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Marianne (Léo)/3

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Bureaux du Siècle (p. 169-179).


III

Le printemps succédait à l’hiver, et le jardin s’embaumait du parfum des premiers lilas.

Il y avait cinq mois que Marianne habitait au milieu de la famille Brou. Les habitudes s’étaient faites, régularisées, et tout y allait paisiblement, si paisiblement que le docteur commençait à s’impatienter. Il n’était pas de ceux qui croient à l’amitié d’homme à femme, et cependant c’était un sentiment de ce genre qui semblait exister entre Marianne et Albert. Absence d’inquiétude, abord tranquille, franches poignées de main, plaisir d’être ensemble, de causer ensemble, mais trop franc pour avoir rien de secret. Bien plus, Albert commençait à se familiariser assez avec la présence de Marianne pour laisser percer çà et là le bout d’oreille de ses défauts ; une ou deux fois, il avait été presque rude à l’égard de sa jeune cousine. Cela tournait décidément à la fraternité de famille. Le docteur n’était pas content.

— C’est assez qu’une chose soit avantageuse pour que ces diables d’enfants n’en veuillent pas, se disait-il avec dépit. Une fortune superbe, une fille jolie, bonne, bien née, charmante ; il ne trouvera jamais tant de biens réunis, et l’imbécile laisserait prendre cela à d’autres ! Qu’attend-il pour être amoureux ?

Se rappelant qu’il y avait déjà deux ou trois ans, il avait pu craindre pour son fils un essor trop vif des passions de la jeunesse, il n’y comprenait rien. C’est que son propre désir l’aveuglait sur les conséquences de l’éducation qu’il avait donnée. Albert avait été nourri dans l’idée qu’il ne devait penser au mariage que vers trente ans, vingt-cinq au plus tôt, et que jusque là il avait le champ des amours faciles. Cet arrangement adopté, il devait regarder toute jeune fille honnête comme fruit défendu ou du moins réservé à d’autres temps, et n’éprouver vis-à-vis d’elle que le trouble léger causé par la différence des sexes, combiné avec la peur d’un engagement sérieux et prématuré.

Albert n’était point un de ces idéalistes dont le cœur ou l’imagination s’enflamment à l’encontre des idées reçues. Après tout, dans la corruption même de sa pensée, résidait une honnêteté relative ; il ne voulait pas prendre un engagement pour le trahir. Il devait, l’année suivante, aller achever ses études à Paris et re pouvait être reçu docteur avant d’avoir au moins vingt-cinq ans. Des fiançailles de quatre années lui eussent paru chose fantastique. Albert n’avait que les vices de son éducation, point de perfidie personnelle, et, près de sa cousine, le respect, l’amitié, prévenaient un désir que la cupidité seule inspirait à son père.

Celui-ci avait trop largement pratiqué ce qu’on nomme folies de jeunesse, et trop bien connu la vie des étudiants à Paris, pour douter un seul instant que son fils ne cédât à son tour aux séductions ou plutôt aux habitudes du milieu, à l’influence du temps et de l’absence ; mais comme c’était un esprit plus net et un homme de plus d’expérience, il importait peu à ses yeux que l’engagement fût trahi d’un côté, pourvu que de l’autre on n’en sût rien. Aussi ne comprit-il pas même l’instinctive bonne foi qu’Albert devait à sa jeunesse. La jeunesse, si mal élevée qu’elle soit, a toujours quelque candeur, et, dans un accès de mauvaise humeur, il dit rudement à sa femme :

— Ton fils n’est qu’un sot ! Qu’est-ce qu’il peut y avoir là-dessous ?

Quoique vraiment formalisé de l’épithète appliquée à son idole, Mme Brou ne comprit pas davantage. Elle se mit à chercher ce qu’il y avait là-dessous, et ses soupçons se portèrent de nouveau sur la jeune couturière à la journée, autour de laquelle elle avait vu Albert tourner assez galamment.

Cette jeune fille était une des habituées de la maison ; elle y passait à certaines époques des semaines entières, pour remettre en état les vêtements de l’année précédente et pour la confection de ces petites robes à bon marché, dont tout le prix est dans la quantité des garnitures et dans le nombre infini de coups d’aiguille qu’elles réclament. Économie sur les prix de la grande faiseuse.

— Cette petite est fort adroite, disait Mme Brou, et elle m’épargne beaucoup d’argent.

De plus, Henriette venait chaque semaine pour les raccommodages, auxquels ne s’abaissaient pas les mains de ces dames, occupées de plus beaux ouvrages. Cette petite était une jolie fille d’une vingtaine d’années, de mise très-modeste et de manières très-réservées, — chose nécessaire pour se faire une clientèle dans la bonne bourgeoisie de Poitiers, qui est sévère à l’égard des prétentions ouvrières, — mais cette douceur n’avait rien d’emprunté, elle touchait même à la mélancolie, et quand Henriette levait sur quelqu’un ses grands yeux noirs, il était aussi difficile de ne pas être ému de sympathie que de ne pas admirer la coupe exquise de ces beaux yeux et leur noir profond sur un iris légèrement bleu.

Ils avaient charmé plus d’un jeune homme dans les maisons bourgeoises où travaillait Henriette ; mais elle passait pour une vertu farouche. Restait à savoir si Albert s’était sérieusement occupé d’elle, et en ce cas si elle avait pu résister sérieusement à Albert. Mme Brou trouvait la chose improbable. Là pouvait donc être l’obstacle, la diversion fâcheuse. Mais comment s’y prendre pour le savoir ?

Ce fut Marianne elle-même qui fournit l’occasion. Elle avait pris en amitié la jeune ouvrière, souvent elle l’emmenait dans sa chambre pour travailler avec elle à des arrangements de toilette ; elle lui avait fait des cadeaux de ses propres vêtements et prenait plaisir à causer avec elle. Henriette s’exprimait bien ; elle était discrète, sincère, et, sans se l’avouer, Marianne trouvait dans la conversation de cette ouvrière plus de sérieux et même de variété que dans celle d’Emmeline. C’est que la pauvre Henriette connaissait la vie pour avoir déjà beaucoup souffert.

Dans le village qu’ils habitaient, au milieu des plus pauvres populations bretonnes, Marianne et son père avaient contracté des habitudes de bienfaisance, que la jeune fille désirait continuer à Poitiers, et c’était évidemment dans cette prévision que M. Aimont, par son testament, avait désiré que sa fille jouit sans contrôle d’une somme de 5, 000 francs par an. Tout en trouvant la chose exorbitante, M. Brou s’y conformait. En réponse au désir de sa pupille, il lui avait indiqué des malades pauvres à soulager, et plusieurs fois Marianne, désireuse de connaître par elle-même les besoins de ses protégés, s’était fait accompagner chez eux par Henriette.

On sait que dans la bourgeoisie, à Poitiers moins que partout ailleurs, une jeune personne ne sort jamais seule, et quand ses parents ne peuvent l’accompagner, doit être du moins suivie d’un garde du corps, c’est-à-dire d’une bonne, autre jeune fille souvent. Marianne préférait la compagnie d’Henriette à celle de la femme de chambre ; celle-ci d’ailleurs était retenue par son service le matin. Or jamais, au grand jamais, Mme Brou n’aurait permis ces courses l’après-midi, à l’heure où le beau monde circule dans les rues. Alors ses filles ne devaient être accompagnées que par elle ou par M. Brou. Pour de petites sorties du matin, passe encore, et pourtant ce n’était pas trop convenable ; elle en gémissait, mais Marianne le voulait tant ! Elle eut été si contrariée ! Pouvait-on rien refuser à cette chère enfant ?

