Manuel-Roret du relieur/II-IX

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CHAPITRE IX

Renseignements divers.


reliure des grands journaux.

La reliure des grands journaux est une opération trés coûteuse et surtout assez difficile, quand on l’exécute par les procédés ordinaires, c’est-à-dire au moyen de la couture. Pour la rendre plus simple et plus économique, on ne coud pas les feuilles entre elles et l’on s’y prend de la manière suivante :

Aussitôt après l’assemblage, on fixe solidement le volume dans la presse à rogner en ayant soin de laisser dépasser le dos d’une quantité égale à la largeur des marges intérieures, ou un peu moins. Cela fait, avec une scie quelconque, on pratique dans la partie du dos qui est en saillie, un certain nombre de fentes obliques, puis on glisse dans chacune de ces fentes, un ruban de fil préalablement enduit de colle forte et dont on laisse dépasser les bouts d’environ quatre on cinq centimètres. Il ne reste plus alors qu’à passer une couche ou deux de la même colle sur toute la longueur du dos, et l’on termine comme à l’ordinaire, les rubans jouant le rôle de nerfs pour fixer les cartons de la couverture.


reliure de quelques gros livres


Les gros volumes d’église qu’on place sur les lutrins, pour servir aux choristes à chanter l’office, et les grands registres de bureaux, présentent quelques différences dans la reliure. Nous devons les faire connaître, afin de ne rien négliger de ce qui peut compléter cet ouvrage. En 1820, Naissant s’était fait une juste réputation pour la reliure de ces gros livres.

On doit observer que, comme ces volumes sont extrêmement grands et très-lourds, on est obligé, pour les rendre solides, de faire une couture très-soignée. En outre, comme ils ont besoin de s’ouvrir parfaitement, il faut les faire à dos brisé, et par la même raison, les coudre à la grecque. Toutefois, comme cette couture n’offre pas toute la solidité qu’ils exigent, il vaut mieux les coudre sur de forts lacets de soie, ou au moins sur de forts lacets étroits de fil. On ne devrait pas regarder à une légère dépense de plus pour employer le lacet de soie : le volume en serait incomparablement plus solide.

On met à ces gros livres, à l’imitation des relieurs anglais, des nerfs d’environ 1 centimètre de largeur, et deux ou trois fois plus épais que les nerfs ordinaires. Les nerfs se décollent facilement lorsqu’un arrondit le faux dos, à moins qu’on n’ait la précaution de placer celui-ci sur le livre, de l’y fixer entre les nervures, et d’y coller les nerfs. Alors les faux-dos et les faux-nerfs prennent justement la forme du dos, et ne courent pas le risque de se décoller en ouvrant.

On ne saurait apporter trop de solidité à de pareils livres ; aussi convient-il d’imiter à leur égard les procédés des anciens relieurs, qui garnissaient le dos de chaque cahier d’une bande de parchemin, afin que le grattoir et le frottoir n’altérassent pas le papier. Grollier faisait même rouler du parchemin sur la corde dont il se servait comme d’un nerf. Cette corde excédait la largeur de la tranchefile de 3 centimètres par chaque bout, et ce bout de corde, appointé comme un nerf, était collé sur le carton en dedans. Cela serait très-bon pour les gros livres.

On couvre les antiphonaires en entier avec du bon veau noir, et les registres de bureau avec du mouton vert chamoisé, le côté de la chair en dehors. Quelquefois le dos seulement de ces derniers est en parchemin vert, mais le plus souvent on les couvre en entier avec de la peau chamoisée.

Nous avons fait observer qu’après la rognure, et au moment de coller la peau sur le dos, on met une carte, qui est collée sur le dos, mais n’est point collée sur le volume, ce qui permet à celui-ci de se détacher du dos pour s’ouvrir parfaitement. Le procédé est ici le même ; la seule différence consiste à substituer à la carte une tôle battue, à laquelle on a donné auparavant la forme du dos et l’on en couvre cette tôle de peau ou de parchemin. Pour les registres de buraux, on emploie une feuille de laiton ayant également la forme du dos, mais qu’on laisse à découvert. Inutile d’ajouter qu’avant de placer la feuille métallique, il faut coller solidement sur le dos du volume une forte toile.

On fait la coiffe en tête et en queue en cuivre jaune ou laiton, qu’on attache sur la tôle, après qu’elle est couverte en peau ou en parchemin, avec des petits clous du même métal, dont la tête est en dehors, que l’on rive par derrière.

Autrefois on faisait les couvertures en bois, mais il y a longtemps qu’on a abandonné cette méthode, parce que les vers s’y mettaient, et les feuillets du volume étaient souvent rongés. Aujourd’hui on emploie le carton battu et laminé, dont on colle plusieurs épaisseurs l’une sur l’autre, jusqu’à ce qu’on lui ait donné une consistance suffisante.

On arme tous les angles de coins en cuivre jaune ou laiton. De plus, lorsqu’on veut donner encore plus de solidité à la couverture, on en enchâsse les bords, tout autour, dans de doubles bandes du même métal, ce qui forme un cadre métallique parfait. Ces bandes se placent d’abord et se fixent avec des clous aussi de cuivre. Les coins se posent après et couvrent les bouts des bandes ; ils sont également assujettis avec des clous semblables, dont les têtes sont toujours en dehors et à rivures en dedans. On met encore sur les plats de la couverture, à égale distance des coins, ce qui forme un carré long, quatre plaques carrées qui sont emboîtées dans le milieu, et présentent une bosse demi-sphérique de 3 cent. de diamètre. Ces plaques qui s’appellent bosses, se fixent sur les plats comme les coins, par des clous dont la rivure est en dessous. C’est sur ces bosses que les gros livres d’église reposent et frottent sur le lutrin ; de sorte que la couverture est garantie par elles. Elles servent aussi a arrêter les bandes de cuir garnies de laiton au moyen desquelles on tient le livre fermé, lorsqu’il ne sert pas.

Les registres de bureaux n’ont jamais de bosses et assez rarement des bandes sur les bords des cartons ; mais ils ont des coins en laiton. Ces garnitures sont unies et sont fixées aux couvertures de la même manière que ci-dessus.

L’on voit que, par cette construction, la tranchefile est inutile, aussi l’a-t-on supprimée ; cependant pour ne rien laisser à désirer, nous allons indiquer les procédés qu’on employait autrefois pour garantir les dos de ces livres.

