réduire.

Les grands travaux nécessaires pour niveler le sol des rizières et y amener les eaux d’une manière régulière, ne permettent pas ce genre de culture aux paysans, ni aux petits propriétaires. En Piémont, ils restent tout-à-fait étrangers à la culture des rizières, qui sont ordinairement des propriétés d’une vaste étendue, situées dans des contrées où la population est rare et chétive, et qui appartiennent à de riches citadins. Ceux-ci en confient la direction et la surveillance à des régisseurs qui font exécuter tous les travaux de culture comme de récolte, par des étrangers ; ceux-ci arrivent à cet effet de diverses contrées, aux époques convenables.

Pour L’agriculture française, le riz n’offre un grand intérêt que par l’étendue que sa culture pourrait prendre sur le territoire d’Alger, où il existe de vastes plaines d’un terrain fertile et facilement irrigable, et où la population, peu considérable dans certaines localités, aurait peu à souffrir de l’insalubrité des rizières. Peut-être aussi pourrait-on l’introduire, sans de grands dommages pour la santé publique, dans quelques contrées du midi de la France, qui trouveraient ainsi un emploi plus productif que par la végétation des mauvais herbages et des roseaux qu’elles fournissent.

§ III. — Culture du riz.

Le climat exigé par le riz ne permet pas à cette culture de dépasser avantageusement vers le nord le 45e ou le 46e degré de latitude ; il faut, en effet, au riz, pour bien fructifier en Europe, une température élevée pendant 4 à 5 mois au moins. Il demande aussi, autant que possible, une exposition méridionale et une situation qui ne soit pas ombragée.

Le terrain préféré par le riz est gras, humide et naturellement fertile. Le sol des rizières est souvent assez riche par lui-même et par la décomposition des matières animales et végétales, sans cesse activée par l’action de l’eau, pour permettre la culture du riz sans engrais pendant plusieurs années de suite. Il est même des sols si riches qu’on risquerait d’y voir verser le riz, ce qui anéantirait la récolte. On lui fait alors succéder d’autres céréales, et surtout le maïs ou le sorgho. Il est des rizières où le riz est cultivé sans interruption ; dans d’autres, tous les 4, 5 ou 6 ans, on le soumet à une année de jachère, pendant laquelle on fume ou bien on adopte un assolement qui intercale de loin en loin le maïs et le chanvre. Du reste, les engrais sont rarement inutiles de temps en temps, si ce n’est sur les terrains trop féconds, et ils deviennent très-avantageux sur ceux de médiocre qualité.

Environné de toutes parts d’eau qu’il faut renouveler constamment, le riz y pompe presque toute sa nourriture, en sorte qu’il épuise très-peu le sol. Son propre feuillage et la présence de l’eau préviennent aussi très-efficacement l’évaporation des principes fertilisans et la propagation des herbes. Il en résulte que toutes les récoltes qui succèdent immédiatement à celles du riz, sont nettes, abondantes et très-avantageuses, et qu’on peut prolonger la culture du riz sur le même sol, pendant plusieurs années consécutives, avec plus d’avantages et moins d’inconvéniens que pour la plupart des autres graminées.

Quoique le riz préfère un terrain riche, il peut cependant donner de bons produits sur un sol peu fertile, pourvu que sa couche inférieure lui fasse retenir à sa superficie l’eau et les matières fertilisantes. On dit que cette plante est très-productive sur les terrains salés, ce qui peut rendre sa culture avantageuse sur certaines laisses de mer.

Les eaux préférables pour les rizières sont celles de rivières, puis celles des étangs, lacs, mares ou marais ; celles de sources ou de puits sont pour le sol européen les moins convenables, comme les plus fraîches et les moins propres à la végétation ; lorsqu’on est obligé d’y avoir recours, on doit les améliorer par un séjour dans des réservoirs bien découverts et peu profonds, et même en y mêlant des engrais animaux.

Le sol des rizières doit être labouré pour ameublir la terre, et permettre aux racines d’y pénétrer. Mais les labours ne doivent pas être profonds, surtout dans les terrains médiocres.

Ainsi, la culture du riz ne peut être établie que dans un bon sol ; — disposé en plaine ou en pente douce, afin de rendre facile l’entrée et l’écoulement de l’eau ; — voisin d’une rivière ou de tout autre dépôt d’eau favorable ; — écarté le plus possible de toute plantation qui nuirait au riz en l’ombrageant et l’exposant davantage aux dégâts des oiseaux et autres animaux : — enfin, convenablement préparé par des labours et des engrais.

