Maison rustique du XIXe siècle/éd. 1844/Livre 1/ch. 9

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Texte établi par Jacques Alexandre BixioLibrairie agricole (Tome premierp. 237-256).
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CHAPITRE IX. — Des arrosemens et irrigations.

* Sommaire des sections de ce chapitre *
Sect. Ire. Des irrigations en général. 
 ib.
Sect. II. Des conditions qui permettent l’irrigation. 
 239
§ Ier. Cultures qui en reçoivent plus d’avantages. 
 ib.
§ 2. Conditions dépendant de la nature du sol, de la position et de la forme du terrain. 
 240
§ 3. Conditions dépendant de la situation, de la direction, de l’abondance et de la nature des eaux. 
 241
§ 4. Conditions dépendant des travaux et de la dépense. 
 243
Sect. III. Des diverses espèces d’irrigation. 
 ib.
§ Ier. Irrigation par inondation. 
 ib.
§ 2. Irrigation par infiltration. 
 244
§ 3. Irrigation en faisant refluer les eaux à la surface 
 ib.
Sect. IV. Des travaux nécessaires pour l’irrigation. 
 ib.
§ Ier. Travaux relatifs à la prise d’eau. 
 245
§ 2. Canal principal ou de dérivation. 
 246
§ 3. Vannes d’irrigation. 
 247
§ 4. Rigoles principales d’irrigation. 
 ib.
§ 5. Rigoles secondaires d’irrigation. 
 ib.
§ 6. Canaux d’écoulement. 
 248
§ 7. Vannes de décharge. 
 ib.
§8. Digues latérales au lit des rivières. 
 ib.
Sect. V. Des moyens artificiels de se procurer de l’eau. 
 249
§ Ier. Réservoirs artificiels. 
 ib.
§ 2. Arrosages par machines hydrauliques. 
 250
Sect. VI. De quelques pratiques spéciales d’irrigation. 
 252
Art. Ier. De l’arrosement dans les Cévennes. 
 ib.
Art. II. De l’arrosement dans les Vosges. 
 255


Section 1re. — Des irrigations en général.

L’irrigation est l’arrosement en grand, avec une eau de bonne qualité, fait en saison convenable et sur un terrain convenablement disposé.

Précis historique. La pratique des irrigations remonte à l’origine des sociétés ; le livre le plus ancien, le livre des livres, la Bible, source et premier registre des connaissances humaines, attribue à l’irrigation la première cause de la fertilité de l’Egypte. Les anciens souverains de cette heureuse contrée en apprécièrent tellement l’importance, qu’ils employèrent des sommes énormes à la construction d’aquéducs, de réservoirs, pour assurer à leurs peuples les bienfaits de l’arrosage. Les Grecs imitèrent cet exemple, et les Romains, témoins des avantages que les pays soumis à leur domination en retiraient, introduisirent cette merveilleuse pratique en Italie et en Espagne. Cette heureuse importation fut tellement appréciée, qu’avec le temps elle fut considérée comme la plus utile conquête du grand peuple. En France, le Roussillon a très-anciennement connu la pratique des irrigations. Mais ce ne fut qu’après les guerres d’Italie, sous François 1er, que les travaux d’arrosage se multiplièrent dans les provinces méridionales d’abord, puis dans les pays de montagnes. M. Victor Yvart nous a donné, après une excursion qu’il a faite en Auvergne, en 1819, une statistique très-instructive des diverses irrigations en France. Quelque nombreux que soient les travaux d’irrigation des modernes, nous sommes forcés de convenir qu’ils sont loin d’approcher de ce caractère de grandeur et d’utilité générale que présentaient ceux du lac Mœris et du canal d’Alexandrie en Égypte, etc., qui, tout en satisfaisant aux besoins de l’agriculture et de la navigation, secondaient puissamment l’industrie commerciale.

Avantages des irrigations. L’irrigation est sans contredit une des plus importantes pratiques de l’agriculture ; par elle des sables arides sont convertis en riches prairies, des terres infertiles produisent d’abondantes moissons, du chanvre, du lin, des légumes, etc. De tous les moyens dont la main de l’homme peut favoriser l’agriculture, il n’en est pas d’aussi fécond en bons résultats, d’aussi puissamment efficace que celui des irrigations. Un grand nombre de cours d’eaux charrient des parties fécondantes qui influent puissamment sur la végétation ; tels sont les marcites en Lombardie. Avec des arrosemens nous nous approprions des engrais, et nous donnons à notre sol de nouveaux élémens de végétation. Les arrosemens diminuent considérablement les dommages occasionés par les gelées blanches du printemps. L’eau des sources, par sa température plus élevée, réchauffe le sol et fait qu’il se couvre plus tôt de verdure et présente des prairies nourrissantes, lorsque, dans les terrains non arrosés, l’on n’aperçoit pas encore un brin d’herbes.

Dans certaines localités les arrosages forment la base de la valeur positive de la propriété ; ils en doublent au moins le prix et quelquefois ils le décuplent. M. Taluyers, à St.-Laurent (Rhône), dit M. de Gasparin, aujourd’hui préfet de ce département, est parvenu à créer, avec un déboursé seulement de 20,000 fr., une prairie de 33 hectares dont le produit actuel est de 10,000 fr. Avant cette opération ce terrain ne rapportait que 1200 fr. ; c’est ce que nous confirme M. Paris, ancien sous-préfet de Tarascon, arrondissement qui a vu, depuis l’introduction des irrigations, la fécondité enrichir cet immense plateau de pouddingue, recouvert d’une légère couche de terre sans consistance ; la bonification fut telle alors que, tandis que l’hectare de terrain non arrosé ne se vendait que 25 fr., celui de terrain arrosable coûtait 500 fr. L’utilité ou, pour mieux dire, la nécessité des canaux d’irrigation est telle, dit M. de la Croix, procureur du roi à Prades, correspondant du Conseil général d’agriculture, que s’ils étaient détruits dans ce canton, les deux tiers des habitans abandonneraient le pays qui ne pourrait plus suffire à leur subsistance.

Théorie et pratique des irrigations. Sans chaleur et sans eau, point de végétation. De l’action de ces deux agens l’agriculture obtient les plus heureux résultats ; sans eux tous les efforts de l’homme ne feraient qu’attester son impuissance. Il n’est point en son pouvoir d’accroître ou de diminuer les degrés de chaleur atmosphérique ; mais l’eau peut en tempérer les effets et devenir le principe de toute végétation.

Les eaux que l’on destine aux irrigations doivent être considérées sous divers rapports et employées d’après le but qu’on se propose. Toutes ne sont pas également bonnes ; elles varient en raison des localités qu’elles parcourent, des substances qu’elles entraînent ; il en est même qui, par leurs qualités délétères, doivent être proscrites.

Ainsi, M. de Perthuis signale comme de mauvaise qualité les eaux qui viennent des bois. Selon lui elles doivent être rejetées de toute irrigation par inondation. Troubles, elles entraînent des graines de bois et de plantes forestières qui détériorent les prairies ; claires, elles deviennent trop crues, et, loin d’activer la végétation, elles la retardent en refroidissant le sol. C’est aux cultivateurs à faire les heureuses exceptions que les localités leur indiqueront.

Quelquefois en les exposant à l’ardeur du soleil, en les laissant déposer dans des réservoirs, ou lorsqu’elles ont été fortement battues par une usine, elles perdent leurs mauvaises qualités, on les bonifie aussi en y jetant des terres, des fumiers et même, suivant M. Bertrand, des tiges de genêt, de fougère, de bouleau, de sapin (Dict. d’agric.). Les meilleures eaux sont celles dans lesquelles les légumes cuisent le plus facilement, qui dissolvent bien le savon et qui s’échauffent et se refroidissent promptement ; d’après des exemples que cite M. Yvart, des eaux qui tiennent en dissolution ou en suspension des parties ferrugineuses n’en sont pas moins propres pour cela aux irrigations dans quelques circonstances, ce qui est peut-être contraire à l’opinion assez généralement répandue.

Les qualités fertilisantes des eaux peuvent devenir communes à toutes les eaux limpides ou troubles, mais elles se développent avec plus ou moins d’énergie suivant les localités et la température habituelle plus ou moins chaude du climat. Cette assertion semble prouvée d’une manière incontestable par les effets prodigieux des irrigations d’eaux limpides qu’on n’éprouve que dans les pays méridionaux. Il en résulte évidemment que les irrigations d’eaux limpides sont moins nécessaires et que leurs effets sont moins grands à mesure que la température habituelle est moins élevée. Les différentes natures de sols, comme les diverses espèces de végétaux, ne demandent pas des arrosemens également copieux et fréquens ; car, si une humidité suffisante est constamment nécessaire à la végétation, une humidité surabondante lui est nuisible, et l’on sait que cette humidité suffisante est relative à la nature du sol et à l’espèce de ses produits.

Dans certains cantons on est dans l’usage, en hiver, de couvrir les prairies d’eau pour les préserver de la gelée ; dans d’autres on a grand soin de les mettre à sec et même de bien faire égoutter la terre. L’une et l’autre méthode a ses avantages et ses inconvéniens ; une légère couche de glace qui est gelée jusqu’au sol ne nuit en aucun cas ; mais, lorsque la couche supérieure de l’eau est gelée et non l’inférieure, et qu’ainsi le sol de la prairie reste mou, l’eau, même en hiver, peut se putréfier et nuire aux meilleures plantes des prés. Ainsi, dans les prairies où l’inondation s’élève beaucoup, il vaut mieux, lorsque l’hiver arrive, laisser écouler l’eau. C’est l’opinion de Thaer.

En été, les irrigations sont généralement favorable, mais il faut savoir les proportionner à la nature du sol, à l’espèce de ses produits, à la température du climat et surtout les donner en temps opportun.

Quelque peu considérable que puisse être la déperdition de principes que la végétation annuelle occasione aux prairies, elle n’en est pas moins réelle, et on a constamment observé que leurs produits diminuaient progressivement lorsque leur fertilité n’était pas entretenue par des engrais ; et, sans spécifier tel ou tel engrais, je me contente de répéter, avec Cretté de Palluel, que tous les engrais sont bons pour augmenter la fertilité des prairies ; le meilleur pour chaque localité est celui qui est le plus économique.

On ne peut assigner aucune époque précise pour les irrigations d’eaux troubles, parce que les débordemens des rivières et des ruisseaux varient selon les localités. Pendant la végétation il faut bien se garder d’arroser les prairies avec des eaux troubles, parce que les produits rouilleraient, ce qui n’arrive que trop dans les inondations naturelles.

En irrigation on n’est pas toujours maître de mesurer le volume d’eau, soit trouble, soit limpide ; mais si l’on a à sa disposition des eaux abondantes, il faut qu’elles soient appropriées non seulement à la nature du sol, à l’espèce de ses produits, à la température du climat, mais encore en considération de la pente du terrain. Ainsi, dans les pentes rapides il faut ménager les eaux, empêcher les ravins qu’elles y formeraient si leur volume était trop considérable, adoucir les pentes, les retenir dans des rigoles en zigzag et les multiplier autant que le demande la rapidité du courant.

En plaine, on peut arroser à plus grande eau, pourvu que le sol soit perméable et profond. Ainsi les travaux d’art pour les irrigations consistent à pouvoir à volonté arroser tous les points d’une prairie en temps et saisons convenables, soit avec des eaux troubles, soit avec des eaux limpides, et à vous préserver des dommages lorsqu’elles viennent à déborder ; en un mot, à se rendre maître absolu des eaux.

Thaer donne pour règle générale du moment ou il convient de faire l’arrosement, tant par inondation que par infiltration, de ne pas introduire l’eau pendant la partie chaude du jour, mais le soir ou le matin de bonne heure. Sans cette attention l’arrosement pourrait être facilement nuisible. Après une gelée blanche ou une température froide, l’arrosement est avantageux, il répare le mal que le froid fait à l’herbe. Lors des dégels, il faut veiller à ce que les écluses s’ouvrent promptement pour donner issue aux eaux, de crainte des déchiremens et des dégradations.

L’herbe d’une prairie soumise à l’irrigation doit toujours être maintenue ferme et fraîche par le moyen de l’eau ; car, si on la laissait une seule fois flétrir, des plantes accoutumées à l’humidité en souffriraient plus que les autres, la végétation en serait interrompue, et elles ne se remettraient que très-difficilement. Il est très-important pour l’arrosement de rester dans une juste mesure. Aussi les prairies soumises à l’irrigation demandent-elles plus que toutes autres une attention suivie.