La tranchefilure des antiphonaires ne ressemble nullement à celle que nous avons décrite ; elle se divise en simple et en double. On se sert de lanières de peau passée en mégie, qu’on coupe, autant qu’il se peut, assez longues pour pouvoir tranchefiler avec une seule lanière sans être obligé d’en ajouter ; on enfile cette lanière a dans une aiguille b, fig. 64 ; on place le volume dans la presse à tranche filer qu’on pose devant soi, la gouttière tournée de ce côté. On perce, avec un fort poinçon, le dos de dedans en dehors, et le plus près qu’on peut du mors ; on retire le poinçon, et dans ce même trou on substitue l’aiguille, qu’on fait sortir au point c ; on laisse pendre un haut de la lanière en dedans ; on pique, avec le poinçon, un second trou à côté du premier en d, on ramène la lanière, de c en f, en lui faisant couvrir le bout qu’on a laissé pendre, et qu’on a rabattu sur le dos en dehors ; on fait entrer son aiguille dans un second trou d, en la faisant sortir de dedans en dehors au point d ; on croise l’aiguille sous la première passe c, comme on le voit en b, pour lui faire former le nœud ou chaînette c ; on ramène la lanière de d en h, pour la faire sortir par le point i ; on forme un nouveau nœud ou chaînette, et ainsi jusqu’à ce qu’on soit arrivé à l’autre mors du livre. Alors on fait entrer le bout de la lanière en dedans, et on l’y colle contre le carton. On recouvre les nœuds ou chaînettes, du bout de la lanière qui sort par un mors, embrasse le livre dans l’épaisseur du dos, et est collé en dedans du carton à l’autre mors.

Toute la différence de la tranchefilure double, consiste dans la seconde chaînette, qui se fait de même que la précédente, mais qui est placée de manière qu’elle touche la tranche des feuillets.

Cette construction n’a plus lieu aujourd’hui, parce qu’on les relie à la grecque ; elle serait utile seulement pour soutenir la tête et la queue du volume, et garantir les ornements du dos, qui s’useraient bien vite par le frottement. Depuis qu’on a imaginé de se servir des bosses, elles soutiennent suffisamment le dos en l’air pour qu’on n’ait pas besoin de ces sortes de tranchefiles, qui, quoi qu’en aient dit les anciens, et quoi qu’en disent quelques modernes, déparaient plutôt le volume qu’elles ne l’ornaient. Ces ornements étaient placés après que la reliure était entièrement terminée, le dos doré et poli, de sorte que l’ouvrage était toujours sali avant d’être rendu.


démontage des livres

Cette opération ne peut être faite que par un véritable artiste, connaissant à fond son métier. Un relieur qui rétablit ainsi des chefs-d’œuvre s’honore et honore la nation à laquelle il appartient.

Lorsqu’un livre précieux survit à sa reliure, et qu’un amateur veut le conserver ; lorsqu’on veut aussi faire remplacer une reliure défectueuse ou mesquine par une reliure meilleure, le relieur doit commencer par démonter l’ouvrage, en observant préalablement comment il a été confectionné.

Il reconnaît d’abord que les anciens livres sont à cet égard d’un bien plus facile travail que des livres infiniment plus modernes. Car alors on garnissait le dos de chaque cahier d’une bande de parchemin, afin que le grattoir et le frottoir n’altérassent pas le papier ; puis en collant la garde de papier sur le carton, on y collait aussi la partie de parchemin qui passait en dedans, ce qui donnait aux reliures une telle solidité, que lorsque les nerfs se cassaient, les cartons tenaient encore et même fort longtemps après les livres.

De nos jours c’est bien différent. Les quelques ouvriers qui passent en parchemin le font seulement à la tête, à la queue, au milieu peut-être, puis ils coupent ce qui passe en dedans des cartons au moment où ils coupent les gardes. D’autre part, certains relieurs grattent, piquent et frottent si bien les dos, où ils réduisent le papier en une espèce de pâte, et de cette manière usent si pernicieusement les cahiers, qu’on aperçoit les fils de la couture. Quand on démonte de tels livres, quelques précautions que l’on prenne, ils sont bien près d’être perdus.

Manière de découdre un livre relié. On commence par déchirer les gardes dans les mors, sans attaquer la partie du cahier contre laquelle est collée la garde ; puis on lève le veau ou la basane, ou l’étoffe de la couverture. Cela fait, on coupe soigneusement tous les fils qui se trouvent sur le dos, surtout les chaînettes (parties du fil de la couture qui paraît aux deux bouts, sur le dos du volume) de tête et de queue, ainsi que les ficelles qui tiennent les cartons ; on sépare ensuite les cahiers, en commençant par le premier, et tenant le volume à plat sur la table, le recto en dessus, on appuie la main droite sur les cahiers qui suivent celui qu’on veut détacher. Lorsque les cahiers sont séparés, on les ouvre l’un après l’autre, pour en ôter les fils et les ordures qui se trouvent entre chaque feuille, et l’on nettoie celle-ci avec de la mie de pain rassis. On termine par enlever s’il y a lieu, par les moyens indiqués précédemment, les taches qui peuvent s’y rencontrer.

En résumé, pour bien démonter un livre et et le remonter avec intelligence, il faut ménager le dos, enlever doucement les nerfs, détacher légèrement cahier par cahier, défriser les pages cornées, enlever les taches, et s’il s’agit d’un ouvrage ancien et qui ait été lavé, collationner par les chiffres et non par la signature, car ces anciens livres fourmillent de fautes de pagination.

Il faut en outre bien examiner l’état des marges qu’une reliure défectueuse oblige souvent à rogner il faut du moins ménager les marges le plus possible puis appliquer à ces vieux ouvrages les procédés les plus propres à les soutenir.

Tout cela exige beaucoup de soin, d’intelligence et de patience.

nettoyage des livres

On rencontre souvent des volumes couverts de certaines taches très-désagréables, qui fatiguent l’œil de celui qui est jaloux de la propreté, et un relieur ne doit pas ignorer l’art de les faire disparaître.