Du moins, la personne chargée d’accompagner Mlle Aimont, ce joyau confié à la surveillance en chef de Mme Brou, devait être digne d’un tel emploi. Mme Brou prit donc à part son fils, et d’un ton solennel :

— Je ne m’inquiète pas d’ordinaire de tes fredaines, lui dit-elle ; mais ici le cas est différent. Il s’agit de Marianne…

— De Marianne ! s’écria le jeune homme très-surpris.

Et Mme Brou vit avec plaisir une rougeur envahir les traits de son fils.

— Je n’ai rien à me reprocher vis-à-vis de Marianne, ajouta-t-il d’un air fâché.

— Ce n’est pas ce que je veux dire, et il me semble, au contraire, que tu n’as qu’un tort envers elle : c’est de ne pas l’admirer autant qu’elle le mérite. Une si jolie personne… Si j’étais un homme, moi, j’en serais fou. Non, je veux seulement parler de cette petite Henriette. Marianne, qui est bonne, l’a prise en amitié et cause beaucoup avec elle ; elle s’en fait même accompagner dans ses courses du matin. Moi, je ne voudrais pas contrarier Marianne ; mais cela m’inquiète, parce que je ne sais pas jusqu’à quel point on peut se fier à cette petite. Voyons, dis-moi cela. C’est une question d’honneur que je t’adresse ; car, tu dois le comprendre, si cette jeune fille avait le moindre reproche à se faire, ne fût-ce que de légèreté, je ne souffrirais pas qu’elle accompagnât Marianne, et je la remercierais tout de suite de ses services. Quand on a des jeunes personnes dans sa maison.

Elle disait vrai, la bonne dame : c’était une question d’honneur, puisqu’au besoin elle demandait à son fils une trahison. Il est vrai qu’on ne pouvait mettre en comparaison l’intérêt d’une petite ouvrière comme Henriette avec l’intérêt d’une belle héritière comme Marianne.

Albert avait déjà répondu par un éclat de rire.

— En vérité, maman, je vois que je t’inspire une merveilleuse confiance. Tu me crois occupé comme ça à courtiser la brune et la blonde !… Et l’école de médecine donc ?

— Oh ! je sais bien que ce n’est pas elle qui a le plus de charmes pour un garçon de ton âge, et j’ai fort bien vu que tu faisais la cour à Henriette. Allons, je te l’ai dit, sois franc, c’est ton devoir.

— Je l’ai trouvée gentille et je le lui ai dit pour lui faire plaisir, voilà tout.

— Et que t’a-t-elle répondu ?

— Elle m’a dit ce que les joues d’une jeune fille qui sait rougir disent en pareil cas ; puis elle a pris un petit air dégagé en me jetant quelques paroles qui voulaient signifier : Ça m’est bien égal ! Mais je n’en ai rien cru.

— Mauvais sujet ! Et après ?

— Après ? Mais c’est tout.

— Tout ce que tu veux me dire.

— Ah ! maman… réellement… Après j’ai voulu l’embrasser, et alors elle m’a appliqué la main sur la joue, sans même prendre le temps d’ôter son dé, ce que j’ai trouvé dur.

— Et ensuite ?

— Que, diable ! veux-tu de plus ? Ah ça ! maman, tu as une imagination… Eh bien ! parole d’honneur ! c’est tout, absolument tout ; car elle s’est armée en guerre pour tout de bon, et moi, ne voulant pas porter sur la figure les marques d’un dé à coudre et ne voyant pas d’autres profits à récolter, j’ai battu en retraite honteusement.

— C’est bien vrai ?

— Maman !…

— Je te l’ai dit, c’est à cause de Marianne. Tu ne voudrais pas plus que moi que la réputation et la pureté de la cousine courussent le moindre danger.

— Non certainement.

— Alors je puis être tranquille ? Tu n’es pas amoureux de cette petite, bien sûr ?

— Eh ! non, puisqu’elle n’a pas voulu. Voyons, je t’ai avoué ma défaite ; que te faut-il ?

— Tu n’aurais pas dû songer à cette fille, puisque je la prends chez moi. Fais dehors ce que tu voudras, mais tu dois respecter la maison de ta mère. Je ne parle pas, bien entendu, des affections permises, c’est-à-dire le mariage. Quant à un amour comme celui-là, j’en serais bien aise au contraire, et…

— Nous en reparlerons quand j’aurai trente ans, dit Albert en regardant sa montre et en prenant son chapeau.

Il s’en alla faire ce qu’il voudrait hors de la maison, sa conscience déchargée d’avance de tout embarras et de toute hésitation par les recommandations de la morale maternelle. Il ne faut pas en vouloir particulièrement à Mme Brou. Sur vingt femmes de la bourgeoisie, il n’en est pas quatre qui se fassent scrupule de parler ainsi à leurs fils, dès qu’ils ont atteint la vingtième année, tant est complète l’acceptation du fait général, tant est corrompu le jugement vulgaire. Et ces honnêtes mères de famille ne pensent même pas que d’aussi dangereuses paroles peuvent être, pour beaucoup de jeunes gens, une incitation plutôt qu’une absolution. Pourquoi hésiter devant un agréable péché pardonné d’avance ? et comment croire mal ce que les honnêtes femmes absolvent si aisément ? Ce n’est pas la moindre cause de la corruption des mœurs que cette corruption de l’opinion.

— Je crois, dit Mme Brou à son mari, qu’Albert n’est point occupé d’Henriette ni peut-être d’aucune autre ; mais il ne songe pas du tout au mariage. Il faudrait lui en parler.

— Non, dit le docteur. C’est trop délicat. Je ne veux pas avoir l’air de capter la fortune de ma pupille…

— Comment donc ! Ne faut-il pas qu’elle se marie ? Et quel mal y a-t-il à la pourvoir d’un beau et bon garçon, plein d’intelligence ?… Car elle ne peut pas trouver mieux.

— Tu le crois du moins, répondit en souriant le docteur ; mais je ne puis donner à Albert que 50, 000 francs de dot, et Marianne aura plus d’un demi-million…

— Eh bien ! n’aura-t-il pas un état, lui ? et puis n’est-ce pas un homme ? Les hommes n’ont pas besoin de dot et ils peuvent prétendre à tout.

— Ce serait fort bien s’ils s’aimaient d’eux-mêmes. Je ne dois pas m’en mêler… Je devrais plutôt paraître avoir la main forcée. D’un autre côté, Albert est à un âge où il ne calcule pas encore, parce qu’on ne doute pas de l’avenir. Lui parler de notre désir serait peut-être l’en détourner.

— Ma chère, poursuivit le docteur d’un air magnanime, je serais heureux que ce mariage eût lieu, par intérêt pour mon fils et par l’attachement que j’ai déjà conçu pour Marianne ; mais la délicatesse nous défend d’agir dans cette affaire.