L’irrigation, considérée sous différens aspects, peut être regardée aussi bien comme une opération de culture que comme une amélioration permanente du fonds. En conséquence, elle peut être pratiquée quelquefois par le fermier, mais en général, à cause des avances considérables que cette opération nécessite, et des avantages durables qui en sont le résultat, elle doit recevoir des encouragemens et des indemnités extraordinaires de la part du propriétaire.

Dans les environs des villes on peut se livrer avec un grand avantage à l’arrosement au moyen d’engrais liquides. Stephens nous apprend qu’autour d’Edimbourg plus de deux cents arpens de terre sont ainsi arrosés avec les eaux du principal égout, et que, malgré la mauvaise direction donnée généralement à ces prairies, les effets de ces liquides sont surprenans : ils donnent des récoltes de fourrages qu’on ne peut égaler nulle part, permettant de 4 à 6 coupes par année ; ces herbes servent à la nourriture en vert des vaches.

Mobin de Sainte-Colombe.

Section ii. — Des conditions qui permettent l’irrigation.

[9:2:1]
§ ier. — Des cultures pour lesquelles l’irrigation est plus avantageuse.


Si les prairies naturelles non irriguées ont perdu et perdent tous les jours de leur importance a mesure que la culture s’améliore, il n’en est pas de même des prairies naturelles arrosées ; elles constituent toujours et partout les fonds de terre les plus précieux.

L’irrigation est surtout avantageuse aux terrains élevés et dans les climats chauds, où la pluie est rare précisément à l’époque où elle serait le plus nécessaire. C’est là particulièrement où l’homme doit suppléer au manque d’eau atmosphérique, par l’arrosement artificiel. Maître de son eau, l’irrigation la répand sur le sol, lorsque les plantes en ont besoin, tandis que par d’autres dispositions, il en fait écouler la surabondance ; de sorte que les terres arrosées ne peuvent souffrir ni d’un excès d’humidité ni de la sécheresse, et sont réellement indépendantes de l’atmosphère sous ce rapport.

Aucun terrain n’est plus favorable à l’irrigation que la prairie. Aucune récolte n’en retire autant de profit que l’herbe. On n’y éprouve pas, comme dans les terres arables, l’inconvénient de la destruction d’une partie des travaux d’irrigation à chaque culture ; la surface gazonnée permet d’ailleurs, bien mieux que la terre arable, à l’eau de couler et de se répandre également sur toute la superficie. Le tassement excessif du sol qui résulte de l’irrigation dans certaines natures de terres, n’a pas lieu non plus dans les prairies. Enfin, l’expérience nous apprend que l’eau est plus favorable au développement de la tige et des feuilles qu’à celui de la graine, et par conséquent plus favorable à la production des fourrages qu’à celle des grains. Nous savons, en outre, que des arrosemens périodiques conviennent d’une manière toute particulière à la plupart des graminées qui composent le gazon des prairies de là aussi ce proverbe allemand : Avec de l’eau on fait de l’herbe.

Malheureusement l’irrigation demande la réunion de diverses circonstances sans lesquelles elle devient impossible, ou du moins peu profitable, ce qui équivaut au même pour l’industriel. Il est donc nécessaire de connaître et d’examiner ces circonstances.

La possibilité de l’irrigation dépend du sol, de sa position, de sa forme, de sa surface, puis de sa situation, de la direction, de l’abondance et de la nature de l’eau, enfin, des travaux et dépenses.

[9:2:2]
§ ii. — Conditions dépendant de la nature du sol, de la position et de la forme du terrain.

Il n’est aucune espèce de terre sur laquelle l’irrigation n’ait un bon effet ; néanmoins le résultat n’est pas également avantageux partout.

Les terrains qui en retirent le plus de profit sont ceux qui sont les plus perméables et les plus brûlans, comme les terrains sablonneux, graveleux, rocailleux, crayeux ; il n’y a pas jusqu’aux grèves pures qui ne puissent être améliorées de cette manière par le limon que l’eau finit par déposer entre les pierres.

Les loams ou terres franches et surtout les sols vaseux et limoneux, ne retirent pas autant d’avantages de l’irrigation, et ne supportent pas autant d’eau que les précédens ; les arrosemens ne doivent pas y durer aussi longtemps ; l’intervalle entre chaque arrosement doit être plus grand, et il faut cesser dès que le temps devient humide ou froid. Un écoulement prompt et complet de l’eau y est plus nécessaire que dans les sols précédens.

Ce qui vient d’être dit s’applique à plus forte raison aux sols argileux compactes, surtout lorsqu’ils sont dénués de parties calcaires.

Du reste, en parlant du sol, j’entends non seulement la couche supérieure, mais surtout le sous-sol, qui, dans l’irrigation, est plus important peut-être que le sol même. Avec un sous-sol perméable, une terre argileuse supportera sans inconvéniens des arrosemens abondans et réitérés, tandis que le sol le plus léger en souffrira s’il a un sous-sol imperméable : les bonnes plantes y disparaîtront, et les laiches, les roseaux, etc., prendront leur place.

Quant aux terres tourbeuses, si elles se trouvent dans une position sèche, des arrosemens réitérés, mais de courte durée, sont ce qui leur convient le mieux. Mais, même dans des positions humides, l’irrigation leur est avantageuse, surtout lorsqu’on la donne à grande eau. C’est un fait avéré, que le passage rapide d’une quantité suffisante d’eau sur ces terrains les améliore notablement, en leur enlevant une grande partie de leur acidité.

Une chose importante à examiner lorsqu’on veut établir une irrigation, c’est de s’assurer si la position et la forme du terrain permettent à l’eau d’y arriver, de s’y répandre également sur toute la surface, et de s’en écouler complètement. Lorsqu’on n’est pas entièrement sûr de rencontrer ces dispositions indispensables, il faut avoir recours au nivellement, dont il est question ailleurs.

La forme de terrain la plus favorable à l’établissement d’une irrigation, est une légère inclinaison ; un terrain entièrement plat nécessite de grands travaux pour être rendu apte à l’arrosement ; sur une pente trop rapide, au contraire, l’arrosement est assez facile à établir, mais les plantes profitent peu d’une eau coulant avec force ; loin de déposer du limon sur la prairie, cette eau peut entraîner le sol, pour peu qu’il ne soit pas parfaitement engazonné. Toutefois il est possible de remédier jusqu’à un certain point à ce défaut. Du reste, l’inconvénient d’une pente rapide est moindre pour une terre compacte que pour un sol léger. Une terre de la première espèce, dans une position pareille, craint moins l’humidité que lorsqu’elle a peu d’inclinaison.

Les fortes pentes demandent en général des arrosemens réitérés, mais à petite eau, c’est-à-dire avec un faible volume d’eau à la fois.

On a vu (chapitre des Desséchemens) que, dans certains cas, il est avantageux de profiter d’une position pareille, pour faire laver et enlever par l’eau le sol des parties supérieures, et pour le transporter dans les bas-fonds marécageux. C’est une méthode économique de niveler, dont on fait aussi usage pour enlever une mauvaise couche de terre, de tourbe, par exemple, et mettre à nu un sous-sol de meilleure qualité.

Une condition non moins importante que la déclivité, pour l’arrosement, c’est l’égalité de la surface ; de nombreuses et fortes inégalités, des ravines et des noues dans une prairie, sont les obstacles les plus difficiles à vaincre pour l’irrigation. Les petites inégalités doivent être nécessairement aplanies ; quant aux grandes, il serait souvent trop difficile de le faire complètement. On tâche de disposer l’irrigation de manière à n’avoir pas besoin d’exécuter cette opération, toujours très-dispendieuse. En général, il ne s’agit jamais de donner à tout le terrain une pente uniforme, mais seulement d’obtenir qu’aucune élévation ne reste sans être arrosée, et que d’un autre côté l’eau ne séjourne dans aucun bas-fond.

La fig. 351 expliquera mon idée. a est le canal de dérivation ; b est la rigole d’arrosement ; d est la ligne qu’il faudrait suivre, si on voulait donner une pente uniforme de b en g ; pour cela il serait nécessaire d’enlever toutes les élévations et d’en porter la terre au loin ; en adoptant au contraire la ligne e pour la forme à donner au terrain, on laisserait la hauteur c, et on n’enlèverait que les bosses hh qui serviraient à combler les bas-fonds ; en f, où la pente change, on ferait une seconde rigole d’arrosement ; en g celle d’écoulement.

La situation d’une prairie au-dessous d’un village est des plus avantageuses, surtout quand le ruisseau qui l’arrose passe par le village même. Le terrain reçoit alors toute cette quantité d’eau de fumier et de purin qui, grâce à la négligence des cultivateurs, s’écoule constamment des cours, des étables et des écuries. Dans ce cas on ne doit épargner aucune peine et aucune dépense pour faire profiter toutes les parties du pré de ce précieux arrosement.

Une position élevée tire plus de profit et a plus besoin de l’irrigation qu’une situation basse. Il en est de même d’une exposition au sud ou à l’est, à laquelle l’arrosement est plus avantageux qu’à une exposition à l’ouest ou au nord.

Enfin, il y a encore d’autres considérations qui, dans une entreprise de ce genre, peuvent surgir de la position du terrain, et favoriser ou empêcher l’irrigation. Du nombre de ces dernières sont l’enclavement ou même simplement le morcellement des propriétés, l’absence de clôtures et la difficulté d’en établir pour se soustraire à la vaine pâture qui est incompatible avec une irrigation soignée ; de même, la difficulté de faire écouler les eaux sans nuire aux terrains inférieurs.

La législation présente déjà des facilités pour se soustraire en partie à ces inconvéniens ; il y a lieu de croire que le nouveau code rural qu’on nous fait espérer en procurera davantage encore.

[9:2:3]
§ iii. — Conditions dépendant de la situation, de la direction, de l’abondance et de la nature des eaux.

Une des conditions les plus importantes de l’irrigation, est la jouissance non contestée d’un cours d’eau situé plus haut que la prairie, à l’endroit où on le fait dériver sur cette dernière.

Ici encore, le nivellement est nécessaire lorsqu’on n’est pas bien assuré de faire parvenir l’eau sur la partie la plus élevée du terrain. Les résultats de cette opération seront souvent contraires aux prévisions, car l’œil même le plus exercé est sujet à se tromper ; aussi, comme il est extrêmement important d’amener l’eau aussi haut que possible, il ne faut pas hésiter à faire usage du nivellement dans tous les cas douteux.

En procédant de même pour l’établissement des canaux secondaires, des rigoles d’arrosement et d’écoulement, on ne saurait se tromper. En général, il faut, dans toutes ces opérations, agir avec la plus grande circonspection et ne rien brusquer.

Une fois le lieu de la prise d’eau déterminé, c’est au moyen d’un barrage placé immédiatement au-dessous, que l’on force l’eau à changer de direction et à se déverser, en totalité ou en partie, dans le canal qui doit la conduire sur la prairie. Lorsqu’on ne peut établir la prise d’eau assez haut pour conduire l’eau dans les parties supérieures du terrain à arroser, on cherche à élever le niveau de l’eau, en donnant plus de hauteur au barrage. Néanmoins, celui-ci devient alors très-coûteux, pour peu que le cours d’eau soit fort. Lorsque les bords ne sont pas très-élevés, on est aussi souvent dans le cas d’éprouver de l’opposition de la part des propriétaires riverains supérieurs, dont les terrains pourraient souffrir de l’exhaussement et du refoulement de l’eau. Dans cette circonstance, on serait obligé de construire des digues le long du cours d’eau.

Si ces moyens étaient impraticables ou insuffisans pour exhausser assez le niveau de l’eau, il n’y aurait d’autres expédiens que de faire usage d’une machine hydraulique. Jusqu’ici je n’en connais point d’assez simple et fournissant en même temps assez d’eau pour qu’elle mérite d’être employée généralement dans des circonstances semblables. Celles que l’on possède actuellement et qui seront décrites et figurées ci-après ne peuvent être employées que dans les localités exceptionnelles, où l’irrigation a des résultats extraordinaires, et où les produits ont assez de valeur pour que leur augmentation paie les dépenses. Dans tous les cas, il ne peut être question ici que d’une machine mue par l’eau elle-même.

Une fois le but connu, la direction du canal de conduite est encore fort importante. Lorsque le terrain n’est pas parfaitement plane, ce qui n’a presque jamais lieu, on est obligé de l’égaliser ou de faire suivre au canal une ligne plus ou moins tortueuse, de façon à ce qu’il parcoure toujours un plan presque horizontal, c’est-à-dire ayant environ 4 à 6 millimètres de chute, par mètre de longueur, selon qu’il y a plus ou moins d’eau.

