Maison rustique du XIXe siècle/éd. 1844/Livre 1/ch. 16
Section 1re. — Des fèves.
Si les fèves, ou plutôt les féverolles, dont nous devons nous occuper d’une manière spéciale dans un Traité d’agriculture, ne sont pas plus généralement cultivées en France, cela tient surtout à ce que, dans beaucoup de lieux, on ne trouverait pas à vendre avantageusement leurs produits, et on ne saurait pas les utiliser, comme ils peuvent l’être, à la nourriture journalière et à l’engrais des animaux domestiques.
Chacun connaît l’emploi des fèves à la nourriture de l’homme. — La féverolle ou fève de cheval, ainsi que ce nom l’indique, est particulièrement propre à celle des chevaux, qui la mangent mêlée à de l’avoine ou à des fourrages hachés, sans nulle autre préparation. — Réduite en farine grossière, elle peut faire partie de leurs breuvages, et servir très-avantageusement à engraisser rapidement tous les ruminans, les porcs et les animaux de basse-cour. Cette farine, facilement obtenue au point de finesse voulu, à l’aide du petit moulin Molard, est une des plus riches en parties nutritives.
Dans le département de Lot-et Garonne, les fèves sont, après le froment et le maïs, le principal objet de la culture. Celles qui cuisent bien, dit M. de Père, ont une valeur égale à celle du froment ; elles forment presque exclusivement la soupe des habitans de la campagne, qui les emploient à cet usage en si grande quantité, qu’elles remplacent en bonne partie les autres alimens. Celles qui ne cuisent pas, entrent pour un douzième dans la formation de leur pain.
M. Gaujac, dont on a inséré un très-bon Mémoire sur la culture des fèves dans le 37e vol. des Annales d’agriculture française, rapporte qu’il a nourri des grains de cette plante ses chevaux et autres bestiaux, et surtout ses brebis pleines et nourrices, ses vaches, ses veaux et ses porcs, auxquels il les donnait concassées, ou en purée, ou en eau blanche un peu tiède. — « Lorsque les veaux ont tété pendant une douzaine de jours, ajoute le même auteur, on ne leur donne qu’une partie de lait de leur mère mêlée avec 3 parties de fèves délayées dans 2 ou 3 litres d’eau tiède, et cette boisson, qu’on leur distribue 3 fois par jour, à des doses convenables, leur procure une excellente nourriture et un engrais suffisant pour être livrés à 6 semaines au boucher, à un prix élevé. — Un veau engraissé suivant cette méthode ne coûte que le quart du prix de la vente, et on conserve pendant longtemps le lait des vaches, qui couvre infiniment au delà de ce qu’il en a coûté en farine de fèves.»— Quant aux chevaux, Yvart, qui était mieux que personne à même de vérifier un pareil fait, a reconnu souvent qu’ils étaient aussi bien nourris avec les trois quarts d’un boisseau de fèves qu’avec un boisseau d’avoine.
§ 1er. — Espèces et variétés.
La Fève (Faba, De Cand.) ; en anglais, Bean ; — en allemand, Bohn ; — en italien, Fava, — et en espagnol, Alverjanas (fig. 574), se trouve dans la famille des Légumineuses, tout à côté des Vesces, dont elle diffère principalement par sa gousse grande, coriace, un peu renflée, et par ses graines oblongues, dont l’ombilic est terminal. — Elle a les tiges droites, les feuilles ailées, ordinairement à 4 folioles entières et semi-charnues ; —le pétiole est stipulé ; les fleurs sont presque sessiles, réunies 2 ou 3 ensemble aux aisselles des feuilles ; — la corolle est blanche ou rosée, avec une tache noire au milieu de chaque aile.
Cette espèce, que l’on sait originaire des environs de la mer Caspienne, a donné naissance en Europe à deux races principales qui se subdivisent à leur tour en plusieurs autres variétés ; ce sont : la grosse fève de marais (Faba major) et la Féverolle (Faba equina), qui se distingue particulièrement de la précédente par ses moindres dimensions, l’abondance plus grande de ses produits, et qui parait se rapprocher davantage du type primitif.
1. La Féverolle proprement dite (fig. 575) est de toutes, la plus cultivée en grand. Elle est petite, assez tardive, donne des graines presque cylindriques, âpres et à robe coriace, qui ne sont guère propres qu’à la nourriture des chevaux et autres bestiaux. On la sème après l’époque des grands froids.
2. La Féverolle d’hiver n’offre d’autre particularité
notable que sa plus grande rusticité.
C’est elle que, dans le midi, on préfère
pour les semis d’automne.
3. La Féverolle d’Héligoland, que M. Vilmorin a rapportée d’Angleterre, est trop peu connue encore dans nos campagnes. Elle doit être considérée comme une des meilleures sous le rapport de ses produits.
4. La Fève julienne (fig. 576) est plus grosse qu’aucune des variétés précédentes, mais moins grosse que les suivantes, quoiqu’elle appartienne aux fèves proprement dites. — On la cultive dans les jardins, et assez souvent, à cause de sa précocité, aux alentours des grandes villes, pour la nourriture des hommes.
5. La grosse Fève ordinaire, ou Fève de marais (fig. 577), est cependant plus généralement connue encore, et plus recherchée dans beaucoup de lieux, à cause de son plus gros volume.
6. La Fève de Windsor est la plus grosse de toutes, mais non la plus productive. On la cultive peu en grand.— Diverses autres variétés, telles que la verte, la violette, la Fève à longue cosse, etc., ne sont recherchées que dans les jardins.
§ II. — Choix et préparation du terrain.
Les fèves, à l’aide d’une culture convenable, réussissent fort bien sur les terres argileuses rendues par leur trop grande ténacité impropres à la végétation de la plupart des autres plantes qu’il est possible d’intercaler aux récoltes de blé. Sous ce seul point de vue, leur importance est fort grande, car elles facilitent singulièrement l’admission d’un bon assolement, dans les localités où le trèfle vient mal, en préparant la terre, au moins aussi bien que lui, à recevoir un froment. A la vérité, le trèfle, pour féconder le sol, n’exige presque aucuns frais de main-d’œuvre, tandis que la féverolle nécessite des façons d’autant plus dispendieuses pour nos exploitations agricoles qu’on n’y possède encore ni les semoirs, ni les houes ou les charrues perfectionnées qui abrègent et simplifient d’une manière si remarquable les semis et les cultures en ligne. A la vérité encore, le trèfle laisse plus à la terre qu’il ne lui enlève, tandis que les fèves, quoiqu’on ait remarqué qu’elles épuisent beaucoup moins le sol que toute autre récolte portant graine, enlèvent cependant plus qu’elles ne rendent d’engrais. Mais, d’une part, la première de ces plantes ne vient pas partout assez bien pour remplir le but qu’on se propose en la semant ; — de l’autre, les cultures sarclées sont indispensables dans tout bon assolement, — et enfin, des diverses récoltes auxquelles on est dans l’usage de donner une fumure, celle des féverolles laisse probablement le plus d’engrais après elles, ainsi que l’atteste, à côté de bien d’autres preuves, la beauté des céréales qui lui succèdent.
A ne considérer que la culture, indépendamment de l’emploi des produits des fèves, ces diverses considérations devraient leur assurer une place dans presque tous les assolemens des terres fortes ; mais leur utilité ne se borne pas là. — Elles viennent fort bien, sous notre climat, aux latitudes les plus méridionales et les plus septentrionales, et on peut dire qu’elles s’accommodent de presque tous les terrains, pour peu qu’ils ne soient pas trop légers, par conséquent trop arides dans le midi, trop humides dans le nord ; car, quoique ces plantes, en général, aiment la fraîcheur, en dépit de leur vieille qualification (fèves de marais), elles redoutent beaucoup une humidité stagnante.
Les fèves suivent ordinairement et précèdent une récolte céréale. — Dans l’assolement quadriennal, elles commencent le plus souvent la rotation. Après elle vient un froment suivi d’un trèfle, ou, si l’état de ténacité du sol l’exige, d’une nouvelle culture sarclée, à laquelle succède un second froment ou une autre céréale. — Malgré le retour continuel des deux mêmes espèces, il est des lieux où l’on suit depuis fort longtemps avec succès l’assolement biennal : fèves fumées et froment sans engrais. Toutefois, cette pratique ne peut être recommandée que comme exception, car elle pèche à la fois contre les théories physiologiques et contre les préceptes d’une sage économie, qui veut qu’on évite l’application trop fréquente des fumiers.
Depuis un certain nombre d’années, il parait que la culture des féverolles (horse beans) a pris en Angleterre une étendue jusque là insolite, et qu’elle est passée des glaises riches et fraîches, qu’on avait cru lui convenir exclusivement, sur toutes les variétés du sol. Elle s’est aussi perfectionnée en raison de l’importance qu’elle acquérait aux yeux d’un plus grand nombre de cultivateurs. Là, on donne jusqu’à 3 labours de préparation : le premier, aussi profond que possible, avant les gelées, dans le sens de la pente du terrain, afin de mettre le sol à même d’être plutôt sec au printemps ; — le second, en travers, dès que la terre est accessible après les pluies ou les froids de l’hiver ; — enfin, le troisième, immédiatement avant le semis. Après le deuxième labour, on exécute les hersages nécessaires pour bien niveler le terrain, de sorte qu’il est ensuite facile de donner la troisième façon à la charrue à double versoir et de former des rayons qui, d’après Robert Brown, doivent être généralement espacés de 27 pouces (0m 731). « Dans les sillons ouverts, ajoute le même praticien, déposez votre semence avec le semoir à brouettes, puis refendez vos raies pour recouvrir les graines, et votre opération est achevée pour le moment. 10 ou 12 jours après, suivant l’état du sol, hersez vos raies en travers, afin de niveler pour le binage ; tracez ensuite proprement vos sillons d’écoulement, et curez à la pelle et à la bêche toutes vos rigoles, ce qui termine la préparation du sol.»