Avant de procéder aux semis, une préparation particulière aux rizières consiste à diviser le sol en compartimens à peu près égaux, carrés et contigus, dont l’étendue doit être proportionnée à la pente plus ou moins forte du terrain, et est généralement, dans la Catalogne et le royaume de Valence, de 15 à 20 pi. de côté. Ces planches sont séparées les unes des autres par de petites levées ou chaussées en terre, en forme de banquettes, dont on proportionne la hauteur et l’épaisseur au volume d’eau qu’elles doivent renfermer, mais qui ont généralement 2 pieds d’élévation sur 1 de large. Ces banquettes permettent de parcourir les rizières en tout temps à pied sec, et de retenir les eaux à volonté ; elles sont percées d’ouvertures opposées, pour l’introduction et l’écoulement des eaux. Le sol des planches doit être aplani et bien nivelé, afin que l’eau se maintienne partout à une égale hauteur.

L’époque favorable pour les semailles est ordinairement en avril pour les nouvelles rizières, et seulement au milieu de mai pour les anciennes, dont le sol, refroidi par une inondation longtemps prolongée, a besoin d’être réchauffé par l’action des rayons solaires auxquels il faut le laisser exposé. Au moment de semer, on fait pénétrer l’eau, et lorsqu’elle est uniformément répandue à peu de hauteur, on y entre pieds nus, et on sème à la volée comme pour le froment. En Asie, on sème souvent en rayons ; et dans l’Inde comme en Chine, et ailleurs, généralement on transplante le riz, semé d’abord en pépinière, lorsqu’il est parvenu à 5 ou 6 pouces de hauteur. Il est aussi des lieux où l’on n’introduit l’eau qu’après avoir semé et hersé.

Il est utile d’avoir préalablement disposé la graine à germer en la faisant tremper dans de l’eau pendant un ou deux jours, ou même assez longtemps pour qu’il y ait un commencement de germination. La semence, tout le monde le sait, doit avoir été conservée avec sa balle ou enveloppe.

Pour enterrer la semence, voici le procédé en usage dans le Piémont et la Romagne ; On attèle un cheval à une planche d’environ 3 mètres (9 pieds) de longueur, sur 33 centim. (1 pied) de largeur, et sur laquelle un conducteur se tient debout en se soutenant au moyen des guides. Il fait parcourir à la planche toutes les parties des compartimens, dont il rabat ainsi les sillons, en ayant soin de descendre lorsqu’il passe d’un compartiment dans un autre, par-dessus les berges.

Les façons d’entretien du riz consistent à suivre la distribution des eaux, qui doivent être plusieurs fois renouvelées, et toujours un peu courantes pendant la végétation de la plante, et qu’on fait écouler une ou deux fois pour permettre des sarclages. — Au bout de 12 ou 15 jours, les premières feuilles du riz commencent à paraître hors de l’eau ; il faut alors augmenter successivement la quantité de l’arrosement, de sorte que l’extrémité des feuilles soit constamment flottante à la surface de l’eau, et cela jusqu’à ce que les tiges soient assez développées pour se soutenir, ce qu’on reconnaît à l’existence du premier nœud et à une teinte verte plus foncée. — À cette période de la végétation du riz inondé, on fait écouler l’eau pour donner plus de consistance aux plantes et permettre l’enlèvement des mauvaises herbes ; mais on ne tarde pas à restituer l’eau plus abondamment, dès que le riz jaunit et paraît souffrir. — Cette nouvelle inondation active promptement sa croissance, et on l’entretient aussi complète et aussi haute que possible, surtout par les grandes chaleurs et à l’époque de la floraison. — Assez souvent, vers la fin de juin, on retire encore une fois les eaux, afin de sarcler les mauvaises herbes, principalement les prêles, les souchets, carex, etc. qui ruineraient bientôt les rizières en se propageant ; dans tous les cas, on débarrasse toujours rigoureusement les banquettes.

Avant que le riz soit en fleur, c’est-à-dire généralement vers le milieu de juillet, on le cime, opération qui se fait à la faulx comme l’effanage des blés trop vigoureux, et qui consiste à retrancher les sommités des tiges. Le riz, plus ferme, épie, fleurit et mûrit alors plus également ; mais cette pratique n’est point générale.

Le riz fleurit une 15e de jours après le cimage, et le grain se forme au bout de 15 autres jours ; durant cette période, plus grande est l’abondance de l’eau, et plus fortes sont les chaleurs, plus on fait de riz. — Dès qu’on s’aperçoit que la maturité approche, ce qu’indique la couleur jaunâtre que prennent les épis et la paille, on fait entièrement écouler l’eau, et on dégage, à cet effet, les ouvertures jusqu’au bas des banquettes, afin que le terrain perde son humidité, tant pour qu’il puisse recevoir le labour en temps convenable que pour rendre la récolte plus facile. Il est cependant des lieux où elle se fait dans l’eau, ce qui augmente beaucoup l’insalubrité ordinaire des rizières.