La blancheur du papier s’altère de deux manières différentes, ou par la vétusté, surtout lorsqu’il est exposé au grand air et à la poussière comme les cartes géographiques, qui ne sont pas ordinairement sous verre ; ou par des taches d’huile, de graisse ou d’encre. Dans le premier cas, le papier devient roux, il prend une teinte plus ou moins jaunâtre, il est comme enfumé ; dans le second cas, tout le monde connaît l’impression désagréable que causent les trois sortes de taches que nous avons signalées. Les papiers écrits sont ou manuscrits ou imprimés : nous ne connaissons aucun moyen assuré pour enlever sur les manuscrits la teinte jaunâtre que la vétusté leur communique ; on s’apercevra que les procédés que nous ferons connaître pour blanchir les papiers imprimés, tendent tous, ou à faire disparaître l’encre ordinaire, ou à la dissoudre de manière à former sur le papier des nuances partielles plus désagréables que n’était, avant l’opération, la couleur jaunâtre dont il était teint.

Le seul moyen qui nous ait quelquefois réussi, c’est le soufrage. Nous disons quelquefois, car il nous est souvent arrivé, ou qu’il a été impuissant, ou qu’il a affaibli considérablement la teinte de l’encre, quoique nous ayons opéré de la même manière. Quant au papier blanc ou au papier imprimé, soit livres, estampes ou cartes géographiques, le procédé qui nous a le mieux réussi et que nous recommandons à nos Iecteurs, pour nettoyer ces objets, consiste dans l’emploi judicieusement fait de l’acide oxalique qui enlève parfaitement les taches des encres à base de gallate de fer. Cet agent est surtout précieux pour les livres dont les marges sont chargées d’écritures qu’on désire enlever, parce qu’il n’attaque pas l’encre d’imprimerie.

On place la feuille tachée sur une feuille d’étain, du côté de la tache, et on l’humecte abondamment avec une forte dissolution de sel d’oseille, puis on relève le papier, qu’on lave ensuite à grande eau pour éviter les cernes ou cercles qui se produiraient à l’endroit qui a été traité. On étend le papier, on le laisse sécher puis on le satine entre des cartes ou des zincs, par les procédés ordinaires.

Il arrive quelquefois que le papier est sali par des taches de rouille. On les enlève en leur appliquant d’abord une solution d’un sulfure alcalin, qu’on lave bien ensuite, puis une solution d’acide oxalique. Le sulfure enlève au fer une partie de son oxygène, et le rend soluble dans les acides affaiblis.

Presque tous les acides enlèvent les taches d’encre sur le papier ; mais il faut choisir de préférence ceux qui attaquent le moins son tissu. L’acide chlorhydrique, étendu de cinq à six fois son poids d’eau, peut être appliqué avec succès sur la tache ; on la lave au bout d’une ou deux minutes, et l’on répète l’application jusqu’à ce que la tache ait disparu.

L’emploi du chlore, sous forme d’acide chlorhydrique, de chlorure de potasse ou de chaux, est toujours une opération très délicate parce qu’il détruit les fibres du papier et le brûle. Aussi doit-on en neutraliser l’effet, autant que possible, en lavant le papier à grande eau, pour n’en laisser subsister aucune trace.

On se sert encore, pour détacher les papiers, d’une combinaison liquide de chlore et d’alcali caustique, très connue sous le nom d’eau de javelle (chlorure de potasse), étendue d’eau dans la proportion d’une partie sur neuf parties d’eau ; mais ce procédé, malheureusement trop employé à cause de sa simplicité, n’est pas à recommander. On peut atténuer les effets destructeurs de l’eau de javelle en immergeant le papier traité dans un nouveau bain d’hyposulfite de soude, puis en le passant dans un troisième bain d’eau de pluie. La mauvaise qualité des papiers fabriqués actuellement les rend peu propres à supporter ces lavages successifs.

Le seul avantage sérieux que présente l’emploi du chlore, c’est de blanchir le papier et de le détacher, en une seule opération. On peut donc utiliser cette double action, pourvu qu’on agisse avec prudence et qu’on l’élimine entièrement par les lavages que nous venons d’indiquer.

Dès 1860, on a appliqué avec succès l’ozone à l’état de gaz saturé de vapeur d’eau ou d’eau oxygénée au nettoyage des livres et des vieilles gravures. L’encre d’impression n’est pas sensiblement attaquée par l’ozone quand on ne prolonge pas le traitement ; il est sans action sur les taches de graisse et de moisissure. Les couleurs métalliques n’éprouvent pas de modification, tandis que les couleurs végétales sont complètement détruites. Par contre les encres à écrire sont presque toutes effacées par l’ozone. Il suffit d’un traitement très peu prolongé pour enlever l’écriture et pour rendre au papier toute sa blancheur.

Il est vrai de dire qu’après quelque temps l’encre ainsi enlevée reparaît d’une couleur jaune pâle et qu’on peut la fixer de nouveau sur le papier par les réactions de l’oxyde de fer. Mais si après avoir traité par l’ozone le papier taché, on le passe dans une eau acidulée par quelques gouttes d’acide chlorhydrique, on empêche entièrement la réapparition de l’encre.

M. J. Imison a indiqué un procédé facile à exécuter pour enlever les taches de graisse sur les livres et les estampes. Après avoir légèrement chauffé le papier taché de graisse, de cire, d’huile, ou de tout autre corps gras, ôtez le plus que vous pourrez de cette graisse avec du papier brouillard ; trempez ensuite un pinceau dans l’huile de térébenthine presque bouillante (car froide elle n’agit que faiblement), et promenez-le doucement des deux côtés du papier, qu’il faut maintenir chaud. On doit répéter l’opération autant que la quantité de graisse ou l’épaisseur du papier l’exige. Lorsque la graisse a disparu, on a recours au procédé suivant, pour rendre au papier en cet endroit, sa première blancheur. On trempe un autre pinceau dans l’esprit-de-vin très-rectifié, et on le promène de même sur la tache, et surtout vers ses bords, pour enlever tout ce qui paraît encore. Si l’on emploie ce procédé avec adresse et précaution la tache disparaîtra totalement, le papier reprendra sa première blancheur ; et si la partie du papier sur laquelle on a travaillé était écrite ou imprimée, les caractères n’en auront nullement souffert.

La benzine et le sulfure de carbone sont également d’un bon usage. Une faible dissolution de potasse ou de soude caustique enlève avec facilité les taches huileuses ou graisseuses sur les papiers, les estampes, les livres ; mais il faut que ces derniers soient en feuilles, sans cela on aurait beaucoup de peine à les dégraisser parfaitement, et l’opération ne se ferait jamais avec propreté.