Cette méthode, regardée comme la meilleure de toutes chez les Anglais, n’est cependant pas la seule à laquelle ils recourent de préférence. Souvent, au labour d’hiver, ne succède qu’un seul labour de printemps, sur lequel on fait passer le semoir à brouette dans chaque troisième sillon, puis on herse avant la levée des jeunes plantes.
En France, on donne assez rarement plus de deux labours, et l’on trouve souvent profitable de remplacer le second par 2 ou 3 traits d’extirpateur.
Il est de bonne pratique de fumer les fèves. Tantôt cette opération se fait avant le premier labour, tantôt seulement avant le dernier, sans qu’on puisse approuver ou blâmer d’une manière absolue l’une ou l’autre méthode ; car, avant de se prononcer, il faudrait connaître l’état de décomposition plus ou moins avancée du fumier, et les propriétés physiques de chaque sol sur lequel on opère. En enterrant les fumiers de prime-abord, on les mélange mieux dans la couche labourable ; mais, d’un autre côté, si les dernières façons sont moins profondes que les premières, on court risque de les enfouir trop avant, et d’ailleurs on ne doit pas perdre de vue que la fumure donnée aux fèves a aussi pour but de profiter aux récoltes suivantes. Je ne suis donc pas éloigné de croire que, malgré l’emploi des fumiers longs, le retard qu’on met à les répandre offre généralement plus d’avantages que d’inconvéniens, au commencement d’une rotation de 3 ou de 4 ans. — S’il ne s’agissait que d’obtenir des fèves le plus de produits possible, on pourrait calculer autrement. — J’ai acquis la certitude que les engrais pulvérulens, et notamment le noir animalisé, profitent d’une manière toute particulière à la plante utile qui nous occupe, et que je voudrais voir plus généralement appréciée.
§ III. — Des semis.
On croit généralement, et je pense que c’est avec raison, partout où le climat n’y met pas empêchement, que, pour les fèves, l’ensemencement le plus hâtif est le meilleur, parce que, conformément à un principe déjà plusieurs fois rappelé dans le cours de cet ouvrage, sauf un bien petit nombre d’exceptions, la production des plantes annuelles est en rapport direct avec le temps plus ou moins long qu’elles occupent le sol. En conséquence, j’ai vu souvent commencer, dans le midi de la France, les semis de féverolles immédiatement après les semailles d’automne, c’est-à-dire de la fin d’octobre à celle de novembre. En pareil cas on répand l’engrais sur les chaumes, et on donne un seul labour.
Thaer rapporte qu’en Allemagne on les sème en décembre, sans s’inquiéter beaucoup du froid, parce qu’on croit que, si une gelée les atteint, les feuilles jaunissent à la vérité, mais qu’il en pousse d’autres, de sorte qu’on s’aperçoit à peine que les plantes aient souffert. Toutefois il ajoute que les fèves semées tard lui ont particulièrement réussi.
En Angleterre, on attend que les plus grands froids soient passés. Selon la disposition des saisons et l’état des terres, on commence vers la fin de janvier, et on ne finit jamais plus tard que la fin de mars. Communément on saisit la première occasion favorable après la Chandeleur. — Dans le centre et le nord de la France on suit la même coutume. Il faudrait un concours assez rare de circonstances atmosphériques favorables, pour que les semis d’avril donnassent d’aussi abondans produits que ceux d’hiver. — Si on voulait semer en automne, il faudrait choisir les variétés que j’ai fait connaître comme les plus rustiques ; encore succomberaient-elles à des hivers un peu rigoureux.
La quantité de semence change selon les lieux et l’espacement qu’on croit devoir donner aux lignes, cet espacement étant plus considérable dans les localités naturellement humides ou sur les terrains très fertiles ; la proportion de semence doit être moindre dans ces deux cas que dans les circonstances contraires. En général, cette proportion varie entre deux et trois cents litres.
Il y a deux manières principales de semer les fèves : le semis à la volée, dont on fait rarement usage autrement que pour les cultures fourragères qui nous occuperont ailleurs ; — les semis en lignes, de beaucoup préférables aux autres, et qui se pratiquent de diverses façons.
Quelquefois le semeur suit la charrue et laisse tomber les graines une à une au fond de chaque sillon, ou de chaque deuxième ou troisième sillon, ce qui porte l’écartement des lignes de 9 ou 10 pouces (0m 244 ou 0m 271) à 28 ou 30 pouces (0m 659 ou 0m 663).
D’autres fois, comme l’indique Robert Brown, on dépose la semence avec le semoir dans les sillons, et on refend les raies pour les recouvrir ; puis on herse quelques jours après.
Avec le semoir de M. Hugues, la terre étant préalablement ameublie et nivelée, en une seule opération on répand la semence, on la sème et on la recouvre parfaitement, à la distance et à la profondeur les plus convenables, eu égard à la nature du sol.
§ IV. — Soins d’entretien.
Quel que soit le mode de semis qu’on aura adopté, des binages d’autant plus fréquens que le sol contient davantage de semences de mauvaises herbes, seront plus tard indispensables. Souvent la première de ces opérations se fait à la herse, peu de jours avant la levée des fèves, de manière à faciliter leur sortie et à détruire à leur naissance les plantes adventices qui se montrent dès-lors sur le terrain. Un pareil travail est d’une très-grande utilité sur les sols argileux, surtout lorsque les pluies en ont tassé la surface avant le moment de la germination.
Les binages qui se font ultérieurement à la levée des jeunes fèves, commencent, dans beaucoup de lieux, douze à quinze jours après qu’elles se sont montrées. Lorsque les rayons sont suffisamment espacés, c’est-à-dire lorsqu’il se trouve entre chacun d’eux au moins 18 pouces (0m 338), on se sert avantageusement de la houe à cheval ; — s’ils n’étaient distans que de 9 à 10 pouces (0m 244 à 271), il faudrait recourir à la houe à main. — Les deux méthodes présentent leurs avantages. — La première, comme plus expéditive, est mieux appropriée aux habitudes de la grande culture ; on peut la préférer dans les localités où les bras manquent. La seconde, en ne la considérant que dans ses rapports avec la plante qui nous occupe actuellement, est à la vérité plus dispendieuse, et pourtant, dans presque tous les cas, plus lucrative, non que la perfection soit plus grande, mais parce que, en augmentant le nombre des lignes, on augmente sensiblement les produits de la récolte. — Si, dans les localités humides et froides ou d’une fécondité plus qu’ordinaire, on trouve utile d’adopter le plus grand espacement, je pense que plus généralement 12 à 15 pouces (0m 325 à 0m 334) suffisent pour les plus grosses espèces. — Ajoutons que, de même que le semoir Hugues permet de modifier à volonté l’écartement des rayons, le sarcloir ingénieux inventé par le même agronome (voy. pag. 225 fig. 326) permet aussi, avec une économie notable sur le temps ordinaire employé aux binages à la main, de labourer entre les lignes peu espacées, même des cultures céréales.
On doit biner et sarcler les fèves au moins deux fois pendant le cours de leur végétation. Il est des localités où, après le dernier binage, on sème des navets, soit pour les récolter, soit pour les enterrer à la charrue comme engrais ; mais il ne faut pas perdre de vue qu’un des grands avantages de la culture des fèves est d’en préparer une de froment. A cet effet, on les enlève dès qu’elles sont suffisamment mûres, pour donner tout de suite un premier labour.
En beaucoup de lieux, on est dans l’usage de pincer la sommité des fèves au moment de la floraison. Cette opération a pour but, soit de détruire les pucerons qui endommagent gravement ces sortes de cultures lorsque la saison favorise leur rapide propagation ; — soit de faire mieux nouer les fruits. Dans le premier cas, le pincement est incontestablement nécessaire, mais il est douteux qu’il le soit également dans le second. Je manque d’expériences comparatives pour mieux asseoir un jugement à cet égard.
Quant au butage, fort bon dans les terrains légers pour maintenir la fraîcheur au pied des touffes, je ne me suis jamais aperçu qu’il fût, sauf cette circonstance, aussi avantageux sur les cultures de fèves que sur celles de maïs, de millet, etc. ; cependant je dois dire qu’il est généralement utile et jamais nuisible, à moins qu’on ne veuille plus tard faucher la récolte, ce qui devient plus difficile, à cause des inégalités du terrain.
§ V. — De la récolte et des produits.
Les fèves semées à l’automne, dans le midi, se récoltent fort souvent avant la moisson de l’été suivant. — Celles que l’on sème dans le courant de l’hiver ou du printemps occupent le sol jusqu’en septembre ou octobre. Dans quelques pays, on les coupe à la faucille ou à la faulx, on les lie en petites gerbes après les avoir laissées quelques jours en javelles, la graine en haut, et on les dispose en meules. — Dans d’autres, on les arrache par poignées. — Presque partout on les bat au fléau, soit en plein champ aussitôt après leur maturité, soit en grange pendant l’hiver.
