Mathématiques et mathématiciens/Chp 1 - Section : Enseignement

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Librairie Nony & Cie (p. 101-118).


ENSEIGNEMENT



Nous estimons que l’étude complète de toute science devrait comprendre une période préparatoire ou d’amorce, une période théorique ne portant que sur les parties à la fois importantes et simples et une période complémentaire où la discussion s’aiguiserait et se généraliserait.

Les premières notions de mathématiques doivent faire partie de l’éducation des enfants. Les chiffres et les lignes parlent plus qu’on ne croit à leur imagination naissante et c’est un moyen sûr de l’exercer sans l’égarer.

Condorcet.

La longue formation de l’humanité recommence en chaque petit enfant…

Le premier calculateur n’a pas débuté par les règles abstraites qu’on trouve dans les livres d’école. Il est assez évident qu’il a dû se trouver d’abord en présence de problèmes pratiques, dont il n’a pu se tirer qu’en tendant tous les ressorts de son intelligence pour créer la règle, et qu’il n’a pas fait de l’art pour l’art. Faire débuter l’enfant par la règle abstraite, et lui poser ensuite les problèmes à résoudre, c’est aller au rebours de la marche de l’esprit humain, qui en est chez lui au point où il en était dans l’enfance de l’espèce.

Alors, qu’arrive-t-il ? C’est que son intelligence, ainsi brusquée, se refuse à l’abstraction qui se présente avant l’heure, et que sa mémoire seule entre en jeu pour se charger douloureusement de mots et de pratiques dont le sens lui échappe.

La vraie méthode est donc ici de le replacer dans les conditions du commencement, et de le faire assister en quelque sorte à la création de l’arithmétique.

J. Macé.

Nous concevons la possibilité d’un enseignement gradué de la géométrie élémentaire, conduit, à tous ses degrés, d’après un plan unique et invariable, toujours soumis aux règles de la plus sévère logique, et où les difficultés ne se montreraient qu’à mesure que les esprits seraient préparés à les aborder.

Pour cela, l’étude de la géométrie devrait être reprise à divers points de vue, correspondant aux divers degrés d’initiation des élèves. Pour les commençants, il s’agit avant tout de se familiariser avec les figures et leurs dénominations, d’apprendre des faits, d’entrevoir leurs applications les plus simples et les plus immédiates, celles surtout qui se rapportent aux usages de la vie ordinaire.

On devra donc au début multiplier les axiomes, employer, au lieu de démonstrations, les vérifications expérimentales, l’analogie, l’induction, en ne laissant jamais oublier que ce mode d’exposition est essentiellement provisoire. On exercera l’élève aux tracés graphiques, à la solution de divers problèmes de levé des plans et d’arpentage, à la construction des figures en relief… Le maître saura proportionner au degré de développement intellectuel de l’élève la part plus ou moins grande qu’il devra faire au raisonnement dans cette première ébauche des études géométriques.

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Le premier enseignement sera donc exclusivement expérimental, et peu à peu on fera voir à l’élève comment toutes les vérités n’ont pas besoin d’être séparément constatées par l’expérience, et comment elles sont les conséquences d’un certain nombre d’entre elles, nombre que l’on restreindra de plus en plus, à mesure que l’on avancera dans l’étude de la science, jusqu’à ce qu’on soit arrivé aux axiomes fondamentaux, dont le nombre ne peut plus être réduit.

Hoüel.

J’ai dit que la Géométrie n’était pas à la portée des enfants ; mais c’est notre faute. Nous ne sentons pas que leur méthode n’est point la nôtre, et que ce qui devient pour nous l’art de raisonner ne doit être pour eux que l’art de voir. Au lieu de leur donner notre méthode, nous ferions mieux de prendre la leur ; car notre manière d’apprendre la géométrie est bien autant une affaire d’imagination que de raisonnement. Quand la proposition est énoncée, il faut en imaginer la démonstration, c’est-à-dire trouver de quelle proposition déjà sue celle-là doit être une conséquence, et, de toutes les conséquences qu’on peut tirer de cette proposition, choisir précisément celle dont il s’agit.

De cette manière le raisonneur le plus exact, s’il n’est inventif, doit rester court. Aussi qu’arrive-t-il de là ? Qu’au lieu de nous faire trouver les démonstrations, on nous les dicte ; qu’au lieu de nous apprendre à raisonner, le maître raisonne pour nous et n’exerce que notre mémoire.

Faites des figures exactes, combinez-les, posez-les l’une sur l’autre, examinez leurs rapports ; vous trouvez toujours la géométrie élémentaire en marchant d’observation en observation, sans qu’il soit question ni de définitions, ni de problèmes, ni d’aucune autre forme démonstrative que la simple superposition. Pour moi, je ne prétends point apprendre à Émile la géométrie, c’est lui qui me l’apprendra ; je chercherai des rapports et il les trouvera, car je les chercherai de manière à les lui faire trouver. Par exemple, au lieu de me servir d’un compas pour tracer un cercle, je le tracerai avec une pointe au bout d’un fil tournant sur un pivot. Après cela, quand je voudrai comparer les rayons entre eux, Émile se moquera de moi, et il me fera comprendre que le même fil toujours tendu ne peut avoir tracé des distances inégales.

