Marie-Claire/13

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Eugène Fasquelle (p. 48-52).



Il y avait déjà un an qu’il était avec nous, et je n’avais pu encore m’habituer à me confesser à lui. Souvent, il me regardait avec un rire qui me faisait croire qu’il se souvenait de mes péchés.

Nous allions à confesse à jours fixes : chacune passait à son tour ; quand il n’en restait plus qu’une ou deux avant moi, je commençais à trembler.

Mon cœur battait à toute volée, et j’avais des crampes d’estomac qui me coupaient la respiration.

Puis, mon tour arrivé, je me levais, les jambes tremblantes, la tête bourdonnante et les joues froides. Je tombais sur les genoux dans le confessionnal, et tout aussitôt la voix marmottante et comme lointaine de M. le curé me rendait un peu de confiance. Mais il fallait toujours qu’il m’aidât à me rappeler mes péchés : sans cela, j’en aurais oublié la moitié.

À la fin de la confession, il me demandait toujours mon nom. J’aurais bien voulu en dire un autre, mais en même temps que j’y pensais, le mien sortait précipitamment de ma bouche.

Le moment de la première communion approchait ; elle devait avoir lieu au mois de mai, et on commençait déjà les préparatifs.

Sœur Marie-Aimée composait des cantiques nouveaux ; elle avait fait aussi une sorte de cantique à la louange de M. le curé.

Quinze jours avant la cérémonie, on nous sépara des autres. Nous passions tout notre temps en prières.

Madeleine devait surveiller notre recueillement ; mais il lui arriva plus d’une fois de le troubler, en se disputant avec l’une ou l’autre.

Ma camarade s’appelait Sophie.

Elle n’était pas bruyante, et nous nous éloignions toujours des disputes. Nous causions de choses graves. Je lui avouai mon aversion pour la confession, et combien j’avais peur de faire une mauvaise communion.

Elle était très pieuse, et elle ne comprenait rien à mes appréhensions. Elle trouvait que je manquais de piété, et elle avait remarqué que je m’endormais pendant la prière.

Elle m’avoua à son tour qu’elle avait grand’peur de la mort ; elle en parlait d’un air craintif, en baissant la voix.

Ses yeux étaient presque verts, et ses cheveux si beaux que sœur Marie-Aimée n’avait jamais voulu les lui couper, comme aux autres petites filles.

Enfin, le grand jour arriva.

Ma confession générale n’avait pas été trop pénible : cela m’avait donné à peu près la même impression qu’un bon bain. Je me sentais très propre.

Cependant, je tremblais si fort en recevant l’hostie, que mes dents en gardèrent une partie. J’eus un éblouissement, et il me sembla qu’un rideau noir descendait devant moi. Je crus reconnaître la voix de sœur Marie-Aimée, qui demandait :

— Es-tu malade ?

J’eus conscience qu’elle m’accompagnait jusqu’à mon prie-Dieu, qu’elle me mettait mon cierge dans la main, en disant :

— Tiens-le bien.

J’avais la gorge si serrée qu’il m’était impossible d’avaler, et je sentis qu’un liquide me coulait de la bouche.

Alors, une peur folle monta en moi, car Madeleine nous avait bien averties, que s’il nous arrivait de mordre l’hostie, le sang de Jésus coulerait de notre bouche sans que rien pût l’arrêter.

Sœur Marie-Aimée m’essuyait le visage, et disait tout bas :

— Fais donc attention, voyons ; es-tu malade ?

Ma gorge se desserra, et j’avalai brusquement l’hostie avec un flot de salive.

J’osai alors regarder le sang qui était sur ma robe, mais je ne vis qu’une petite tache pareille à celle qu’aurait pu faire une goutte d’eau.

Je portai mon mouchoir à mes lèvres et j’essuyai ma langue : il n’y avait pas non plus de sang sur mon mouchoir.

Je n’étais pas très sûre de tout cela, mais comme on nous faisait lever pour chanter, j’essayai de chanter avec les autres.

Quand M. le curé vint nous voir dans la journée, sœur Marie-Aimée lui dit que j’avais failli m’évanouir pendant la communion. Il me releva la tête, et après m’avoir bien regardée dans les yeux, il se mit à rire, et dit que j’étais une petite fille très sensible.