Malte-Brun - la France illustrée/0/6/6

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Jules Rouff (1p. lxxxiv-lxxxv).

Languedoc. — « C’est une bien vieille terre que ce Languedoc. Vous y trouverez partout les ruines sous les ruines, les Camisards sur les Albigeois, les Sarrasins sur les Goths ; sous ceux-ci, les Romains, les Ibères. Les murs de Narbonne sont bâtis de tombeaux, de statues, d’inscriptions. L’amphithéâtre de Nîmes est percé d’embrasures gothiques, couronnées de créneaux sarrasins, noircis par les flammes de Charles-Martel. Mais ce sont encore les plus vieux qui ont le plus laissé ; les Romains ont enfoncé la plus profonde trace leur Maison-Carrée, leur triple pont du Gard, leur énorme canal de Narbonne, qui recevait les plus grands vaisseaux. » Tel est, en quelques mots, suivant Michelet, le portrait du vieux Languedoc. Grâce à ces vieilles habitudes de liberté municipale, cette province a longtemps échappé à la féodalité. Ce n’est qu’à la suite des guerres des Albigeois, à la faveur de la religion, qu’elle put s’y introduire avec Simon de Montfort. Amoureux de liberté politique et soumis au clergé, plus fanatique cependant que dévot, ce pays a toujours été un foyer d’opposition. Le catholicisme même s’y est transformé en jansénisme, et plus d’une hérésie s’y est produite depuis Félix d’Urgel et Vigilance jusqu’aux Albigeois. C’est là qu’est né Bayle, le sceptique par excellence, qui douta de tout, et fit de son doute une doctrine, une croyance.

C’est un fort et dur génie que celui du Languedoc. Là, les convictions sont violentes, l’incrédulité intolérante, et par là il se distingue profondément de la légèreté spirituelle de la Guyenne et de la pétulance emportée de la Provence. Le trait commun cependant, cette vive et poétique imagination du Midi, se retrouve dans ses poètes.

C’est à lui que nous devons, dans les premiers siècles de notre littérature, Périgon, Raymond du Bousquet, Clémence Isaure, qui fonda ou du moins rétablit à Toulouse les Jeux floraux.

Dans les temps plus modernes, il a produit La Fare, le cardinal de Bernis, qui eut plus de succès dans la littérature que dans le ministère ; Pibrac, dont les quatrains ont été traduits même en grec ; les Chénier, tous deux également célèbres, mais à des titres différents : l’un, André, le poète de la Jeune Captive, qui renouvela parmi nous l’entreprise de Ronsard, mais avec plus de goût et de jugement ; qui, nourri du génie grec, voulut l’introduire dans la poésie française, et dont les œuvres marquèrent une ère de rénovation du génie poétique de la France : l’autre, Marie-Joseph, l’auteur de Charles IX et du Chant du départ, moins original peut-être, mais plus véhément, plus emporté, satirique mordant, fit des tragédies politiques, souvent étincelantes de verve et d’énergie, et qui, bien que jetées dans le moule des tragédies de l’époque, s’en distinguent par le mouvement et la vigueur des pensées.

Nous devons citer encore Campistron, l’élève et l’imitateur de Racine, bien inférieur à son modèle, mais non pas sans mérite ; Fabre d’Églantine, l’auteur du Philinte de Molière, génie incomplet, mais à qui on ne peut refuser la vivacité et l’énergie ; Florian, l’aimable auteur d’Estelle et Némorin et le plus digne successeur de La Fontaine comme fabuliste, si La Fontaine pouvait avoir des successeurs ; Brueys et Palaprat, qui remirent au théâtre la vieille farce de Patelin et que la postérité a laissés unis comme ils l’avaient été dans leur vie ; Roucher, le poète des Mois et le compagnon d’André Chénier sur l’échafaud ; Baour-Lormian, le poétique traducteur d’Ossian et le premier, parmi les pseudo-classiques, qui tira le canon d’alarme contre l’école romantique ; Viennet, homme politique et poète, à la verve si mordante et si libre ; Alexandre Soumet, à qui son élégie de la Pauvre Fille suffirait pour assurer sa part de célébrité ; Guiraud, l’auteur des Élégies savoyardes, et enfin Victorin et Auguste Fabre, tous deux poètes et prosateurs distingués.

Parmi les prosateurs, nous trouvons Rapin-Thoyras, neveu de Pellisson, auteur d’une Histoire d’Angleterre encore estimée ; Cujas, une des lumières de la jurisprudence ; Rivarol, le caustique et spirituel écrivain ; Ricard, le savant traducteur de Plutarque ; Court de Gébelin, dont l’érudition embrassa tous les sujets et qui voulut apprendre l’esprit humain l’histoire de ses premiers développements ; Las Cases, à qui nous devons l’histoire des pensées de Napoléon Ier ; Daru, poète et historien, et enfin Frédéric Soulié, dont la sombre imagination nous a retracé avec tant de vérité, dans ses romans, les principales scènes de la terrible histoire de son pays.

L’éloquence a eu, là aussi, ses représentants : Pellisson, le noble et courageux défenseur de Fouquet disgracié ; l’éloquent Bridaine ; Cazalès, l’ardent défenseur de la royauté à l’Assemblée constituante ; Lakanal, l’organisateur de l’instruction publique sous la Convention ; Guizot, un des hommes d’État de la monarchie de 1830, en même temps que l’un de nos plus éminents historiens, dans un siècle qui en a tant produit.