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Malherbe et ses sources (Counson)/6/1

La bibliothèque libre.
H. Vaillant-Carmanne (p. 161-190).


CHAPITRE VI

I. — Les Italiens.


C’est l’Italie qui a tout appris aux Français durant la Renaissance : à faire la politique, l’amour, les vers, la comédie, la musique, les révérences et les feux d’artifice. Le xvie siècle français pétrarquise[1] autant qu’il avait pindarisé, et l’influence italienne se fait sentir, sous des formes diverses, jusque chez les plus originaux et les plus grands des poètes du xviie siècle. De plus, l’antiquité a souvent passé par la renaissance italienne avant de faire l’admiration de nos poètes, et à presque toutes les influences latines indiquées dans les pages qui précèdent, on trouverait facilement des intermédiaires italiens — comme aussi, du reste, des intermédiaires français, puisque les prédécesseurs de Malherbe avaient déjà dit à peu près tout ce qu’il a dit en vers.

Traduire les Italiens, à la fin du XVIe siècle, est presque aussi méritoire que traduire les anciens. Un poète d’alors ne croit pas faire œuvre inférieure en adaptant l’Arioste ou Pétrarque ; et les traductions du Roland furieux de Desportes n’ont pas valu à leur auteur moins de réputation et d’avantages que Diane et d’autres vers — imités du reste aussi, le plus souvent, de l’italien[2]. Malherbe fit comme les autres et, en Provence, il traduisit en vers français, pour l’offrir à Henri III, le poème du Tansille, Les larmes de Saint Pierre[3]. Le poème italien était fameux en Italie, en France et en Espagne : Cervantes, dans le Don Quichote, en place une stance — en traduction espagnole — dans la bouche d’un des personnages de la nouvelle du chapitre XXXIII (1er partie). Les Larmes de Saint Pierre sont le seul long poème que Malherbe ait composé, et encore l’a-t-il désavoué plus tard. Il l’a écrit, non pas, comme on l’a cru longtemps, d’après l’immense poème du Tansille (7 288 vers) dont il aurait choisi par ci par là, avec habileté, une strophe, mais bien, comme l’a montré M. Allais[4], d’après la première édition italienne, qui n’avait que 333 vers, un peu moins que l’adaptation française. Celle-ci comprend à peine un tiers[5] de stances originales, parmi lesquelles le début, où le poète se refuse gravement à chanter des histoires comme celle de Thésée et d’Ariane, et où il dédie son œuvre à Henri III avec des flatteries hyperboliques. La langue et les images de l’adaptateur, quand il ne suit pas son modèle, valent à peu près celles de Desportes, parfois moins. Il remplit son vers comme il peut, mettant « deux fois cinq »[6] pour « dix » ; il garde et parfois même amplifie les images les plus maniérées de l’italien, les yeux qui sont des arcs, les œillades qui sont des flèches[7], et les traits qu’il ajoute sont dans le goût des Italiens et des poètes français du temps[8], et parfois maladroits. Il arrive qu’en développant en une stance contournée et pénible une comparaison de l’original, il trouve un vers harmonieux autant que le seront ses meilleurs ; il rend ainsi les deux vers qui comparent les enfants martyrs à des fleurs transportées au ciel avant d’avoir souffert l’outrage du vent ou de la gelée :

Ce furent de beaux lis, qui mieux que la nature
Mêlant à leur blancheur l’incarnate peinture
Que tira de leur sein le couteau criminel,
Devant que d’un hiver la tempête et l’orage
À leur teint délicat pussent faire dommage
S’en allèrent fleurir au printemps éternel[9].

Le Tasse avait dit (Jérusalem délivrée, II, XLIX, v. 1 et 2) :

Nova cosa parer dovra per certo,
Che precede a’servigi il guiderdone


et Bertaut :

Que le salaire en moi précédât le service.
Leurs pieds, qui n’ont jamais les ordures pressées,
Un superbe plancher des étoiles se font (v. 230 et 231).

Le Tansille avait dit :

E andran nel ciel, senza calcar la terra.

Ronsard avait dit à son roi mort (t. IV, p. 21) :

Tu vois dessous tes pieds les astres et le vent,


et Bertaut (Cantique sur la naissance de N.-S.) :

L’homme fait fils de Dieu sur les astres chemine.

On dirait que du pays de Dante et de Pétrarque vient un souffle de printemps qui fait éclore les beaux vers au milieu des poèmes obscurs ; le XVIe siècle finissant est plein de ces images gracieuses, et Montchrestien fait dire aussi à Marie Stuart marchant au supplice :

Si la fleur de nos jours se flétrit en ce temps,
Elle va refleurir en l’éternel printemps[10]


Ainsi de temps en temps un beau vers vient sourire dans les Larmes, et André Chénier s’arrêtait, dans son commentaire, pour faire la généalogie du vers souvent admiré :

Le soir fut avancé de leurs belles journées[11].


« C’est peut-être à cette source que nous devons le vers divin de La Fontaine :

Rien ne trouble sa fin, c’est le soir d’un beau jour.


« Pétrarque a dit en un vers délicieux, par la bouche de Laure :

E compi mia giornata inanzi sera ;


« et moi, dans une de mes élégies :

Je meurs : avant le soir j’ai fini ma journée[12]. »


André Chénier ne songeait pas alors qu’il mettrait un jour la même gracieuse image, fleurie comme la rose de Malherbe, dans la bouche d’une jeune captive. Il ne disait pas non plus que les poètes du XVIe siècle étaient les maîtres ou du moins les prédécesseurs de Malherbe, que Henri, dans Ronsard,

Avant la nuit venue accomplit sa journée[13],


et qu’un personnage de Desportes disait :

la destinée
M’a fait dès mon aurore accomplir ma journée[14].

Dans les rares passages qui vaillent d’être relevés dans son poème, Malherbe continue donc les poètes du XVIe siècle ; il les continue dans toute son œuvre d’une façon bien plus frappante en ce qui concerne le pétrarquisme, et on peut encore lui appliquer tous les traits railleurs que du Bellay lançait aux pétrarquistes de son temps[15] : ils n’ont pas plus tué, ou plutôt ils ont arrêté beaucoup moins les poètes amoureux que les railleries de Musset n’ont fait les « rêveurs à nacelles, les amants de la nuit, des lacs, des cascatelles ». C’est que vraiment il n’y avait pas moyen, et pour Malherbe moins que pour un autre, de ne pas se ressentir de Pétrarque en parlant d’amour :

Lui seul eut le secret de saisir au passage
Les battements du cœur qui durent un moment,
Et riche d’un sourire il en gravait l’image
Du bout d’un stylet d’or sur un pur diamant.

J’ai le cœur de Pétrarque et n’ai point son génie[16].


C’est ainsi que Musset parlait de l’amant de Laure, en un sonnet qui avait déjà été presque fait par Desportes[17] ; et tous les poètes français du XVIe et du XVIIe siècle, n’ayant ni le génie ni, souvent, le cœur de Pétrarque, ont voulu parler comme le Canzoniere ou les poètes qui en dérivent.