Il sortit majestueusement, laissant Mme Brou furieuse de cette abnégation, dont elle fut dupe.

— Eh bien ! non, elle n’y renoncerait pas, elle, comme cela ! N’était-ce pas leur bonheur à tous deux ? Quel mal y avait-il donc ? Le docteur était toujours ainsi, trop grand, trop délicat… C’est bien comme cela qu’agissent les autres !…

Par égard pour la défense de son mari, Mme Brou ne parla point à son fils et ne s’engagea dans aucune entreprise décisive ; mais, à partir de ce moment, ce fut de sa part un système de facilités, d’insinuations, qui eût été fort clair pour une naïveté moins grande que celle de Marianne. Mme Brou faisait remarquer à son fils en toute occasion les perfections de Marianne ; elle s’arrangeait, sous divers prétextes, pour les laisser seuls pendant la leçon ; elle vantait continuellement à Mlle Aimont le cœur, l’intelligence et les agréments d’Albert. Moitié instinct, moitié finesse, Emmeline entra dans le complot ; elle était fort bien avec Marianne, devant laquelle elle ne se gênait pas d’exprimer ses fantaisies et qui la comblait de cadeaux. Ce fut elle qui osa le plus.

— Je voudrais bien qu’elle fût tout à fait ma sœur, disait-elle en se pendant au cou d’Albert. Je l’aime tant, elle est si bonne !

Un jour qu’Albert, dans la salle à manger, parcourait le journal, pendant que les jeunes filles étaient au jardin, M. Brou dit à sa femme :

— Ma pupille n’a pas encore mis le pied dans le monde et on me la demande déjà en mariage.

— Un amoureux de dot, dit aigrement Mme Brou.

— C’est ce que j’ai craint, répliqua le docteur, et j’ai pris des informations. On m’a juré que ce monsieur en était devenu passionnément amoureux pour l’avoir vue seulement à la promenade et qu’il ne savait pas même qu’elle fût riche. Il lui trouve un air si pur, si doux, une grâce si charmante ; enfin c’est un enthousiasme complet. Je le conçois. Moi, je voudrais que Marianne ne se mariât pas avant sa majorité : cela m’engagerait moins. Cependant je ne puis pas refuser de lui parler d’une alliance qui serait très-convenable.

— Et pourquoi cela ? s’écria Mme Brou ; n’a-t-elle pas le temps ? Nous ôter cette enfant-là, qui fait le charme de la maison, que nous aimons déjà comme si elle était notre fille !

Elle tira son mouchoir, et ce n’était point hypocrisie. L’idée de voir partir Marianne aux bras d’un mari étranger la mettait réellement au désespoir.

— Ce n’est pas là ce que j’avais rêvé, reprit-elle en tournant la tête vers son fils, qui, tout en gardant le journal devant ses yeux, visiblement écoutait ; non, non, j’avais fait un autre rêve,… mais apparemment il serait trop beau !…

— Tu t’emportes trop vite, observa le docteur d’un ton bonhomme ; il n’est pas dit que Marianne acceptera.

— Tu ne devrais pas même le lui proposer. Elle est encore trop jeune, trop inexpérimentée ; elle a sur bien des points des idées de petite fille. Elle serait malheureuse, et je ne le veux pas. Ah ! si mes vœux pouvaient se réaliser !

— Chut ! dit tout haut le docteur en montrant Albert ; nous devons rester neutres dans tout ceci. Je crois comme toi qu’une union préparée par une connaissance intime, un engagement de quelques années, ne peuvent qu’assurer le bonheur de ceux qui le contractent ; mais il faut qu’il soit fait librement, et cela ne nous regarde pas. En tout cas, je ferai mon devoir.

Il se leva.

— Quoi ! tu vas lui en parler tout de suite ?

— Pourquoi pas ?

M. Brou sortit. Mme Brou, au coin de la cheminée, continua de pousser de grands soupirs, et Albert continua de regarder fixement le journal. Emmeline rentra presque aussitôt.

— On me renvoie, dit-elle ; papa a des secrets à dire à Marianne, à ce qu’il paraît. Qu’est-ce que c’est, maman ?

— Si je le savais, ma fille, je ne te le dirais pas, puisque ton père a cru devoir te le cacher, répondit Mme Brou avec dignité.

Emmeline reprit sa tapisserie et son babillage.

— Tu ne vas pas à l’école, Albert ? Il est une heure.

— Mêles-toi donc de tes affaires, petite.

— Eh bien ! il est gentil, maman, aujourd’hui.

Un quart d’heure ne s’était pas écoulé depuis la disparition du docteur qu’il rentra, accompagné de Marianne. En entendant leurs pas dans le corridor, Albert s’était levé et se tenait en face de la porte, son chapeau à la main. Marianne avait de plus vives couleurs qu’à l’ordinaire ; elle semblait émue, la limpidité de son regard était troublée comme par des visions nouvelles. Albert ne l’avait pas encore vue ainsi. Il sentit son cœur se serrer et attendit.

— Voilà une chère enfant qui ne veut pas nous quitter encore, dit le docteur à sa femme.

Celle-ci embrassa Marianne avec beaucoup de démonstrations, et Albert sentit le sang bondir joyeusement dans ses veines.

— Alors c’était pour un mariage ? s’écria Emmeline. Oh ! comme je suis contente qu’elle ne veuille pas !

Elle sauta au cou de Marianne.

— Embrassement général ! dit jovialement le docteur, s’emparant à son tour du front de sa pupille.

— Il n’y manque plus qu’Albert ! dit Emmeline d’un ton d’enfant terrible…

— Moi, je vais à l’école ! cria le jeune homme.

Et il partit comme un trait. Cela abattit les bras à Mme Brou, qui ne put s’empêcher d’en marquer sa stupéfaction.

— Ne fais donc pas cette mine-là, lui dit à l’oreille son mari. Ça n’est pas mauvais, au contraire.

Le docteur apparemment s’y connaissait car, à partir de ce moment, il y eut un changement chez Albert. Il devint sérieux, boudeur, irritable parfois, et cela fut d’autant plus remarquable, que depuis quelque temps, au contraire, Marianne était plus expansive. Maintenant sa tristesse ressemblait à ces rosées d’avril qui font pencher languissamment les belles fleurs épanouies. Sous l’influence du printemps sans doute, sa jeunesse et sa beauté rayonnaient chaque jour d’un plus vif éclat. Au sortir de cet hiver d’écrasante douleur, c’était comme une résurrection de ses dix-huit ans qui voulaient, malgré tout, donner leurs fleurs, leurs parfums, leurs harmonies. Ses joues avaient repris le rose, en dépit du deuil, et ses yeux, au milieu de leur douceur rêveuse ou ingénue, lançaient par moment des flammes sans le savoir. Emportée par une impulsion nouvelle, il lui arrivait facilement de mêler ses rires à ceux d’Emmeline et d’Albert, et de jouer ou plaisanter avec eux dans un accès de vivacité charmante. Mais alors sans doute, se reprochant ces gaietés involontaires, elle s’enfuyait dans sa chambre, et on ne l’en voyait sortir que pâlie et les yeux rougis.