L’abondance de l’eau et l’égalité de son volume pendant toute l’année sont des considérations importantes. Quoique les seuls arrosemens d’automne et de printemps soient déjà très-efficaces par la qualité particulièrement fertilisante des eaux à cette époque, il est néanmoins très-important de pouvoir arroser pendant l’été, surtout pour les positions élevées et pour les sols perméables.

Lorsqu’on ne peut disposer que d’un faible filet d’eau, il est souvent absorbé par les rigoles avant de parvenir jusqu’à l’herbe, et dans tous les cas, il a très-peu d’effet. On remédie à cet inconvénient par le moyen d’un réservoir dans lequel se rassemble l’eau de source et les eaux pluviales des terrains supérieurs. Lorsqu’il est plein, on le lâche, et la quantité d’eau est alors suffisante pour arroser convenablement une partie du pré. La grandeur de ces réservoirs, dont on trouvera ci-après la figure, se règle sur la force du cours d’eau et sur l’étendue de la prairie ; sur leur profondeur ; sur la pente du terrain. Ils ne conviennent pas dans les lieux qui ont très peu d’inclinaison. Le fond et les parois doivent en être imperméables.

Comme on ne peut toujours être présent pour ouvrir le réservoir dans le moment convenable, on a imaginé plusieurs dispositions par le moyen desquelles il se vide spontanement dès qu’il est rempli. La plus ingénieuse que je connaisse, est celle usitée dans quelque parties de la Suisse, et décrite par Schwertz. La fig. 352 en donnera une idée. A est la digue qui ferme le réservoir, et derrière

Fig. 352.

laquelle l’eau peut s’élever jusqu’à la hauteur B. Arrivée à ce point, elle s’introduit dans le conduit E d’où elle coule dans la cuillère ou cuvette C. Celle-ci repose sur une goupille qui joue dans l’échancrure du poteau G ; le manche étant plus lourd que le reste, à cause de la pierre dont il est chargé, forme le contrepoids et pose sur la pièce F. i est une planche étroite, mobile dans une charnière, et destinée à fermer, au moyen d’un tampon de cuir ou de chiffons qui y est appliqué, l’orifice du conduit L, par où se vide le réservoir. La pression qu’effectue la cuvette sur la planche, fait presser le tampon contre la bouche du conduit. Mais, lorsque le réservoir étant plein, le cuvette se remplit, celle-ci s’abaisse, et le réservoir s’écoule dans le canal de conduite N. Les traits ponctués montrent les choses dans cet état.

Jusqu’ici on a très-peu de notions sur la quantité d’eau nécessaire pour arroser convenablement une étendue donnée de prairie, parce qu’il est très-difficile d’apprécier non seulement le volume, mais encore la vitesse d’un cours d’eau ; que, d’ailleurs, cette quantité dépend de la nature plus ou moins sèche du climat, plus ou moins perméable du sol. M. Boux, agriculteur à Arles, estime qu’il faut 822 mètres cubes (24 mille pieds cubes) d’eau pour arroser convenablement un hectare, ce qui fait 3 ½ pouces sur la hauteur. Un agriculteur des Landes, M. Borda, indique approchant la même quantité. Dans le centre et le nord de la France, une quantité moitié moindre serait souvent suffisante. En Lombardie l’eau se paie, selon M. Burger, au volume et au temps, au jour, à l’heure, et à l’once (oncia). Cette dernière mesure est la quantité d’eau qui passe par une ouverture d’environ 42 pouces carrés, avec une pression correspondant au poids d’une once placé au-dessus. D’après des expériences très-exactes, une once donne dans une minute 2,185 mètres cubes d’eau, et peut, en 24 heures, arroser 43 pertiche (près de 3 hectares) de prés, et 36 pertiche (2,36 hect.) de terres arables.

Lorsqu’on a peu d’eau à sa disposition, on tâche de l’employer successivement à arroser plusieurs terrains à la suite les uns des autres. Les derniers sans doute profitent moins parce que le limon fertilisant s’est déposé avant d’y arriver ; par cette raison il faut de temps à autre y faire couler l’eau directement.

Il est facile de s’assurer de la convenance d’une eau pour l’irrigation, à l’examen de ses bords ; s’ils sont garnis d’une herbe vigoureuse et de bonne qualité, on peut être certain de ses bons effets sur les prés.

En général, il n’y a d’absolument mauvaises que les eaux qui contiennent des substances minérales vénéneuses, de même que celles qui sortent de marais tourbeux et des grandes forêts et qui sont chargées de principes acides et astringens. Les eaux trop froides et celles qui charrient une trop grande quantité de sédiment argileux qu’elles déposent sur l’herbe, nuisent aussi. On obvie à ces deux inconvéniens par les réservoirs mentionnés ; l’eau y acquiert une température plus élevée et y dépose la surabondance de sédiment.

Cette surabondance de sédiment n’est du reste mauvaise que lorsque l’herbe est prête à être fauchée ; dans tous les autres cas, et surtout lorsque le sol de la prairie est gréveux et sablonneux, le limon, pourvu qu’il provienne de terres fertiles, est extrêmement avantageux, et on a même prétendu, quoique à tort, qu’il était la seule cause des admirables effets de l’irrigation. Toujours est-il qu’il y contribue beaucoup et que les meilleures eaux sont celles qui charrient le plus de terre et de sucs de fumier.

Les réservoirs mentionnés sont encore dans cette circonstance fort avantageux ; ils permettent de procurer ces qualités aux eaux qui en manquent, en même temps qu’ils dispensent de conduire les engrais liquides dans la prairie, à laquelle ils épargnent ainsi les dommages que causent les roues de la voiture et les pieds des chevaux. On conduit le purin et le lizier dans le réservoir ; on peut aussi déposer sur ses bords du fumier pourri qu’on arrose fréquemment.

Lorsqu’on n’a pas de réservoir, on fait couler les engrais liquides dans le canal principal.

Après ces eaux fertilisantes viennent celles qui découlent de terrains calcaires ou gypseux, et qui contiennent de la chaux et du plâtre en dissolution.

Les eaux pures et limpides qui sortent des roches quartzeuses, granitiques et autres aussi peu solubles, de même que les eaux de pluies et celles qui ont déjà coulé long-temps dans des canaux ou sur des prés, quoique étant moins fertilisantes que les précédentes, ont toujours de très-bons effets sur les prairies, mais moins en automne et au printemps que pendant la saison chaude ; comme elles n’agissent principalement qu’en entretenant la fraîcheur et en désaltérant les plantes, elles ne doivent pas être employées en aussi grande abondance que celles qui procurent en même temps au sol des principes fertilisans.

Les eaux ferrugineuses ont long-temps passé pour nuisibles ; j’en connais pourtant dont on se sert avec succès pour l’irrigation. Il y en a toutefois qui déposent sur l’herbe une poussière rouge qui reste et gâte le fourrage.

Quant à l’eau de mer mêlée à l’eau douce, comme cela a lieu à l’embouchure des fleuves, elle convient très-bien à l’arrosement, et l’on sait que le fourrage qui en provient est particulièrement salutaire et recherché du bétail.

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§ iv. — Conditions dépendant des travaux et de la dépense.

Ces conditions sont les plus importantes ; la dépense est le seul obstacle absolu à l’irrigation d’un terrain. Avec les moyens que l’on possède aujourd’hui, il n’y a point de lieu, quelque élevé et éloigné de l’eau qu’il soit, qui ne pourrait être arrosé, si les travaux et la dépense que cela nécessiterait n’étaient hors de proportion avec le profit qu’on pourrait en retirer.

Il faut donc calculer d’avance, aussi exactement que possible, les frais qu’entraînera l’irrigation, et les comparer avec l’augmentation probable de produit qui en résultera.

Malheureusement la dépense, de même que les effets de l’irrigation, dépendent de tant de circonstances, qu’il est impossible de présenter aucun chiffre susceptible d’être considéré comme terme moyen, même le plus vague.

Il y a telle prairie disposée naturellement pour l’irrigation, qui peut être mise en parfait état d’arrosement avec une dépense de 10 à 20 fr. par hectare. Ce sont des prairies en pentes ayant une surface unie et pouvant être arrosée par reprise d’eau ; ou des vallons si favorablement situés qu’avec un faible barrage et une petite digue on peut les submerger. D’autres terrains situés de même, mais présentant des inégalités à leur surface, exigent souvent une dépense décuple. Les terrains qui manquent de pente, et qu’il faut par conséquent disposer en dosses ou billons, demandent des frais très-considérables. La grandeur et la force du barrage, les matériaux que l’on emploie pour le construire, l’éloignement de la prise d’eau, les difficultés du chemin que parcourt le canal de conduite, sont autant de circonstances qui influent sur les frais, qui, dans certains cas, peuvent se monter jusqu’à 800 fr par hect., ou même plus haut, lorsqu’on est obligé de faire usage de machines hydrauliques.

Enfin, l’intelligence de l’entrepreneur et l’habileté des ouvriers influent peut-être tout autant que la situation sur cet objet.

Des considérations tout aussi multipliées viennent faire varier le chiffre jusqu’auquel peuvent s’élever les frais, pour qu’il y ait encore avantage à établir une irrigation. Là où les fourrages ont un prix élevé, on peut consacrer une somme considérable à l’établissement d’une irrigation ; il en est de même là où l’excellente qualité des eaux fait espérer une augmentation notable dans le produit de la prairie. On est aussi plus disposé à faire des dépenses dans ce but, lorsque le terrain, par sa nature ou par sa position, serait très-peu productif sans l’irrigation, et lorsque la localité est en général dépourvue de prairies et peu propre à la production des fourrages artificiels. En résumé, la somme que l’on consacre à l’irrigation peut être d’autant plus forte, que le terrain acquiert par là une valeur plus considérable.

L. Moll, prof. à Roville.

Section iii.Des diverses espèces d’irrigations.

On en distingue de deux sortes : 1o l’irrigation par inondation ou submersion ; 2o l’irrigation par infiltration. Thaer en compte une troisième, celle qu’on obtient au moyen des eaux que l’on fait refluer à la surface du sol.

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§ ier. — Irrigation par inondation.

L’irrigation doit varier en raison du but qu’on se propose, et de la saison. Si l’on veut ajouter à la fertilité du sol, il faut procéder par inondation, en employant les eaux vaseuses qui charrient de bonnes terres, et avec elles toutes les substances fertilisantes qu’elles entraînent en ravinant les terres supérieures. L’irrigation par inondation exige que, naturellement ou par art, le sol soit entouré, au moins de trois côtés, d’une petite digue qui retienne l’eau sur la place inondée. Elle doit avoir lieu plus généralement à la fin de l’automne et en hiver. Dès que dans cette saison on a retiré les bestiaux des prairies, il faut examiner soigneusement les digues, les canaux, les écluses, faire réparer les dépressions indiquées par l’eau ; les canaux et les raies d’écoulement demandent une attention toute particulière, parce que le succès de l’opération dépend de la promptitude avec laquelle on peut ôter l’eau et faire égoutter le sol, dès que l’on en reconnaît l’urgence.

Aussitôt que ces travaux préparatoires sont terminés, il faut introduire l’eau dans la prairie, en aussi grande quantité que possible ; on la laisse s’élever le plus que l’on peut ; on remarque avec attention les parties défectueuses des différentes rigoles, afin de pouvoir les corriger, ou pendant l’irrigation, si cela est possible, ou après que l’eau sera écoulée. Cette eau doit séjourner le temps nécessaire pour que le sol soit bien imprégné, et pour qu’elle ait déposé le limon précieux entraîné par elle.

L’eau opère quelquefois le régalement du sol par le battement des vagues dans les grands vents, ce qui nivelle les élévations qui sont à la surface. Elle consolide, raffermit le terrain, et le rend plus compacte.

Lorsque l’eau commence à s’éclaircir ou à se putréfier (ce qui est indiqué par une écume blanche qui se manifeste à sa superficie), il faut l’écouler le plus promptement possible et faire bien égoutter la prairie. Ce n’est que lorsqu’elle est complètement ressuyée que l’on doit renouveler l’inondation. Il faut procurer aux prairies cet engrais d’alluvion autant de fois que l’occasion s’en présente pendant l’hiver, observant toutefois les précautions indiquées ci-dessus.

Les irrigations par inondation sont employées avec beaucoup d’avantages pour fertiliser les terres en culture dans les pays méridionaux.