Malherbe parle italien presque aussi volontiers que latin : « Vedremo qual che ne seguira[18] » ; « staremo a veder. Ce sera pour demain que nous verrons o’l si, o’l no[19] ». « Il m’est souvenu d’un mot d’Italie : Chi vaol, vadi ; chi non vuol, mandi[20]. » Il connaît le style italien et la littérature italienne, sans en faire du reste grand cas ; dans une accumulation d’adjectifs, chez Desportes, il voit un « italianisme sans grâce[21] » ; il relève, dans son Commentaire, « un sonnet impertinent qui lui semble pris de Pétrarque[22] », une « sottise imitée de Pétrarque[23] », un « sonnet de Pétrarque, mal fait par lui et mal imité par Desportes[24] », une « imagination qui ne lui plaît point, quoiqu’elle soit de l’Arioste comme tout le reste de la plainte[25] », un « sonnet mot à mot traduit de l’italien, mais qui n’y vaut pas mieux qu’en français[26] », « une imagination bestiale prise d’Angelo Costanzo, mot à mot[27] », ou encore « un sonnet qui est d’un Italien, et du Séraphin, à son avis[28] », une « pédanterie » ou un mauvais vers de Bembo[29]. Voilà bien des injures, et ce ne sont pas les seules : « il estimoit fort peu les Italiens, et disoit que tous les sonnets de Pétrarque étoient à la grecque[30] ». Tout cela n’empêche que dans ses vers amoureux il a pétrarquisé jusqu’à la fin de ses jours presque autant, quoique autrement, que Scève, par exemple, ou Ronsard. Comme d’autres avaient eu leur Délie, leur Olive, leur Cassandre, leur Diane, comme, surtout, les poètes du XVIIe siècle ont leurs « Iris en l’air », Malherbe a sa Rodanthe, qui est Madame de Rambouillet[31] ; il avait, beaucoup plus tôt, songé à avoir sa Nérée (Renée) : il a eu surtout sa Caliste (la vicomtesse d’Auchy). Dans les vers composés pour ces « merveilles des belles », et dans tous ceux qu’il écrit sur commande pour quelque duc ou comte ou roi — il n’avait pas de scrupules en cette matière — il reprend les hyperboles, métaphores, prosopopées, allégories dont riait du Bellay quand il avait « désappris l’art de pétrarquiser ». La belle reste toujours, comme Laure,

à nulle autre pareille,
Seule semblable à soi[32].

De même que dans le Canzoniere

L’alma, ch’arse per lei si spesso ed alse,
Vaga d’ir seco, aperse ambedue l’ale,


de même le poète entremetteur, peignant une passion moins ailée, dira d’Alcandre :

Et son âme étendant les ailes
Fut toute prête à s’envoler[33].


C’est encore ainsi que parle la Jeune Veuve de La Fontaine :

et mon âme.
Aussi bien que la tienne, est prête à s’envoler[34].

Entre les pétrarquistes raillés par du Bellay

Et tous ces vains auteurs dont la muse forcée
M’entretient de ses feux, toujours froide et glacée[35],


les poètes français n’ont rien appris, rien oublié ; ou plutôt ils n’ont oublié une mode italienne que pour en suivre une autre, passant de Tebaldeo et du Séraphin à Sannazar et à Bembo, et de ceux-ci à Costanzo et au Tansille[36] et ensuite aimant par dessus tous les lyriques le lyrisme des chœurs[37] de l’Aminte du Tasse et du Pastor Fido du Guarini — en attendant qu’on s’éprenne de Marino et que les précieuses le portent aux nues ; et c’est toujours la même chanson d’amour, plus éthérée ou plus voluptueuse et sensuelle selon qu’on se rapproche ou qu’on s’éloigne du pétrarquisme primitif. Il avait pénétré trop de ce pétrarquisme dans la littérature italienne et dans la française pour que Malherbe pût s’en dégager. Et pourtant le réaliste Normand, « le Père Luxure » de l’hôtel du duc de Bellegarde, si brutal quand il exprime sur l’amour sa propre pensée[38], était bien l’homme le moins fait pour comprendre Pétrarque, et le plus gauche pour l’imiter. Dans une imagination éthérée comme celle de Lamartine, l’amour poétique du Canzoniere trouvait un écho harmonieux et, même en traduisant, le poète français écrivait avec le naturel d’un sentiment personnel. Il voyait les images et les idées du modèle à travers son propre rêve, et les adoucissait : le « fleuve qui s’accroissait des pleurs du poète » devenait les

Ruisseaux dont mes pleurs troublaient l’onde,


« l’air réchauffé et rafraîchi par les soupirs de l’amant » ne gardait plus que le souvenir de l’aimée :

Zéphirs qu’embaumait son haleine[39],


et le pétrarquisme comme l’amour s’idéalisait, s’épurait et s’élevait à une hauteur nouvelle dans la poésie de l’amant d’Elvire. Rien de tel chez Malherbe. Les pleurs, chez lui, on l’a déjà vu, ne sont ni plus ni moins que « la Seine en fureur » et que la mer Egée ; l’ardeur de l’amant est le feu qui brûla Hercule :

Je mourrai dans vos feux, éteignez-les ou non,
Comme le fils d’Alemène en me brûlant moi-même[40].

Ce ne sont plus que flammes, glaces, naufrages[41], prisons, et martyres bénis : les yeux de Marie de Médicis sont toute la braise de Henri[42], qui peut languir à son aise dans la prison des cheveux de la princesse. Glycère est un « courage de glace ». Les yeux de celle que Malherbe appelle « son beau souci[43] », « peuvent beaucoup dessus sa liberté » ; ou encore les beautés « aux plus audacieux ôtent la liberté ». L’amant, tout en souffrant « le martyre », bénit « sa prison ». Et pour louer la dame, et les roses de son teint et l’ivoire de son front[44], toute la géographie et toute l’astronomie passent en métaphores. La dame est un beau ciel, une terre, quand elle n’est pas une mer : « bien est-elle un soleil[45] ». Les yeux aimés sont des « soleils agréables » qui s’en iront avec l’âge, « y laissant pour jamais des étoiles autour » ; pour Alcandre ils sont les « astres adorables où prend mon océan son flux et son reflux » ; plus tard, « l’âme ravie » de Malherbe « va regardant la chère beauté comme son pôle » ; et comme cette chère beauté (Malherbe a soixante-cinq ans quand il la célèbre) reste insensible, il s’écrie :

En tous climats, voire au fond de la Thrace,
Après les neiges et les glaçons,
Le beau temps reprend sa place,
Et les étés mûrissent les moissons ;

Chaque saison y fait son cours ;
En vous seule on trouve qu’il gèle toujours[46].

Ou bien encore la belle est « plus dure qu’un diamant[47] ». Il n’est pas jusqu’à l’Ixion même, dont riait du Bellay, qui ne se retrouve chez Malherbe :

… vous allez faire un second Ixion
Cloué là-bas sur une roue,
Pour avoir trop permis à son affection[48].