Un jour, elle jouait au volant dans le jardin avec Albert et Emmeline ; il faisait un vent frais qui à chaque bouffée emportait le volant hors de la ligne droite ; on courait après et on le manquait : c’étaient de fous rires. Le plaisir de cet exercice avait exalté Marianne ; elle courait, se précipitait à droite, à gauche, bondissait en arrière. Sa taille souple et jolie prenait d’exquises attitudes ; ses yeux étincelaient, ses joues éclataient, et de ses lèvres entr’ouvertes s’échappaient de frais éclats de rire, toutes les fois que le volant en péril se trouvait manqué ou relevé. À la fin, essoufflée, lasse, elle s’abandonna sur un banc, la raquette en main, et, se renversant à demi, la tendit de loin à Albert. Il vint à petits pas, les joues colorées, tout sérieux, la regardant. Il n’échangea qu’un seul mot avec sa cousine et prit la raquette ; mais joua languissamment, tout en tournant souvent les yeux du côté de Marianne. Celle-ci, un moment encore étourdie et souriante par l’action du jeu, se calma bientôt, devint sérieuse ; on la vit baisser la tête un instant, et tout à coup elle partit comme une flèche dans la direction de la maison.

— Où vas-tu, Marianne ? lui cria Emmeline — car elles se tutoyaient depuis quelque temps.

Albert avait laissé tomber le volant, et regardait aussi la fugitive, qui entra, sans répondre, dans la maison.

— Elle va pleurer dans sa chambre, dit Emmeline. C’est toujours ainsi quand elle s’amuse un peu. Mon Dieu ! il faut pourtant être raisonnable ; on ne peut pas toujours pleurer… Eh bien ! tu ne joues plus ?

— Non, dit-il.

Et il alla s’asseoir sur le banc où se trouvait Marianne un instant auparavant, répondant à peine à Emmeline, qui, l’accusant de maussaderie, le laissa. Albert, demeuré seul, attacha les yeux sur la fenêtre de Marianne, qu’il apercevait entre deux lilas ; puis, à son tour, il rentra.

Une heure s’était écoulée, quand Marianne, ouvrant la porte de sa chambre, vit Albert au seuil de la sienne, à l’autre bout du corridor. Il semblait être là depuis un moment ; car il était immobile, les yeux fixés du côté de Marianne. En la voyant, il tressaillit, fit le mouvement de rentrer dans sa chambre, puis, se ravisant, il alla vers elle.

— Vous m’attendiez, mon cousin ? dit-elle naïvement.

— Oui, balbutia-t-il ; c’est-à-dire non… je…

Elle attacha sur lui ses beaux yeux étonnés.

— Eh bien ! oui, reprit-il, je savais ce que vous faisiez et j’en éprouvais beaucoup de peine.

— Ce que je faisais….

Elle rougit.

— Oui, je le sais, reprit Albert, et cela se voit assez d’ailleurs. Oh ! tenez, vous avez tort, Marianne : pourquoi ne pas être gaie, comme votre jeunesse le veut ? Vous reprocher cela comme un crime ? Non, ce n’est pas bien. Et cela nous fait tant de peine ! Moi, je me serais battu d’avoir ri, puisque cela vous a fait pleurer.

— Ce n’est pas votre faute, c’est la mienne. Oh ! que je regrette de vous attrister !

— Est-ce pour moi ?… Non ! c’est qu’il est trop pénible de vous voir malheureuse. Votre père, qui était si bon et vous aimait tant, s’il était là, ne voudrait pas vous voir pleurer.

— C’est vrai, mais comment ne pas souffrir de ne l’avoir plus ?

— Sans doute, notre affection est trop peu de chose pour vous.

Marianne releva sur lui ses beaux yeux humides.

— Oh ! ne dites pas cela, Albert ; je ne suis pas ingrate, et si vous saviez combien je vous trouve bon pour moi, combien je suis touchée de vous voir du chagrin à cause de moi ! Je vous aime bien tous, mon cousin, et vous plus encore aujourd’hui que les autres jours !

En même temps, avec un abandon charmant et sincère, elle l’embrassa.

Mais, si Marianne était capable de donner un tel baiser, Albert ne l’était point de le recevoir : il resta d’abord étourdi ; puis un flot de sang lui monta au visage, et son trouble fut tel que la naïve enfant ne put manquer de s’en apercevoir. Au premier instant, elle fut sur le point de lui demander ce qu’il avait ; puis le sens confus de la femme, encore si peu développé chez elle qu’il avait de ces absences, lui vint, et elle rougit à son tour et baissa les yeux. Un moment, ils restèrent ainsi en face l’un de l’autre comme deux coupables pris en faute ; puis s’ébranlèrent en même temps.

— Vous descendez, ma cousine ? dit Albert en balbutiant.

— Oui… je descendais.

Il la fit passer devant lui, et en la suivant les yeux du jeune homme brillaient d’un éclat humide. Marianne fut distraite le reste du jour ; Albert ; plus songeur que jamais.

On est toujours plus ou moins ignorant de la vie à dix-huit ans ; néanmoins les jeunes filles élevées dans les villes, sans même parler des filles du commerce et des filles du peuple, forcément averties par tout ce qui les entoure, arrivent plus promptement à démêler le rôle que leur tracent les passions ou la malignité d’autrui. Pour Marianne, enfermée dans un pensionnat dès l’enfance, après la mort de sa mère et tandis que son père courait la mer ; puis, de quinze à seize ans, jusqu’à dix-huit, remise aux soins paternels d’un officier de marine, bon, instruit, intelligent, mais qui, en fait d’éducation, ne savait guère que chérir sa fille, confinée dans une campagne à demi sauvage, Marianne n’avait rien appris que théorique ment, et cela même d’une manière insuffisante, fantaisiste, sans ordre aucun. Son père lui avait ouvert le beau, le bien, lui cachant le reste, se plaisant à idéaliser ce cher trésor d’amour et d’intelligence, pour lequel il eut voulu fonder, quelque part dans l’éther, un paradis. Jusqu’à la misère qu’il l’appelait à soulager, il la lui avait poétisée, lui cachant le vice, qui presque toujours en est une des faces, ne lui montrant que le malheur.

Pleine de vol par elle-même, idéaliste, enthousiaste, l’enfant n’avait rien vu de ce qu’on lui cachait ; elle était, en quelques points, comme l’avait remarqué Mme Brou, d’une étonnante ignorance. Aussi se demanda-t-elle avec inquiétude pourquoi Albert avait tant rougi et ne lui avait plus parlé ; si elle avait mal fait de l’embrasser. Mais ce n’était pas la première fois : au premier de l’an, au jour de sa fête, aux petits jeux que Mme Brou leur faisait jouer le soir, Albert l’avait embrassée. N’étaient-ils pas cousins ? Et, cette fois encore, n’y avait-il pas une raison, puisqu’il se montrait si bon pour elle ? Oui, mais pourquoi cette fois avait-il rougi ? Il avait donc trouvé que c’était extraordinaire, que ce n’était pas convenable ?

Cette conclusion causait à Marianne une grande mortification. L’amour-propre inquiet, sa raison à demi éclairée, un certain trouble que lui avait causé le trouble d’Albert, l’agitaient vivement et ramenaient constamment sa pensée sur ce problème.