Il nous suffit de dire que la dissolution de potasse ou de soude doit marquer un degré et demi à l’aréomètre de Baumé. Le procédé de M. Imison doit être préféré lorsque les taches ne sont pas considérables, et qu’on peut les enlever sans découdre le volume.

Le relieur est quelquefois sujet, en faisant ses marbres, de tacher les feuilles avec les couleurs nommées écailles, que beaucoup d’entre eux croient qu’il est impossible de faire disparaître. L’eau de javelle les enlève entièrement, de même que le chlorure de chaux. Il suffit de plonger la feuille dans un de ces deux liquides, jusqu’à disparition de la tache, ce qui n’existe que peu de temps ; ensuite de la plonger dans l’eau ordinaire, pendant un temps double à peu près qu’elle n’est restée immergée dans le liquide.

Il arrive quelquefois qu’on laisse tomber de l’encre sur un feuillet d’un volume relié, et qu’on craint de ne pas l’enlever proprement par les moyens que nous avons indiqués, parce que la tache est près de la couture. Voici le procédé que nous avons vu employer avec succès par M. Berthe : cet artiste mouille un gros fil plus long que le volume ; il le passe sous le feuillet près de la couture, et le promène dans sa longueur. Le papier d’impression, qui est ordinairement sans colle, est bientôt humecté dans cette place, en sorte qu’il cède au moindre effort. Alors on détache le feuillet, on le nettoie, on passe un peu de colle sur son épaisseur, on le remet en place adroitement et la réparation ne paraît pas du tout.

moyens de prédserver les livres des insectes et des vers


Chacun sait combien les rats et les souris peuvent causer de dégâts dans une bibliothèque ou dans une librairie ; mais chacun connaît aussi les moyens de se délivrer de ces animaux incommodes, qui sont peut-être plus redoutables, parce que, malgré tous les soins, ils s’introduisent et se multiplient avec une extrême facilité.

Les vers, ces autres ennemis des livres, ne sont pas aussi faciles à attaquer. Aussi, le relieur qui connaîtrait des moyens éprouvés pour les écarter ou les détruire, qui les emploierait avec discernement et les ferait connaître à l’amateur de livres, compléterait son art, rendrait de grands services et verrait ses produits recherchés avec empressement, confiance et considération.

La chaleur, le voisinage d’un jardin ou de plantations d’arbres multiplient les insectes et les vers. En abaissant la température, en éloignant les bibliothèques des jardins, il y a presque impossibilité d’éviter complétement les ravages des vers. Néanmoins, il existe plusieurs préservatifs et moyens de destruction que l’expérience a sanctionnés.

Le premier et le meilleur consiste dans une propreté constante et presque minutieuse. Il ne faut jamais laisser séjourner la poussière, même dans les coins les plus cachés ; il faut battre tous les volumes, au printemps et à l’automne, ou au moins une fois par an, dans le mois de juillet et d’août, car les papillons recherchent, pour déposer leurs œufs, la poussière qui en favorise le développement. Pendant toute l’année, d’ailleurs, on doit placer derrière les livres des morceaux de drap fortement imbibés d’essence de térébenthine, de benzine, de camphre ou d’une infusion de tabac à fumer, et les renouveler dès que l’odeur s’en affaiblit. L’acide phénique est encore préférable.

Le choix du bois employé au corps de bibliothèque contribue aussi pour beaucoup à les préserver des vers. Plus il est dur et serré, moins il les attire, et le chêne bien sain et bien sec est préférable, sous tous les rapports, aux autres bois de nos climats.

Le genre de la reliure a aussi une grande influence. Les anciennes reliures en bois, même quand elles sont couvertes de peau ou d’étoffe, sont les berceaux des vers et des insectes ; aussi convient-il de les reléguer, sans nulle exception, dans l’endroit le plus écarté de la bibliothèque. Le même danger est à craindre des reliures pour lesquelles on a employé la colle de pâte, qui est une sorte de nourriture recherchée par les vers. Les relieurs entendus préfèrent se servir de colle forte, à laquelle ils ajoutent une quantité convenable d’alun. Ils ajoutent aussi du sel ammoniac au blanc d’œuf dont ils se servent avant de polir la dorure. Au contraire, les reliures en cuir de Russie ou en parchemin, celles dont les cartons sont faits de vieux cordages de vaisseau imprégnés de goudron, ont non-seulement le mérite d’une solidité pareille à celle du bois, mais encore l’avantage d’écarter les vers pour de longues années. Une autre reliure peu élégante, mais presque impénétrable aux vers, est celle qui est en usage dans les anciennes bibliothèques d’Espagne, de Portugal et d’Italie. Elle consiste seulement en une couverture de parchemin sans carton, et recourbé sur la tranche. Ce n’est à vrai dire, qu’une brochure battue, cousue sur nerfs et recouverte de parchemin. L’expérience de quatre siècles a prouvé que, sans le voisinage de reliures en bois ou en carton, aucun des livres reliés de la sorte n’eut été attaqué des vers.

moyens de préserver les livres de l’humidité


Sans qu’il soit besoin de le dire, on sait que l’air et la chaleur sont les moyens par excellence de combattre l’humidité. On aura donc soin d’en procurer aux bibliothèques autant que la saison, la température et le local le permettront. À cet effet, on ouvrira les fenêtres toutes les fois qu’il fera un temps sec et vif, en ayant bien soin de les refermer avant le coucher du soleil parce que les papillons déposent leurs œufs après cette heure.

Un excellent préservatif de l’humidité, est d’élever les corps de bibliothèque d’au moins 16 à 17 centimètres du parquet, et de les éloigner des murs d’environ 6 centimètres, afin de faciliter partout la circulation de l’air. Dans le cas où cette disposition préservatrice serait impossible, et qu’on serait forcé de placer les rayons prés d’un mur, on diminuera beaucoup le danger en donnant au mur plusieurs couches d’huile bouillante, et en le recouvrant ensuite, à l’aide de petits clous, de feuilles de plomb laminé.

Il est également nuisible de trop serrer ou de trop écarter les livres sur les rayons. L’une de ces deux méthodes les déforme et favorise l’introduction des vers et de la poussière dans l’intérieur, au moyen des faux plis ; l’autre empêche l’air de pénétrer, et permet ainsi à l’humidité d’attaquer les reliures.