Le produit en grain des fèves est tout aussi variable que celui de la plupart des autres plantes cultivées. — Dans le Midi, ou l’on détruit à la vérité une quantité considérable de gousses vertes pour la consommation des pauvres et des riches, vers le mois de juin, le battage des gousses sèches donne rarement au-delà de quatre fois la semence. — Ailleurs, avec une culture en ligne soignée, il n’est pas rare de voir doubler ce produit. — Robert Brown regarde 32 hectolitres par hectare, comme le produit moyen de ses récoltes sur un loam de bonne qualité. Ce résultat me semble un des plus heureux qu’on puisse atteindre dans la grande culture.
Section ii. — Des Haricots
De toutes les semences farineuses, après les blés et souvent à côté des blés, les haricots sont sans nul doute une des plus généralement utiles et dont les usages économiques ont le moins besoin d’être rappelés. Aussi sont-ils devenus, partout où le climat favorise leur production, soit dans les champs, soit dans les jardins, l’objet de cultures fort importantes.
§ 1er. — Espèces et variétés.
Dans le genre Haricot (Phaxeolus) ; en angl., Kidneybean ; en allemand, Schminkbohne, et en italien, Fagiuolo (fig. 578), on remarque quelques espèces reconnues comme telles par les botanistes, et un très-grand nombre de variétés et de sous-variétés plus ou moins fixes, dont je crois ne devoir indiquer ici que celles qui ont ou peuvent avoir quelque mérite dans la grande culture.
Les caractères du genre sont, d’après M. De Candolle, un calice à 2 lèvres, dont la supérieure échancrée et l’inférieure à 3 dents ; — une carène et des organes sexuels contournés en spirale ; — des gousses oblongues, à plusieurs grains.
Les cultivateurs divisent les haricots en haricots à rames et haricots nains : les premiers ne pouvant soutenir leurs longues tiges sans appui ou sans ramper à la surface du sol ; — les autres qui supportent plus ou moins bien leurs tiges par eux-mêmes. Toutes les variétés qui composent ces deux groupes semblent appartenir à l’espèce commune. A côté de celle-ci il en existe quelques autres dont deux seulement me semblent devoir trouver place dans ce traité : le haricot de Lima et celui à bouquets.
1. Le Haricot blanc commun. — Il a des cosses longues de 5 à 6 pouces, légèrement recourbées, a parchemin coriace, et contenant 7 ou 8 grains qu’il est très-facile de confondre à la vue avec ceux de Soissons, mais dont la qualité est cependant inférieure.
2. Le Haricot de Soissons (fig. 579) ne paraît être qu’une sous-variété locale de la précédente. Ses cosses acquièrent communément un peu plus de largeur ; — ses grains sont le plus souvent d’un blanc plus brillant. Cultivé hors des terrains dans lesquels il a acquis sa réputation, il dégénère plus ou moins promptement. De tous les haricots c’est le plus estimé, en sec, sur les marchés de Paris.
Fig. 579.
3. Le Haricot de Liancourt est aussi une sous-variété du no 1. — Ses grains sont un peu plus gros, moins plats et à peau un peu plus dure.
4. Le Haricot sabre ; — sabre d’Allemagne (fig. 580), est de moyenne grosseur. Cette race, remarquable par l’abondance de ses produits, l’est aussi par leur qualité. Ses cosses larges et longues sont fort bonnes en vert ; elles le sont encore alors qu’elles contiennent des grains déjà fort gros. Enfin ces derniers, nouveaux ou secs, valent ceux de Soissons.
Fig. 580.
5. Le Haricot blanc commun hâtif ; mignon blanc, n’est point aussi précoce que pourrait l’indiquer son nom. Il est petit, d’un très-grand produit, rame moins haut que les précédens. — Ses jeunes cosses sont bonnes en vert ; — ses grains secs, d’un excellent goût.
6. Le Haricot Prédome (fig. 581) est sans parchemin. C’est une des variétés les meilleures du groupe des haricots dits mange-tout. Son grain arrondi est également estimé frais ou sec. On le cultive fréquemment dans la Normandie.
7. Le Haricot rouge de Prague ; pois rouge (fig. 582), s’élève beaucoup, est tardif et d’un grand rapport. Ses cosses recourbées en arc et sans parchemin, comme celles du numéro précédent, sont fort bonnes en vert, et si tendres, que, lorsqu’on les fait bouillir presque sèches, elles cuisent encore beaucoup plus vite que les grains qu’elles contiennent. — Ces grains, d’un rouge violet et presque ronds, ont la peau un peu épaisse en sec, mais sont très-farineux et d’une excellente saveur. Au nombre des haricots à rame, on pourrait citer bon nombre de variétés à grains rouges, — blancs et rouges, — jaunes, — grivelés, fauves, etc., etc. Mais comme elles sont peu cultivées ou qu’elles ne le sont pas hors des jardins, j’ai cru devoir ne les mentionner ici qu’en passant.
8. Le Haricot rond blanc commun (fig. 583), est l’un des plus rustiques et des plus productifs. On le cultive abondamment dans tout l’ouest de la France, où il prend en certains lieux le nom de févette. Quoiqu’on l’estime assez peu à Paris, ce haricot, dont les cosses sont longues et garnies de grains nombreux, arrondis sur leur diamètre, et dont les parchemins sont épais et coriaces, est fort bon mangé en sec, et l’un des plus répandus dans la culture des campagnes.
9. Le Haricot Soissons nain ou gros pied (fig. 584) ressemble par ses grains et ses cosses à celui de Soissons ; il est hâtif, assez productif et fort bon en grains écossés avant la complète maturité, ou en sec.
10. Le haricot sabre nain (fig. 585), fort cultivé en Hollande, mériterait de l’être davantage en France. Ses cosses sont longues et larges, les grains aplatis de moyenne grosseur. On peut le manger longtemps vert, et il est excellent en sec.
11. Le Haricot nain blanc, sans parchemins, offre avec le précédent une très-grande analogie. Comme lui, il forme une touffe épaisse, est très-productif et d’excellente qualité à toutes les époques de sa croissance. Malheureusement, ses longues cosses trainent en partie à terre, et, y pourrissent souvent dans les années humides. Il est du reste très-hâtif.
12. Le Haricot hâtif de Hollande (fig. 586). a, comme le flageolet, les cosses assez longues et étroites ; c’est un des plus précoces et des meilleurs pour consommer en vert.
13. Le Haricot hâtif de Laon ou flageolet (fig. 587) est très-nain, fort hâtif, excellent en vert et bon en sec. C’est une des variétés les plus recherchées, et par conséquent les plus cultivées aux environs de Paris.
14. Le Haricot Suisse blanc (fig. 588), comme tous ceux qu’on a réunis sous le nom de Suisses, a les gousses et les grains alongés ; quoique son principal emploi soit d’être mangé en vert, il est cependant bon en sec.
15. Le Haricot jaune précoce, à parchemin, est une des variétés les plus hâtives et peut-être des plus productives. Sa gousse est petite ; ses grains, à peu près régulièrement ovales, ont l’ombilic bordé d’un peu de brun rougeâtre.
16. Le Haricot de Chine (fig. 589) est aussi fort productif. Ses grains, plus gros que ceux de la variété 15, sont arrondis, couleur de soufre pâle, et excellens, soit fraîchement écossés, soit en sec.
17. Le Haricot rouge d’Orléans (fig. 590) est à grains petits et légèrement aplatis. Il est renommé pour être mangé sec, à l’étuvée ou en purée.
18. Le Haricot Suisse, rouge (fig. 591) diffère fort peu, pour la qualité et les usages, de la variété no 14.
19. Le Haricot Suisse, gris, est l’un des plus cultivés, ainsi que le suivant, pour approvisionner, à l’époque des haricots verts les marchés de la capitale.
20. Le Haricot gris de Bagnolet (fig. 592) a sur le précédent l’avantage d’être plus précoce et de tendre moins à s’élever, défaut assez ordinaire aux haricots Suisses.
21. Le Haricot Suisse, ventre de biche (fig. 593), est fort bon, surtout en sec. Cependant, comme les autres Suisses, on le mange aussi en vert. Fig. 594.
22. Le Haricot noir ou nègre (fig. 594) est au moins aussi bon que les Suisses pour être mangé en vert. Dans beaucoup de lieux, on le préfère même, et il est de fait que ses gousses longues et cylindriques, dans leur jeunesse, sont d’un goût parfait. Il est précoce et donne beaucoup. Malheureusement il est sujet à filer.
23. Le Haricot de Lima (fig. 695) appartient Fig. 595. à l’espèce que les botanistes ont désignée sous le nom de Phaseolus lunatus. « Son grain est très-gros, épais, d’un blanc sale ; sa cosse large, courte, un peu rude et chagrinée comme celle du haricot d’Espagne. C’est une variété remarquable par son énorme produit et la qualité farineuse de son grain ; mais il est délicat et tardif pour le climat de Paris, où l’on n’obtient la maturité d’une partie des gousses qu’en l’avançant sur couche dans de petits pots, pour le planter ensuite en mai, un à la touffe. On le mange écossé ou en vert. Il rame très-haut et pourrait devenir précieux pour le midi de la France. — M. Vilmorin a reçu d’Amérique, sous le nom de siéva, une variété du précèdent, un peu plus petite et beaucoup plus hâtive. » (Bon Jardinier. 1835.)