Le soir, elle se trouvait seule dans la salle à manger quand Albert rentra. En voyant son cousin, toutes les pensées qui avalent occupé la jeune fille pendant la journée lut revinrent à la fois et la déconcertèrent ; son visage se couvrit d’une éclatante rougeur. Ce fut peut-être cette raison qui décida tout, car Albert dut chercher à se l’expliquer, et lui qui jugeait les choses avec beaucoup plus de précision que Marianne, il se dit : M’aimerait-elle ?

Ce fut un vif ébranlement pour son indifférence, déjà fort entamée. Il est bien peu d’humains à qui cette pensée d’être aimé ne cause un attendrissement profond. Elle peut donner du charme à la laideur mème. Que ne donne-t-elle pas à un être déjà charmant ? Albert, dans l’éloignement où il était d’un prompt mariage, détournait les yeux de sa jolie cousine, et se gourmandait lui-même lorsqu’il se sentait près de l’admirer trop. Il ne les détourna plus ; il s’abandonna, le cœur palpitant, au plaisir de la trouver ravissante. Maintenant, le regard voilé, il épiait ses moindres mouvements, et il lui semblait qu’il ne l’avait encore jamais vue, qu’elle n’était plus la même. Les étincelles de vie, peut-être d’amour, qu’il voyait briller dans ces yeux autrefois voilés de larmes, le brûlaient au cœur. Oh ! que de choses infinies dans cet œil éclatant et doux qui parlait avant la bouche et disait bien plus ! Sous la peau transparente, émue, de ces joues d’un ovale si pur, de ce beau front successivement colorés de toutes les nuances, du blanc au rose vif, il semblait que le sentiment courût avec le sang. Tout revivait en elle à présent : la lèvre riait, le geste vif éclatait d’une grâce nouvelle, ses cheveux flottaient avec la brise du printemps, sa taille souple elle-même semblait se plaire à se balancer comme la branche au vent. Toute cette force printanière, un moment brisée par l’orage, s’épandait, refleurissait.

Désormais, pour assister à cette fête de voir et d’admirer Marianne, Albert dédaignait tout autre plaisir ; il ne mit plus les pieds au café. Il n’alla plus dans la ville que de l’école à la maison, et le chemin lui sembla long, bien qu’il le fît à la course ; l’école même souvent fut abandonnée. Avant tout, Albert fut le compagnon fidèle de toutes les promenades au jardin ; il accompagnait également ces dames à la promenade publique, et le soir, quand Marianne s’était retirée dans sa chambre, il s’en allait au jardin regarder sa fenêtre éclairée, avec l’espoir de la voir passer dans la chambre, et peut-être venir s’accouder sur la balustrade, en allongeant sa tête rêveuse au-dessus de ce nid de feuillages et de parfums qu’elle aimait. Albert alors, à petits pas, se rapprochait, et quand, de derrière le massif le plus proche, il l’avait longuement contemplée et la voyait près de se retirer, il avançait plus encore, se faisait voir ; des phrases un peu banales, et pourtant pleines d’intérêt, s’échangeaient. Quelquefois, la conversation devenait une causerie, à laquelle Albert s’arrachait à grand’peine et qu’il emportait dans son souvenir pour la savourer encore ; c’était tout au moins un bonsoir dit avec des inflexions différentes et cent fois plus douces que celles du bonsoir officiel.

— Je ne sais pas ce qu’a Albert, maman, disait Emmeline d’un air à demi ingénu, à demi malin, en brodant près de sa mère, mais à présent, il ne bouge plus d’avec nous. Je ne dis pas qu’il soit très-aimable, car le plus souvent il ne dit rien ; Marianne non plus. C’est moi qui dois soutenir toute seule la conversation.

— Eh bien ! laisse-les, s’ils t’ennuient, et viens causer avec moi, répondait Mme Brou, qui n’osait pas s’expliquer plus clairement.

Mais la bonne dame, elle aussi, faisait ses observations et rayonnait de joie ; elle pensait même que c’était grâce à son habileté, à son expérience et à sa sagesse que tout avait si bien tourné.

Quant à Marianne, elle trouvait son cousin bon, affectueux, et l’aimait beaucoup ; mais tout d’abord, elle n’y vit pas autre chose. Ayant fini par oublier la gêne que lui avait causée pendant quelques jours le baiser inconvenant dont on avait tant rougi de part et d’autre, elle était redevenue simple et bonne camarade avec son cousin, comme auparavant ; elle le rencontrait avec plaisir, mais elle ne le cherchait pas, et, dans son exigence croissante, que secondait la pensée présomptueuse qu’il avait conçue, Albert ne tarda pas à s’en apercevoir.

Les amoureux, comme on sait, s’entendent par intelligence secrète. Deux esprits ardemment tendus vers le même but découvrent les mêmes moyens, devinent par analogie leurs pensées, leurs intentions réciproques ; cela même devient une exigence intime quand on aime. Or Marianne ne devinait rien. Plus d’une fois, lorsque Albert l’attendait au jardin, elle montait dans sa chambre, et ces causeries du soir, dont il eût voulu faire des rendez-vous, restaient, grâce à elle, de simples rencontres, un hasard. Elle ne le sentait pas là, sous sa fenêtre, tout frémissant d’impatience et de désir, l’appelant, l’attendant en vain. Insoucieuse, elle ouvrait son piano et ne chantait pas même une tendre romance, mais étudiait tout bonnement ou lisait, ou bien, assise dans un coin sombre, rêvait au père chéri, absent à jamais. Pendant ce temps, une âcre amertume, une ardente irritation, envahissaient le cœur d’Albert, et quand enfin la lumière s’éteignait sans que Marianne eût paru, il se retirait en l’accusant de caprice, de légèreté ou même de coquetterie, mots dont à peine elle savait le sens, mais qui pour lui, pauvre enfant hâtivement corrompu, faisaient déjà partie du bagage appelé « connaissance du monde ».

Un matin que, sortie avec Henriette, Marianne arriva en retard pour la leçon, elle trouva Albert dans une agitation extrême.

— Je vous attends depuis plus d’une demi-heure, s’écria-t-il.

Étonnée, elle tira sa montre.

— Oh ! mon cousin, voyez, dix minutes seulement.

— Puisque le temps vous a paru si peu long, je n’oserai pas me plaindre.

— Si vous saviez, j’ai vu de si tristes choses !…

— Tant pis, la tristesse ne vous vaut rien ; aussi j’ai peur que nos leçons vous ennuient.

— Oh ! pouvez-vous dire cela ? C’est vous peut-être qui n’avez pas le temps, et c’est cela qui vous rend méchant.

— Ah ! c’est moi qui… fort bien. C’est juste, les femmes n’ont jamais tort.

— Réellement, Albert, on dirait que vous êtes sérieusement fâché ?

— On se tromperait ; je suis ravi, enchanté. Il est si doux d’être oublié ! Henriette a une conversation pleine de charme, n’est-ce pas ?

— C’est une bonne fille, dit Marianne, et quelle aimable chose, mon cousin, que la bonté !

— Je suis de votre avis, ma cousine, et je vous rends grâce d’être si bonne pour moi !