Quand on trouve la trace de ces dégradations sur les livres, soit par l’aspect terni et moite de la reliure, soit par des moisissures plus ou moins marquées, il faut sur-le-champ les nettoyer avec grand soin, les frotter avec un morceau de drap ou de toute autre étoffe de laine, puis les exposer à la chaleur et à l’àir jusqu’à ce qu’ils soient tout à fait secs.

De tous ceux dont l’exécution typographique demande des précautions particulières contre l’humidité, les livres imprimés sur parchemin ou sur vélin exigent le plus de précautions. Le Relieur ne les travaillera donc que lorsque l’impression et la peau seront d’une siccité parfaite, et encore il aura soin de mettre du papier joseph entre chaque feuillet, pour empêcher que l’encre ne tache. De son côté, le bibliophile aura soin, lorsqu’il se servira de livres de cette sorte, de ne les laisser exposés à l’air que le temps nécessaire aux recherches ; car le vélin perd son lustre et jaunit avec une rapidité fâcheuse, et se crispe à la moindre humidité, ou à la trop grande chaleur.

Le vélin proprement dit n’est autre chose que la plus belle qualité du parchemin ; on l’emploie très rarement de nos jours et on le réserve pour les ouvrages de grand luxe. On le confectionne avec les peaux de veaux et surtout avec celles des vélots ou veaux mort-nés, qu’on extrait du ventre des vaches pleines, mortes de maladie ou égorgées dans les abattoirs. Le parchemin est fabriqué avec les peaux de moutons ou de chèvres, qui sont plus petites que celles des veaux. Le parchemin vierge, qui se rapproche le plus du vélin, est fait avec les peaux des agneaux morts-nés extraits du ventre des brebis. Ces peaux sont chères, ce qui en limite l’emploi dans l’impression aux ouvrages de grand prix ; le relieur a donc bien rarement l’occasion de les travailler.

imitation des reliures étrangères

Il serait sans doute désirable d’appliquer les reliures étrangères à leurs livres respectifs, mais il ne faudrait point, par exemple, s’engouer des reliures anglaises de manière à en imiter les défauts. Ainsi les Anglais ne parent point ou très-peu leurs peaux en général. Au travers de la garde collée sur le carton, on aperçoit souvent les contours inégaux qu’elle y empreint, et ces bosses formées par le cuir produisent l’effet le plus désagréable. Quand les amateurs remarquent cette défectuosité dans les ouvrages des relieurs français, ceux-ci croient répondre, sans laisser de réplique, par ces paroles : « C’est le genre anglais. »

Les reliures étrangères diffèrent entre elles, pour la plupart, par la dorure, les marbres ; d’autres se distinguent par l’endossure, les mors, la division des nerfs ou filets, si ce sont simplement des reliures à la grecque. Il faudrait être bien peu connaisseur pour ne pas reconnaître les reliures anglaises, hollandaises, allemandes, italiennes et espagnoles, à la seule inspection des dos. Un véritable amateur s’y trompe rarement. Quant aux cartonnages, les Allemands négligent d’amincir sur les bords et de battre la portion de carte qui forme le faux dos, et qui est collée en dedans des cartons. Le cartonnage terminé présente tout le long du mors en dedans une épaisseur surabondante, déjà très-disgracieuse, et qui le devient davantage en ce qu’elle se loge dans celle du livre, et paraît souvent à trois ou quatre cahiers. En revanche, les Allemands forment une jolie rainure en dehors du livre le long du mors. Sa profondeur doit être égale à l’épaisseur du carton, le papier doit y être collé jusqu’au fond, et non pas, comme dans la plupart de nos cartonnages, courir le risque d’être crevé lorsqu’on y appuie la moindre chose.

En copiant trop servilement les étrangers on s’égare. Delorme d’abord, puis Bozerian jeune, et Courteval l’ont bien prouvé. Simier et Thouvenin eux-mêmes, sont tombés trop souvent dans le gothique, dit Lesné, pour avoir trop cherché à calquer les doreurs anglais. La seule chose bonne à copier dans leurs reliures, c’était la bonne façon des mors, la justesse des filets, et celle des encadrements.

Les Anglais couvrent leurs livres classiques d’une toile enduite de colle forte, ou plutôt d’une espèce de cirage. Cette reliure, assez laide d’ailleurs, est solide, économique ; elle convient bien aux livres de classe qu’elle soutient suffisamment, car elle est souple et peut facilement supporter tous les efforts des enfants. On l’a adoptée dans quelques collèges, en coupant les angles des cartons. De cette manière, la reliure s’écorne moins en tombant. Il vaudrait peut-être mieux que les coins fussent arrondis en quart de cercle ; mais cette reliure n’est bonne qu’autant que le livre est cousu solidement. Ce perfectionnement, conseillé par Lesné, est trop onéreux, dit-il, pour tous les livres classiques, et convient particulièrement aux dictionnaires.

Les Anglais rétrécissent généralement les titres, qu’allongent outre mesure les Allemands.

L’époque de l’introduction des dos brisés en France est très-incertaine. Mais il y a fort à croire qu’elle s’est établie il y a cent ans. Les reliures de Hollande en auront probablement donné l’idée. Les bons ouvriers du temps, tels que De Rome, ne firent ces reliures qu’avec répugnance, parce qu’ils voyaient combien il était facile de supprimer une infinité d’opérations, et de passer légèrement sur les autres ; qu’enfin ils prévoyaient que ce genre, une fois adopté, entraînerait la ruine de l’art. Ils en firent toutefois, mais avec des modifications solides. Ils continuèrent à passer la tête et la queue en parchemin fort, et le milieu en parchemin très mince, et revêtirent les dos de toile à la hollandaise. Les ouvriers du 2e ordre supprimèrent la toile ; ceux du 3e les parchemins et la colle forte, et ces derniers plurent malheureusement beaucoup au public.


procédé de mm. v. parisot et j. girard pour donner aux reliures l’odeur et l’aspect du cuir de russie.


On fabrique aujourd’hui en France les cuirs parfumés qu’on importait autrefois de Russie. L’odeur particulière de ces cuirs, qui les fait rechercher, est due à une huile essentielle contenue dans l’écorce du bouleau, à laquelle on a donné le nom de bétuline. Nous allons en indiquer la préparation, bien que ce ne soit pas le relieur qui l’extraie et qui s’en serve pour donner à son cuir l’odeur et l’apparence du véritable cuir de Russie.