24. Le Haricot d’Espagne ou à bouquets (Phaseolus coccineus) est encore une espèce distincte, remarquable par la grosseur de ses grains. Outre les deux variétés à fleurs et à grains blancs (fig. 596), et à fleurs rouges et à grains gris jaspés de noir (fig. 597), il parait Fig. 596. Fig. 597. qu’il en existe quelques autres voisines de la première, et qu’on a, dans ces derniers temps, préconisées peut-être outre mesure. Le haricot d’Espagne peut devenir en quelque sorte vivace par ses racines. Cette année même, M. Rendu en a donné une nouvelle preuve à la Société d’horticulture de Paris. — Cette espèce est, à mon gré, plus remarquable par l’abondance de ses gousses qui se prolongent jusqu’aux gelées, et le volume de ses grains, que par leur qualité.
[16 : 2 : 2]§ ii. — Du climat et du terrain.
Les haricots, en général, ont besoin à la fois de chaleur pour fructifier abondamment et pour amener leurs graines à bien ; de fraîcheur dans le sol, pour entretenir leur luxueuse et rapide végétation. Ce sont des plantes plutôt du midi et du centre que du nord de la France, où cependant on les cultive encore, mais beaucoup moins en plein champ que dans les jardins ou à des expositions choisies.
Un sol léger, et pourtant substantiel et frais, leur convient particulièrement. — Dans les terres argileuses, leur culture est plus difficile et presque toujours moins productive. Ils y grènent peu, parce qu’ils fleurissent moins abondamment, et parce que leurs fleurs sont plus sujettes a la coulure. — Dans les terres sablo-calcaires, les haricots donnent des produits très-abondans, si l’on peut féconder la chaleur naturelle à ces sortes de sols par des arrosemens ou des irrigations. — On sait que les terrains gypseux ont l’inconvénient de produire des graines d’une cuisson d’autant plus difficile qu’ils abondent en sulfate de chaux.
[16 : 2 : 3]§ iii. — De la préparation du terrain.
Quelle que soit l’aridité naturelle du sol, on parvient toujours à le rendre propre à la culture des haricots, en lui donnant des engrais et surtout de l’humidité ; car l’eau et la chaleur sont les deux agens les plus puissans de leur belle végétation. — Dans les lieux où des infiltrations naturelles humectent le sous-sol, pendant les chaleurs estivales, jusqu’à portée des racines, comme on le remarque assez fréquemment dans le sud-est de la France, la Toscane et bien d’autres lieux, des graviers qui, partout ailleurs, resteraient inféconds, deviennent alors d’une fertilité prodigieuse, notamment pour la précieuse légumineuse qui nous occupe en ce moment.
Sur les terres légères, deux labours de préparation suffisent. Le premier, donné en automne ou pendant l’hiver, peut être profond, car il ne faut pas perdre de vue que plus la couche labourée sera épaisse, et mieux la fraîcheur s’y conservera pendant l’époque des sécheresses ; — le second labour sert à enfouir les engrais et à disposer le champ à recevoir le semis. Celui-là doit pénétrer d’autant moins avant que le sol est plus perméable, et que les eaux pluviales pourraient entraîner par conséquent plus promptement les sucs nourriciers au-delà de l’atteinte du chevelu des racines.
Sur les terres plus compactes, trois labours sont souvent de rigueur. Nous ne reviendrons pas ici sur la nécessité de les commencer avant les fortes gelées, pour la bonne préparation de ces sortes de terrains, et l’économie des façons suivantes. On sait qu’un seul labour d’automne, donné à propos, en vaut souvent plusieurs autres.
Tous les engrais conviennent aux haricots. Quand la terre est légère à l’excès, les fumiers de vache lui donnent quelque consistance, et sont par conséquent préférables sous ce rapport. Les terres qui s’échauffent facilement n’ont pas, d’ailleurs, besoin d’engrais très-actifs. Il en est tout autrement des argiles compactes, naturellement froides. Là, le fumier de cheval, de mouton, et les engrais pulvérulens d’une décomposition rapide, tels que le noir animalisé, la poudrette, etc. ; les amendemens ou les stimulans d’une grande énergie, tels que la chaux, produisent de meilleurs effets et peuvent jusqu’à un certain point remédier aux dispositions physiques de la masse terreuse. Par leur moyen, la proportion des fleurs et des gousses augmente sensiblement, ainsi que nous pouvons l’attester par expérience.
Les haricots enlèvent à la terre beaucoup de parties nutritives. Lorsqu’on veut les faire entrer dans un assolement comme culture préparatoire, il faut donc les fumer copieusement. — Il est des lieux où, à cette condition, les fermiers cèdent gratuitement leur terrain, l’année de jachère, a des cultivateurs spéciaux, qui en tirent un fort bon produit : car, lorsque l’année est favorable, leur récolte rend quelquefois plus que celle d’un beau blé ; et après elle, le champ n’en est pas moins en meilleur état qu’après une jachère morte. — Dans ce cas, les haricots succèdent à une avoine ou à une orge, et précèdent un froment ou un seigle. En Toscane, comme nous l’apprend M. de Sismondi, leur place est la même. « Le blé, dit-il, alterne avec les haricots, le maïs ou les fèves, dans les métairies qui ne sont pas assez fertiles pour être propres au chanvre ; on les entremêle de quelques grains de blé de Turquie, pour leur tenir lieu de rames. Ils réussissent assez bien, même pour alterner avec le blé, dans le terrain des montagnes où l’on peut les arroser, comme on le fait fréquemment dans les Apennins, où les sources sont communes. »
Yvart a vu cultiver très-en grand, avec beaucoup de succès, le haricot blanc dit rognon de coq, sur le territoire de la commune de Bazoche, près de Montfort-l’Amaury, entre deux cultures de grains. Elle y rapporte souvent au-delà de 150 fr. net par hectare, année commune. Aussi, les cultivateurs qui ne connaissent pas de meilleur moyen de détruire le chiendent et toutes les autres plantes nuisibles aux récoltes, au lieu de céder comme ci-dessus leurs terres, les louent jusqu’à 80 fr. l’hectare, pour cette culture, à des particuliers qui en retirent un grand bénéfice et les rendent très-nettes et très-améliorées pour les semailles subséquentes. — On y reconnaît que cette culture est la meilleure préparation que la terre puisse recevoir pour la culture de la luzerne, qui suit avec une graminée ; et, au second binage que les haricots reçoivent, on sème quelquefois, entre les rayons, des navets dont la récolte dédommage en grande partie des frais de culture.
Les céréales paraissent donc être pour les haricots, et ceux-ci pour les céréales, de bonnes cultures préparatoires.
[16 : 2 : 4]§ iv. — Du choix de la graine et du semis.
On a souvent recommandé de choisir un à un les haricots, pour rejeter ceux qui sont ou plus petits ou moins bien conformés, parce qu’on s’est aperçu qu’ils donnaient de moins beaux produits. Cette prescription est fondée sur ce que, lorsque les cotylédons sont moins volumineux, la plante, végétant moins vivement à sa naissance, reste en arrière des autres, et se montre rarement aussi vigoureuse et aussi féconde que celle qui a été mieux favorisée au moment de la germination. Cela est vrai, et quoique, dans la grande culture, l’exclusion de quelques graines sur des milliers ne soit pas indispensable, une telle précaution peut être utile dans quelques cas.
Les haricots conservent longtemps leur propriété germinative. Aussi il importe peu de semer des graines de la dernière ou des 2 ou 3 dernières récoltes. Quelques personnes ont même cru remarquer que des semences de 2 et de 3 ans étaient plus productives en gousses, et moins sujettes à la dégénérescence que celles d’un an. Je voudrais d’autant moins le nier que ce fait physiologique n’est pas isolé dans la pratique de la culture, et que je connais moi-même plusieurs exemples analogues ; mais j’ai acquis, d’un autre côté, la certitude qu’il serait dangereux d’en outrer les conséquences ; car, non seulement les haricots vieillis lèvent moins vite et moins nombreux, mais on peut reconnaître dans la plupart des cas, à la couleur jaune de leur naissante plumule et de leurs feuilles séminales, la progression décroissante de leur force végétative.
On cultive les haricots de deux manières : tantôt en augets, contenant chacun de 6 à 8 grains, et disposés en échiquier de la même manière que pour les pois, les lentilles, etc. ; tantôt en lignes, dont l’espacement est déterminé par le choix des variétés et le développement plus ou moins grand qu’elles doivent prendre, eu égard à la fécondité du sol.
Les semis en augets sont les plus fréquens aux environs de Paris. Leur principal avantage est de faciliter l’emploi des fumiers boueux dont on les recouvre, et, dans quelques lieux, des pailles qu’on emploie avec un succès trop peu apprécié, pour conserver la fraîcheur au pied des jeunes plantes ; mais cet avantage, qu’on peut d’ailleurs retrouver dans les semis en lignes, ne compense pas, à mon avis, des inconvéniens plus graves, tels que la lenteur de l’opération, l’impossibilité d’utiliser plus tard, pour les binages, la houe à cheval, et l’accumulation, sur quelques points seulement du terrain, des pieds qui devraient être, autant que possible, enveloppés de toutes parts d’air et de lumière.