L’amant interpelle ses yeux, ses pensers, ses désirs,[49] comme faisait aussi l’Arioste, que Malherbe paraît estimer, comme font les pétrarquistes du XVIe siècle, et comme le fait encore Corneille dans ses moments de préciosité. Enfin, suivant la tradition poétique, toute la nature s’associe au malheur de l’amant, non pas simplement par le fait que celui-ci lui confie, comme dans Le Lac, le souvenir de son amour, mais en prenant énergiquement part elle-même aux démonstrations de douleur : car non seulement les rochers sont invités à quitter leur « demeure »[50], mais encore le fleuve de Seine se ressent de l’émotion. « Le flot fut attentif », dira Lamartine après Quinault. C’était bien plus dramatique du temps de Malherbe : quand Alcandre fit « le récit de sa peine » en « se fondant en pleurs »,

Le fleuve en fut ému ; ses Nymphes se cachèrent ;
Et l’herbe du rivage où ces larmes[51] touchèrent
Perdit toutes ses fleurs.

Mais il n’y avait pas que Pétrarque chez les Italiens[52], et une conception plus sensuelle de l’amour, et mieux à la portée de Malherbe, avait été célébrée par toute la renaissance italienne, et révélée par elle à toute l’Europe, scandalisant jusqu’aux Anglais. Les écrivains italiens du XVIe siècle ressemblaient mieux aux contemporains de Henri IV, et ils ont été aussi goûtés, mieux compris et plus facilement imités que l’amant de Laure. Alexandre Hardy dira du Tasse, du Guarini « et autres sublimes esprits » : « Ce sont les docteurs du pays latin, sous lesquels j’ai pris mes licences, et que j’estime plus que tous les rimeurs d’aujourd’hui[53] ». Malherbe aurait pu répéter cet aveu, et même il l’a fait en ce qui concerne, du moins, l’Aminte du Tasse. Cette œuvre eut un succès unique non seulement en Italie, où encore aujourd’hui on la proclame « un prodige[54] », mais aussi en France : Boileau y trouvera à redire au point de vue moral — il était beaucoup plus sévère sous ce rapport que son précurseur — ; mais, jusqu’à l’apparition des traductions de Gessner, « l’Aminte du Tasse et les Amours de Daphnis et Chloé restent les seuls ouvrages que notre goût dédaigneux, prévenu contre les Muses pastorales, excepte de ses proscriptions[55] ». Malherbe, si dédaigneux, a aussi excepté l’Aminte de ses proscriptions, et il l’admire avec le beau monde qui se réunit chez la marquise de Rambouillet : « J’ai souvent, dit Ménage, entendu raconter par cette grande dame,

Quel gran lume romano
Che quanto ’l miro piu, tanto piu luce
[56],


que notre Malherbe, aussi grand poète que fameux connoisseur, ne cessoit d’admirer l’Aminte ; il aurait donné tout au monde pour en être l’auteur[57] ». Il n’y a certainement aucune œuvre, ancienne ou moderne, dont le réformateur ait parlé en termes aussi élogieux : aussi s’en servira-t-il au moins autant que des « sottises » de Pétrarque : pour parler d’amour, il quitte un Italien pour un autre. C’est que l’italien était, depuis le XVIe siècle, la langue de la galanterie, comme le grec l’avait été à Rome[58], comme le français le fut un peu en Allemagne :

Chi può dir com’ egli arde, è in picciol fuoco,


disent, du temps de Montaigne, les amoureux qui veulent représenter « une passion insupportable[59] » : ce vers de Pétrarque, tous les poètes français du XVIe siècle, du Bellay, Ronsard, Desportes et aussi Bertaut, l’ont très souvent paraphrasé, comme encore Malherbe, et ils ont tous fait leurs vers amoureux sur le modèle des vers italiens. Malherbe et ses élèves écrivent souvent d’après l’Aminte, et les vers de Racan qu’on cite encore aujourd’hui avec admiration[60] ne sont que la traduction des paroles du berger italien :

Je n’avais pas dix ans quand la première flamme
Des beaux yeux d’Alcider s’alluma dans mon âme.
Il me passait d’un an, et de ses petits bras
Cueillait déjà des fruits dans les branches d’en bas[61].

Malherbe aussi trouvait dans l’Aminte d’abord les images et les idées qu’il avait déjà rencontrées chez les anciens, et qu’il goûtait peut-être mieux chez le Tasse, la malheureuse condition des amants[62], l’image de la violette à laquelle sont comparées les joues d’Aminte[63], les périls qui sont un attrait, ici « un condiment » de l’amour[64], et la gloire éternelle obtenue par l’amant :

Il suffit qu’en mourant dans cette flamme extrême
Une gloire éternelle accompagne mon nom[65].

Ensuite Malherbe a retrouvé dans l’Aminte les bergers et les devins, et surtout l’amour, avec des traits particuliers, qu’il aura soin de reprendre. Mopsus figurait comme devin dans Ovide, comme berger dans Virgile mais c’est sous l’aspect qu’il avait dans l’Aminte que Malherbe nous le montre à deux reprises :

Mopse qui nous l’assure a le don de prédire[66].

L’amour surtout est, dans les pièces amoureuses de Malherbe, souvent copié de l’Aminte : d’un côté comme de l’autre, on conclut suivant la formule qui est déjà celle de Catulle, qui est celle du Tasse[67] et du Guarini[68], qui est celle de tous les poètes italianisants de France : aimons, puisque la vie est courte. C’est ce que répétera encore Lamartine :

Aimons donc ! aimons donc ! de l’heure fugitive,
Hâtons-nous, jouissons ;
L’homme n’a point de port ; le temps n’a point de rive,
Il coule, et nous passons.

Il faut donc se faire une philosophie et une morale qui ôtent tous les obstacles : comme le premier pouvait venir de la belle, il sera entendu que, comme disait déjà Dante après les anciens, tout être aimé doit aimer à son tour. C’est pour n’avoir pas suivi la bonne doctrine du cœur que Silvia subit les reproches de Dafne :

Che se creduto
L’avessi, avresti amato chi t’amava
[69].

C’est aussi ce que dira Malherbe :

Mais quel esprit que la raison conseille,
S’il est aimé, ne rend point de pareille[70] ?

Si la belle ne suit pas le conseil de ce que le Tasse appelait le cœur, et Malherbe « la raison », on emploiera les exhortations les plus compliquées pour la fléchir, et l’amour qui a été une géographie dont Mademoiselle de Scudéry sera le Strabon, devient aussi bien une mathématique. « Les Florentins, disait un voyageur du XVIIIe siècle, pourront bientôt se vanter d’avoir enseigné la galanterie mathématique aux Français[71]. » Il y avait longtemps que les Italiens avaient enseigné aux Français les imprécations par « deux, trois, quatre fois[72] », qui remontent d’ailleurs aux anciens. Si pourtant la bergère reste insensible, l’amant, comme les vaincus de Virgile[73], n’a plus d’autre espoir que le désespoir, et Aminte s’écrie :

Oimè ! che mia salute
Sarebbe il disperare
[74].