Depuis quelques années, les rizières de la haute et basse Italie sont sujettes à une maladie désignée en Italie sous le nom de brusone. Le riz se trouve instantanément frappé de stérilité par cette maladie, attribuée par les uns à un insecte inconnu, et par d’autres à une végétation agame, dont le développement rapide serait sans exemple. Mais ces deux opinions nous paraissent peu vraisemblables ; nous croyons que le brusone est plutôt dû à un phénomène électrique. En effet, nous avons toujours remarqué que le riz qui végétait sur les bandes de terre imprégnées d’une humidité plus profonde, y était plus exposé. Nous avions soupçonné aussi que le riz cultivé en Piémont avait pu dégénérer, faute d’en avoir renouvelé la semence depuis l’époque déjà ancienne de son introduction. Nous fîmes venir en 1829 du riz de l’Amérique septentrionale, pour le distribuer aux cultivateurs piémontais, et il résulte de leurs essais que ce grain américain n’a pas été atteint du brusone, quoique cultivé dans les mêmes circonstances ; nous énonçons ce fait sans oser conclure que notre soupçon soit fondé.

§ IV. — De la récolte et des produits.

La récolte a lieu quand la couleur jaune foncée de la paille et de l’épi annonce une complète maturité ; ce qui arrive ordinairement 5 mois après les semailles, et vers la fin de septembre. Elle se fait à la faucille en sciant à moitié paille. — On bottèle sur-le-champ en petites gerbes qu’on lie avec des liens de paille de blé ou d’osier.

Le battage s’opère généralement en Piémont par les procédés de dépiquage qui ont été décrits page 330. On pourrait aussi battre le riz au fléau. À l’île Maurice, on le bat en frappant de fortes poignées sur 2 morceaux de bois de 4 à 5 pouces de diamètre, placés à côté l’un de l’autre. Dans plusieurs pays, on se contente de frapper les épis contre une muraille ou contre des planches. — Après la séparation du grain d’avec la paille, on amasse le riz en tas et on le vanne. Ensuite, on le met sécher sous des hangars ou au soleil, et des ouvriers le remuent avec des râteaux jusqu’à ce qu’il soit parfaitement sec, ce que l’on reconnaît en mettant quelques grains sous la dent ; ils doivent être alors aussi durs que ceux qu’on livre à la consommation. On passe ensuite le grain dans trois différens cribles, pour l’épurer parfaitement. — Dans cet état, le riz est enveloppé de sa balle jaunâtre, qui est très-adhérente ; il porte le nom de riz en paille, et de rizon en Piémont, celui de riz étant réservé pour le riz préparé et blanchi. — Quant à cette dernière opération, elle s’exécute en Italie au moyen de mortiers et de pilons en bois dur ou en pierres, mis en action par l’eau ou par un cheval, et en Espagne par des moulins dans le genre de ceux à farine, qui pourraient facilement être appliqués à cette destination, notamment en garnissant de liége la meule d’en bas, par dedans, c’est-à-dire entre les deux meules, afin qu’elles n’écrasent point les grains. On trouve un moulin fort simple, décrit et figuré dans la Collection d’instrumens et de machines de M. de Lasteyrie. — Celui que nous représentons (fig. 573), d’après l’ouvrage de Borgnis, nous parait préférable. Agissant par frottement, et non par percussion, il ne peut que dépouiller le riz de son écorce sans le pulvériser. On voit ne cette machine très-simple est composée d’un cône de bois a, de 5 à 7 pieds de long sur 3 à 5 de diamètre à la base, et 12 à 15 pouces au sommet. Ce cône est fait d’un assemblage de pièces de bois collées et réunies par de fortes chevilles ; il est soutenu fixement par une mèche b, scellée dans une plateforme en maçonnerie c c. Ce cône est entaillé sur toute sa surface convexe par des cannelures d’une forte ligne de profondeur, le 4 à 5 d’empatement, tirées parallèlement et en ligne oblique. Une cape d d, conique, exactement correspondante à celle du cône a, le recouvre entièrement ; sa surface concave est entaillée de cannelures semblables à celles du noyau a, mais inclinées en sens inverse. Cette cape, construite de madriers rapprochés comme les douves d’une futaille, est liée par 3 ou 4 cercles en fer ; elle est soutenue en équilibre par un boulon en fer encastré dans la partie supérieure du cône a. L’extrémité de ce boulou entre dans une calotte de bronze hémisphérique, soudée au centre de 2 petites barres de fer assujetties au fond de la trémie x. Ce fond est percé de plusieurs trous pour laisser passer peu-à-peu les grains qui, en descendant entre le noyau et la cape, sont dépouillés de leur capsule par le frottement que produit la rotation de cette dernière, laquelle est mise, au moyen des 2 leviers, en un mouvement circulaire alternatif de droite à gauche. Cette machine, mue par 2 hommes, blanchit, en une journee de travail, 4 quintaux de riz.