Au printemps, surtout lorsqu’il est sec et chaud, il faut donner une forte inondation d’eau limpide. Suivant Thaer, on peut laisser séjourner l’eau huit, douze, et même jusqu’à quatorze jours, ayant soin toujours de prévenir la putréfaction ; quand la prairie est bien ressuyée, donner une nouvelle inondation qui doit durer deux à trois jours, puis une troisième d’un jour à deux, et enfin une dernière d’un jour. Dès que l’herbe commence à s’élever, il faut cesser d’inonder la prairie.

Après la première coupe, si le temps est sec, on peut donner une inondation qui ne doit pas se prolonger au-delà de deux jours.

Le nombre de jours d’inondation indiqué par Thaer ne doit point être considéré comme un précepte absolu : la nature du sol et la température doivent régler le cultivateur ; plus le terrain est perméable, plus long temps et plus fréquemment on peut l’inonder ; plus il est argileux, moins on doit y laisser séjourner l’eau.

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§ ii. — Irrigation par infiltration.

L’irrigation par infiltration est très favorable, pendant les sécheresses de l’été, surtout dans les terrains légers et brûlans, et dans les pays méridionaux. L’eau, directement et par sa décomposition, secondée par la chaleur, contribue à la nutrition des plantes ; la végétation des régions intertropicales nous manifeste la puissance de ces élémens. Cette espèce d’irrigation convient particulièrement aux marais nouvellement desséchés, dont le sol spongieux et inflammable réclame beaucoup d’eau pour suffire à la nutrition des plantes et à leur développement. Elle est aussi particulièrement adoptée pour les prairies situées sur les bords de rivières qui peuvent servir à leur irrigation.

La fig. 353 donne un exemple de la manière dont on s’y prend pour distribuer les eaux de la rivière sur toute la surface de cette prairie.

Pour obtenir de cette espèce d’irrigation tout le succès désirable, il faut avoir à sa disposition un grand volume d’eau, pendant les chaleurs de l’été, parce qu’elle en consomme beaucoup, tant par l’imbibition que par l’évaporation. D’après de Perthuis, dans son Mémoire sur l’amélioration des prairies et sur les irrigations, il faut maintenir les eaux, dans les canaux qui entourent la prairie, à 17 centimètres au-dessous du niveau du terrain que l’on veut arroser de cette manière.

Fig. 353.
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§ iii. — Irrigation qu’on obtient en faisant refluer les eaux à la surface du sol.

Cette troisième espèce d’irrigation n’est pratiquée que dans peu de localités ; elle consiste à faire refluer l’eau dans les tranchées, ordinairement sans qu’elle se répande à la surface du sol. Elle a lieu principalement sur les terrains spongieux et marécageux, après qu’ils ont été desséchés. Cette nature de terre perd à sa superficie l’humidité à tel point que les plantes s’y fanent. Dans cet état, ces terrains tirent un grand avantage de l’eau que l’on fait refluer dans les canaux ou raies d’irrigation, en fermant le principal canal d’écoulement. Alors on laisse séjourner l’eau dans ces canaux ou raies, jusqu’à ce que les terres spongieuses en soient suffisamment imprégnées, et les plantes rafraîchies, après quoi on ferme le principal canal d’arrosement, et on ouvre les canaux d’écoulement pour que l’eau se retire le plus promptement possible. Cette opération ne produit d’effet sensible que dans les terrains spongieux et qui absorbent l’eau latéralement.

M. Sismodi, dans l’Agriculture toscane, nous apprend que l’on répand avec la pelle, sur les champs blé, l’eau qu’on a fait refluer dans les fossés. L’ouvrier se place au milieu du fossé et jette avec sa pelle, à droite et à gauche, l’eau à mesure qu’elle avance sur lui ; par ce moyen les billons voisins sont arrosés promptement et d’une manière égale.

Section iv. — Des travaux nécessaires pour l’irrigation.

Après avoir fait connaître les avantages des irrigations, les conditions dans lesquelles on doit les entreprendre, et les différens modes d’irriguer, nous allons nous occuper des travaux préliminaires, et des moyens d’obtenir l’eau au plus bas prix possible en mettant à profit les heureux accidens des diverses localités. Heureuses les contrées où des sources suffisantes d’eau douce, coulant sur des terrains unis, ne laissent au laboureur d’autre soin que de les fixer dans de simples rigoles pour porter dans ses prairies, au moyen d’une distribution bien entendue, le tribut journalier de leur fraîcheur et de leur fécondité ! — Hors ce cas bien rare, des travaux d’art quelconques sont nécessaires pour parvenir aux arrosemens. Le sage cultivateur ne doit cependant jamais oublier de balancer les dépenses et les produits, les moyens d’amélioration avec les résultats. Si j’appelle la plus grande circonspection de la part des agriculteurs, avant l’entreprise des travaux d’art quelquefois très-dispendieux, mais toujours lucratifs quand ils s’appliquent à des irrigations bien entendues, je suis loin de vouloir les effrayer ; il ne faut pas croire que dans toutes les circonstances ces travaux soient difficiles à concevoir et d’une exécution très-coûteuse. Il ne s’agit point ici de ces entreprises colossales exécutées en Italie, qui ne peuvent être dirigées que par les hommes de l’art les plus expérimentés, et entreprises par les gouvernemens ou de riches associations ; mais des travaux isolés d’irrigation dont l’étendue, beaucoup plus circonscrite, peut être aisément saisie par l’homme simplement intelligent, que souvent le bon sens indique, et dont la dépense de construction est quelquefois à la portée même des plus petits propriétaires. L’ensemble des travaux destinés à procurer l’irrigation s’appelle système complet d’irrigation. Ce système peut être ou très-simple, ou très-compliqué, suivant la proximité ou l’éloignement de l’eau, la facilité ou la difficulté des circonstances locales. Les plus difficiles exigent un système complet d’irrigation qui se compose : 1o des travaux relatifs à la prise d’eau ; 2o d’un canal de dérivation ou canal principal d’irrigation ; 3o d’un certain nombre de barrages ou vannes, ou écluses avec empellemens ; 4o de maîtresses rigoles ou principales rigoles d’irrigation ; 5o de rigoles secondaires, garnies de leurs saignées ; 6o de rigoles de dessèchement ; 7o de vannes de décharge ; 8o de digues latérales.

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§ i. — Des travaux relatifs à la prise d’eau.

Ces travaux doivent varier dans la forme et dans les dimensions relativement à la situation et au volume des eaux, et relativement encore au terrain que l’on a l’intention d’irriguer.

Ainsi, si le cours d’eau n’est qu’un faible ruisseau favorablement placé relativement au terrain, sa prise d’eau pourra être effectuée par un simple barrage en fascines, un batardeau temporaire, que l’on détruit et que l’on rétablit selon le besoin. On ne devrait nulle part, mais surtout dans les montagnes, laisser un ruisseau inutile ; au lieu de le laisser se précipiter suivant sa pente naturelle, pourquoi ne pas le modérer par des digues et des dérivations, et d’un ruisseau en faire cent pour servir à des irrigations étendues et multipliées ? pour y parvenir, les moyens sont ordinairement fort simples et presque toujours la dépense très-faible.

S’il s’agit de dériver les eaux d’une petite rivière et qu’elle présente aussi une position et une pente favorables relativement au terrain, un simple barrage ne serait plus suffisant pour remplir le but ; il faut alors employer des barrages ou réservoirs en maçonnerie. Enfin, si c’est un fleuve, les travaux de dérivation deviennent plus compliqués, plus dispendieux, et exigent plus de connaissances théoriques et pratiques.

Quelquefois, dans les prises d’eau sur les rivières, on profite de quelques cataractes naturelles ; ordinairement c’est au moyen de retenues artificielles qui élèvent les eaux. Dans certaines circonstances on peut traiter avec les propriétaires de partie des eaux retenues pour les besoins d’usines et de moulins ; dans d’autres on opère ces retenues au moyen de digues, barrages ou écluses auxquelles on donne diverses formes et pour lesquelles on emploie divers matériaux, selon les localités, la largeur, la profondeur et la force du courant de la rivière. La fig. 354 donnera une idée de l’un de ces barrages.

Fig. 354.

On peut encore établir un barrage simple et économique, de la manière suivante : On place sur une rive de la rivière une ou plusieurs pierres appuyées sur le tuf, et aussi élevées que le bord ; cela forme un petit pilastre qu’on glaise suffisamment pour empêcher le fuiement de l’eau ; même chose se fait sur l’autre rive ; on unit les deux pilastres par une ou plusieurs pierres placées en forme de seuil rez-terre ; au fond, dans la largeur de la rivière, une feuillure de deux pouces règne uniformément sur les deux pilastres, et, sur le devant du seuil, elle sert d’appui à des planches épaisses de 2 à 3 pou., larges de 9 à 12 pou., qu’on place sur champ l’une sur l’autre, et en quantité nécessaire pour élever l’eau à la hauteur qu’on désire ; si la rivière est large, on enfonce une ou plusieurs fiches dans le milieu, à l’alignement des pilastres, pour soutenir les planches ; de l’autre côté elles sont suffisamment appuyées par l’eau ; c’est un vannage commode, économique et peu dispendieux.

Lorsqu’on projette un établissement de ce genre, il faut s’assurer avant tout de la possession illimitée de l’eau et du sol qu’elle occupe ; car il faut être assuré que les voisins au-dessus et au-dessous de vous n’apporteront aucun empêchement à vos travaux projetés. Ces empêchemens sont souvent suscités par les meuniers, parce que ceux qui sont au-dessus de votre prise d’eau craignent qu’elle ne reflue vers leurs rouages ; ceux au-dessous, qu’on ne leur ôte l’eau, et d’être forcés de chômer. Ces plaintes ne sont pas toujours justes, mais elles donnent souvent lieu à des procès dans lesquels les propriétaires succombent, parce que les apparences ne donnent que trop souvent gain de cause aux meuniers. Faisons des vœux pour qu’une législation prompte et précise, dégagée de ces vaines formalités de procédure, juste effroi des propriétaires, détermine d’une manière positive la jouissance des eaux, et concilie l’intérêt de la propriété et celui des usines ; car souvent les chicanes que suggèrent l’égoïsme, l’envie et la cupidité, sont plus difficiles à vaincre que les difficultés du terrain. L’ancien parlement de Douai avait successivement établi des réglemens de police très-remarquables sur l’usage des eaux.

On doit en second lieu s’appliquer à bien connaître la quantité d’eau dont on peut disposer dans les diverses saisons de l’année, et prendre pour mesure celle que l’on conserve ou que l’on a à sa disposition dans la saison la plus sèche ; calculer si elle est en rapport avec l’étendue de terrain que l’on se propose d’irriguer.

Enfin, lorsqu’on est assuré de la jouissance paisible des eaux, il faut savoir si l’on pourra les faire écouler aussi promptement qu’on les a introduites ; car, si l’on ne pouvait les égoutter complètement, on pourrait craindre de transformer sa prairie en marais.

Le cultivateur qui projette des améliorations fondées sur les irrigations doit donc agir avec beaucoup de circonspection avant de mettre la main à l’œuvre ; il doit prendre tous les niveaux dans les diverses directions et à différentes reprises, s’orienter de la manière la plus exacte sur toute la contrée, pour déterminer avec précision les quantités d’eau que cette contrée peut et doit réunir, quelle en sera la direction la plus favorable, etc. C’est à la fonte des neiges surtout qu’il est important d’examiner les parties du terrain sur lesquelles se dirigent les cours d’eau ; lorsqu’il est sablonneux, des établissemens de ce genre donnent la facilité de faire transporter par l’eau des terres dans les bas-fonds et de former ainsi une surface unie d’une inclinaison appropriée à l’irrigation.

Quelque sentiment de pratique que l’on ait acquis dans ce genre, par une longue habitude dans ces travaux, il ne faut jamais s’en reposer sur elle ; il faut au contraire, avant d’en venir à l’exécution du plan, vérifier chaque opération de nivellement par sa contre-épreuve, c’est-à-dire en le recommençant là où l’on a fini la première fois. On se convaincra alors combien l’œil peut être induit en erreur, et l’on verra la possibilité de conduire l’eau sur des hauteurs qu’on avait jugées plus élevées qu’elle, et vice versa.