On prend 1,500 grammes d’écorce externe de bouleau. Après l’avoir séparée de l’écorce interne et l’avoir divisée convenablement avec des ciseaux, on la place dans un alambic avec 10 litres d’alcool à 33°. On laisse macérer pendant deux heures, on fait ensuite chauffer au bain-marie jusqu’à ce qu’on retire deux litres d’alcool ; on arrête le feu, puis on laisse refroidir, mais incomplétement ; on filtre la liqueur encore un peu chaude, et l’on traite le résidu à trois reprises différentes de la même manière ; la quatrième fois on fait macérer l’écorce avec l’alcool chaud pendant vingt-quatre heures. Au bout de ce temps, on chauffe de nouveau, et l’on filtre comme dans les opérations précédentes.

« Les liqueurs provenant de ces diverses opérations étant rassemblées, une grande quantité de bétuline se précipite par le refroidissement, la liqueur surnageante est introduite dans un alambic et soumise à la distillation au bain-marie jusqu’à ce qu’on retire la plus grande partie de l’alcool ; le résidu est versé immédiatement dans un vase en porcelaine. Par le refroidissement, la liqueur se prend en une masse semblable à la gelée. Cette masse est une nouvelle quantité de bétuline ; le tout est placé sur un filtre, afin de séparer les dernières portions du liquide qu’elle peut contenir, et ensuite placée à l’étuve pour en déterminer la dessiccation. Des 1,500 grammes d’écorce employée, on obtient 350 grammes de bétuline.

« Nous avons vu, comme MM. Duval-Duval l’avaient déjà remarqué, qu’on ne pouvait extraire complétement toute la bétuline contenue dans l’écorce de bouleau.

« On emploie, pour préparer les 350 grammes de bétuline, 10 litres d’alcool ; et l’on retire 7 litres et demi, ce qui fait un quart de perte.

« On a dépensé, pour combustible, 1 franc, ce qui fait revenir les 350 grammes de bétuline à 6 francs 65 c. Toutefois, nous devons faire observer que si l’on opérait en grand, le prix de la bétuline serait moindre.

« On a pris 15 grammes de bétuline, qu’on a introduit dans une cornue à laquelle on avait adapté un récipient ; ceci fait, on a porté la cornue à une chaleur modérée qu’on a augmenté successivement ; la bétuline a commencé par se liquéfier, puis la chaleur augmentant, elle s’est décomposée. Il a passé à la distillation, sous forme de vapeurs d’un jaune clair, une huile d’abord fluide qui est devenue plus épaisse à la fin de l’opération, les vapeurs étaient plus jaunes et plus abondantes.

« Il resta dans la cornue un produit charbonneux.

« Le produit obtenu de cette distillation pesait 10 grammes ; il avait une consistance oléagineuse, il était d’un brun foncé, d’une odeur forte et insupportable, insoluble dans l’eau, dans l’alcool ; mais soluble en très-grande quantité dans l’éther sulfurique.

« Le prix de ces 10 grammes obtenus se composait ainsi qu’il suit

15 grammes de bétuline, à 10 c. le gram.  1 fr. 50
Cornue et récipient………………………80
Combustible………………………………10
Total…………… 2 fr. 40

« Nous avons fait dissoudre 2 grammes de cette huile de bétuline dans 20 grammes d’éther sulfurique, puis, avec cette liqueur, nous avons opéré de la manière suivante pour enduire la reliure de cette substance. Lorsque le livre est relié et qu’on va appliquer sur le carton la peau qui doit le couvrir, on enduit ce carton des deux côtés au moyen d’un pinceau avec l’huile de bétuline dissoute dans l’éther ; on laisse évaporer l’éther, puis on recouvre avec la peau comme dans la reliure ordinaire, on colle les gardes. Plusieurs livres ainsi reliés ont une odeur agréable de cuir de Russie 2 grammes ont suffi pour un volume in-8o.

« Voulant nous assurer si nous pouvions employer l’huile empyreumatique d’écorce de bouleau, nous avons agi de la manière suivante :

« Nous avons pris 100 grammes d’écorce externe de bouleau, divisée convenablement ; nous les avons introduits dans une cornue à laquelle nous avons adapté un récipient pour recueillir les produits volatils nous avons placé cette cornue ainsi disposée dans un fourneau à réverbère, puis nous avons chauffé ; elle se décomposa et fournit des vapeurs blanches, épaisses, qui vinrent se condenser dans le récipient que l’on avait fait plonger dans un vase contenant de l’eau froide.

« Peu à peu ces vapeurs devinrent plus épaisses, plus colorées ; la liqueur qui s’écoulait dans le récipient était plus dense. Au bout de deux heures, la décomposition était complète ; il restait dans la cornue un charbon volumineux. Le produit de la distillation pesait 64 gram. ; mais il était formé de deux couches, une supérieure épaisse, ayant l’odeur d’huile de bétuline, odeur altérée par l’acide pyroligneux provenant de la décomposition du bois qui sert de support à la bétuline : la couche inférieure était colorée en jaune foncé, pesant 4 grammes : elle était formée par de l’eau contenant une petite quantité d’acide pyroligneux en dissolution.

« Cette seconde couche fut séparée de la première qui fut conservée pour nous servir dans les opérations suivantes. Une certaine quantité de cette huile empyreumatique fut saturée par la craie (carbonate de chaux) délayée dans une petite quantité d’eau, puis laissée en contact pendant un jour, en ayant soin d’agiter de temps en temps. Au bout de ce laps de temps, on laissa déposer et l’on décanta de manière à séparer les deux couches. La couche supérieure fut conservée. Nous avons pris 2 grammes de cette huile saturée et 2 grammes d’huile non saturée ; nous avons fait dissoudre chacune de ces huiles dans 20 grammes d’éther, comme nous l’avons fait pour l’huile de bétuline pure, puis fait relier des livres avec chaque liqueur. Nous avons alors reconnu qu’avec l’huile empyreumatique saturée par le carbonate de chaux, on obtenait une reliure dont l’odeur se rapprochait de celle fournie par l’huile de bétuline pure. Quant à la reliure faite avec l’huile empyreumatique, elle avait une odeur désagréable d’acide pyroligneux. Comme on le voit, on pourra se procurer des reliures qui auront l’odeur de cuir de Russie, à un prix peu élevé, avec l’huile empyreumatique de l’écorce de bouleau saturée par la craie.