Il était réellement furieux, et ce qu’il y avait au fond de sa rage, c’était ceci :

— Elle m’oublie, donc elle ne m’aime pas. Est-ce que je pourrais oublier, moi, l’heure du rendez-vous ? Orgueil d’enfant gâté pour une part, mais douleur sincère.

Marianne se tut ; ne pouvant toutefois s’expliquer un si âpre mécontentement pour si peu de chose, elle se sentit blessée de l’humeur d’Albert. Ayant ôté son chapeau, son mantelet, ses gants, elle s’assit en silence à la petite table, de chaque côté de laquelle ils se plaçaient, et Albert commença brusquement la leçon.

Elle fut sèche, bien que Marianne s’efforçât de la rendre aimable ; mais pour lui chaque coup d’œil qu’il jetait sur la charmante fille assise en face de lui redoublait son chagrin, son irritation. Quoi ! cette fine et adorable taille, ces mains délicates, cette magnifique chevelure que des rayons amoureux venaient baiser, ce front si intelligent, cet air ingénu, cette voix dont les sons pénétraient jusqu’à son cœur !… elle ne voulait pas être à lui ! Elle ne l’aimait pas ! Pourquoi donc rougissait elle ? pourquoi était-elle si bonne parfois ? pourquoi était-elle si séduisante ? pourquoi se faisait-elle aimer ?

Il se rappelait alors toutes les déceptions qu’il avait subies, il rougissait d’avoir eu la folie de se croire aimé ; il se disait qu’elle serait pour un autre, elle ! et qu’il la verrait se marier bien avant qu’il pût prétendre… Et qui sait si, avec ses airs d’ingénuité, elle n’avait pas voulu se faire aimer de lui ? — les femmes sont si coquettes ! — jouir du plaisir de l’enchainer pendant qu’elle n’en avait point d’autre près d’elle. Puis ensuite, quand elle serait entourée d’une foule d’adorateurs, se moquer de lui ? Les femmes sont si perfides ! Il lui prenait tantôt l’envie de rugir et tantôt celle de pleurer ; ces secrètes pensées brouillaient singulièrement ses démonstrations, et il avait par moments l’air si étrange que Marianne en fut frappée.

— N’êtes-vous pas malade, Albert ? Assurément vous avez quelque chose ?

— Ah ! vous croyez ?…

— Comme vous me regardez ! On dirait que vous êtes fâchée contre moi. Ce n’est pourtant pas à cause de ces dix minutes ? non, vous n’êtes pas si susceptible que cela ?

— Certainement. J’aurais beau manquer à un rendez-vous, moi, cela ne vous ferait rien ?

— Je vous attendrais patiemment, et si vous ne veniez pas, même pas du tout, je penserais que vous avez eu de bonnes raisons.

Le jeune homme faillit éclater de colère, il mit sa tête dans ses mains.

— Je vois que vous n’êtes pas bien, vous avez mal à la tête ? Laissons là cette leçon qui vous fatigue.

Marianne en même temps fit le geste de se lever.

— C’est plutôt moi qui vous fatigue, dit Albert d’une voix étranglée par l’indignation.

Et, se levant lui-même, il sortit d’un pas emporté.

— Qu’est-ce qu’il peut avoir ? se disait Marianne stupéfaite, en regardant la porte para où son cousin avait disparu.

Et, froissée par tant de rudesse et d’étrangeté, elle avait des larmes dans les yeux, quand Mme Brou entra dans la salle à manger.

C’était dans cette pièce qu’on se tenait d’ordinaire, le salon étant réservé pour les visites, les réceptions, l’apparat. Grande et jolie, fraîche d’aspect, éclairée par deux grandes fenêtres, et meublée élégamment, elle offrait un séjour agréable. L’ample cheminée de marbre gris, qui l’hiver rassemblait toute la famille autour des clartés et des chaleurs d’un bon feu, était déjà remplie d’un tapis de mousse, piqué de fleurs en chenilles, ouvrage d’Emmeline ; deux bocaux de poissons rouges l’ornaient, de chaque côté, d’un bloc de coraux sous verre. Au fond de la salle, en face de la cheminée, était un grand buffet de chêne sculpté, deux étagères dans les angles ; au milieu, la table à rallonges. Les siéges étaient de chêne sculpté également. Dans l’embrasure de la première fenêtre, sous l’abri de rideaux de mousseline blanche et de damas brun, se trouvaient le fauteuil de Mme Brou, la table à ouvrage de ces dames et leurs corbeilles ; dans l’autre, la table à écrire, où travaillaient Albert et Marianne, où chacun, à l’occasion, écrivait.

Comme une bonne ménagère qui revient avec empressement de sa surveillance à ses travaux, Mme Brou se dirigea tout droit vers sa table à ouvrage ; mais, ayant par hasard tourné la tête du côté de Marianne, restée debout à sa place :

— Qu’avez-vous, ma chère enfant ? s’écria-t-elle.

Sans savoir pourquoi, Marianne eût préféré n’avoir pas à répondre à cette question, et elle se permit le petit mensonge qui consiste à répondre « rien, » justement quand il y a quelque chose d’un peu difficile à dire. Et puis, en effet, ce n’était pas elle qui avait, mais Albert.

Mme Brou vint alors tout près de la jeune fille, et, la regardant attentivement dans les yeux :

— Voyons, mon cœur, est-ce qu’on croit pouvoir cacher quelque chose à sa tante ? Elle vous aime trop pour ne pas voir que vous avez une contrariété.

À de si tendres paroles, comment ne pas se rendre ? Marianne avoua donc la mauvaise humeur d’Albert.

Un grand soupir fut la première réponse de Mme Brou.

— J’ai déjà remarqué cela, ma chère Marianne, dit-elle. Oui, cette belle et franche humeur qui le rendait si aimable et parfois si spirituel est depuis quelque temps profondément troublée. Je l’ai interrogé plusieurs fois sans pouvoir le faire parler. Albert un chagrin, cela est sur, et je crains…

Elle noya la fin de sa pensée dans un nouveau soupir, plus profond encore.

— Vous soupçonnez ce que c’est ? dit Marianne.

— Je crains de le savoir.

— Ah !… et pouvez-vous me le dire, ma tante ?

— À vous ? répondit en tressaillant Mme Brou ; à vous, Marianne ! Oh ! non, je ne le puis pas. Il en sera ce que le ciel voudra… C’était un danger à prévoir ; mais… quand on a fait son devoir, on ne doit rien regretter. Je crains seulement que mon pauvre fils soit bien malheureux.

Elle leva les yeux au plafond et alla s’asseoir à sa place, où elle prit son ouvrage d’aiguille, mais sans rien faire que contempler ses propres pensées et pousser de nouveaux soupirs. Marianne, rêveuse, regardait sa tante.

— Pourtant, dit-elle timidement, je ne puis pas croire que ce soit sérieux ; mais, tout à l’heure Albert semblait fâché contre moi, parce que je suis arrivée un peu après l’heure.

Mme Brou haussa les épaules avec un gémissement étouffé.

— Mon Dieu ! oui… Ah !… mais ne vous reprochez rien, ma chère enfant ; ce n’est pas votre faute à vous ! Votre seul défaut est de vous faire trop aimer, et vous laisserez d’amers regrets quand vous quitterez cette maison.

