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Malte-Brun - la France illustrée/0/5/2/3/8

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Jules Rouff (1p. xlvi-xlvii).
RUINE DE LA FÉODALITÉ. LOUIS XI.

Après un siècle d’interruption, la royauté reprit son œuvre d’utile destruction. Le sol de la France, délivré de l’étranger, était encore encombré de l’échafaudage féodal. Les puissantes maisons de Bourgogne, de Bretagne, d’Orléans, d’Anjou, de Bourbon, n’aspiraient qu’à démembrer le pays en cinq ou six royaumes. « J’aime tant le royaume de France, disait Charles le Téméraire, qu’au lieu d’un roi je voudrais en voir six. » Charles VII commença, à la fin de son règne, à restaurer la monarchie. Il envoya les bandes des écorcheurs, restes impurs de la guerre de Cent ans, se faire tuer par les Suisses (bataille de Saint-Jacques, 1444). Aux armées irrégulières, mercenaires ou féodales, il substitua une armée permanente, nationale, sous le nom de compagnies d’ordonnance et de francs archers ; il consacra l’indépendance de l’Église gallicane par sa pragmatique sanction ; il établit les parlements de Toulouse et de Grenoble ; il réforma les finances, n’hésitant pas pour exécuter ces réformes à appeler dans ses conseils des roturiers comme Jacques Cœur, Jean Bureau, etc. Agnès Sorel, qui, dit-on, releva le courage du roi, était roturière aussi. Les nobles se soulevèrent et furent rigoureusement punis, soit de leur révolte, soit des crimes privés dont ils se souillaient chaque jour.

Mais le plus terrible ennemi, le plus impitoyable destructeur de la féodalité, fut Louis XI. Les nobles croyaient comme Dunois le moment favorable pour eux à son avènement. « Que chacun songe à se pourvoir, » disait-il. Ils avaient jugé superficiellement le nouveau roi. Louis XI montra, en effet, au début une activité un peu brouillonne et imprudente ; les nobles formèrent pour leur bien particulier la soi-disant ligue du Bien Public. Il fallut leur livrer bataille à Montlhéry et signer les traités fâcheux de Conflans et de Saint-Maur (1465). Louis XI, qui usait de la perfidie comme d’une arme légitime en politique, reprit en détail les concessions qu’il avait faites. Nouvelle coalition. Il crut en venir à bout tout de suite en séduisant par l’habileté de sa parole le chef de la coalition, le duc de Bourgogne, Charles le Téméraire. Mais celui-ci, apprenant qu’à ce moment même le roi poussait à la révolte ses sujets de Liège, entra en fureur et le retint prisonnier à Péronne (1468). Louis XI ne sortit de ce grand danger que par un nouveau traité désastreux. Ce fut sa dernière faute, et depuis ce moment on ne voit en lui que le plus actif et le plus rusé politique qui ait jamais été.

Il fit annuler le traité de Péronne par une assemblée de notables. Il se débarrassa, dit-on, de son frère, le duc de Guyenne, qui conspirait avec les ennemis de la royauté. Il contraignit à la paix par la force des armes le duc de Bretagne, tandis que Charles le Téméraire échouait devant Beauvais (1472) ; il éloigna avec de l’argent le roi d’Angleterre, Édouard IV, que le Bourguignon avait appelé en France. Enfin, il obligea son terrible ennemi à tourner sur un autre sa fougue malheureuse, en suscitant contre lui les Suisses, l’empereur d’Allemagne, le duc de Lorraine. On ne peut se défendre de quelque pitié pour le triste Charles, lorsqu’on le voit enveloppé dans les filets que la puissante habileté de son adversaire lui a tendus de tous côtés : plein d’une fureur aveugle, comme un lion pris au piège, il fait la guerre partout sur le Rhin, tandis que Louis en repos le regarde et jouit de son œuvre. Il échoue à Neuss ; il se brise à Morat et à Granson contre les hallebardes des Suisses ; enfin, il se fait tuer sous les murs de Nancy (1477). Louis XI ne se sent pas de joie. Voilà la grande puissance féodale abattue, la Bourgogne et la Franche-Comté sont réunies au domaine. Déjà les maisons d’Alençon, d’Armagnac, de Saint-Pol, étaient tombées sous ses coups. Un testament dicté à René d’Anjou acquit à la couronne la Provence, le Maine et l’Anjou. Le Roussillon et la Cerdagne avaient été achetés au roi d’Aragon. Il ne restait plus de grands fiefs que la Bretagne et le Bourbonnais. Au milieu de cette lutte si active, Louis XI avait trouvé le temps d’encourager le commerce, l’industrie, l’imprimerie, les lettres. Roi savant et instruit comme Charles V, il se servit des roturiers pour détruire la noblesse.