« On pourra, si l’on veut, se servir de l’huile pure de bétuline pour obtenir une reliure qui aura une odeur plus agréable de cuir de Russie. On pourra aussi, de cette manière, conserver les livres sans allération.

« Cette huile peut non-seulement s’appliquer sur les livres reliés en peau, mais encore en papier ; elle ne tache pas la reliure et n’empêche en aucune façon le travail du relieur. »

La peau qui convient le mieux pour fabriquer le cuir de Russie artificiel est celle de la vache, bien tannée puis lavée à plusieurs reprises et enfin teinte en rouge. Cette peau acquiert un aspect très agréable quand, au moyen d’une éponge, on l’humecte, du côté coloré, avec de la gélatine dissoute dans l’eau. Seulement, cette eau gélatineuse ne doit pas être trop concentrée, et l’on ne doit pas l’appliquer sur le cuir dans une trop forte proportion.

choix des reliures et conservation des livres.

Nous considérons, dans cet article, le relieur comme l’associé du bibliophile, ou même comme le guide des amateurs qui veulent se former une bonne bibliothèque. Les sages conseils qui suivent sont presque tous empruntés au Manuel de Bibliothéconomie[1].

1. Assortiment et qualités des diverses reliures. La reliure est à la fois pour les livres un moyen de conservation matérielle et d’ornement ; mais il importe qu’elle soit choisie et graduée d’après la nature et l’importance des ouvrages ; car il serait aussi déplacé de couvrir en beau maroquin enrichi de dorures, un pamphlet éphémère, que de revêtir de basane ou de cartonnage un chef-d’œuvre de la science ou des arts. Qu’un riche amateur ait dans sa bibliothèque un certain nombre de volumes décorés des plus belles ou des plus élégantes reliures, mais que ce soit des livres dignes de cette décoration, et que tout le reste de la bibliothèque soit relié d’une manière solide.

2. Quand l’amateur de livres n’a pas assez de fonds pour faire que la richesse de la reliure réponde au mérite de certains ouvrages, il doit se contenter, pour toute sa bibliothèque, d’une reliure très-simple. Cela vaut infiniment mieux que d’avoir quelques livres précieusement reliés et les autres à l’état de brochure car ceux-ci sont, en quelque sorte, des livres sacrifiés, et cela fait en outre le plus mauvais effet à l’œil.

3. La reliure la plus ordinaire est la basane ; elle convient à toutes les fortunes et à tous les ouvrages. La reliure en veau, en maroquin ou en cuir de Russie convient aux beaux ouvrages et aux bibliothèques riches. On n’exécute que dans des cas exceptionnels les reliures en moire, en velours, en ivoire ou en parchemin.

4. Un genre très-convenable et adopté par beaucoup d’amateurs, est celui de la demi-reliure à dos de veau ou de maroquin, non rogné, avec marges. Posés sur les tablettes, des volumes ainsi reliés sont aussi élégants que les livres reliés en plein ; ils sont d’ailleurs aussi solides. Cette reliure a de plus l’avantage de la modicité du prix, et de la grandeur des marges ; chose si importante aux yeux des bibliophiles qui la paient si cher, et prennent tant de soin pour l’obtenir. Quelques-uns d’entre eux ont si fort à cœur cette conservation des marges, qu’ils font quelquefois recouvrir de la plus belle reliure un livre non rogné et même non ébarbé. C’est au relieur à respecter, à servir cette prétention fort naturelle au fond, malgré l’espèce de ridicule qui parfois s’y attache.

5. La connaissance technique de la reliure (dit en insistant beaucoup sur ce point l’estimable auteur de la Bibliothéconomie) est utile pour ne pas s’exposer à des dommages réels. Il faut savoir choisir un bon relieur, pouvoir apprécier son travail et lui en indiquer les défectuosités, sinon on aura des livres mal reliés, ornés sans goût, confectionnés sans solidité ; et tandis que ces reliures défectueuses perdront chaque jour, de bonnes reliures qui n’auront pas coûté davantage se maintiendront, malgré les années, dans toute leur valeur. Une preuve que le travail bien fait est toujours estimé, c’est que les anciennes reliures des Du Seuil, des De Rome, des Padeloup et autres sont encore aujourd’hui aussi recherchées que les plus beaux chefs-d’œuvre des fashionnables relieurs de Paris et de Londres.

6. Jusqu’au XVIe siècle, on se servait, pour la reliure des livres, de planchettes de bois en place de carton ; mais la manière de les couvrir était, comme et plus qu’aujourd’hui, variable et fort dispendieuse. On y employait des étoffes précieuses brochées d’or et d’argent, ou chargées de broderies : on les enrichissait de perles, de pierres fines, d’agrafes d’or et d’argent ; on garnissait les plats et les coins de plaques et de grosses têtes de clous en même métal, pour empêcher le frottement. Depuis, on a remplacé le bois par le carton, ce qui est plus léger, et préserve mieux les livres des vers ; on a aussi généralement renoncé aux couvertures d’étoffes, comme trop coûteuses et peu solides. Les reliures en moire, en velours, ne sont, comme nous venons de le dire, relativement aux autres, qu’une chose exceptionnelle.

7. On emploie communément, ainsi que nous l’avons vu, trois sortes de reliures : la reliure pleine, la demi-reliure (l’une et l’autre en veau, basane, maroquin, cuir de Russie, parchemin) et le cartonnage (couvert en papier, en toile, en percale de couleur). La demi-reliure a sur la première, l’avantage de l’économie jointe à la solidité, à condition d’être bien faite ; et, sur le cartonnage, l’avantage de la durée. Cependant les volumes minces, et dont le contenu n’annonce pas un usage très fréquent, peuvent recevoir un simple cartonnage ; mais il importe qu’il soit bien fait.

8. Le besoin d’économiser, besoin qui parfois commande en maître dans la bibliothèque comme dans les autres parties de la maison, force souvent à mettre en oubli les meilleures règles à suivre pour la reliure des livres. Alors cette reliure, qui est toujours une dépense considérable, doit être soumise à cette nécessité, mais elle doit l’être avec ordre, avec intelligence, et le relieur et le bibliophile doivent, d’un commun accord, repousser toute économie mal entendue qui compromet l’existence des livres et la facilité du travail. Or, l’économie la plus mal entendue, là plus déplorable, est de faire relier plusieurs ouvrages en un seul volume, quand même leur contenu serait de même nature. Les subdivisions de la classification des livres en peuvent souffrir, la lecture d’un tel livre est incommode, la copie de divers passages en est difficile ; enfin, s’il s’agit d’une bibliothèque publique, on est souvent obligé de priver plusieurs lecteurs pour en contenter un seul.