— Oh ! je ne pense pas à vous quitter… ce serait de l’ingratitude.

— Vous n’y pensez pas encore, soit ; mais vous êtes à l’âge où l’on inspire des passions et où l’on en ressent. Votre avenir, comme celui de toute femme, est le mariage, et alors… Fasse le ciel que vous soyez plus heureuse que…

La sensibilité de Mme Brou ou ses scrupules ne lui permirent pas d’achever ; elle tira son mouchoir. À ce moment, la femme de chambre vint mettre le couvert pour le déjeuner. Embarrassée de l’énigme au milieu de laquelle elle se sentait elle-même enveloppée, Marianne monta dans sa chambre. Elle se trouvait dans un de ces moments où la vérité vous enserre, vous presse, et pèse sur vous sans qu’on la voie, où, tout environné de lumière, on n’en sent, ainsi qu’un aveugle, que la chaleur. Qu’était-ce donc que ce chagrin d’Albert dont Mme Brou ne pouvait pas lui parler à elle ? Après les discours de sa tante, il était devenu clair pour Marianne qu’elle y était pour quelque chose ; mais comment ?

Deux ou trois fois, qui l’eût observée eût vu son visage, penché sous la rêverie, se colorer d’un rose plus vif. C’était la vérité qui se formulait dans sa pensée, mais à la manière d’un éclair, suivi de ténèbres, simple supposition, qu’un mouvement de tête ou d’épaules immédiatement déclarait folle. L’idée de l’amour et du mariage — pour les jeunes filles, seul roman en deux chapitres, — est toujours latente dans leur esprit ; mais de 15 à 18 ou 20 ans, suivant le milieu, cette idée ne fait qu’y flotter à l’état de théorie : c’est le rêve, qu’un abime d’immatérialisation sépare encore de la réalité. Elles y songent beaucoup, et, si le fait se présente, elles en sont presque étonnées et craintives. C’est que — du moins chez les natures idéalistes, — ce rêve si beau, si grand, si merveilleux, ne s’accommode pas aisément des formes réelles. Ce papillon bleu ne vole bien que dans l’éther…

— Quoi ! c’est là un prince ? disait avec une déception profonde une fille candide.

Elles disent de même :

— Quoi ! c’est là un amant ? ce serait l’amour ?

D’autre part, la décente hypocrisie à laquelle les oblige l’usage contribue à leur composer à cet égard comme une double vie, l’une secrète, l’autre extérieure, qui, pour être en contradiction, ne sont ni l’une ni l’autre menteuses. Trop ignorante pour ne pas être indécise, la jeune fille passe de l’une à l’autre avec une élastique bonne foi. Si elles ne disent pas tout ce qu’elles pensent, elles ne croient pas non plus tout ce qu’elles rêvent. Si timides, si réservées, si facilement effarouchées, si sages dans leurs paroles, ont-elles vraiment laissé leur imagination s’égarer sur l’image de quelque beau jeune homme prosterne à leurs genoux Elles ne savent plus ; au plein jour de la vie, s’évanouissent les fantômes de la solitude ; la majesté du précepte a fait fuir les fantaisies du rêve. Elles rougiraient de ce souvenir jusqu’à ce qu’elles aient le loisir de le reprendre. Elles savent si peu, que croire et douter leur est également facile, et leur seule volonté ferme est d’aimer et de savoir : les deux grands buts de la vie.

Au milieu de la rêverie où Marianne était plongée, le parfum des lilas, qui entrait par la fenêtre ouverte, l’attira. Elle vint s’accouder sur la balustrade et jeta les yeux dans le jardin. Dans l’allée presque en face, était Albert. Il leva la tête, leurs regards se rencontrèrent, et Marianne éblouie baissa les yeux ; son cœur en même temps se prit à battre avec force. Elle se retira de la fenêtre et alla s’asseoir dans un coin sombre. Un mot lui bourdonnait aux oreilles, et lui remplissait le cœur et la tête : l’amour ?

L’amour d’Albert pour elle ! Albert !… Oui, ce regard ! Jamais elle n’en avait vu d’aussi beau, d’aussi éclatant et qui dit si bien : — De tout l’épanouissement de la vie et de la jeunesse qui rayonnent en moi, je l’admire, je t’aime, je vole à toi ! — Il avait été, ce regard, tout un poëme sans paroles, et maintenant, de souvenir, Marianne le voyait encore briller, tout étincelant et tout humide, comme un feu réfléchi dans l’eau. Oui, ce ne pouvait être que de l’amour, un tel regard ! Marianne le voyait, elle osait se le dire, et elle en restait à la fois éblouie et frémissante, saisie de charme et d’effroi, ne sachant pas si elle en était heureuse ou fâchée. Pour la première fois, l’amour, cet avenir dont tous lui parlaient sans qu’elle répondit, ce rêve lumineux de sa vie auquel elle pensait tout bas, sans savoir quand et comment il se rendrait sensible et s’incarnerait pour elle, il était venu ! il était là… là, tout près d’elle ! Elle en frémissait d’admiration et de peur.

Quoi !… Albert ?… Était-il possible ?… Est-ce que vraiment ce pouvait être lui ? Non !… Pourquoi pas ?…

Elle couvrit de ses deux mains son visage.

Oh ! elle ne savait pas ! elle ne savait pas…

Le cœur de la jeune fille se reprit à battre tumultueusement, elle devint toute éperdue.

La vie entière ! l’avenir déjà fait, si vite !… Et ce ne serait pas autre chose que cela ?…

Eh bien qu’y a-t-il à lui reprocher ? N’est-il pas bon, intelligent, aimable ? Tout le monde en dit tant de bien ! Marianne aussi l’aimait, oui, certainement elle l’aimait… Seulement elle n’aurait jamais cru, jamais pensé,… non ce n’était pas cela qu’elle avait pensé… Mais quoi ?… Pauvre Albert ! quelle idée il avait eue de l’aimer ? Et alors est-ce qu’il serait malheureux si… Oh ! sans doute ! Qu’il était beau, ce regard ! Il l’aimait donc bien…

— Mademoiselle, le déjeuner est servi.

Marianne se sentait agitée d’un tremblement nerveux. Elle répondit toutefois :

— J’y vais.

À la hâte, elle mit de l’eau sur son front, respira un flacon d’odeurs et descendit. À mesure qu’elle approchait de la salle à manger, elle se sentait plus déconcertée. Elle allait se trouver en face d’Albert ; tout le monde allait la regarder, voir son trouble peut-être ?… Sous l’empire de cette crainte, comme il arrive aux natures énergiques, elle se sentit calme tout à coup, et entra de son air habituel. Tous étaient réunis, même Albert. Marianne salua le docteur, qu’elle n’avait point encore vu, et comme d’ordinaire s’assit à table auprès de lui, ayant Albert en face d’elle.