Il ne suffit pas de s’assurer de la hauteur des lieux où l’on se propose de conduire l’eau, il faut encore connaître celle des places où l’eau doit passer. Il faut éviter les places basses autant que possible, dût-on même faire des détours considérables. Quelquefois, pour conserver l’eau à hauteur, on n’a d’autres moyens que de la faire passer sur des conduits élevés, formés avec de la terre ou avec les matériaux le plus à portée, un canal de bois, d’argile, une arcade en maçonnerie avec un aquéduc, lorsque l’eau doit passer sur un terrain profond, un enfoncement, ou même par dessus un autre cours d’eau. Il faut toutefois comparer l’avantage à obtenir avec le prix de revient de l’eau.

Après s’être assuré des niveaux, la première chose qui doit attirer l’attention, c’est d’apprécier la quantité d’eau que l’on peut se procurer, afin de donner au canal principal les dimensions convenables. Quoique la quantité d’eau dont on peut disposer soit petite, on peut cependant en tirer un grand parti ; pour cela il ne faut que lui donner l’emploi le plus économique, et la reprendre ou s’en rendre maître dès qu’elle a produit son effet, et la verser sur une place inférieure, et ainsi de suite ; mais cette pratique demande beaucoup d’attention pour donner à chaque portion de terrain une pente suffisante pour que l’eau s’étende sur toutes les places où cela est praticable et perde le moins possible de sa hauteur. Il est difficile de dire quelle étendue de prairie peut être arrosée par une quantité déterminée d’eau puisque les terres en retiennent plus ou moins, et que les pentes varient à l’infini. Cependant on estime en moyenne que 70 à 90 mètres cubes d’eau, employés journellement, peuvent arroser un demi-hectare.

Les fontainiers mesurent la quantité d’eau par pouces, c’est-à-dire, par ce que laisse écouler un trou cylindrique d’un pouce de diamètre, lorsque l’eau se maintient à un niveau constant d’une ligne au-dessus du bord supérieur de ce trou ; cette quantité est égale à 20 mèt. 584 cubes par 24 heures. Pour profiter de ces données et les appliquer à la mesure de l’eau, il suffit de l’arrêter avec une planche percée d’une file de trous d’un pouce de diamètre qu’on bouchera et débouchera à volonté.

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§ ii. — Du canal principal ou canal de dérivation.

Le canal de dérivation est destiné à recevoir les eaux dérivées ou détournées d’un cours d’eau, et à les conduire sur les parties les plus élevées de la prairie, pour les répandre ensuite sur sa surface. Son tracé est naturellement jalonné par les positions des points les plus élevés du terrain à inonder.

Sa pente doit être très-ménagée ; trop forte, les eaux y acquerraient trop de vitesse, elles ravineraient le canal ; trop faible, les eaux ne joueraient pas avec assez de facilité et pourraient y rester en stagnation. La pente la plus avantageuse paraît être dans les limites de 2 à 4 millimètres par mètre.

Les diverses dimensions du canal seront proportionnées au volume des eaux qu’il doit recevoir ; ses bords seront établis en talus d’autant moins rapides que le terrain aura moins de consistance ; dans ceux d’une consistance moyenne, ces talus devront avoir au moins un mètre et demi d’évasement pour un mètre de profondeur. Le canal de dérivation étant construit, dans les cas les plus ordinaires, on y fait écouler les eaux de la rivière ou du ruisseau, au moyen d’un barrage établi sur son cours immédiatement au-dessous de la prise d’eau de ce canal.

Fig. 355.

Lorsque plusieurs communes ou particuliers ont des droits sur un cours d’eau, ou que le canal principal de dérivation est destiné à l’irrigation de plusieurs propriétés, il faut procéder au partage des eaux. On peut le faire au moyen d’écluses de partage, dans le genre de celle représentée (fig. 355). Dans les pays chauds où les eaux forment la richesse du cultivateur, on s’est appliqué à en faire un partage combiné de manière que chacun peut en recevoir avec précision et sûreté la portion à laquelle il a droit. Les Maures, habiles en ce genre, ont fait, particulièrement dans le royaume de Valence, des travaux dont les Espagnols profitent encore et dont on doit la connaissance à MM. De Lasteyrie et Jaubert de Passa.

[9 : 4 : 3]
§ iii. — Des vannes d’irrigation.

Les vannes d’irrigation sont des barrages temporaires établis sur le canal de dérivation pour en élever les eaux et les forcer à s’écouler dans la prairie que l’on veut arroser. Ils ne doivent exister que le temps nécessaire à l’irrigation. Pour n’être pas obligé de les détruire et de les rétablir continuellement, ce qui serait fort dispendieux, on les construit a demeure sur le canal, mais, suivant sa largeur, avec un ou deux empellemens qu’on lève ou baisse selon le besoin. Alors ces barrages prennent le nom de vannes d’irrigation.

[9 : 4 : 4]
§ iv. — Des rigoles principales d’irrigation.

Ce sont celles qui prennent l’eau dans le canal de dérivation, et qui, d’après l’exhaussement opéré par les pelles des vannes d’irrigation, les conduisent sur les points les plus élevés de la partie du terrain que l’on veut arroser.

Ces rigoles principales ne sont pas toujours une partie essentielle d’un système complet d’irrigation. Lorsque les pentes sont très rapides et qu’il serait dangereux d’arroser à grande eau, le canal de dérivation sert en même temps de rigole principale et même de rigoles secondaires. Egalement, lorsque la pente du terrain est insensible, on peut se passer de rigole principale d’irrigation, parce qu’on peut arroser le terrain à grande eau, sans craindre de le raviner, en pratiquant des ouvertures temporaires chaque fois, pour l’irrigation, à travers le relevé des terres du canal de dérivation.

Ainsi, ce n’est que dans les pentes intermédiaires"" que l’établissement des rigoles principales d’irrigation devient indispensable pour se garantir de la surabondance des eaux et régler le volume suivant la saison. Le tracé de ces rigoles est indiqué par la pente générale et celle particulière du terrain à inonder, et subordonné à la vitesse convenable qu’il faut procurer aux eaux d’irrigation ; on peut suivre les limites données pour le canal de dérivation.

Quelle que soit la forme que l’on donne à ces rigoles, il est nécessaire d’en diminuer la largeur à mesure qu’elles s’éloignent de la prise d’eau, afin que les eaux, en diminuant progressivement de volume, puissent y conserver la même vitesse.

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§ v. — Des rigoles secondaires d’irrigation.

Ces rigoles servent à distribuer les eaux des rigoles principales sur tous les points qu’on veut arroser, au moyen d’ouvertures que l’on pratique de distance en distance, ou de petits barrages qu’on forme le plus souvent avec des gazons.

Dans le Valais, on se sert pour cet usage d’une petite vannelette en tôle (fig. 356) fort commode, qu’on place et transporte facilement partout où l’on veut.

Fig. 356.

Les rigoles secondaires sont embranchées sur les rigoles principales dont elles forment les ramifications, et font avec elles des angles plus ou moins ouverts, suivant la pente particulière du terrain. On les multiplie autant qu’il est nécessaire pour arroser complètement les différens points de chaque division (fig. 357). Ces rigoles ne doivent pas être trop longues, afin que l’eau parvienne à leurs extrémités.

Pour le tracé des rigoles secondaires on suivra les mêmes règles que pour celui des rigoles principales, c’est-à-dire qu’il est subordonné à la pente qu’il convient de donner aux eaux qui doivent y être introduites, afin que dans les irrigations d’eaux troubles, leur vitesse ne soit pas assez grande pour retenir les engrais dont elles sont chargées et qu’elles les déposent sur les différentes parties de la prairie qu’elles parcourent, et que dans les irrigations d’eaux claires elles ne puissent les raviner. La pente convenable est celle indiquée pour les rigoles principales d’irrigation. Thaer nous apprend que ces rigoles se font très-promptement avec une espèce de bêche légèrement recourbée que l’on nomme pelle à rigole et une espèce d’outil destiné trancher la terre des deux côtés, qu’on appelle tranchoir pour les rigoles (fig. 358), ou bien encore avec une charrue adaptée à cet usage.

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§ vi. — Des canaux d’écoulement.

Les canaux ou rigoles d’écoulement sont destinés à conduire l’eau dans le lit naturel du cours d’eau ; ils doivent être proportionnés à ceux d’arrosement. Il n’est aucune partie du terrain arrosé dont l’eau ne doive être recueillie par une rigole d’écoulement. C’est la promptitude de cet écoulement qui distingue un terrain arrosé d’un terrain marécageux ; et c’est une condition absolue du haut produit qu’on peut espérer d’une entreprise d’arrosement.

[9 : 4 : 7]
§ vii. — Des vannes de décharge.

Si les travaux d’art que nous avons décrits suffisent pour donner aux cultivateurs les moyens d’arroser leurs prairies, ils sont insuffisans pour les garantir des dommages et des pertes que des crues d’eau extraordinaires peuvent leur causer. Le déversoir, en arrêtant le cours des eaux de la rivière, les accumule au-dessus de lui, et malgré sa largeur, ne pouvant contenir les eaux, celles-ci débordent, leur surabondance dégrade sa relevée, comble les rigoles d’irrigation, et si ce malheur arrive pendant la végétation des herbes, leur rouille sera inévitable. Pour prévenir ce désastre, il faut construire sur le cours du canal, de distance en distance, et de préférence vis-à-vis des coudes de la rivière qui s’en approchent davantage, des vannes de décharge garnies d’empellemens, dont on lève toutes les pelles pendant les grandes inondations, ou lorsqu’il faut mettre le canal à sec pour y faire les réparations nécessaires.

Dans les eaux moyennes, ces vannes servent aussi à maintenir celles du canal au même niveau, et dans les crues ordinaires elles empêchent les eaux de s’élever dans le canal à une hauteur plus grande qu’on ne le désire, le trop plein se divisant par-dessus les pelles de la vanne, retombant dans le canal de décharge, et s’écoulant dans le lit naturel de la rivière.

Celles que nous représentons ont divers avantages et plusieurs destinations : l’une (fig. 359) est un conduit en bois qu’une bonde ouvre ou ferme à volonté ; cette disposition est nécessaire dans les cas où deux cours d’eau doivent se croiser sans mêler leurs eaux.

La disposition et les usages des autres vannes (fig. 360, 361, 362 et 363) n’ont pas besoin de description ni d’explication.

[9 : 4 : 8]
§ viii. — Des digues latérales au lit des rivières.

Les vannes de décharge garantissent bien les prairies de l’inondation du canal d’irrigation ; mais, par l’écoulement rapide des eaux et leur volume réuni à celui de la rivière, elles peuvent en occasioner les débordemens. Si l’inondation arrive en saison convenable et que les eaux soient de bonne qualité, la prairie en sera bonifiée ; mais, si elle arrive en été, les herbes seront rouillées, et si les eaux sont de mauvaise nature, dans quelque saison que ce soit, la prairie en sera détériorée.

Pour obvier a ces inconvéniens, on peut élever avec le sol même des digues latérales au lit de la rivière. On les établit à une distance de ses bords qui ne doit jamais être moindre que la largeur du lit du cours d’eau, et toujours suffisante pour que ce lit supplémentaire puisse contenir les eaux des plus grandes inondations. Avec des terres de consistance moyenne, il suffira de donner aux sommets de ces digues une épaisseur égale à leur élévation au-dessus du niveau du terrain ; et cette élévation doit toujours dépasser un peu le niveau connu des plus fortes inondations. On leur donne ordinairement 33 cent. et jusqu’à 1/2 mètre de hauteur de plus que ce niveau, afin que les dignes ne puissent jamais être submergées ; et, pour prévenir les effets des tassemens des terres de remblai, leurs talus extérieurs et intérieurs seront réglés d’après la consistance des terres. Si les terres étaient tellement légères que malgré un grand talus elles ne pussent pas résister à l’action des eaux, il faudrait consolider les digues par les moyens indiqués ci-devant à l’art. Endiguement.

La construction des digues latérales est peu dispendieuse le long des ruisseaux et des petites rivières, le plus souvent une élévation de 65 centim. à 1 mètre suffira pour préserver les prairies riveraines des dommages des inondations.

Mais l’établissement de ces digues présente obstacles à l’écoulement des eaux intérieures de la prairie. Pour éviter leur stagnation préjudiciable, il faut pratiquer, à travers les digues, des passes en maçonnerie par lesquelles ces eaux, rassemblées dans des rigoles destinées à les recueillir, s’écouleront dans la rivière (voy. ci-dessus, la fig. 359, d’une vanne qui peut remplir cette destination) ; et, pour empêcher les eaux de l’inondation de pénétrer par ces mêmes passes dans l’intérieur de la prairie, on les garnira de petites portes nommées en Normandie portes à clapets. (Voy. fig. 82, p.125.)