Le meilleur moyen d’éviter les inconvénients de ce genre de réunions, consiste à donner à ces minces volumes une brochure solide, et de les réunir dans des boites en forme de gros volumes, comme celles dont on se sert dans les grandes bibliothèques pour classer les catalogues en feuilles ou brochés. Si néanmoins on est obligé de laisser ces volumes tels qu’ils sont, on les place suivant le titre du premier ; mais on a bien soin d’inscrire, dans le catalogue et à leur place respective, tous les ouvrages qu’ils contiennent. On adapte, en outre, pour faciliter les recherches, au titre de chacun d’eux, une languette ou canon en parchemin. On nomme canon un petit signet collé sur la marge, et la dépassant de quelques lignes.

9. Quoique nous ayons indiqué, dans le cours de l’ouvrage, toutes les qualités d’une bonne reliure, en détaillant les diverses manœuvres indispensables à sa confection, nous reproduirons volontiers l’espèce de résumé ou de nomenclature que donne M. Constantin, des nombreuses opérations d’une bonne reliure. Cette récapitulation ne sera pas inutile au bibliophile et au relieur.

Une reliure réunissant toutes les qualités désirables, est, dit-il, chose bien rare, car cette enveloppe si nécessaire à l’usage, à la conservation des livres, est soumise à tant de manipulations, qu’il y en a presque toujours, au moins quelques-unes, de négligées. Il ne suffit pas qu’un volume soit plié avec précision, bien battu, cousu et endossé avec soin, il faut encore que les tranchefiles soient arrêtées à tous les cahiers ; que la gouttière soit bien coupée, le dos arrondi convenablement à la grosseur du volume ; le carton d’une force proportionnée au format, et coupé bien juste d’équerre ; la peau dont il est recouvert, parée de manière à ne pas faire d’épaisseur sur les coins, et sans être trop mince, afin qu’ils ne s’écorchent pas au moindre frottement ; il faut en outre que les côtés soient bien évidés pour que l’ouverture du livre ait lieu facilement, sans risquer de casser ou de déformer le dos ; que les ornements et les dorures soient brillants, nets et de bon goût, les marges conservées aussi grandes que possible ; les pages préservées de tout maculage, replis, inversions ; les planches et les gravures placées avec intelligence ; les titres convenablement réduits ou composés avec grâce, suivant les cas : tel est le but auquel doit atteindre tout relieur, afin d’acquérir une réputation honorable et de livrer de bons produits aux connaisseurs.

Faute d’avoir visité les ateliers de reliure, d’avoir bien étudié, bien comparé tous les détails, les amateurs de livres ne pourront examiner les diverses parties d’une reliure ; ils ne sauront point en apprécier les mérites ni les défauts, et se trouveront ainsi à la merci d’un ouvrier de mauvaise foi ou mal habile.

10. Parmi les reproches qu’il est si facile de faire au reliures, on adresse avec raison, aux reliures anglaises, et plus encore à celles qui sont faites à leur imitation, les dos brisés trop plats et à faux nerfs, la façon des mors, la surcharge des ornements. Deux autres défauts du plus grand nombre de reliures sont de s’ouvrir difficilement et de fermer mal ; l’un empêche de bien lire, et plus encore de travailler, si l’on consulte plusieurs volumes à la fois ; l’autre laisse pénétrer dans l’intérieur du livre la poussière et les vers.

11. Les dos ronds, sont, sans doute, moins agréables à l’œil que les dos plats, quand les livres sont rangés sur les tablettes ; mais ils sont plus durables, surtout pour les grands formats. Quant aux in-8o et aux petits volumes, les dos plats peuvent être faits assez solidement, et permettent une plus grande égalité dans la dorure, ce qui flatte la vue quand plusieurs volumes uniformes, et dont les filets sont d’accord, se suivent bien en ligne droite.

12. Il en est de même des nerfs ; les faux nerfs sont seulement un objet de parade, tandis que les nerf véritables conservent la reliure, et sont aussi nécessaires par leur solidité à un gros et grand volume qu’ils soutiennent en l’ornant, qu’ils sont utiles à sa décoration par le genre de dorure qu’ils permettent. Il faut toutefois que le nombre et la grosseur des nerfs soient en rapport avec le format et la force du livre.

13. Les mors, quand ils sont trop carrés, produisent des plis désagréables au fond des cahiers, et prennent une partie de la marge intérieure ; quelquefois même ils sont cause que les premières et les dernières feuilles s’usent et se brisent promptement, surtout aux livres d’un fréquent usage. Il est donc essentiel de sacrifier l’élégance de ces mors carrés aux mors en biseau ou en chanfrein, qui conservent bien mieux les volumes.

14. La dorure, les chiffres, les titres et autres indications réclament les soins d’un relieur intelligent, et l’attention d’un amateur éclairé, car toutes ces choses contribuent singulièrement, les unes à la beauté d’une bibliothèque, les autres à son bel ordre, à sa bonne organisation. Aussi combien est-il à désirer, d’une part, que la bonne composition des fers, qu’un mélange harmonieux d’ornements en rapport avec le contenu des livres, et, d’autre part, que l’entente judicieuse des titres, du nom de l’auteur, de la date de l’édition, du nom de la ville ou de l’imprimeur, viennent fournir les plus nobles embellissements, et procurer la plus grande facilité pour les recherches.

15. Un relieur soigneux auquel on confie des ouvrages précieux, et qui ne peut tout faire par lui-même, ne se contente pas de la collation faite avant la reliure ; il ne laisse point passer un livre nouvellement relié des mains de ses ouvriers, dans celles du bibliophile ; mais il le collationne de nouveau. Il examine s’il n’y a pas de feuilles déplacées ; si toutes les gravures s’y trouvent, si elles sont garanties par un papier joseph, si les cartes et les grandes feuilles sont collées sur onglet et pliées de manière que l’on puisse les développer facilement et sans crainte de les déchirer.

  1. Bibliothéconomie, arrangement, conservation et administration des bibliothèques, par L.-A. Constantin. 1 vol. orné de figures, faisant partie de l’Encyclopédie-Roret.