Les semis en rayons, dont l’usage, déjà beaucoup plus répandu depuis quelques années, se répandra davantage encore à mesure qu’on verra prévaloir celui des semoirs, réunissent mieux les conditions désirables. M. Hugues a ajouté par ses expériences une nouvelle démonstration à cette proposition. Partout où on possédera son ingénieuse machine, la culture des haricots en plein champ sera singulièrement simplifiée et améliorée. — Là où les semoirs sont encore inconnus, le semis en lignes se fait tantôt sous raies, à la charrue, tantôt en laissant tomber les graines une à une dans les sillons, et en recouvrant à la herse. La première de ces pratiques est propre aux terrains très-légers, faciles à échauffer ; la seconde, aux terrains plus consistans. Dans cette dernière situation, les haricots doivent être fort peu enterrés, attendu qu’ils pourrissent facilement. — Un pouce suffit généralement.
M. Mathieu de Dombasle croit que la meilleure manière de semer les haricots, dans la culture champêtre, est en rayons espacés de 18 pouces (0m50), en mettant 5 ou 6 graines par pied de longueur dans le rayon. On obtient certainement ainsi une grande économie de main-d’œuvre, mais on ne peut se dissimuler que la terre ne donne pas, à beaucoup près, tous les produits qu’on serait en droit d’en attendre à l’aide d’un semis plus rapproché, car diverses variétés naines peuvent se développer convenablement en rayons de moins de 12 po. (0m33). — En se tenant au premier espacement, on obtient une diminution très-sensible sur le temps employé aux binages et les frais occasionés par eux ; — on épuise moins le sol pour la culture suivante, mais aussi on récolte moins. Chacun, selon les moyens d’exécution dont il peut disposer et la position locale dans laquelle il se trouve, appréciera ce qu’il doit faire. — Dans les jardins, on sait qu’on cultive les haricots en planches de 1 à 1 ½ mètre, séparées par des petits sentiers qui permettent de sarcler et de biner au besoin. Là, les rayons sont rarement distans de plus de 6 à 8 pouces (15 à 20 cent.).
Lorsque la terre est humide et la température douce, les haricots lèvent assez promptement. Dans des circonstances moins favorables, il n’est pas rare de ne les voir sortir de terre qu’après une quinzaine de jours. Si, sur les terres un peu compactes, il survenait une pluie qui durcit la surface avant l’apparition des cotylédons, on se trouverait fort bien de donner un léger hersage. Cette opération, qui n’est, comme on voit, qu’accidentellement nécessaire, peut être considérée, lorsqu’on la juge telle, comme le complément du semis.
Les semis ne doivent être effectués, pour chaque climat, que lorsque les gelées printanières ne sont plus a craindre. Vers le centre de la France, on commence rarement avant la fin d’avril, et on a soin de ne pas dépasser celle de mai. Cependant la culture des haricots peut quelquefois succéder, la même année, soit à une récolte fourragère, soit même, si le sol est très-fécond, à une moisson précoce. — Dans les jardins, on sème de 8 en 8 jours, depuis la fin de mars jusqu’à la fin de juillet ; mais là, on peut mieux se procurer les abris nécessaires au printemps, et l’on peut remédier aux sécheresses de l’été par des arrosemens.
On doit juger, d’après ce qui précède, que la quantité de graines employées est fort variable. Il a été calculé, dit Bosc, qu’un arpent (sans doute ½ hectare) peut contenir 12,000 touffes de haricots de Soissons, qui absorbent environ 175 livres (87 kilog. ½) de semence.
[16 : 2 : 5]§ v. — Soins d’entretien et récoltes.
A peine les haricots ont-ils atteint 2 à 3 po. de haut (0m054 à 0m081), qu’on doit songer à leur donner un premier binage. — On leur en donne ordinairement un second, ou plutôt un butage, vers le moment de la floraison, et un troisième un mois plus tard.
Dans les jardins où l’on préfère frequemment les variétés grimpantes comme plus productives, on les rame dès que les filets commencent à s’alonger. Dans les champs, une pareille opération serait plus coûteuse que profitable. Pour la rendre inutile, on choisit des variétés naines.
Pendant leur croissance, les haricots redoutent autant une excessive sécheresse qu’une constante humidité. Dans le nord, les semis tardifs sont le plus souvent impossibles, parce que les pluies de la fin de l’été font pourrir les gousses et même les plantes qui les portent. — Dans le midi, le manque d’eau au printemps arrête le développement des tiges et empêche le grossissement des gousses. Aussi, les irrigations sont-elles, en pareil cas, une précieuse ressource. Lorsqu’elles ne sont pas possibles, on trouverait bien encore moyen de retenir la fraîcheur dans le sol en le couvrant, à la manière des jardiniers, d’un paillis, après le second binage, qui précède ordinairement les fortes chaleurs ; mais ce moyen, auquel j’ai pu recourir avec succès sur des cultures peu étendues[1], serait rarement praticable en grand, à moins que le voisinage de champs de genêts, de bruyères, ou la proximité des côtes et la facilité de se procurer des herbes marines n’en diminuassent singulièrement les frais.
Les haricots rames mûrissent fort inégalement, parce que leurs tiges florales continuent de s’élever long-temps après l’apparition des premiers boutons et la formation des premières gousses. C’est une raison de plus pour les exclure de la culture des champs. — Les haricots nains ne présentent pas au même degré cet inconvénient. Généralement on commence à les récolter au moment où la dessiccation avancée des dernières gousses, qui devance de quelque temps celle des tiges, permet d’arracher ces dernières sans inconvénient pour la bonté des produits. Il n’est pas sans importance de remarquer que les haricots récoltés les plus mûrs sont de meilleure qualité et d’une bien plus longue conservation que les autres. La meilleure manière de garder ceux qu’on destine à la semence est de les laisser dans leurs gousses. — On bat les autres au fléau, ou, ce qui vaut mieux, parce qu’on n’écrase aucun grain, à l’aide de perchettes assez minces pour conserver leur élasticité
[16:2:6]§ vi. — Quantité des produits.
La culture des haricots est généralement productive, mais cependant très-variable dans ses produits en raison du climat, du sol et du mode de culture, et des fluctuations extrêmes du cours du commerce. Sur un seul hectare, on a quelquefois trouvé dans le voisinage des grandes villes, où les fumiers sont à bas prix et la vente très-avantageuse, un bénéfice net de plus de 1000 fr.
Section iii. — Des Dolics.
Les Dolics, tous originaires des régions intertropicales, où on les cultive pour la nourriture des hommes, parfois celle des animaux, sont à peine connus dans quelques parties seulement du midi de la France, notamment en Provence, où on en cultive une espèce, sous le nom de mongette.
Les dolics diffèrent fort peu des haricots. — Leur calice court est à quatre dents, dont la supérieure seulement est échancrée ; — leur étendard, réfléchi, comprime à sa base les deux ailes ; — leur carène n’est pas contournée en spirale ; — leur gousse, de formes diverses, est parfois velue ; leurs grains offrent la plus grande analogie avec ceux du genre précédemment cité.
1. Le Dolic à onglet ; mongette ou banette (Dolichus unguiculatus) (fig. 598), est le plus Fig. 698. répandu en Europe. — Ses gousses sont fort alongées, ses grains à ombilic noir. Il est assez productif et fort bon en purées. Il donne successivement ses gousses pendant une grande partie de l’été.
2. Le Dolic à longues gousses (D. sesquipedalis) est surtout remarquable par la longueur de ses gousses étroites et charnues, assez bonnes en vert ; — il n’est cultivé que dans quelques jardins.
3. Le Dolic lablab (D. lablab) (fig. 599), Fig. 599. estimé en Égypte, est trop délicat sous notre climat, pour y devenir l’objet d’une culture utile. — Ses siliques violettes renferment des grains noirs bordés de blanc, quelquefois tout-à-fait blancs.
4. Le Dolic soja (D. soja) (fig. 600) ne s’élève Fig. 600. qu’à une faible hauteur ; ses légumes, pendans et hérissés, contiennent un petit nombre de grains d’un brun foncé et presque mat. Il paraît qu’on le cultive dans quelques parties de l’Ariège. M. Dounous, en ayant remis, il y a 3 ans, un certain nombre de pieds garnis de leurs semences, à la Société centrale d’agriculture, j’en ai semé, deux années successives, une centaine de grains, qui ont réussi à merveille en Maine-et-Loire. Ce dolic a la propriété précieuse de résister à des sécheresses continues ; il est productif, mais d’une cuisson presque impossible et d’un goût qui m’a semblé peu agréable.
Les dolics aiment une terre légère et chaude ; — ils redoutent des pluies trop continues. Aussi, je ne crois pas que leur culture s’étende beaucoup au-delà de ses limites actuelles. Du reste, elle est en tout la même que celle des haricots.
Section iv. — Des Pois.
On cultive les pois en grand pour la nourriture des hommes ou pour celle des animaux domestiques. — Les premiers les mangent, soit en vert, soit en sec, de diverses manières ; — on les fait consommer aux seconds, tantôt comme fourrage, tantôt en grains, en farine, etc.
Le pois gris, bisaille ou pois brebis, présente des avantages assez importans pour l’élève et l’engrais des bêtes à laine, surtout des jeunes agneaux, dont il rend la chair aussi blanche que délicate. — Les cochons mangent avec avidité les fanes et les cosses de pois. En divers lieux on emploie habituellement la farine qu’on peut en extraire, mêlée à celle de l’orge et quelquefois du maïs, pour engraisser rapidement ces animaux. — Enfin, les chevaux, les bœufs, les vaches laitières, les chèvres, et jusques aux volailles, se trouvent fort bien de la nourriture que leur procurent cette même plante, l’un des fourrages verts les plus riches en parties nutritives lorsqu’on les fauche à l’époque où les cosses sont déjà formées, et l’un des végétaux qu’on doit considérer dans beaucoup de lieux comme les plus avantageux à cultiver, à côté des céréales, pour leurs produits en substance farineuse.