Malherbe gémit de même, en pareil cas :

Le seul remède en ma disgrâce,
C’est qu’il n’en faut point espérer[75].

Alors, que faire ? Il n’y a plus qu’à « se défaire », comme parle Montaigne, c’est-à-dire qu’à se tuer, et c’est ce que chacun fait, ou plutôt menace de faire :

È uso ed arte
Di ciascun ch’ama, minacciarsi morte[76].

Aussi le comte de Soissons, dans les vers que Malherbe lui fabrique, s’exhorte au suicide avec une éloquence intarissable[77], et Alcandre et d’autres s’étaient déjà montrés non moins énergiques. On ne peut pourtant mourir sans avoir dit tout ce qu’on pense : Brutus lui-même ne se poignarde pas sans avoir dit à la vertu qu’elle n’est qu’un nom. Un amant, avant de se jeter à l’eau, dira son fait à l’honneur, ce vain préjugé qui arrête et entrave l’amour en traitant le plaisir de crime, au lieu d’en faire, selon la loi de nature, le seul devoir. De là tous les « lieux communs de morale lubrique[78] », toutes ces tirades contre l’honneur qu’on trouve chez tous les poètes italiens, chez Bembo, chez tous les burlesques[79], chez les poètes bernesques, chez le Guarini, chez le Tasse ; elles passent dans toute la poésie française, et nous les retrouvons chez Malherbe sous la même forme que dans l’Aminte et le Pastor Fido, forme qui d’ailleurs se retrouve aussi bien chez Mathurin Régnier :

Quel vano
Nome senza soggetto,
Quell’idolo d’errori, idol d’inganno[80]:

Votre honneur, le plus vain des idoles.
Vous remplit de mensonges frivoles[81].


Mathurin Régnier disait de son côté :

L’honneur estropié, languissant et perclus,
N’est plus rien qu’un idole en qui l’on ne croit plus[82].

Bien des années avant d’attaquer « le plus vain des idoles » en ces termes, Malherbe avait exprimé la même pensée, et on pense que c’est de Bembo qu’il s’inspirait alors : il rappelle du moins cet auteur par la façon dont il parle du « peuple qui lui veut mal » (il est vrai que Pétrarque en parlait déjà), par les « contes d’honneur » et surtout par les « songes vains[83] », qu’il a supprimés dans la rédaction définitive :

Peuple qui me veux mal…
..........
Ces vieux contes d’honneur, invisibles chimères,
Qui naissent au cerveau des maris et des mères,
Etoient-ce impressions qui pussent aveugler
Un jugement si clair[84] ?

Ce n’était plus là que lieu commun, dès le XVIe siècle, et déjà Ronsard souhaitait à son ennemi une femme indocte et malhabile

Se poignant un honneur dedans son esprit sot[85].

On se représente l’amour comme les Italiens l’ont fait, et comme les Italiens on en fera une mer où l’amant est le navigateur — en attendant le royaume du Tendre. Ici encore Malherbe copie le Tasse :

Et puis qui ne sait pas que la mer amoureuse
En sa bonace même est toujours dangereuse.
Et qu’on y voit toujours quelques nouveaux rochers
Inconnus aux nochers[86] ?

C’est ainsi déjà que Remy Belleau et les poètes du XVIe siècle, à l’instar des Italiens, « s’embarquaient à aimer[87] », que Régnier « se remet en mer[88] », que Voiture « s’embarque dessus la même mer où il pensa tant de fois abîmer[89] », que La Fontaine s’écrie :

Me voici rembarqué sur la mer amoureuse,
Moi pour qui tant de fois elle fut malheureuse[90].

La tradition continue jusque chez André Chénier : en des vers plus ou moins beaux les poètes français répètent tous la leçon de l’Italie.

La leçon comportait aussi bien des modèles de style qu’une métaphysique de l’amour, et Malherbe n’est pas exempt d’ « italianismes », le mot étant compris dans le sens le plus large. Il a le goût du trait spirituel, de la pointe, comme on disait alors, de l’effet produit, par exemple, par une antithèse, ou par la répétition du même mot dans un vers[91] ; et ce goût, il a trouvé amplement à le satisfaire chez ses auteurs, chez Sénèque déjà, mais aussi dans l’Aminte même, et plus encore chez le Guarini[92]. Quand il recorrige ses vers, c’est généralement pour y introduire de pareils traits. C’est ainsi qu’il refait une des stances à du Périer — peut-être après avoir relu le Pastor Fido, dont l’édition de 1602 eut tant de succès :

Même quand il advient que la tombe sépare
Ce que nature a joint,
Celui qui ne s’émeut a l’âme d’un barbare
Ou n’en a du tout point[93].

C’est bien ce que Nicandre disait à Amaryllis :

Ben duro cor avrebbe, o non avrebbe
Pinttosto cor nè sentimento umano,
Chi non avesse del tuo mal pietate,
Misera ninfa[94]

Malherbe, suivant sa méthode, a transformé le mot d’un berger à une bergère en une vérité générale, et il ne s’agit plus d’Amaryllis et de son père, mais de « ce que nature a joint ». C’est par le même procédé qu’il fera ses vers les plus fameux quand, au lieu du nom de bergère, Rosette, qu’il donnait à la fille de du Périer dans la première rédaction des Stances, il mettra le mot rose comme attribut de la jeune morte, en gardant la répétition à la manière italienne :

Et rose elle a vécu ce que vivent les roses[95].