Au sortir des moulins, le riz passe encore au crible, mais on ne le nettoie pas davantage dans les rizières, et ce sont les marchands qui achèvent de l’épurer, en en formant plusieurs qualités. La plus inférieure se nomme rizot ; elle sert à la nourriture du peuple, la préparation d’un amidon inférieur à celui de blé, et aussi à l’engraissement de la volaille. — Le déchet du rizon au riz blanchi est communément dans le rapport de 38 à 25.

L’un des grands avantages du riz est sa facile conservation, qui le rend, par suite, très-précieux pour les voyages de long cours, pour les approvisionnemens des villes de guerre et pour les cas de disette.

Les produits du riz sont considérables, comparés au froment. Quand le grain du riz est beau, bien nourri, bien plein, 100 livres en gerbes donnent jusqu’à 75 livres de riz blanc ou pilé ; le plus communément, on en obtient de 40 à 50 livres. Le prix du riz de Piémont blanchi est d’environ 25 centimes le kilog. (2 sous 1/2 la livre). — Dans les Carolines, on compte que le produit d’un acre est de 50 à 80 boisseaux de riz, selon la qualité du sol ; 20 boisseaux de grains, revêtus de l’écorce, pèsent environ 500 livres ; ces 20 boisseaux se réduisent à 8 quand le riz est dépouillé de son enveloppe, mais il y a peu de perte sur le poids.

Matthieu Bonnafous.

Section ix. — De quelques autres plantes de la famille des graminées.

Le PATURIN flottant (Poa fluitans), plus vulgairement connu sous le nom de Fétuque flottante, manne de Pologne ou de Prusse, a été rangé parmi les paturins par les botanistes modernes, parce que, connue dans toutes les espèces de ce genre, il a des balles dépourvues d’arêtes. — Sa panicule est fort longue, resserrée en forme d’épis, et composée d’épillets cylindriques et alongés. — Ses graines sont petites et nombreuses. C’est une plante vivace qui croît abondamment dans les fossés et les marais vaseux ; elle sera figurée au chap. des Fourrages.

Dans le nord de l’Europe, et notamment en Pologne, on récolte, dit-on, soigneusement les graines de ce pâturin, que l’on fait cuire à la manière du riz et des millets, et auxquelles on trouve un goût délicat et sucré. — On en nourrit aussi les volailles et les oiseaux. Parmi les personnes qui en ont goûté en France, à ma connaissance, les unes les ont trouvées fort bonnes, les autres leur ont reconnu une saveur marécageuse presque repoussante. — Quoi qu’il en soit, en des années de pénurie, et dans les pays à marais comme la triste Sologne, il ne peut être indifférent d’appeler l’attention des habitans de la campagne sur la propriété alimentaire de cette plante, dont il serait facile de peupler, par les semis, la plupart des terrains aquatiques, et d’employer les produits herbacés, comme l’un des meilleurs fourrages verts de ces sortes de localités, lorsqu’on ne jugerait pas à propos d’utiliser ses semences ; on pourrait même profiter de ses fanes et de ses graines en fauchant après la maturité de ces dernières.

Toutes les graines ne mûrissent en même temps sur le même pied : on les obtient ordinairement, dit Bosc, en plaçant un tamis sous les épis, et en frappant sur eux avec des bâtons. On répète cette opération toutes les semaines jusqu’à la fin de la récolte.

Le PATURIN d’Abyssinie (Poa abyssinica) est annuel. Sa panicule est lâche, penchée, composée d’épillets linéaires de 4 fleurs. C’est dans le pays qui lui a donné son nom qu’on mange ses graines, malgré leur petitesse, de la même manière que celles de la précédente espèce, sous le nom de Teff. — On a pensé que la rapidité de croissance de cette plante pourrait la rendre, dans la France méridionale, aussi utile qu’elle l’est en Abyssinie, où on peut manger au bout de 40 jours le produit d’un semis, et où l’on en fait jusqu’à 3 dans une année lorsque la saison est favorable.