[16 : 4 : 1]§ ier. — Espèces et variétés.
Comme presque toutes les plantes depuis long-temps cultivées, les pois se divisent maintenant en une foule de variétés ou de races plus ou moins distinctes, dont l’étude intéresse davantage le jardinier que l’agriculteur, car on n’en cultive en plein champ qu’un bien petit nombre. Cependant, comme pour les haricots, il sera nécessaire de citer ici, à côté du pois des champs, les autres espèces les plus généralement cultivées hors des jardins, pour l’approvisionnement des marchés des grandes villes.
Le Pois (Pisum) ; en anglais, Pea ; en allemand, Erbse ; en italien, Pisello ; et en espagnol, Pesoles (fig. 601), présente pour caractères génériques un calice à 5 dents, dont les deux supérieures sont plus courtes ; — un étendard plus grand que les ailes ; — un style courbé en carène, triangulaire et surmonté d’un stigmate velu ; — un légume de forme variable, contenant des grains plus ou moins régulièrement arrondis. Fig. 601.
Dans un ouvrage de la nature de celui-ci, il est indispensable de partager d’abord les pois en deux groupes, l’un comprenant ceux qui font spécialement partie de l’agriculture proprement dite, — l’autre, les pois de jardin et de la petite culture des champs.
C’est une espèce distincte dont on connaît deux variétés principales de printemps, et une d’hiver (fig. 602).
Fig. 602.
1. Le Pois gris hâtif, que l’on sème en mars.
2. Le Pois gris tardif, que l’on peut différer de confier à la terre jusqu’en mai.
3. Le Pois gris d’hiver, c’est-à-dire que l’on sème en automne, et qui convient particulièrement aux climats sans pluies printanières, et aux terrains secs.
1. Le Pois michaux de Hollande est le plus hâtif de tous. Il est, à la vérité, assez délicat et sensible aux froids ; mais lorsqu’on le sème en mars, il devance presque toujours le michaux semé à la fin de novembre. On peut se passer de le ramer en le pinçant convenablement.
2. Le Pois michaux ; petit pois de Paris. Très-précoce ; excellent. C’est lui que l’on préfère pour les semis d’automne à bonne exposition. Il peut, ainsi que le précédent et le suivant, se passer de rames.
Fig. 603. 3. Le Pois michaux de Rueil (fig. 603), sous-variété du no 2. A grains plus gros et à fructification encore plus précoce.
4. Le Pois de Marly (fig. 604) est tardif ; — Fig. 604. Fig. 605. ses cosses, fort grosses, contiennent des grains ronds bien pleins et fort tendres.
5. Le Pois de Clamart ou carré fin (fig. 605) s’élève et produit beaucoup. Ses grains, pressés dans leurs cosses, prennent une forme irrégulièrement carrée. Il est tardif. Dans les champs des environs de Paris, où on le sème le plus tard, pour l’arrière-saison, on le laisse s’étendre sans rames.
6. Le Pois cul-noir, carré à œil noir (fig. 606), s’élève encore davantage. Fig. 606. Il est fort bon, mais souvent plus productif en parties foliacées qu’en fruits et en grains. — Très-tardif.
7. Le Pois carré blanc partage les inconvéniens de la variété no 5. — Ses grains sont peut-être d’une saveur plus sucrée.
8. Le Pois carré vert, gros vert normand, très-élevé, tardif, excellent en vert.
9. Le Pois ridé ou de Knight (fig. 607) a été introduit en France Fig. 607. par M. Vilmorin. — Tardif et à grandes rames, il l’emporte probablement, par la qualité sucrée et moelleuse de son grain carré, gros, ridé, sur tous les autres. — Sa cosse, grosse et longue, est richement fournie de grains.
10. Le Pois nain hâtif (fig. 608), le plus précoce de cette section, Fig. 608. s’élève de 1 à 2 pieds, selon le degré de fertilité du sol ; sa cosse est petite et contient des grains d’assez bonne qualité. 11. Le Pois nain de Hollande s’élève constamment moins que le précédent ; il produit en abondance des cosses à grains petits et très-savoureux.
12. Le Pois nain vert est fort bon, plus productif qu’aucune des autres variétés naines à écosser.
13. Pois sans-parchemin, blanc (fig. 609). Le Fig. 609. meilleur, peut-être, le plus productif des mange-tout, dont on connaît plusieurs variétés, telles que le sans-parchemin à demi rames, — sans-parchemin a fleurs rouges ; — le sans-parchemin turc ou couronné, etc.
14. Le Pois sans-parchemin nain ordinaire s’élève de 1 à 2 pieds et plus. — Ses cosses, petites, sont fort nombreuses et très-tendres. — On cultive aussi en pleine terre un pois sans-parchemin nain et hâtif de Hollande, et un autre en éventail.
[16 : 4 : 2]§ ii. — Choix et préparation du terrain.
Comme les fèves, les pois gris sont particulièrement propres aux assolemens des terrains argileux, peu favorables à la culture du trèfle. Ils remplacent jusqu’à un certain point cette légumineuse, lorsqu’on veut les faucher en vert ; — mais, comme les fèves, ils peuvent aussi prospérer dans des sols de nature fort différente. Plus que les variétés jardinières, ils aiment cependant la fraîcheur, et tandis que ces dernières donnent de meilleurs produits sur un fonds meuble et chaud, quoique substantiel, ils en donnent eux de plus abondans sur les champs qui conservent plus longtemps l’humidité pluviale.
Les pois ne végètent jamais mieux que dans les terres argilo-calcaires ou sablo-argilo-calcaires ; on se trouve donc fort bien pour leur culture de l’emploi des marnes et de la chaux, dans les localités où ces principes manquent. Une telle remarque n’est pas nouvelle, puisqu’il est des contrées entières où l’on a éprouvé que la culture des pois ne réussissait complètement que sur les terrains marnés ou chaulés ; mais elle acquiert de nos jours d’autant plus d’importance que la pratique du chaulage se propage de proche en proche dans beaucoup de lieux où elle était précédemment inconnue, et que cette pratique s’applique avec un avantage tout particulier aux terres fortes, plutôt fraîches que sèches, qui conviennent à la culture du froment, des fèves, des choux, de la bisaille, etc., toutes plantes dont les amendemens calcaires favorisent sensiblement la végétation. — Il est probable que le plâtre produirait aussi de puissans effets sur les pois-fourrages ; jusqu’ici, cependant, son emploi ne s’est pas, à ma connaissance, étendu à leur culture en grand.
La question de donner ou de ne pas donner d’engrais aux cultures de pois se rattache à la place qu’elles occupent dans les assolemens. — Dans l’assolement triennal, il est des lieux où cette plante remplace la jachère. En pareil cas, il faut fumer abondamment si l’on ne veut voir diminuer les produits de la céréale suivante. Il faut aussi ne pas ramener les pois trop souvent, et faire en sorte que leur récolte ait lieu assez tôt pour permettre de donner au sol les façons nécessaires. La grande quantité d’engrais, en ajoutant à l’abondance ou plutôt à la longueur des fanes, diminue peut-être parfois la proportion des graines. Toutefois nous devons constater ici que, lorsqu’on peut user des amendemens calcaires, on profite de l’avantage sans encourir l’inconvénient, par suite de la propriété remarquable de la chaux à ses divers états, de rendre la terre plus grainante. D’ailleurs, sur un sol de qualité moyenne, les pois qui ont été fumés ont toujours la supériorité en grains comme en tiges.
Thaer affirme que de nombreux essais comparatifs lui ont donné la preuve que le fumier, soit consommé, soit frais et pailleux, répandu sur le sol après l’ensemencement, est non seulement plus « avantageux aux pois semés sur une glaise sableuse que si on l’eût enterré avec le labour ; mais aussi plus favorable à la récolte de grains d’automne, qui vient après ces pois. On peut encore enterrer le fumier avec la semence, par un seul et même labour.
La semaille réussit fort bien sans engrais, et, le plus souvent, à l’aide d’un seul labour sur toute espèce de défriches, de prairies naturelles ou artificielles, de bois, etc., ou après une culture sarclée et fumée. On voit par le premier fait qu’elle n’exige pas une préparation bien soignée ; cependant, je l’ai toujours vue mieux végéter sur les terres fortes, après deux labours qu’après un seul, et je crois pouvoir affirmer d’une manière absolue quelle est loin de redouter un sol profondément ameubli.
[16 : 4 : 3]§ iii. — Du choix, de la quantité de graines et du mode des semis.
On sait que les larves des Bruches (Bruchus) attaquent la partie farineuse des pois avec une grande voracité. Quoique leurs ravages ne s’étendent pas toujours jusqu’à l’embryon, et qu’en pareil cas les graines, à moitié rongées, soient susceptibles de germer à peu près aussi bien que les autres, il serait peu prudent de choisir sans examen, pour la semence, des pois qui auraient été longtemps exposés aux atteintes de ces insectes destructeurs. — Il serait peu prudent aussi, bien que les grains conservent leurs propriétés germinatives plus longtemps qu’on ne le croit généralement, de ne pas préférer ceux de la dernière récolte, attendu qu’ils lèvent plus promptement et qu’ils donnent des produits plus vigoureux, toutes circonstances restant les mêmes, que les pois plus vieux, fussent-ils encore intacts.