Section v. — Moyens artificiels de se procurer de l’eau.

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§ ier. — Des réservoirs artificiels.

Lorsque l’on est propriétaire d’une prairie privée de cours d’eau, mais située à l’ouverture d’une vallée dont on possède les pentes, ou lorsqu’on peut s’arranger à l’amiable avec les propriétaires de ces pentes pour construire des rigoles destinées à réunir les eaux pluviales tombant dans leurs parties supérieures, on peut encore se procurer des arrosages par le moyen des réservoirs artificiels. Ces rigoles sont de la construction la moins dispendieuse ; la seule attention qu’il faut avoir en les traçant, c’est de leur procurer une pente assez douce pour que les eaux n’y prennent pas une trop grande vitesse. Nous en avons précédemment déterminé les limites, en traitant du canal de dérivation.

Les eaux pluviales seront dirigées sur la partie la plus élevée de la prairie ; elles y seront réunies dans un réservoir de dimensions proportionnées au volume des eaux à recueillir et à la quantité nécessaire à la prairie que l’on veut arroser. Ce réservoir pourra être construit en terre si les terres sont assez consistantes pour ne permettre aucune infiltration, et la chaussée de retenue sera revêtue intérieurement en pierres sèches comme celles des étangs, sauf les maçonneries de la vanne d’irrigation et des vannes de décharge qui doivent être en ciment. Carena a décrit ce genre de travaux assez usité en Piémont, dans un mémoire spécial imprimé à Turin en 1811 ; il en cite plusieurs exemples. Le plus grand de ces réservoirs est celui de Ternavasio, où l’on réunit les eaux nécessaires à l’arrosement de 57 hectares.

Fig. 364.

En Espagne, on donne le nom de pantanos à ces réservoirs ou grands bassins qu’on forme dans les vallées pour conserver les eaux pluviales et les faire servir aux irrigations des champs. Celui que nous représentons (fig. 364) sert aux irrigations de la Huerta d’Alicante, et a été construit sous le règne de Philippe II ; on a profité de deux collines dont les masses de rochers sont situées au débouché d’une vallée profonde, sinueuse, qui retient les eaux dans une longueur d’une lieue et demie. Le point de séparation où se trouve la digue, est de 6 mètres à la base, et va en s’écartant jusqu’à la partie supérieure de la digue, où elle a 78 mètres. Elle a une forme circulaire bombée du côté des eaux, afin de présenter une plus grande résistance à leur pression. À côté de l’ouverture destinée à l’écoulement des eaux qui servent à l’irrigation, en est une plus grande qui sert à vider le pantano, et le nettoyer de la vase qui s’y accumule, ce qui a lieu environ tous les 15 ans. M. de Lasteyrie, auquel nous devons le dessin et la description de ce bel ouvrage, ajoute que les Espagnols sont redevables de ce genre de construction aux Romains et aux Maures, qui l’avaient trouvé établi de toute antiquité dans les contrées de l’Asie. Les Indiens en pratiquent dont la digne a un quart de lieue, une demi-lieue et même une lieue de long, et qui fournissent l’eau nécessaire aux irrigations des terres cultivées par 50 ou 60 villages. Des terrains couverts de rizières et d’autres produits demeureraient incultes et déserts s’ils n’étaient vivifiés par ces eaux. Les Arabes ne sont pas moins industrieux : ils réunissent les montagnes par des digues en pierres de taille, de 40 à 50 pieds d’élévation, et ils forment ainsi dans les vallées des réservoirs qui fécondent au loin les sols les plus arides.

C’est encore au moyen d’un réservoir de 104 ares de superficie et de 6 mètres de profondeur, que M. Taluyers, que j’ai déjà cité précédemment, a réuni les eaux pluviales et celles de plusieurs petites sources qui se perdaient auparavant sans utilité, et a presque décuplé le revenu d’une propriété de 1200 fr. Combien de vallons (s’écrie M. de Gasparin) correspondant à une vaste surface de revers, où l’eau s’écoule en torrens après les pluies, sans fruits pour la culture et quelquefois son grand dommage, qui, s’ils étaient barrés, se changeraient en réservoirs précieux !

Lorsque les eaux sont réunies dans le réservoir, on établit des rigoles principales et des rigoles secondaires en quantité suffisante.

Toutefois, avant la mise à exécution, il faut que le propriétaire étudie long-temps les faits, calcule les dépenses et le produit probable qu’il pourra retirer. Trop de précipitation pourrait lui faire commettre des erreurs graves.

Lorsqu’il s’agit du barrage d’une vallée, M. de Gasparin dit qu’il faut calculer l’épaisseur du mur d’après la hauteur qu’on veut lui donner ; savoir : deux pieds pour le premier pied, en y ajoutant 6 pouces 6 lignes par pied de surhaussement, cette épaisseur exprimant l’épaisseur du sommet. On construit l’ouvrage en talus du côté de l’eau, et d’aplomb du côté opposé, pour que, si elle vient à déverser, elle ne tombe pas sur le talus du mur, qu’elle dégraderait.

La possibilité de former un vaste réservoir creusé dans le sol, dépend de la nature des terres dans lesquelles on veut l’établir ; M. Taluyers recommande, pour s’en assurer, de former, une année à l’avance, une chaussée d’épreuve, sur de petites dimensions, et de comparer pendant ce temps l’eau qui se rend dans le réservoir provisoire, avec celle qui y reste, augmentée de celle perdue par l’évaporation. Cette précaution est excellente et ne doit jamais être négligée.

La hauteur des digues doit surpasser d’un demi-mètre au moins la plus grande hauteur de l’eau, afin qu’elles ne soient pas dégradées par les flots.

La profondeur du bassin doit être la plus grande possible, relativement à sa superficie, afin que la perte causée par l’évaporation soit moindre.

La chaussée doit avoir à sa partie supérieure une longueur égale à son élévation, et sa base doit avoir trois fois sa hauteur.

C’est sur ces données que l’on établira ses calculs lorsqu’on aura reconnu l’emplacement d’où l’on tirera au meilleur marché la terre la plus favorable à la solidité de la digue. Dans aucun cas il ne faut la planter d’arbres qui ébranlent la chaussée dans le temps des grands vents et dont les racines, en sillonnant les terres, y forment des issues pour l’eau.

Les usages locaux apprendront à régler la quantité d’eau nécessaire ; dans le midi, on doit compter sur 10 arrosages complets ou 10,000 mètres cubes d’eau par hectare, tandis que M. Taluyers, dans le Lyonnais, n’en compte que 360 mètres.

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§ ii. — Des arrosages par les machines hydrauliques.

Lorsque les localités sont dépourvues de cours d’eau, et qu’elles s’opposent à l’établissement des réservoirs artificiels, pour y réunir les eaux pluviales à une hauteur supérieure aux terrains que l’on veut arroser, et que l’on possède une masse d’eau inférieure, on peut encore avoir recours aux machines pour l’élever à une hauteur suffisante.

Sans rappeler ici les calculs de M. Christian, consignés dans sa Mécanique industrielle, il suffit de dire que, la force de l’homme et même celle du cheval[1] sont, en général, bien coûteuses, pour être employées comme moteurs à l’irrigation des prairies ; il faut des cultures plus productives, telles que celles du jardinage, pour compenser de pareilles dépenses.

Les courans d’eau, parmi les moteurs inanimés, sont les plus constans et les moins coûteux ; aussi s’en sert-on avantageusement quand on en possède pour mettre en mouvement des roues à godets qui peuvent élever l’eau à la hauteur de leur diamètre ; on en voit beaucoup sur les bords de l’Adige, et, en France, un grand nombre de prairies des environs de Lille (département de Vaucluse) sont arrosées par ce moyen ; mais les situations où il est permis de s’en servir sont rares, et alors il reste le vent et la vapeur d’eau.

Le vent a le défaut d’être irrégulier, de manquer souvent au moment où l’eau serait le plus nécessaire ; par conséquent, quand on en fait usage, on ne peut guère se dispenser de construire un réservoir qui contienne au moins l’eau d’un arrosage complet et même de deux dans beaucoup de pays. Je ne puis trop recommander, avant l’entreprise de ces travaux, de calculer les frais d’établissement de la machine, et ceux du ou des réservoirs, et de bien s’assurer si ces frais sont proportionnés à l’amélioration espérée ; après cela, quand on aura des vents constans et des terres propres à retenir l’eau pour former les réservoirs, on pourra employer ce moteur avec avantage pour l’irrigation des terres.

Quand on est privé de la force du vent, on peut avoir recours à la vapeur lorsque le prix de la houille ou de tout autre combustible permet de s’en servir avec une certaine économie, et que l’on peut se procurer des mécaniciens pour les réparations les plus urgentes. Mais, pour user de ce moyen, il faut opérer en grand.

Certaines contrées peuvent encore se livrer utilement à la pratique des irrigations en faisant forer des puits artésiens ; nous avons parlé de ce moyen au chap. des Desséchemens.

De Perthuis indique comme machine très-économique pour arroser 5 à 6 hectares de pres, lorsqu’il ne faut élever l’eau d’une rivière que de 1 mètre à 1 mètre 33 au-dessus du niveau de la naissance de la prairie, une simple vis d’Archimède de dimensions convenables (voy. fig. 112, page 116). Ces eaux, arrivées dans le réservoir placé à la partie supérieure de la vis, s’écouleront dans des chéneaux en bois supportés par des chevalets aussi en bois, et seront ainsi conduites dans le canal de dérivation.

Les machines qu’on peut employer à élever l’eau, et par conséquent à faciliter les irrigations, sont multipliées à l’infini. Le moulin hollandais (fig. 109), page 145) servira à cet usage lorsqu’on n’a pas une grande élévation à surmonter ; toutes les pompes, qui offrent presque autant de variétés que de pays, et dont plusieurs ont reçu dernièrement des modifications importantes, peuvent encore recevoir la destination de tirer l’eau d’un puits pour la répandre sur le sol : nous rappellerons la pompe à chapelets (fig. 110, p. 146) et le noria à godets (fig. 111, p. 146), qu’on peut faire fonctionner dans un puits très-profond. Parmi les pompes les plus récentes et les plus perfectionnées, nous citerons la pompe américaine de M. Farcot, rue Sainte-Geneviève, no 22, à Paris ; celles rotatives et portatives de MM. Dietz et Stoltz, rue Coquenard, no 22 ; la pompe sphérique et continue de M. Thuillier, rue Monceau, no 12, appareils qu’on a pu remarquer au milieu de beaucoup d’autres à l’Exposition de l’industrie en 1834. Le Mémorial encyclopédique (juin 1834) a décrit une machine de M. Edward Lucas, de Birmingham, propre à élever l’eau, et qui a pour objet de tirer parti du plus petit courant d’eau, pourvu qu’il soit continu.

Nous croyons devoir encore citer la pompe de M. Arnolet, ingénieur à Dijon, et la roue hydraulique oblique de M. Léorier de Tonnerre (Yonne), qui sont décrites et figurées avec beaucoup de détails dans le tome II des Mémoires de la Societé centrale d’agric. pour 1822, ces ingénieurs ayant reçu une honorable distinction de la Société royale et centrale d’agriculture pour avoir appliqué ces machines aux irrigations.

M. La Perelle a présenté, il y a peu de temps, à la Société d’encouragement pour l’industrie nationale, une machine à épuisement (fig. 365), à manège pour un cheval tournant toujours dans le même sens, et établie à Ath en Belgique, où elle remplace trois grandes vis d’Archimède. M. le vteHéricart de Thury, chargé de faire le rapport, en a fait l’éloge, comme pouvant être appliquée aux irrigations ; l’effet ordinaire et régulier de cette machine est de 2.800 mètres cubes d’eau élevés d’une hauteur de 3 mètres 14. Le prix de la machine de M. La Perelle est de 1,000 fr., et il fallait pour remplir le même objet à Ath trois vis d’Archimède du prix de 800 fr. Le prix du mouvement de ces vis est de 30 à 35 fr. par jour et même plus, suivant sa force. Celui de la machine à cuveaux de M. La Perelle ne revient qu’à 12 ou 15 fr. et permet l’emploi de chevaux d’une médiocre valeur et qu’il est très-facile de dresser à ce service.