Malherbe reprenait donc aux Italiens qu’il dédaignait et surtout à celui qu’il admirait, au Tasse, les idées et les formules de la poésie amoureuse ; il s’inspirait peut-être de leur métrique[96] plus qu’on ne l’a dit ; il prenait parfois heureusement les grâces de leur style. — Il sera du reste l’ennemi personnel de cette recrudescence d’italianisme qui se manifeste sous la reine régente, particulièrement avec le cavalier Marin ; à cet égard — si même il admire le Tasse justement dans les années où il fréquente l’hôtel de Rambouillet — il n’a pas été dupe de la mode. Il va voir, à l’invitation de la reine, les comédiens italiens qui viennent jouer à la cour — comme il va voir la Bradamante[97] de Garnier dans les mêmes circonstances — mais il en revient sans une admiration de commande : « Ils jouent la comédie qu’ils appellent Dui simili qui est le Menechmi de Plaute. Je ne sais si les sauces étoient mauvaises ou mon goût corrompu, mais j’en sortis sans autre contentement que de l’honneur que la Reine me fit de vouloir que j’y fusse[98] ». Deux ans après ce spectacle, il eut à en contempler un autre qui lui plut moins encore ; le célèbre Marino arrivait en 1615 à Paris, précédé d’une gloire européenne, et il était reçu en triomphe à l’hôtel de Rambouillet, et fêté par les lettrés épris de poésie italienne[99]. Beaucoup d’écrivains, et de non moindres que Lope de Vega, ont cru que l’illustre Napolitain éclipserait à jamais le Tasse lui-même par ses pointes subtiles, ses images éblouissantes, ses développements sans fin et ses hyperboles inouïes. Mais le vieux Malherbe ne fut nullement sensible au génie nouveau, et celui-ci le lui rendit en railleries, l’appelant « homme fort humide et poète fort sec ». Le réformateur « eut plus que les rieurs de son côté : il eut la nation », a dit Nisard ; cela est plus exact de l’opinion de 1650 que de celle de 1615, car « la nation » de 1615 — pour autant qu’on puisse employer ce terme admirait le cavalier Marin presque sans réserve, et se préparait à l’imiter, Malherbe, qui avait admiré et utilise l’Aminte, ne prit rien aux ouvrages de Marino ; et, si ce dernier — comme le prétend un récent critique italien[100] — a fait des emprunts au poète français, la réciproque n’est pas vraie : on chercherait en vain dans les dernières productions de celui-ci la trace des effusions lyriques ou bucoliques de la Lira et de la Sampogna. Tout au plus pourrait-on prétendre que la chanson :

Sus debout la merveille des belles[101]


est dans le genre voluptueux dont l’auteur des Baisers se trouvait être le grand maître à cette date (la chanson parut en effet dans les Délices de la poésie française de 1615[102]) ; mais on en trouve aussi bien les éléments dans le Tasse, on l’a vu plus haut, et elle n’a rien de l’exubérance du poète napolitain. Malherbe et le cavalier Marin diffèrent profondément l’un de l’autre quand ils écrivent sur le même sujet, rien qu’en faisant tous deux, par exemple, l’éloge de la reine ; rien non plus ne prépare moins au ton de l’Ode pour le roi allant châtier les Rochelois que l’éloge de Louis placé au commencement de l’Adonis[103]. Ce n’est pas non plus à la suite du cavalier Marin, ce n’est pas du moins à son imitation que Malherbe « adorait mystiquement la marquise de Rambouillet[104] » : il avait pour cela assez d’autres modèles, et il y avait bien longtemps qu’il avait déjà écrit des vers dans le même goût. L’éclatante folie du poète italien et la réforme, toute de sobriété, de l’auteur français, sont contemporaines ; mais elles sont restées indépendantes l’une de l’autre, et même hostiles. Au chant neuvième[105] de son Adonis (dans la Fontana d’Apollo), Marino fait rivaliser entre eux les cygnes italiens, Pétrarque, Dante, Boccace, le Bembe, Casa, Sannazar, le Tansille, l’Arioste, le Tasse et le Guarini : il y en a là dont Malherbe s’était lassé depuis longtemps, et pour plus d’un il n’aurait peut-être pas témoigné plus de déférence que le hibou qui, dans la fiction de Marino, vient troubler le concert toscan.

Toutefois, s’il a été un moment un trouble-fête dans le monde mariniste de Rambouillet, le réformateur français n’a pas tranché définitivement la question de l’italianisme ; il en voulait aux Italiens, mais il avait commencé par les suivre, autrefois, et il s’en ressentit un peu toute sa vie. Ici comme en d’autres points « son usage n’est pas sa doctrine[106] », et sa doctrine elle-même, malgré qu’il en eût, n’a pas réussi à purger la France de l’italianisme, qui allait reprendre de plus belle : ses leçons devaient porter leurs fruits assez tard, ses ennemis se sont relevés, et c’est contre les modes étrangères et en particulier italiennes que Boileau portera ses coups, enfin décisifs[107]. Malherbe, dans son œuvre, n’est plus un adaptateur et un copiste des Italiens comme du Bellay ou Desportes ; mais déjà Bertaut n’avait-il pas cessé de l’être[108] ? Et dans les poésies laborieuses, « faites par petits morceaux », nous avons retrouvé plus d’une idée et plus d’un trait d’origine italienne.

L’opposition entre la réforme de Malherbe et les modes italiennes et espagnoles, marinisme et gongorisme apparut assez clairement dans la génération suivante si, comme le dit Saint-Évremond, « Malherbe s’est trouvé négligé quelque temps après comme le dernier des poètes, la fantaisie ayant tourné les Français aux énigmes, au burlesque et aux bouts-rimés ![109] ».


Nota. — Je dois remercier ici M. J. Vianey, le savant professeur de Montpellier, qui a bien voulu revoir ce chapitre, et qui ajoute les observations suivantes : « Si Malherbe ne perd jamais l’occasion de reprocher à Desportes ses plagiats quand il les reconnaît il en reconnait excessivement peu. Encore s’est-il trompé deux fois dans ses indications :

1o Édition Lalanne, IV, p. 260. Il signale comme étant de Pétrarque le sonnet LXIII de Diane, liv. I. C’est une erreur. Ce sonnet est de Coppetta, comme l’a noté M. Flamini dans ses Studi :


Amor m’ha posto come scoglio a l’onda…
L’orgoglio onda, martello e’l duro affetto.

Ce vers semble avoir été très connu en Italie. Il figure dans un grand nombre d’anthologies. Malherbe, cependant, ne le connaît pas.

2o Édition Lalanne, IV, 435. Il signale comme étant de Séraphin le sonnet XXII des Diverses amours :

Comme un chien que son maître à longtemps caressé.

Ce sonnet est de Bernardo Tasso :

Come lido animal, ch’al suo signore…

Il figure dans plusieurs anthologies, notamment dans les Fiori de Ruscelli. Cette imitation a été signalée dans les Rencontres des Muses de France et d’Italie de 1604 (opuscule que Malherbe ne semble pas avoir connu).

Il n’y a, à ma connaissance, chez Desportes que deux sonnets traduits du Séraphin :

1o Diane I, LXII :

J’accompare ma dame…

Séraphin, éd. Menghini, sonnet 15 :

Chi el crederia ?…

Malherbe a reconnu que ce sonnet était « pris mot à mot de l’italien » (éd. Lalanne, IV, 261) ; mais il n’a pas nommé Séraphin.

