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Marie-Claire/14

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Eugène Fasquelle (p. 53-55).



Aussitôt que nous avions fait notre première communion, nous n’allions plus en classe. Bonne Justine nous apprenait à faire de la lingerie. Nous faisions des coiffes pour les paysannes. Ce n’était pas très difficile, et comme c’était quelque chose de nouveau, je travaillais avec ardeur.

Bonne Justine déclara que je ferais une très bonne lingère. Sœur Marie-Aimée dit en m’embrassant :

— Si seulement tu pouvais vaincre ta paresse !

Mais quand j’eus fait plusieurs coiffes, et qu’il me fallut toujours recommencer, ma paresse reprit vite le dessus. Je m’ennuyais, et je ne pouvais me décider à travailler.

Je serais restée des heures et des heures sans bouger, à regarder travailler les autres.

Marie Renaud cousait en silence ; elle faisait des points si petits et si serrés, qu’il fallait avoir de bons yeux pour les voir.

Ismérie cousait en chantonnant sans crainte des réprimandes.

Les unes cousaient le dos courbé, le front plissé, avec des doigts mouillés qui faisaient crisser les aiguilles ; d’autres cousaient lentement, avec soin, sans fatigue, sans ennui, en comptant les points tout bas.

J’aurais bien voulu être comme celles-là ! Je me grondais en moi-même, et pendant quelques minutes je les imitais.

Mais le moindre bruit me dérangeait, et je restais à écouter ou regarder ce qui se passait autour de moi. Madeleine disait que j’avais toujours le nez en l’air.

Je passais tout mon temps à imaginer des aiguilles qui auraient cousu toutes seules.

Pendant longtemps, j’ai eu l’espoir qu’une gentille petite vieille, visible pour moi seulement, sortirait de la grande cheminée et viendrait coudre ma coiffe très vite.

Je finis par devenir insensible aux reproches. Sœur Marie-Aimée ne savait plus que faire pour m’encourager ou me punir.

Un jour, elle décida que je ferais la lecture tout haut, deux fois par jour. Ce fut une grande joie pour moi ; je trouvais que l’heure de la lecture n’arrivait jamais assez vite, et je fermais toujours le livre avec regret.