Parmi les machines usitées dans différens pays pour l’irrigation, et dont un grand nombre a été dessiné par M. le comte de Lasteyrie, les plus simples qu’il nous semblerait surtout utile de reproduire, sont : 1o La noria catalane (fig. 366 ), nommée puisaro dans le midi de la France, machine très-économique et dont le produit est considérable pour la force qu’il nécessite ; les pots ont environ un pied de longueur, ils sont fixés entre deux cordes de sparte, au moyen d’une ficelle qui s’attache à leur étranglement ; on les écarte d’autant plus que la profondeur du puits est plus grande, afin d’offrir moins de poids à la force qui les met en action.

2o La noria à bras (fig. 367 ), machine plus simple et encore moins coûteuse, mais qui donne une moindre quantité d’eau ; les godets sont en fer-blanc, ont 0 mètre 2 de profondeur, et sont attachés au moyen d’une petite anse. Un seul homme met en action cette machine, qui est susceptible de trouver une multitude d’applications utiles dans l’agriculture, le jardinage et les arts.

Fig. 368.

3o La roue à bascule (fig. 308), que le courant lui-même fait mouvoir lorsqu’on a bien combiné le poids de la roue avec sa force. Les pignons de la roue sont portés à l’extrémité de 2 solives placées en équilibre et contenues par une cheville de bois fixée dans une muraille ; un poteau planté dans la rivière entre les 2 solives, sert à tenir la roue dans une position plus ou moins élevée, selon que les eaux de la rivière augmentent ou diminuent, ou que l’on veut faire agir la machine ou la tenir en repos : lorsqu’on veut élever la roue on charge l’extrémité des solives avec de grosses pierres, qu’on retire quand on veut la faire descendre dans le courant de l’eau.

Quelque utiles et ingénieuses que soient les machines propres aux irrigations, leur construction, leur entretien sont plus coûteux que l’arrosement qu’on opère par le moyen des canaux, lorsque les localités permettent une prise d’eau par leur entremise.

Nous ne parlerons pas ici en détail des arrosemens par le moyen des arrosoirs, des pompes portatives, des tonneaux. Ces procédés sont en général trop dispendieux pour être employés ailleurs que dans le jardinage. Il nous suffira de rappeler que nous avons déjà conseillé l’arrosement avec des engrais liquides, qu’on transporte et répand sur les champs à l’aide de tonneaux qui ont été décrits et figurés dans le chapitre des Engrais (V. ci-devant p.96, fig. 56 et suiv.).

Morin de Sainte-Colombe.

Section vi. — De quelques pratiques spéciales d’irrigation.

Dans l’art difficile des irrigations, les principes généraux ne suffisent pas toujours pour guider, et, d’une autre part, ils laissent souvent les personnes étrangères à de semblables travaux, dans la croyance qu’elles rencontreraient sur leur terrain des difficultés insurmontables. Il nous a semblé utile, sous ces deux rapports, de citer quelques-unes des pratiques d’irrigation les meilleures et qui avaient le plus d’obstacles à vaincre, en choisissant nos exemples en France. C. B.

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Art. ier. — De l’arrosement dans les Cévennes.

Les sources sont fort communes et fort abondantes dans les montagnes des Cévennes. Chaque hameau, chaque maison isolée a ses fontaines pour l’usage de ses habitans, et nulle part on n’en sent mieux le prix, comme je me propose de le faire voir.

Arthur Young a vanté les efforts prodigieux que l’on a faits dans les montagnes du Languedoc pour l’arrosement ; il dit que les travaux exécutés à Ganges et à St.-Laurent sont ce qu’il a vu de mieux en ce genre dans ses voyages, et il les propose comme modèles à ses compatriotes[2]. S’il était venu dans nos hautes Cévennes, il aurait certainement admiré l’industrie de ses habitans ; il aurait vu qu’ils arrosent tout ce qui est arrosable, et que s’ils laissent perdre un filet d’eau, c’est faute de terres pour l’utiliser.

Je pourrais citer des écluses faites à travers des rivières, des canaux creusés à grands frais dans les environs des villes, pour faire aller des moulins ou d’autres usines, dont l’eau, lorsqu’ils sont pleins, s’écoule par des saignées ou des rigoles, et pénètre les terres qui les bordent. Ainsi, à 1 lieue d’Alais, une digue traverse le Gardon, arrête et dirige ses eaux dans un canal de 3 à 4 mètres de largeur et d’un à 2 de profondeur, sur lequel sont établis 3 moulins à blé, des moulins à huile, des fabriques de soie et autres usines ; le trop-plein arrose des prairies qui bordent ce canal jusqu’à la ville. Auprès de Ners, est une autre digue et un autre canal qui font également marcher plusieurs moulins et arrosent toute la plaine de Boucoiran, etc. Quelques personnes assez fortunées font construire des conduites pour l’usage de leurs maisons, et pour arroser leurs jardins ; mais ces travaux ressemblent à ceux qu’on rencontre dans d’autres pays et dont les voyageurs ont parlé.

Les moyens d’arrosement que je vais décrire sont moins connus, et tout autre qu’un agriculteur ne trouverait pas peut-être qu’ils méritassent de l’être ; mais ceux à qui je m’adresse en sentiront l’importance. La plus grande simplicité, la plus stricte économie, voilà ce qui convient aux pauvres Cévennois ! Je veux prouver qu’avec peu d’art, et sans constructions coûteuses, ils tirent tout le parti possible de leur position, qu’ils entendent parfaitement, et pratiquent avec succès l’arrosement de leurs terres, qu’ils conduisent par tout où elle peut être utile l’eau de leurs fontaines, et qu’ils savent lutter contre les torrens dévastateurs, et retenir, du moins en partie, les terres que les pluies entrainent.

Les voyageurs qui traverseraient les Cévennes dans les mois les plus chauds de l’année, seraient bien agréablement surpris de trouver, au milieu des châtaigniers, entre des rochers arides, des vallons bien cultivés, plantés de mûriers, de cerisiers, de pommiers chargés de fruits ; des jardins remplis de légumes ; des prairies verdoyantes sur des pentes si inclinées qu’elles semblent suspendues, et, de tous côtés, des eaux fraiches et limpides qui serpentent partout. Il y a des prairies qui font avec la ligne d’aplomb un angle de 12 à 15 degrés ; on est obligé d’attacher avec une corde l’homme qui les fauche. C’est précisément ce qui fait le charme de notre pays, qui n’est beau malheureusement que par le contraste qu’il présente, lorsque dans les plaines voisines les sources tarissent, et que les champs sont brûlés par les feux du soleil ; dans les autres saisons de l’année, convenons-en, il faut être né dans nos montagnes pour y habiter et s’y plaire.

J’ai dit que dans les Cévennes chacun avait de l’eau dans son voisinage ; sans doute le premier établissement d’un village, d’une maison de campagne, fut fait près d’une fontaine existante ; mais les paysans connaissent très-bien s’ils ont des sources dans leur propriété. D’après l’aspect des lieux, la nature du sol, son humidité et les vapeurs qui s’en élèvent, les plantes qui y croissent, et quelquefois sur des indices moins sensibles, ils se mettent à fouiller, et c’est toujours en été qu’ils font ces travaux, bien assurés qu’ils ne seront pas trompés par les apparences. Lorsqu’un filet d’eau suinte sur le penchant d’une montagne et sort par les fentes d’un rocher, ils savent très-bien le chercher et le faire sortir plus haut : et s’ils peuvent l’amener sur une terre susceptible de culture, ils en font un jardin ou un pré, selon qu’elle est plus ou moins éloignée de leur demeure.

Il arrive quelquefois qu’on va chercher l’eau fort loin. Lorsqu’il y a une bonne source au milieu des rochers, le Cévennois la conduit par de longs détours pour ménager la pente ; il creuse la terre, casse les rochers qui se trouvent sur son passage ; il la maintient, s’il le faut, au-dessus du sol au moyen d’un petit mur recouvert de tuiles. J’ai vu que pour abréger le chemin, ou pour traverser un torrent, on faisait couler l’eau dans une gouttière faite d’un tronc d’arbre. Me pardonnera-t-on ce rapprochement ? je trouve ici une image, bien minime, à la vérité, d’un travail immense exécuté par les Romains dans ce département[3].

Olivier de Serres indique la manière de rechercher les fontaines, de faire ces tranchées souterraines que nous appelons valaratie, qui, s’écartant dans tous les sens, réunissent les eaux dans une tranchée principale, « comme les racines des arbres sont » escartées dans terre en divers endroits et « de toutes ensemble s’en forme le tronc. » Il décrit les bâtimens qui reçoivent les eaux, les serves, les tuyaux de conduite, exactement comme s’il écrivait aujourd’hui ce qui se pratique dans les Cévennes.

Les fontaines des Cévennes près des habitations sont couvertes de treilles, ombragées d’arbres et enfermées dans une maisonnette ou une niche, afin que les animaux n’aillent pas y boire ou s’y tremper. L’eau qui en coule est reçue dans une auge le plus souvent creusée dans un tronc d’arbre (fig. 369), ou dans un réservoir pour l’usage des animaux et pour laver le linge. On la conduit de là, par des rigoles creusées dans la terre, partout où elle est nécessaire.

Les fontaines plus particulièrement destinées à l’arrosement coulent dans un réservoir plus ou moins grand, qui, lorsqu’il est plein, déverse par des canaux dans d’autres réservoirs inférieurs, à une certaine distance les uns des autres. Nous les appelons tampo ou gourgo ; pesquié, lorsqu’on y tient du poisson ; boutade, s’ils sont destinés à faire aller un moulin.

Ces réservoirs sont ordinairement adossés à la montagne et sont alors formés d’un côté par le rocher même d’où sort la source, et des autres côtés par des murs en maçonnerie ou en pierres sèches, c’est-à-dire sans chaux, ou en terre battue ; je dirai plus bas comment on opère pour la le rendre imperméable à l’eau.

Les réservoirs ou bassins en maçonnerie sont les plus chers à cause du prix de la chaux dans nos montagnes schisteuses ou granitiques. Pour l’économiser, on bâtit quelquefois un mur trop mince pour soutenir la poussée de l’eau, à un demi-mètre de distance on en fait un second en pierres sèches, et l’on remplit l’intervalle en terre battue (fig. 370). Au lieu de faire un glacis dedans, on pave le fond en larges pierres dont les joints seulement sont garnis de mortier ou d’argile. Ces réservoirs ont le défaut d’être attaqués par la gelée qui soulève les enduits de chaux. Un ciment résisterait mieux ; mais pourquoi ferait-on plus de dépenses pour entretenir plein un bassin qu’on vide matin et soir, et lorsque l’eau est abondante ? Les réservoirs de pierres sèches et de terre sont formés d’un mur d’enceinte de gros quartiers de roches, autant que possible, d’un mètre ou d’un mètre et quart de largeur et de hauteur (fig. 371). En dedans on forme un talus de terre battue qui doit avoir environ 3 décimètres de plus de base que de hauteur. Quelquefois, en dehors on fait aussi un autre talus sans le battre. Le tout forme alors un glacis gazonné ou la continuation de la pente de la prairie. C’est presque un rempart pour la plupart de ceux qui liront ma description, mais sa masse n’a rien de choquant dans nos montagnes ; elle y est en harmonie avec le paysage, comme les pièces d’eau régulières et revêtues de marbre le sont au milieu d’un parterre élégant.

Lorsque la localité permet que le réservoir soit enfoncé dans la terre au niveau du sol, le mur devient inutile. Après avoir creusé le bassin de manière que ses parois soient perpendiculaires et qu’il ait plus de diamètre et de profondeur qu’on ne veut lui en donner, on forme dans l’intérieur un talus de terre battue, dont la base est à peu près égale à la hauteur, comme dans la précédente construction.

Pour faire cette sorte de pisé, on se sert d’un instrument représenté (fig. 372), qu’on appelle une masse. C’est un morceau de planche carré, de 4 décimètres de long sur 2,5 ou 3 de large et 7 centimètres d’épaisseur, au milieu duquel est un manche flexible de 8 décimètres de long, un peu courbé. Il faut deux ouvriers pour ce travail, un homme vigoureux habitué à masser, et un jeune homme pour le servir. Le premier entre dans le creux, et commence à battre fortement le fond ; il marche en tournant à reculons, soulève la masse à deux mains et frappe devant lui, en la dirigeant un coup de la main droite et un coup de la gauche. Pendant ce temps, l’aide remue le tas de terre tirée du creux pour l’ameublir, l’humecte, si elle est trop sèche, et en ôte les pierres. Lorsque la première battue est faite, le jeune homme avec une pelle jette un lit de terre dans le bassin, l’autre l’égalise sur toute la surface, de quatre doigts d’épaisseur, et il la bat pour la réduire de moitié et même plus. On fait une troisième battue de la même manière ; ensuite on mesure la base du talus, et l’on ne jette de la terre que sur ce cercle qui va toujours en diminuant à chaque couche. À mesure que le talus s’élève, on bêche les bords du réservoir, afin que les dernières assises de terre battue aient une certaine largeur. On finit par appliquer quelques bons coups de masse dans l’intérieur sur les parois et sur le fond, et l’on recouvre les bords en mottes gazonnées, en formant une rigole pour laisser couler le trop plein.