Les pois des champs s’élevant presque toujours sur une seule tige, et leurs graines étant d’ailleurs avidement recherchées par les pigeons, on a recommandé avec raison de les répandre plutôt épais que clair. Cette précaution est surtout nécessaire lorsqu’on les sème sur raies, ce qui est le plus ordinaire, et qu’on les enterre par conséquent à la herse. — Dans ce cas, on peut considérer le plus souvent 2 hectolitres comme insuffisans. La quantité varie jusqu’à près de 300 litres. — Il ne faut pas perdre de vue, cependant, que le semis doit être moins dru quand on vise à la récolte sèche, que quand on ne veut obtenir qu’un fourrage fauchable en vert.
Hors des jardins et des environs des grandes villes où l’on cultive les pois spécialement pour la nourriture des hommes, on les sème habituellement à la volée, du moins en France ; car, en Angleterre, il n’est pas rare de les voir cultiver en lignes, tantôt à la charrue, alors on en répand les grains de 2 en 2 sillons, de la même manière que pour les fèves ; — tantôt au semoir ; — tantôt, enfin, au plantoir, quoique ce dernier moyen soit peu usité.
Mais ces divers procédés sont peu applicables au pois champêtre, que l’on considère chez nous comme une culture étouffante, et que, par conséquent, on a intérêt à voir couvrir entièrement le terrain. Si l’on voulait faire jouir le sol des binages d’une culture sarclée, sans renoncer à celle des pois, on devrait alors choisir une variété mieux disposée à former touffe. Dans les terrains légers, une des meilleures méthodes de cultiver les pois est, après avoir répandu le fumier à la surface du champ, de les semer à la volée et de les enterrer à la charrue, à une profondeur d’autant plus grande que la couche labourable présente moins de consistance. — Dans ces sortes de terres, on ne doit pas redouter de recouvrir de 4 à 5 po. (0m108 à 0m135).
On peut commencer les semis de pois dès que les fortes gelées cessent d’être à craindre. — J’ai indiqué une bisaille d’hiver qui mérite d’être connue, surtout dans le midi, où les récoltes de printemps manquent si souvent, faute de pluies suffisantes. Il est hors de doute, cette circonstance même à part, que les semis d’automne seraient plus productifs. Ceux de printemps doivent rarement être différés, vers le centre de la France, plus tard que la première quinzaine de mars.
[16 : 4 : 4]§ iv. — Culture d’entretien et récolte.
Partout où les pigeons sont abondans, on est dans l’usage de faire garder les semis de pois jusqu’après la levée. Une fois que les jeunes tiges ont pris un certain développement, on ne leur donne plus aucun soin jusqu’à la récolte.
On fauche la bisaille aussitôt qu’une moitié environ de ses gousses sont arrivées à maturité. Si on attendait plus longtemps, beaucoup de graines se perdraient par un temps sec, ou pourriraient au bas des tiges par un temps humide. D’ailleurs, les fanes produisent un fourrage d’autant plus succulent qu’elles contiennent encore quelques sucs séveux lorsqu’on les coupe. J’ajouterai que si les gousses de la sommité de la plante ne sont point assez mûres pour s’ouvrir lors du battage, elles ajoutent à la qualité nutritive de ce fourrage, considéré à bon droit comme un des meilleurs qu’on puisse donner, même en sec, à tous les bestiaux.
On bat les pois gris, tantôt au fléau, tantôt à l’aide de simples gaules qui les égrènent fort bien lorsqu’ils sont assez desséchés pour se détacher facilement de leurs gousses. Un soleil ardent facilite beaucoup cette opération. — On vanne ensuite, pour séparer les graines des fragmens de cosses et des nombreux débris de feuilles, auxquels ils sont mêlés.
[16 : 4 : 5]§ v. — Des autres variétés de pois cultivées en grand.
Les semis de pois de primeur, qu’on cultive sur d’assez grandes étendues de terrain, surtout aux abords des grandes villes, pour en utiliser les produits à la nourriture des hommes, diffèrent de ceux de la bisaille en ce qu’ils ne se font presque jamais à la volée, mais bien en touffes ou en rayons. D’une et d’autre manière, quoique la quantité de semence soit réduite d’environ moitié, le produit augmente cependant à peu près dans la même proportion, tant est grande l’influence de l’air et de la lumière solaire sur le plus grand développement de chaque touffe. — En général, les semis en rayons me paraissent préférables, non seulement parce que je les considère comme les plus productifs, mais parcee qu’ils permettent les binages à la houe à cheval, binages que l’on doit souvent répéter plusieurs fois, jusqu’à l’époque de la première floraison.
En divers lieux, on butte aussi les pois, de manière à leur tenir le pied plus frais et à les empêcher de se coucher.
« Autour de Paris, la culture des pois de primeur en grand est l’objet d’un produit de première importance, puisqu’on en a évalué le résultat, dans une bonne année, à un million de francs. Ce sont toujours les terrains sablonneux qui y sont consacrés. On laboure à la charrue ou à la houe, mais plus souvent avec ce dernier instrument, pour pouvoir faire des ados en plan incliné du côté du midi, ados auxquels on donne 2 pieds de large, et sur chacun desquels on place trois rangs de pois, dès la fin de janvier ou le commencement de février, et de 8 jours en 8 jours. — Pour expédier un grand semis en peu de temps, une femme accompagne l’homme qui fait les trous, et jette 5 à 6 pois dans chaque trou, que l’homme recouvre avec la terre qu’il tire du trou suivant. Il en est de même quand on sème à la charrue, c’est-à-dire qu’une femme suit le laboureur et fait tomber des graines à peu près de 4 pouces en 4 pouces, graines qui sont recouvertes par la terre du sillon suivant. Dans ce cas, il faut donner peu d’entrure à la charrue. — On étend sur le semis, ou au moins sur chaque touffe, force boues des rues de Paris, conservée de l’automne précédent. — On bine deux ou trois fois le pied des pois, et on pince. Le succès de la récolte dépend beaucoup de la succession des pluies et des chaleurs ; le froid, la sécheresse et les pluies trop prolongées leur étant également contraires. — Jamais, à raison de la dépense, on ne rame les pois de primeur cultivés en plein champ, mais on a soin de les espacer de manière qu’ils ne se gênent point, ou peu, en rampant. D’ailleurs, comme les premiers petits pois se vendent dix à douze fois plus chers que les derniers, et qu’ils ne coûtent cependant pas davantage de frais de culture, non seulement on les sème le plus tôt possible, mais on les pince dès qu’ils ont deux ou trois fleurs, ce qui les empêche de s’élever beaucoup au-delà d’un pied. » Bosc, Cours complet d’agriculture théorique et pratique.)
Comme on vient de le voir, la culture des pois peut être fort avantageuse dans les localités où la valeur de leurs produits permet de les cultiver avec le soin nécessaire. — Il n’est pas impossible de recueillir de 11 à 12 hectol. de graines par demi-hectare ; mais il n’est pas sans exemple, non plus, de n’obtenir que 3 ou 4 fois la semence.
On a calculé que les pois-primeurs cueillis en vert et encore contenus dans leurs gousses, doivent donner en des circonstances favorables, et à l’aide d’une bonne culture, de 25 à 30 et 40 hectolitres par arpent, ou le double par hectare.
Si le produit en grains est assez casuel, du moins lorsque le sol est convenablement préparé et amendé, on peut toujours compter, bon an mal an, sur un produit assez considérable en fanes desséchées. Une telle récolte est fort importante dans certaines exploitations rurales, et contribue beaucoup à ajouter aux bénéfices que peuvent procurer les cultures de pois.
Section v. — Des Lentilles.
La culture de la lentille en plein champ a deux destinations principales : la production de ses graines, dont on fait en France une consommation assez considérable, et celle de ses tiges, qui, fauchées en vert lorsque les gousses sont déjà formées, procurent un fourrage dont le peu d’abondance est compensé par l’excellente qualité, puisqu’aucun autre herbage n’est plus riche en parties nutritives, Fig. 610. et qu’on est obligé de ne donner celui-là aux bestiaux, même en sec, qu’avec modération.
[16 : 5 : 1]§ ier. — Espèces et variétés.
La Lentille (Ervum) ; en angl., Lentil ; en all., Lentzen, et en ital., Lenticio (fig. 610), a pour caractères génériques un calice en tube à 5 divisions profondes, qui diffère de celui des vesces parce que ces divisions sont presque égales ; — un étendard plus grand que les ailes et la carène, arrondi, légèrement courbé et creusé de deux fossettes au-dessus de l’onglet ; — des ailes obtuses ; — un légume oblong, contenant de 2 à 4 graines plus ou moins comprimées.
On cultive en grand deux espèces et trois variétés de lentilles : la grande (Ervum lens major), la petite ou lenlillon (Ervum lens minor), et la Lentille à une fleur (Ervum monanthos).
1. La grande Lentille (fig. 611) est une des plus cultivées. On l’apporte Fig. 611. abondamment sur les marchés de Paris, des sables quartzeux des environs de Rambouillet, des sols volcaniques du Puy, et des terres calcaires et légères du Soissonnais. Le grain de cette lentille est de couleur blonde, fortement comprimé et large d’environ 3 lignes (0m007).