L’ALPISTE ou Phalaride des Canaries (Phalaris Canariensis), graine des Canaries (voir la fig. au chap. des Plantes fourragères), a un épi terminal, ovale ou à peu près cylindrique, assez épais ; — des balles glabres à courts pédoncules. — Quoiqu’on le regarde comme originaire des Canaries, on le retrouve fréquemment à l’état sauvage sur plusieurs points de la France, notamment en Bourgogne, dans le Lyonnais et le Languedoc. Il se plait de préférence dans les prés humides.

Les voyageurs rapportent que, dans les îles dont je viens de parler, cet alpiste servait autrefois de nourriture aux habitans qui en font encore des bouillies fort bonnes, comme cela a lieu aussi dans certains cantons de l’Espagne, de l’Italie et même de la France méridionale. Mais, dans tous ces pays, lorsqu’on le cultive en petit, c’est principalement pour en donner la graine aux oiseaux. Il est moins productif que beaucoup d’autres graminées tout aussi propres à cette destination. — Une propriété particulière, qui, si elle était bien reconnue, augmenterait cependant probablement la culture de cette plante, c’est que la farine de ses graines paraît être préférable à toute autre pour faire la colle destinée à affermir la chaîne des tissus fins, parce qu’elle conserve plus longtemps son humidité.

Le phalaris des Canaries aime les terres légères, chaudes et pourtant substantielles. Sa végétation s’accomplit rapidement au sud de l’Europe ; — assez lentement, au contraire, dans les régions du nord, puisqu’en Angleterre il ne fleurit que vers le mois de juillet et ne parvient à maturité que vers septembre ou octobre. Dans la plupart des contrées où on le cultive, on le sème à la manière de l’avoine ou de l’orge. En Angleterre, il paraît qu’on le sème en rayons distans d’un pied les uns des autres, dans le courant de février.

La ZIZANIE (Zizania aquatica), riz de Canada, improprement folle-avoine, — Zizanie claveleuse de Bosc, est, d’après cet auteur, une plante monoïque annuelle, qui s’élève, en Caroline, dans les eaux stagnantes et boueuses, à la hauteur de 7 à 8 pieds. — Ses fleurs sont disposées en panicules terminales, les mâles à la partie supérieure, et les femelles à la partie inférieure. Celles-ci sont remplacées par des graines qui n’ont pas moins de 7 à 8 lignes (0m 016 à 0m 018) de long, et qui sont regardées comme un excellent manger. Le même agronome dit que, les ayant mâchées, il les a trouvées plus farineuses qu’aucune de celles de la famille des graminées, et que les sauvages, avant l’arrivée des Européens, en faisaient cuire avec leur viande en guise de riz. — Aussi fait-il des vœux pour que cette belle et utile plante soit introduite dans les parties méridionales de l’Europe, où elle réussirait certainement.

Les graines de Zizania aquatica, dit M. Loudon, contribuent encore essentiellement à la nourriture des tribus errantes d’Indiens, et à celle d’immenses troupeaux de cygnes, d’oies et d’oiseaux d’eau de diverses sortes, qui affluent de toutes parts dans les marais du nord de l’Amérique. Parkinson s’étonne, tant il a vu cette plante productive dans les climats les plus rigoureux, et en des positions complètement impropres à toute autre culture, que les Européens, habitans des parties les plus septentrionales du pays que je viens de citer, n’aient encore fait aucune tentative pour propager et améliorer une production végétale qui semble destinée par la nature à devenir un jour le pain du nord. Oscar Leclerc-Thoüin.

  1. Vol. Ier, 4 livraison, 1834.
  2. Heidelberg, 1824. In-folio avec figures lithographiées.
  3. Les figures de tous les épis de froment ont été réduite, mais les épillets qui les accompagnent sont représenté de grandeur naturelle.
  4. Ce paragraphe est en grande partie extrait d’un Mémoire, encore inédit, sur les orges, par M. Vilmorin O. L. T.
  5. Quoique le nom français de cette espèce, correspondant au nom botanique latin, soit Orge commune, nous ne l’adoptons pas, parce qu’il tend à faire confusion avec l'orge plate ou à 2 rangs, qui est, pour les Français, la véritable orge commune. Le nom d’orge carrée n’est pas bon, puisque l’espèce a réellement 6 rangs rapprochés ; mais connue c’est l’un des plus en usage, nous avons mieux aimé le conserver que d’en créer un nouveau. Vilm.
  6. Histoire naturelle, agricole et économique du maïs, par M. Mathieu Bonafous, directeur du Jardin royal d’agriculture de Turin, etc. Chez Mme Huzard, à Paris, 1835. Un volume in-folio orné de 29 planches.