2o Hippolyte, 21 :

Vous me cachez vos yeux…

Séraphin, éd. Menghini, sonnet 14 :

Deh perche son da me toe luci colte. »




  1. MM. M. Pieri (Pétrarque et Ronsard), F. Flamini (Studi di storia letteraria italiana e straniera), J. Vianey (Mathurin Regnier), H. Chamard (Joachim du Bellay), H. Hauvette et d’autres ont montré l’influence italienne chez divers auteurs français du xvie siècle ; et les études comparatives ne cessent d’accroître la liste des emprunts (voir notamment les travaux de M. Vianey dans le Bulletin italien, I, 187, 295, III, 85, dans les Annales internationales d’histoire, 1901, p. 73, dans la Revue d’histoire littéraire de la France, avril-juin 1903 ; de M. Flamini dans la Revue de la Renaissance, I, 43, dans les Atti del congresso internazionale di scienze storiche, Roma, aprile 1903, vol. IV, Rome 1904, p. 161, etc., etc.). Ce serait aujourd’hui une vaste entreprise que de refaire le livre de Rathery, De l’influence de l’Italie sur les lettres françaises depuis le xiiie siècle jusqu’à Louis XIV (Paris, Didot, 1853) ou de E. Arnould, De l’influence exercée par la littérature italienne sur la littérature française (Essais de théorie et d’histoire littéraire, Paris, Durand, 1858, p. 331 et sv.). M. Vianey, tout récemment, a dit toutes les restrictions qu’il y avait à faire à l’histoire du pétrarquisme telle qu’elle a été exposée jusqu’ici (Revue d’histoire littéraire de la France, 1904, p. 156).
  2. Voyez, entre autres, F. Flamini, Studi di storia letteraria italiana e straniera, Livourne, 1895.
  3. Cette traduction a été étudiée tout récemment par Ettore Bini, Di un poemetto giovanile di François de Malherbe (Pise, Mariotti 1903, 15 pages).
  4. Allais, Malherbe et la poésie française, p. 115 et sv.
  5. Exactement 21 (le poème de Malherbe comprend 66 stances de 6 vers).
  6. Vers 331. F. Wey (Histoire des révolutions du langage en France, 1818, p. 479 suiv.) a longuement parlé de la langue de Malherbe dans cette œuvre.
  7. Vers 52-54. Ce jargon, général du XVIe au XVIIIe siècle, se retrouve même dans Polyeucte (I, I) :

    Fuyez un ennemi qui sait votre défaut,
    Qui le trouve aisément, qui blesse par la vue,
    Et dont le coup mortel vous plait quand il vous tue.

  8. Là où le Tansille disait :

    Senza saper come
    Si pugna, eterne palme havran di guerra,


    Malherbe traduit :

    Leur salaire payé les services précède
    Premier que d’avoir mal ils trouvent le remède
    Et devant le combat ont des palmes au front (v. 232-4).

  9. Vers 199-204. Ronsard (t. IV, p. 21) dit au roi mort : « Où tu es, le printemps ne perd point sa verdure ». Dante avait appelé le paradis (et le Tasse l’âge d’or, Aminte, I, chœur) primavera eterna, et l’âme des bienheureux rosa sempiterna, che si dilata, rigrada… (Paradis, XXX, v. 126 et 127) : c’est l’idée que Montchrestien développe en ces vers dont j’ai cité les deux premiers. Quant à l’image employée par le Tansille, Prudence avait déjà commencé son Hymne des Innocents par des vers (Salvete flores Martyrum…) dont voici une traduction d’Antoni Deschamps (Élégies, LXXVII, éd. 1837, p. 333) :

    Salut, enfants martyrs, sur le seuil de la vie
    Tombés dans les douleurs,
    Que le fer moissonna, comme un vent en furie
    Abat de jeunes fleurs.

  10. L’Écossaise, tragédie, acte V.
  11. Larmes, v. 247.
  12. Poésies de Malherbe avec Commentaire de Chénier, p. 15. Cette image de la vie comparée au jour revient plusieurs fois dans les Larmes : v. 156, 189, 215.
  13. Ronsard, t. IV, p. 20 (éd. Blanchemain).
  14. Desportes, p. 321.
  15. Ces fameux vers, À une dame, sont bien connus et ont été souvent cités et expliqués. Voy. du Bellay, éd. Marty-Laveaux, t. II, p. 336, Chamard, Joachim du Bellay, p. 186, et n. 6, Faguet (Revue des Cours et Conférences, 1893-94).
  16. A. de Musset, Le fils du Titien (Poésies nouvelles).
  17. Sonnet pour mettre devant un Pétrarque (Diverses Amours, Desportes, p. 427). — Cf. Brunetière, Histoire de la littérature française classique, I, p. 11.
  18. Malh., III, 12.
  19. III, 285.
  20. IV, 56.
  21. IV, 312.
  22. IV, 260.
  23. IV, 308.
  24. IV, 470.
  25. IV, 377.
  26. Malh., IV, 328.
  27. IV, 321.
  28. IV, 435 et n. 1. Malherbe se trompe, ce sonnet n’est pas du Séraphin ; ce dernier auteur, du reste, avait eu en France une certaine influence (voyez Vianey, L’influence italienne chez les précurseurs de la Pléade, dans le Bulletin italien, Bordeaux 1903, t. III, pp. 85-117).
  29. IV, 270, 429.
  30. Racan, l. c., p. LXX. Voy. au chapitre des Grecs.
  31. Voy. Racan, ibid., p. lxxxvi-lxxxviii.
  32. Malh., I, 158 ; cf. Pétrarque (Sonnet CIX, v. 4) :

    Che sol se stessa, e nulla altra simiglia.

  33. Malh., I, 155.
  34. La Fontaine, Fables, l. VII, f. 21.
  35. Boileau, Art Poétique, II.
  36. Cf. Vianey, dans la Revue d’histoire littéraire de la France, 1904, p. 157.
  37. Sur ce lyrisme, cf. entre autres Fr. De Sanctis, Storia della letteratura italiana, 7e éd., t. II, p. 191.
  38. Voy. entre autres Souriau, o. c., et les Historiettes de Tallemant des Réaux, 3e éd., I, p. 301.
  39. Cf. Zyromski, Lamartine poète lyrique, qui donne l’adaptation de Lamartine en regard du texte italien (pp. 114 et 115).
  40. Malh., I, 21. Dans l’Olive de du Bellay (sonnet 195), la Loire se grossit aussi des ruisseaux de larmes du poète (cf. Chamard, Joachim du Bellay, p. 187).
  41. La femme est une mer aux naufrages fatale…
    Ses flammes d’aujourd’hui seront glaces demain.

    Malh., I, 61
  42. Malh., I, 54. Cf. Grente, Jean Bertaut, p. 110, n. 1 et 2.
  43. Ce terme de « souci » se retrouva jusque chez V. Hugo : dans les Burgraves Guanhumara dit à Otbert : « Régina, ton souci ».
  44. Malh., I, 175.
  45. Malh., I, 236.
  46. Malh., I, 247.
  47. I, 123.
  48. I, 295.
  49. Ce procédé se trouve chez la plupart des poètes italiens, et notamment, chez l’Arioste, dans la strophe qui précède la fameuse comparaison de la jeune fille à la rose (Orlando furioso, I, st. 41), dont Malherbe se ressent peut-être dans les stances : Complices de ma servitude. Pour Corneille (cf. Marty-Laveaux, Études de langue française, pp. 132 et 133) il suffit de rappeler la tirade d’Émilie dans Cinna :

    Impatients désirs d’une illustre vengeance…

  50. Malh., I, 153. Les rochers sensibles aux peines des hommes étaient d’ailleurs répandus chez tous les poètes, et notamment dans l’Arioste, Orlando furioso, I, str. 40, que Malherbe avait certainement lue, et dont il s’est peut-être souvenu.
  51. Ses larmes, ce sont les larmes d’Alcandre ; ce vers était d’abord :

    Les astres se cachèrent
    Et la rive du fleuve où ses pieds la touchèrent…

    (Malh., I, 161 et var.).