2. La petite Lentille, Lentille à la reine, Lentille rouge (fig. 612), est plus petite de près de moitié que la précédente. Fig. 612. Ses grains, plus bombés et plus colorés, sont regardés dans beaucoup de lieux comme plus délicats. C’est cette variété qui, sous le nom de lentillon, est cultivée le plus fréquemment dans les champs comme fourrage, quoique l’autre soit également propre à la même destination.
3. La Lentille uniflore, assez répandue dans le Loiret, sous le nom impropre de Jarosse, et dans le Roussillon sous celui de petite Lentille, diffère essentiellement des autres lentilles, par ses stipules dont l’une est linéaire et entière, tandis que l’autre est beaucoup plus grande et divisée en 6 ou 7 lanières grêles et profondes. Les 3 ou 4 grains de la gousse sont irrégulièrement sphériques (fig. 613). Cette espèce est cultivée comme fourrage et pour Fig. 613. ses fruits. — Nous verrons, en parlant des prairies, qu’elle offre une précieuse ressource sur les terrains sableux les plus médiocres.
Toutes les lentilles sont des plantes propres aux assolemens des terres légères ; elles redoutent la trop grande humidité plus qu’elles ne craignent la chaleur. Aussi croissent-elles beaucoup mieux que les fèves, les pois même et les haricots, sur les sols sablonneux d’assez médiocre qualité ; sur les terrains sablo-calcaires ou calcaro-sableux, peu susceptibles de donner d’autres produits aussi avantageux.
On les sème ordinairement comme cultures jachères, sur un ou deux labours, tantôt en augets ou en touffes de la manière que j’ai indiquée pour les haricots ; tantôt en rayons ou en lignes, tantôt enfin à la volée.
Les deux premières méthodes sont particulièrement applicables aux cultures de lentilles dont on veut récolter les graines. Les semis en quinconce, par touffes, qui se font nécessairement à la main, ainsi qu’on l’a dès long-temps remarqué, ont non-seulement l’inconvénient d’être lents et par conséquent peu praticables en grand, de rendre les binages à la houe à cheval impossibles et les autres plus difficiles, mais encore de réunir ou plutôt d’accumuler sur un seul point, contre tous les principes de la végétation, un nombre plus ou moins considérable de plantes qui s’affament et se privent réciproquement des influences bénignes de l’air et de la lumière. — Les semis en lignes sont donc préférables. On les fait derrière la charrue, au fond du dernier sillon qu’elle vient de tracer, et en laissant successivement un sillon sur deux sans grains. Un homme qui suit le semeur recouvre à l’aide d’un léger râteau, si mieux on n’aime le faire à la herse de branchages, qui remplit le même but plus économiquement et souvent avec une perfection suffisante. — « Le résultat des expériences comparatives que nous avons faites de la méthode ordinaire et de celle qui vient d’être décrite, écrivait notre savant confrère Yvart, a été, en faveur de la dernière, économie de semence, célérité et régularité dans les travaux, diminution de frais, augmentation de produits ; et la terre laissée dans un état de netteté et d’ameublissement très-favorable aux cultures subséquentes. Nous ne saurions en conséquence trop la recommander… »
Le lentillon, cultivé comme fourrage, se sème presque toujours à la volée, à raison de 150 litres environ par hectare. Assez souvent on le mélange à une petite quantité de seigle pour le soutenir. En pareil cas, on peut réduire d’autant la proportion de la semence.
Les cultures de lentilles réservées pour leurs graines, soit qu’elles se pratiquent en augets ou en rayons, exigent une quantité moins considérable de semence.
Les semis commencent, sous le climat de Paris, dans la dernière quinzaine d’avril. La lentille à une fleur se confie seule à la terre en automne. Elle résiste très-bien au froid.
La culture d’entretien des lentilles semées à la volée se borne assez souvent à des sarclages répétés. Cependant cette plante se trouve à merveille des binages qu’on ne manque pas de lui donner lorsqu’on le peut. De là le grand avantage des semis en lignes, toutes les fois du moins qu’on vise à la récolte des graines.
Le moment favorable pour récolter les lentilles est celui où les feuilles inférieures se détachent d’elles-mêmes de la tige, et où les gousses prennent une teinte roussâtre. On les arrache alors ; — on les laisse sécher par petites bottes, et on les bat au fléau au fur et à mesure de la consommation qu’on en fait dans le commerce.
Indépendamment de la graine de lentille, qui a toujours une assez grande valeur, on ne doit pas perdre de vue que son fourrage vert ou sec est un des plus nourrissans connus. À l’état de paille, beaucoup de personnes le considèrent encore comme préférable au meilleur foin. Aussi la culture des lentilles peut-elle être considérée assez souvent comme une des plus productives sur les sols médiocres.
Section vi. — De quelques autres plantes de la même famille.
Le Pois chiche (Cicer arietinum) (fig. 614) est une plante légumineuse, voisine des lentilles, dont il se distingue surtout par son légume ovoïde, renflé, vésiculeux et renfermant une ou deux graines arrondies, parfois raboteuses, sur lesquelles la place occupée par la radicule est plus ou moins proéminente.Le Pois chiche, garvance ou cicerole, cultivé exclusivement dans les jardins du centre de la France, l’est beaucoup plus en grand dans le sud de ce même pays et de l’Europe. — Il se fait en Asie et en Afrique une consommation considérable des grains de ce végétal, soit rôtis et encore chauds, soit bouillis et diversement préparés. Dans plusieurs de nos départemens méridionaux on les mange en purées, et on les utilise, chez les restaurateurs, pour préparer les potages aux croûtons, justement renommés par leur délicatesse. — Les fanes du pois chiche sont un excellent fourrage.
Dans les contrées où la température des hivers ne s’oppose pas à la culture en grand du cicer, on le sème en automne, le plus souvent à la volée et sur un seul labour. — Plus au nord, on ne peut le confier à la terre qu’au printemps, aussi son produit y est-il de beaucoup inférieur. — On le récolte à la manière des lentilles.
La Vesce blanche (Vicia sativa alba), ou lentille du Canada, est une variété qui se distingue de l’espèce la plus ordinairement cultivée comme fourrage par la couleur blanche ou blanchâtre, et la grosseur plus considérable de ses grains. Dans plusieurs cantons, les habitans de la campagne les mangent en purée, ou mêlent en petite quantité sa farine a celle des céréales, pour en faire du pain. — La vesce blanche n’en est pas pour cela moins bonne à faucher en vert. Ses usages sont donc multiples, et sous ce point de vue je crois qu’on devrait la préférer à l’autre. J’en ai vu souvent dans l’ouest de fort belles cultures. (Voy. l’art. Prairies.)
La Gesse cultivée (Latyrus sativus), ou lentille d’Espagne, est aussi cultivée pour son fourrage et pour sa graine, que l’on mange tantôt en vert, comme les petits pois, tantôt en purées. — Dans plusieurs cantons du midi de la France, les cultivateurs pauvres s’en nourrissent pendant une partie de l’année. — Les enfans la mangent grillée ; — en cet état, après avoir été réduite en poudre, on en fait des infusions analogues à celles que l’on obtient du lupin, de l’orge, de la chicorée, etc.
La Gesse blanche est une variété de la précédente.
La Gesse chiche (Latyrus cicera), est une espèce voisine qu’on cultive en Espagne, et dont, sous le nom de petits pois chiches, on estime beaucoup les grains.
Les gesses comme les cicers sont des plantes du midi ; leur culture est la même, c’est-à-dire qu’on les sème en automne, partout où l’on n’a pas à redouter les effets de l’hiver, et au printemps, lorsqu’on peut craindre les gelées. (Voy. l’art. Prairies.)
Le Lotier comestible croît dans le midi de l’Europe et sur plusieurs points du nord de l’Afrique. En Égypte on mange, dit-on, ses gousses remplies, avant leur maturité, d’une pulpe sucrée, d’un goût analogue à celui des petits pois. On peut aussi appliquer au même usage le lotier cultivé (lotus corniculatus).
Il serait possible d’ajouter encore à ce chapitre quelques autres plantes légumineuses dont on peut ou pourrait, en cas de besoin, manger les graines. Mais aucune, à ma connaissance, n’a sous ce rapport assez d’importance pour trouver place dans un livre plutôt pratique qu’historique.
- ↑ Je possède un terrain tellement situé que, malgré sa nature argilo-sableuse, il se dessèche rapidement, et devient brûlant en été. À chaque pluie d’averse, à chaque arrosement un peu copieux, il se prend en masse à sa surface, de sorte que, faute d’eau et de binages multiplies à l’excès, je ne pourrais lui demander aucune récolte à demi productive. Depuis quelques années, j’ai assez bien paré au double inconvénient précité en répandant, après un premier ou un 2e binage, entre les rayons des cultures en lignes, des tontures de charme et d’aubépine trop grêles pour être utilisées à la boulangerie ou à la buanderie. Les résultats marqués de cette pratique ont été économie d’eau, de travail ; récoltes plus productives, et amélioration progressive du sol, par suite de l’enfouissement des branchages après la récolte. Cette dernière considération mérite à mon gré quelque attention. Du reste, je crois, comme il a été dit plus haut, qu’un pareil moyen ne peut être que rarement praticable tout-à-lait en grand. O.L.T