Pour arroser, ou faire vider les différens bassins dont j’ai parlé, on place au fond un arbre AB (voy. fig. 370 ci-dessus) percé d’abord de part en part, fermé du côté intérieur par un tampon, avec un trou évasé au dessus C, qu’on bouche au moyen d’un bâton CD. On sent la nécessité de cette disposition, l’épaisseur des parois ne permettant pas d’ouvrir et de fermer ces sortes de bondes par dehors. Si le Cévennois n’a pas de tarière pour percer un tronc d’arbre de longueur suffisante, il y supplée en le fendant, et en creusant dans les deux moitiés des gouttières qui se correspondent : il les lie avec des osiers et les dispose de la façon que j’ai indiquée.

Nous avons dans les Cévennes deux manières d’arroser les jardins potagers, dont l’agriculture peut aussi profiter : l’irrigation à raies, la meilleure sans contredit et la plus pratiquée ; elle est trop généralement connue pour la décrire ici.

Lorsqu’on ne sait pas, ou qu’on ne veut pas disposer les planches du potager pour les arroser en raies ; lorsque les légumes sont plantés sans ordre, et il en est qu’on ne peut pas mettre autrement, tels que les courges, les concombres, ceux qu’on ne transplante pas, comme les carottes, les épinards, etc., alors on creuse, de 10 en 10 pas et à chaque étage du jardin, s’il est en terrasse, de petits réservoirs dans la terre, d’un mètre de diamètre et d’un demi-mètre de profondeur ; on les fait tous communiquer par une rigole avec le réservoir principal, et avec une espèce de cuillère de bois ou écope, on jette en l’air l’eau qui les emplit, comme les bateliers vident celle qui entre dans leurs barques ; l’eau tombe en grosse pluie sur les plantes d’alentour. Nous représentons de face et de profil (fig. 373) l’instrument qu’on appelle azaïgadouire (du mot azaiga, arroser). La fig. 374 est une azaïgadouire en fer-blanc, plus chère, mais plus durable ; et la fig. 375 en représente une très en usage, qui ne coûte rien au paysan, faite avec une gourde, espèce de coloquinte.

Les fig. 376 et 377 représentent différentes écopes de bateliers qui serviraient très-bien à l’usage que nous indiquons ; on peut avec un peu d’adresse, au moyen de ces ustensiles, répandre l’eau de 7 à 10 mètres de distance.

Pour arroser un pré, le Cévennois fait un besaou (tranchée ou rigole principale) dans la partie la plus élevée ; il lui donne peu de pente pour que l’eau n’arrive pas trop vite, et, sans connaître le niveau, il la conduit sur tous les points, la fait serpenter de cent manières dans des rigoles toujours pleines, et l’eau ne séjourne nulle part quand il ne veut plus qu’elle coule.

D’autres fois, et selon les localités, le besaou règne dans toute la longueur de la prairie, et des besalieiros (petites rigoles), qu’il ouvre et ferme tour-à-tour, avec une motte de terre, laissent entrer l’eau dans le pré et l’inondent tout-à-fait. C’est de cette manière qu’on arrose ce qui se trouve près du bief d’un moulin.

Lorsque la position de la prairie est tout-à-fait plane, ce qui est rare, des rigoles nombreuses font circuler l’eau dans tous les sens ; elle filtre ainsi dans le terrain si elle ne peut le couvrir.

Fig. 378.

Pour faire toutes ces rigoles, on se sert, dans les hautes Cévennes, d’une sorte de houe (fig. 378) appelée pigasso, fossoir dans les Vosges, qui porte une hache du côté opposé ; le fer est plus mince et plus étroit, et son manche est perpendiculaire, afin qu’il puisse facilement travailler des deux côtés. Avec la hache, on taille dans le pré deux lignes parallèles, à 10 ou 12 centimètres de distance, et avec la houe on enlève en mottes la terre qui les sépare, et on la dépose à côté de la rigole que l’on forme. Ces mottes servent à arrêter l’eau pour changer sa direction ou la faire verser.

J’ai supposé jusqu’à présent une quantité d’eau suffisante recueillie dans des réservoirs ; chacun arrose selon ses moyens, et les coutumes du canton qu’il habite. Ceux qui n’ont pas de source détournent une portion d’un ruisseau, en coupant un ravin, en amènent l’eau, et la distribuent sur leurs terres au moyen de canaux et de rigoles fermées par des vannes ; mais il faut pour cela le consentement ou l’association des voisins et de ceux qui, au-dessous, peuvent profiter de ce ruisseau.

Plusieurs habitans du même hameau s’associent pour l’entretien des prises d’eau ; dans quelques communes, il y a des réglemens entre les propriétaires des divers quartiers, qui fixent les jours où chacun d’eux jouira des eaux pour l’irrigation de ses champs.

Lorsque le terrain est au bord d’un canal ou d’une rivière, et trop élevé pour être arrosé par les eaux courantes, on établit un engin ou machine si simple que la fig. 379) où je la représente, me dispensera de la décrire. J’observerai seulement que les paysans le font eux mêmes et tout en bois. On se sert du même moyen pour puiser l’eau d’un puits peu profond ; il exige moins de force que la poulie, puisque c’est un contre-poids qui monte le seau plein.

Fig. 379.

Le baron d’Hombre Firmas.

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Art. ii. — De l’arrosement dans les Vosges.

La Société d’émulation du département des Vosges et M. M. N. Evon ont tout récemment, publié des détails intéressans sur les irrigations dans ce pays ; nous en citerons quelques pratiques intéressantes. Relativement à la prise d’eau, lorsqu’on ne l’obtient que par un faible filet qui n’arriverait pas au bas de la prairie, on creuse un bassin destiné à conserver l’eau de la source ; on le cimente d’argile et on lui donne une capacité telle, qu’en ouvrant l’écluse qui le ferme, le liquide puisse mouiller instantanément toute la prairie. Ce procédé est usité vers le sommet des montagnes des Vosges. On conduit dans ce même réservoir, au moyen de rigoles, le purin provenant du fumier et des étables, ce qui ajoute à l’action de l’arrosement.

Dans la construction de digues, on apporte une attention particulière à la fondation de la queue, qu’on établit de la manière suivante : on dispose et on fixe au fond du lit de la rivière une couche de longues branches de sapin, dont l’extrémité la plus forte, dirigée en amont, est très-inclinée vers le fond du lit, de manière à faire relever l’extrémité opposée ; en place ensuite en sens contraire une 2e couche de branches, et ainsi de suite, jusqu’à ce qu’on juge la queue de la digue assez épaisse pour prévenir les fouilles que, sans cela, la chute de l’eau ferait dans le sol, ce qui entraînerait la destruction de la digue. On construit ensuite cette digne, soit en gros moellons maintenus par des poutres en chêne, soit en fascinage de branches entrelacées, qu’on entasse entre des files de pieux plus ou moins nombreuses, et qui retiennent parfaitement les eaux, lorsque le sable et les graviers, chassés par le courant, sont venus remplir les interstices.

On réserve souvent dans ces digues un pertuis pour le flottage, auquel on donne une largeur et une profondeur variables, ordinairement 10 pieds (3 mètres 24) d’ouverture, sur 18 pouces (0 mètre 48) de profondeur. Deux poutres sont nécessaires pour former le canal de descente des flottes ; ces pertuis ont l’avantage de rendre flottables des rivières qui ne le sont pas, et de permettre, en outre, l’écoulement des galets et du sable qui s’amassent en amont des digues, et exposent les rives à des débordemens, par suite de l’exhaussement progressif du lit de la rivière.

Deux systèmes de formation des prairies existent dans les vallées des Vosges. Suivant l’un, le terrain est disposé en billons assez convexes, et en planches, suivant l’autre.

La crête de chaque billon est sillonnée longitudinalement par une rigole, et les billons sont, comme ceux des terres arables, isolés par des raies dont la destination est la même et qu’on nomme égouttoirs. L’eau qui entre dans les rigoles est déversée en nappe sur les flancs voûtés du billon, au moyen de tranches de gazon placées de distance en distance dans la rigole, et qui ne ferment pas son canal complètement. Les égouttoirs, à l’inverse des rigoles, doivent augmenter de capacité progressivement de la tête à la queue, puisqu’ils servent à recueillir le liquide à mesure qu’il a servi à l’irrigation ; souvent l’eau est reprise à ces égouttoirs pour l’irrigation d’un terrain inférieur qui s’en décharge à son tour pour en faire profiter un autre, et ainsi de suite, si le volume d’eau originel le permet.

Dans le système d’irrigation par planches, le terrain est divisé en compartimens, au moyen de rigoles longitudinales et transversales, celles-ci 4 fois plus rapprochées que les autres. Dans les rigoles longitudinales, et au niveau du bord inférieur de chacune des rigoles transversales, on arrange un morceau de gazon, de manière qu’il remplisse bien la capacité du canal dans lequel il est placé. Lorsqu’on donne cours à l’eau, elle commence par envahir la tête des rigoles longitudinales, elle rencontre bientôt la ligne de petites digues de gazon qui la forcent à pénétrer dans la première ligne des rigoles transversales ; celles-ci ne tardent pas à déborder sur l’espace de terrain qui les sépare de la 2e ligne transversale : une partie de l’excédant de l’eau se divise dans les rigoles de cette ligne, une autre tombe dans la 2e section du canal des rigoles longitudinales, s’accumule près du gazon qui forme le point de section et se rend dans la 2e ligne de rigoles transversales qui a déjà reçu la 1re partie. L’opération se continue ainsi de rigole en rigole transversale et de section en section, jusqu’à l’extrémité des planches. Une condition pour la distribution de cette eau, c’est un niveau parfait, ce qui ne s’obtient pas toujours facilement, et au défaut duquel on remédie jusqu’à un certain point, au moyen de tampons de gazon. On remplace annuellement les rigoles transversales par de nouvelles qu’on place un peu au-dessus, en sorte qu’après un certain nombre d’années, toute la surface du terrain a éprouvé cette amélioration, car on distingue parfaitement à l’herbe haute et touffue la position des anciennes rigoles. C’est de cette manière que sont disposées les prairies qu’on fait sur les laisses de la Moselle.

Dans beaucoup d’endroits il existe des contrats d’association pour la distribution des eaux. Si la prise d’eau est assez abondante pour abreuver simultanément l’ensemble des prés désignés dans le contrat, chaque sociétaire ouvre son écluse ou les écluses aboutissant au canal de dérivation, et veille à ce que l’eau se répande uniformément sur sa propriété. Mais souvent le volume d’eau est insuffisant ; dès-lors les associés ne jouissent du cours d’eau que tour-à-tour et pendant la période de temps limitée à chacun d’eux d’après la contenance respective de leur terrain ; c’est tantôt un ou plusieurs jours par semaine, ou seulement tant d’heures par jour ; celles de la nuit sont aussi dispensées et employées avec une égale sollicitude. Celui qui n’a pas assez d’eau pour arroser à la fois toute sa prairie, est forcé d’en arroser alternativement les différentes parties.

C. B. de M.


  1. Pour donner un exemple, je citerai, d’après M. de Gasparin, une des machines les plus perfectionnées, celle de M. Ménestrel d’Arles, qui ne produit que 378 mètres cubes d’eau par cheval et par jour, le reste de la force étant perdu dans les frottemens ; il faut donc plus de deux journées et demie par hectare, et, à supposer le prix de la journée de 2 fr., l’arrosage d’un hectare coûterait 5 fr. et 60 fr. pour les dix arrosages reconnus nécessaires dans le midi, sans y comprendre encore les frais d’établissement et d’entretien de la machine.
  2. Voy. en France de 1787 a 1790, t. I, p.126, t. II, chap. 6
  3. Le pont du Gard, qui est une merveille, n’est qu’une faible partie d’un aqueduc d’environ 7 lieues, dont on suit les traces entre Nîmes et Usez, tantôt souterrain, tantôt taillé dans le roc, soutenu par des arches plus ou moins élevées et traversant le Gardon.