    Les mêmes fictions se trouvent chez Desportes (v. plus bas).

  52. C’est ce que M. Vianey a rappelé dernièrement aux historiens du pétrarquisme, dans l’important article qu’il a consacré au Bertaut de M. Grente (Revue d’histoire littéraire de la France, 1901, pp. 156-163). Malherbe appartient à la période d’influence du Tasse, dont M. Vianey signale très ingénieusement les débuts chez Bertaut. Ce n’est pas à dire qu’il ait tout à fait « désappris l’art de pétrarquiser », et il importa de remarquer que c’est surtout du Pétrarque que Malherbe retrouve et réprouve chez Desportes.
  53. Voyez Rigal, Alexandre Hardy, p. 505.
  54. Giosuè Carducci, Su l’Aminta di T. Tasso (Florence 1896).
  55. Berquin, Idylles, Préface de la 3e éd. (1775). Berquin vante aussi « la délicieuse aménité » du Tasse.
  56. Ces vers que Ménage applique à Madame de Rambouillet, sont ceux dans lesquels Pétrarque désigne Varron (Trionfo della fama, c. III, v. 39).
  57. Mescolanze d’Egidio Menagio, cité par Rathery, Influence de l’Italie, p. 117. V. aussi Tallemant des Réaux, Historiettes (3e éd., de Monmerqué et P. Paris), t. I, p. 276. Les éditions de l’Aminte suffisent à donner une idée de la vogue de cet ouvrage en France au commencement du XVIIe siècle : p. ex. Le Tasse, Aminte, fable bocagère, imprimée en deux langues pour ceux qui désirent avoir l’intelligence de l’une d’icelles, par Guillaume Belliard. In-12, Paris, Abel l’Angelier, 1596, puis à Rouen, Claude Le Villain en 1598, 1603 et 1609 ; voyez Arnould, Racan, p. 194, n. 2, 197, et Anecdotes, 5 ; Martinenche, La Comedia espagnole en France, p. 153 ; J. Blanc, Bibliographie italico-française (2 vol., Paris, Welter 1886).
  58. Voy. par exemple combien de mots grecs se trouvent dans le passage où Lucrèce parle des amants (De Natura rerum, IV, 1129-1145).
  59. Montaigne. Essais. I, 2 (éd. Le Clerc, t. I, p. 15). Pétrarque, I, Sonnet 188.
  60. Petit de Julleville, dans l’Histoire de la langue et de la littérature française publiée sous sa direction (t. IV, p. 18) y admire « un sentiment très simple et tout naïf ».
  61. Cf. Aminta, acte I, scène II, v. 64 :

    Essendo io fanciulletto, sicche appena
    Giunger potea colla man pargoletta
    A corre i frutti dai piegati rami
    Degli arboscelli, intrinseco divenni
    Della piu vaga e cara verginella
    Che mai spiegasse al vento chioma d’oro

    Le même détail était du reste dans Virgile (Églogue VIII, 39, vers que citait volontiers Montaigne, Essais, I, 96) : voy. Arnould, Racan, p. 267. — Le nom de Tirsis de la Retraite se trouve aussi dans l’Aminte.

  62. Dura condizione degli amanti !

    Aminta, acte V, v. 23.
  63. Le belle guance tenere d’Aminta
    Iscolorite in si leggiadri modi,
    Che viola non e che impallidisca
    Si dolcemente.
    (Ibid., V).

  64. e dell’amor il dolce or gusta,
    A cui gli affanni scorsi ed i perigli
    Fanco suave e caro condimento
    (Ibid.).

  65. Malh., I, 21 ; cf. Aminta, acte III, chœur final :

    E cercando l’amor, si trova spesso
    Gloria immortale appresso.

  66. Malh., I, 232, et aussi : « Mopse, entre les devins… Cf. « il saggio Mopso… » dans l’Aminte, I, II.
  67. Aminta, I, chœur final.
  68. Pastor Fido, IV, chœur.
  69. Aminta, acte IV, sc. I.
  70. Malh., I, 227.
  71. L’Italia, tradotto… (1778), cité par d’Ancona en Appendice du Journal du voyage de Montaigne en Italie, p. 633 et 634.
  72. Ronsard, t. I, p. 40 : « Ô moi deux fois, voire trois, bienheureux ». — Du Bellay, Regrets, Sonnet CVI : « Ô trois et quatre fois malheureuse la terre ». — T. Tasso, Aminta, III, I : « O tre fiate et quattro ingratissimo sesso ». — Malherbe dit dans les Larmes de Saint-Pierre (I, p. 13, v. 241) : « Et vous, femmes, trois fois, quatre fois bienheureuses ».
  73. Una salus victis, nullam sperare salutem. Virg., Énéide, III, 354.
  74. Aminta, acte III, scène II.
  75. Malh., I, 302. De même que Corneille dit dans le Cid :

    Ma plus douce espérance est de perdre l’espoir. (I, sc. 2).

  76. Aminta, acte III. scène I.
  77. Malh., I, 254.
  78. Et tous ces lieux communs de morale lubrique
    Que Lulli réchauffa des sons de sa musique,

    dira Boileau (Satire X) : les thèmes favoris de la poésie italienne devaient, en effet, finir en musique après avoir envahi la poésie.

  79. Voyez Pietro Toldo, La poésie burlesque de la Renaissance (Zeitschrift für romanische Philologie, 1901). — Le même thème est encore dans un rondeau de La Fontaine :

    Qu’un vain scrupule à ma flamme s’oppose
    ....................
    Ce point d’honneur, ma foi, n’est autre chose
    Qu’un vain scrupule.


  80. T. Tasso, Aminta, acte I, chœur. Le « nome senza soggetto » vient, comme on sait, de Pétrarque (Italia mia…, 75-76), où il a d’ailleurs une tout autre application qu’ici.
  81. Malh., I, 227. Voyez à ce sujet, et notamment sur l’adaptation de Rayssiguier, Martinenche, La comedia espagnole en France, p. 153; sur Malherbe, l’article de Rigal dans la Zeitschrift für französische Sprache und Litteratur, XVI, p. 37.
  82. Régnier, Satire III, v. 147 et 148.
  83. Malherbe, comme on l’a vu plus haut, connaissait assez Bembo pour relever dans Desportes « trois stances qui sont une pure pédanterie prise du Bembo », ou un vers « pris du Bembo, où il vaut aussi peu qu’ici » ; voici le passage Delle Rime di P. Bembo, terza impressione, p. 142 (Malh., I, 30) :

    Il pregio d’honestate amato e colto
    Da quelle antiche poste in prosa e’n rima
    Et le voci che’l vulgo errante e stolto
    Di peccato e disnor si gravi estima…
    Son fole di romanzi, e sogno ed ombra
    Che l’alme simplicette preme, e ’ngombra.