Chacun disait son mot, Marianne elle même. Lui seul se taisait. Le docteur en fit la remarque, et dès lors Albert prit part à la conversation, quoique d’un enjouement un peu forcé. Alors, au milieu de ces personnes qui mangeaient et causaient comme à l’ordinaire, dans tout ce prosaïsme habituel, se produisit pour Marianne un phénomène propre aux natures idéalistes pour lesquelles une si grande différence existe entre leur idéal et la réalité, qu’elles peuvent difficilement les croire d’accord, elle se dit qu’elle avait exagéré, qu’elle s’était trompée, que rien de ce qu’elle avait cru voir n’était vrai ; elle se moqua de sa peur, d’elle-même, redevint à l’aise et discourut d’une façon gentille et dégagée avec le docteur.

Après le déjeuner, tout le monde passa ensemble au jardin, et l’on alla s’asseoir sous les marronniers, qui déjà donnaient de l’ombre. Là Mme Brou essaya de rétablir la bonne harmonie, que rien ne troublait, en voulant réconcilier Albert et Marianne, qui, disait-elle, malgré leurs dénégations, étaient fâchés. Le docteur se réserva de juger l’affaire et partit presque aussitôt. Mme Brou quelque temps encore soutint ses dires avec plus ou moins de prétentions à la malice et à l’arbitrage maternel ; puis tout à coup elle se rappela qu’elle avait à surveiller pour le dîner certains apprêts de cuisine, et elle s’éloigna. Dix minutes après elle appelait :

— Emmeline ! Emmeline !

— Que veux-tu, maman ?

— Qu’est-ce que tu as fait de mon écheveau de laine rouge ?

— Il doit être dans la corbeille.

— Je ne le trouve pas.

Emmeline se dirigea vers la maison et Albert et Marianne restèrent seuls.

Également embarrassés, ils gardaient le silence. Albert cueillit une fleur de lilas, qu’il mit dans sa bouche. Marianne en cueillit une autre qu’elle roula entre ses doigts. Puis, ses craintes dissipées la reprirent, elle se leva pour rentrer à son tour.

— Vous partez ? lui dit Albert d’une voix rauque.

— Mais… je vais rejoindre Emmeline…

— Emmeline va revenir.

— Ah ! vous croyez ?…

Et elle se rassit.

— Cependant je n’en suis pas sûr, dit-il amèrement, et si cela vous gêne de rester avec moi…

— Oh ! comment pouvez-vous le supposer ?…

— C’est tout simple, je me rends justice ; je ne suis pas aimable.

— Vous ne l’êtes pas depuis ce matin, c’est vrai ; mais ce n’est pas votre habitude, et si c’est que vous ayiez quelque ennui, je ne vous en voudrai certainement pas.

Ayant dit cela, elle rougit, car elle venait de toucher à un sujet brulant.

— Vous croyez que j’ai de l’ennui, reprit Albert ; vous êtes bien bonne d’y faire attention.

— Ne vous occupez-vous pas aussi de mes chagrins ?

— Oh ! pour vous, cela est si naturel. Pour moi, ce n’est pas la peine.

— Ce que vous dites là est injuste, et je vois bien, comme l’assure ma tante, que vous êtes fâché contre moi.

— Moi ! fâché contre vous ? dit-il avec émotion. Si vous saviez combien cela m’est difficile.

— Alors dites-moi que vous ne l’êtes pas.

— Je vous le dirai si vous voulez.

— Mais je ne demande que la vérité.

— Oh ! dit le jeune homme d’une voix altérée, la vérité est si difficile à dire… comme à savoir.

— Comment ! n’est-ce pas là le plus simple ?

— Vous croyez, reprit Albert avec un amer sourire. C’est tout le contraire. La vérité est partout et nulle part ; elle n’existe pas à l’état simple. Il faut des centaines d’années pour en arracher un atôme des entrailles de l’être universel, et encore n’est-on jamais sûr que la démonstration ainsi faite ne sera pas renversée par une démonstration nouvelle. Nous savons que nous souffrons, quand la souffrance nous étreint de ses ongles : voilà le plus certain. Encore souffrons-nous quelquefois pour ce qui nous devrait être un sujet de joie, tandis que nous nous réjouissons pour ce qui devient plus tard une source de et de désespoirs…

Il continua sur ce ton poétique l’amplification de son idée, dans les nuages de laquelle flottait la figure barbue de son ancien professeur de philosophie, jointe à ses chagrins de la matinée, à l’image d’un rameau vert imprégné de soleil, qui flottait au vent… le cœur tout gonflé de séve printanière, il finit par déclarer la vie une chose stupide, amère, où, comme le dit le poëte, rien n’est bon que d’aimer ! n’est vrai que de souffrir !

— S’il est bon d’aimer, cela est vrai également, observa la jeune fille.

— Aimer, n’est-ce pas souffrir ? répondit-il.

Une larme vint mouiller les yeux de Marianne.

— Oui, quand on a perdu ceux qu’on aime, dit-elle.

— Pardon, ma cousine, de vous attrister ; je suis bien ennuyeux et je vous tiens là des discours désolants, au lieu de vous distraire.

— Je ne m’en plains pas, puisque vous êtes triste ; je voudrais pouvoir effacer votre chagrin.

— Vous, Marianne ? Oh ! non, je ne le veux pas…

— Quoi !

Elle resta interdite ; il reprit :

— Je veux le garder toujours !

— Mais… je ne comprends pas…

C’était le contraire, elle croyait comprendre et recommençait de trembler.

— Garder un chagrin volontairement, pourquoi ?…

Elle essaya de sourire et ne s’empêcher de rougir.

— Il y a des souffrances, dit Albert avec exaltation, qu’on ne changerait pas pour des bonheurs étrangers… Pardonnez-moi, Marianne. Vous me trouvez extraordinaire, je le vois ; oui, je le vois bien. Et moi aussi, depuis quelque temps, je ne suis vraiment plus le même ! Je… je ne savais qu’on pouvait être ainsi… Ce matin, je le sais, j’ai été vis-à-vis de vous injuste et inconvenant ; pardonnez-moi, chère… chère Marianne. Je ne suis pas toujours maître de mes impressions. Mais si vous saviez combien je vous… combien je ne voudrais pas vous fâcher !… Marianne ! m’en voulez-vous, dites ?

— Oh ! non.

Tous les deux, très-émus, s’étaient levés. Albert avança la main vers celle de Marianne, qui la lui donna. Il garda cette main dans la sienne en frémissant. C’était celle qui tenait la petite branche de lilas ; Il la prit doucement, et, d’un ton suppliant :

— Me permettez-vous ? dit-il.

— Oh ! elle est déjà si fanée.

Il ne répondit pas à cette objection et prit la fleur.

Marianne retira sa main. Ils se mirent à marcher à côté l’un de l’autre ; Albert contemplait Marianne à la dérobée. Puis ils s’entretinrent du soleil, qui était chaud, des plantes qui poussaient, des lézards qui traversaient l’allée ; et bientôt Marianne, oppressée, reprit le chemin de la maison.

— Vous rentrez déjà ? lui dit Albert d’un ton doux et triste.

— Oui, je vais étudier mon piano.

Il soupira sans répondre.

Marianne courut dans sa chambre, et, après avoir tourné la clef dans la serrure, elle se jeta sur sa causeuse, comme une personne écrasée. Elle voyait bien que son cousin l’aimait, elle n’en pouvait plus douter.

— Comme il est bon et triste ! se dit-elle.

Et frémissante elle se mit à pleurer.