  84. Malh., I, 29-30 et variante.
  85. Ronsard, t. I, p. 400.
  86. Malh., I, 29. Cf. :

    Ah ! non si fidi alcun, perche sereno
    Volto l’inviti el’ sentier piano mostri,
    Nel pelato d’amor spiegar le vele.
    Cosí l’infido mar placido il seno
    Scopre, e i nocchieri alleta, e poi crudele
    Gli affonda e perde tra i scogli e i mostri.

    (T. Tasso, Rime diverse, I, Sonnet : I’ vidi un tempo).

    La strophe de Malherbe n’a été ajoutée que dans la deuxième édition de la pièce (en 1627) ; elle a donc été composée dans le temps où Malherbe fréquente l’hôtel de Rambouillet et où il admire si fort le Tasse.

  87. Remy Belleau, t. II, p. 192.
  88. Régnier, Épître II, v. 96 ; cf. aussi Satire XVI (ou Épître II) À Fourquevaux, v. 54 et 55.
  89. Voiture, Élégie II, v. 7 et 8.
  90. La Fontaine, Élégie III (éd. des grands écrivains, t. VIII, p. 363). De même Brantôme, t. X, p. 425, 427. Cf. encore Corneille, Le Cid, II, iii :

    Chimène. — Mon cœur outré d’ennuis n’ose rien espérer.
    Chimène. — Un orage si prompt, qui trouble une bonace,
    Chimène. — D’un naufrage certain nous porte la menace :
    Chimène. — Je n’en saurois douter, je péris dans le port.

  91. Par exemple : « l’homme cesse d’être homme » (variante de la consolation à Du Périer), et les vers des mêmes stances :

    Aime une ombre comme ombre, et des cendres éteintes
    Éteins le souvenir.

    C’était déjà, du reste, un procédé de Marot et de Ronsard (Revue d’histoire littéraire de la France, 1902, p. 218).

    Malherbe a de même le goût des antithèses : Une fidèle preuve à l’infidélité (Larmes, str. 1), comme aussi Montchrestien (Tragédies, éd. elzév., p. 89) : Fidèle exécuteur d’une infidélité, et comme encore Corneille : Rends un sang infidèle à l’infidélité (Cinna, IV, II) et même Molière (Misanthrope, III, VII). Cf. encore : Tout ce qui plaît déplaît à son triste penser (Malh., I, 59) et le mot souvent cité de du Bellay : « Rien ne me plaît que ce qui peut déplaire — au jugement du rude populaire ».

    Edmond Arnould, De l’influence exercée par la littérature italienne, dans Essais de théorie et d’histoire littéraire, Paris, A. Durand, 1858, p. 416-417) disait : « Malherbe, tout en faisant des odes, est bien plus rapproché, par certains côtés, des Italiens que des Grecs, et même des Latins, bien que, par certains antres, il incline de préférence vers ces derniers. Cette régularité harmonieuse qu’il introduit dans notre phrase poétique, ce n’est certes pas à Pindare qu’il la doit ; il l’a reçue en germe de l’école du XVIe siècle et en a fait la loi sévère de notre poésie classique… On reconnaît l’influence de l’Italie à l’emploi fréquent de ces concetti dont Malherbe lui-même ne s’abstient pas toujours ».

  92. Non si fa l’inganno a cui l’inganno è caro (Pastor Fido, IV, v), et tous les vers qui suivent sont dans le même goût.
  93. Malherbe avait écrit d’abord ces vers qui paraphrasent la seconde partie du passage du Guarini :

    Mais, lorsque la blessure est en lieu si sensible,
    Il faut que de tout point
    L’homme cesse d’être homme et n’ait rien de possible
    S’il ne s’en émeut point.

    Malherbe aime ces formules de désespoir (I, p. 159, v. 16-18), qui remontent au moins à Virgile (Énéide, II, v. 6-8).

  94. Guarini, Pastor Fido, IV, v. Le sort d’Amaryllis, dans la même scène, fait songer à celui de la fille de du Périer :

    Cosi le nozze fai
    Della tua cara figlia ?
    Sposa il mattino, e vittima la sera.

  95. Dans le madrigal du Guarini déjà cité par Ménage (p. 561), Lycoris donnant une rose à Battus est si charmante

    Che parea rosa che donasse rosa,


    et le berger souhaite « d’aver la rosa donatrice in dono ». Il est fort possible que Malherbe, à propos de la fille de Du Périer, ait songé au vers du Pastor Fido que Mme de Staël (Corinne, XX, 2) montre écrit au bas du portrait de son héroïne :

    A pena si puo dir : questa fu rosa.

  96. Nous n’étudions pas ici la métrique de Malherbe ; mais nous remarquerons au moins que l’influence italienne en cette matière, devinée jadis par E. Arnould, peut fort bien s’être exercée sur l’ennemi du cavalier Marin lui-même ; M. Vianey (Revue d’histoire littéraire de la France, 1904, p. 159) montre ingénieusement le parallélisme de la métrique italienne et de la française à cette époque.
  97. Malh., III, 247 et suiv.
  98. Malh., III, 337 (lettre du 17 septembre 1613). Voyez Rigal, Alexandre Hardy, p. 108 et suiv.
  99. Voyez de Puibusque, Histoire comparée des littératures espagnole et française, t. II, p. 37 ; Demogeot, Tableau de la littérature française au XVIIe siècle avant Corneille et Descartes, p. 213 ; Arnould, Racan, p. 220 ; Fr. De Sanctis, Storia della letteratura italiana (7e éd.) II, p. 220 ; A. Belloni, Il Seicento (Storia letteraria d’Italia, Milano, Vallardi), p. 70. — On verra quelle attention ou accordait encore à Marine à la fin du XVIIe siècle en lisant l’article qui lui est consacré dans les Jugements des savants de Baillet (no 1404).
  100. Antonio Belloni, Il Seicento, p. 72.
  101. Malh., I, 226 et 227.
  102. Ce n’est que depuis Lelebvre de Saint-Marc qu’on réunit cette pièce aux œuvres de Malherbe.
  103. L’Adone, poema del cavalier Marino, La Furtuna, canto primo, str. 5 et suiv.
  104. C’est ce que semble dire de Puibusque, dans l’ouvrage cité.
  105. L’Adone, canto nono, str. 177 et suiv.
  106. Brunot, La doctrine de Malherbe, p. ix.
  107. Brunetière, Évolution des genres, 3e leçon.
  108. Cf. Vianey, article cité de la Revue d’histoire littéraire.
  109. Œuvres de Saint-Évremond, t. V, p. 18. Cf. Jacques Demogeot, Tableau de la littérature française au XVIIe siècle avant Corneille et Descartes (Paris, Hachette, 1859), 2e partie, chap. I.