Si je veux mesurer un angle de soixante degrés, je décris du sommet de cet angle, non pas un arc mais un cercle entier ; car avec les enfants il ne faut jamais rien sous-entendre. Je trouve que la portion de cercle comprise entre les deux côtés de l’angle est la sixième partie du cercle. Après cela, je décris du même sommet un autre plus grand cercle, et je trouve que ce second arc est encore la sixième partie de son cercle. Je décris un troisième arc concentrique sur lequel je fais la même épreuve ; et je la continue sur de nouveaux cercles, jusqu’à ce qu’Émile, choqué de ma stupidité, m’avertisse que chaque arc, grand ou petit, compris par le même angle, sera toujours la sixième partie de son cercle…

Nous voilà tout à l’heure à l’usage du rapporteur.

Pour prouver que les angles de suite sont égaux à deux droits, on décrit un cercle ; moi, tout au contraire, je fais en sorte qu’Émile remarque cela premièrement dans le cercle, et puis je lui dis : si l’on ôtait le cercle, et qu’on laissât les lignes droites, les angles auraient-ils changé de grandeur ? etc… On néglige la justesse des figures, on la suppose, et l’on s’attache à la démonstration. Entre nous, au contraire, il ne sera jamais question de démonstration ; notre plus importante affaire sera de tirer des lignes bien droites, bien justes, bien égales ; de faire un carré parfait, de tracer un cercle bien rond. Pour vérifier la justesse de la figure, nous l’examinerons par toutes ses propriétés sensibles ; et cela nous donnera l’occasion d’en découvrir chaque jour de nouvelles. Nous plierons par le diamètre les deux demi-cercles ; par la diagonale, les deux moitiés du carré : nous comparerons nos deux figures pour voir celle dont les bords conviennent le plus exactement et par conséquent la mieux faite ; nous distinguerons si cette égalité de partage doit avoir toujours lieu dans les parallélogrammes, dans les trapèzes, etc.. On essaiera quelquefois de prévoir le succès de l’expérience avant de la faire, on tâchera de trouver des raisons, etc…

La géométrie n’est pour mon élève que l’art de se bien servir de la règle et du compas…

J.-J. Rousseau.

Il est temps d’entrer dans le vif de la question pédagogique : Comment convient-il d’étudier une figure avec les commençants ? Vous m’excuserez si je numérote les parties successives de la réponse. — 1o Avant tout, montrez le modèle matériel, faites-le circuler et manier, puis, dessinez-le au tableau et que toute la classe vous imite. — 2o Faites dégager la propriété principale de la figure, celle qui servira de définition. Cette propriété est jointe à d’autres, simples aussi, et il faudra parfois aider un peu l’enfant. — 3o L’essentiel de la figure étant connu, prononcez son nom, pour la première fois. On s’empresse autour de vous d’écrire le nom sur la chose. Vous demandez des exemples familiers, etc. — 4o Vous invitez un élève à formuler la définition. Elle est un peu embarrassée, cette définition ; vous la rectifiez et vous la dictez, pour qu’elle soit apprise par cœur. La définition se borne ainsi à résumer nettement ce qui est déjà su. — 5o Il faut ensuite connaître la figure plus en détail. Faites deviner ou remarquer les autres propriétés, sans les démontrer, c’est-à-dire sans les déduire de la propriété fondamentale. Les nouvelles propriétés sont seulement constatées et vérifiées. — 6o Terminez enfin par les constructions et les problèmes simples, se rattachant à la figure soumise à vos investigations.

On peut enseigner d’abord une algèbre modeste et, pour ainsi dire, préliminaire, où les règles découlent d’exemples particuliers et non de raisonnements généraux et abstraits. Voici les indications principales pour un enseignement dirigé dans cet esprit.

1o Généraliser lentement. — Je ne saurais trop le répéter, l’esprit se refuse aux abstractions brusquement imposées. C’est graduellement qu’on passe d’une de ces idées à la suivante : trois chevaux, le nombre trois en général, un nombre quelconque représenté par a ou par x.

2o Laisser de côté les nombres négatifs, et les imaginaires. — Ces symboles sont délicats à comprendre et il faut les réserver pour une étude approfondie de l’algèbre. Composez, en conséquence, des exercices et problèmes ne présentant pas d’impossibilités arithmétiques.

3o Supprimer les discussions. — Ces examens à fond des questions, de toutes leurs particularités et de toutes leurs exceptions, supposent des esprits aiguisés. Reportons-les aussi, sans hésiter, à la seconde période d’enseignement.

4o Dès le début, de petits problèmes résolus à l’aide de x. — Vous amorcez ainsi le nouveau sujet au moyen d’un chapitre, pour ainsi dire complémentaire de l’arithmétique. Le calcul algébrique ne vient qu’ensuite.

5o Glisser sur la théorie du calcul algébrique. — Ce sujet est assez aride ; il est, du reste, peu important pour le moment. C’est la pratique qui importe, en évitant les opérations trop longues.

Insister sur le carré d’un binome et passer sous silence la division des polynômes.

6o Raisonner directement des problèmes gradués. — La méthode des équations s’accuse ainsi d’elle-même plus clairement qu’en la formulant a priori.

7o Équations abstraites. — Nous pouvons maintenant passer aux équations séparées des problèmes concrets leur servant de supports. On n’a qu’à reprendre des raisonnements déjà faits, mais en les présentant d’une façon plus générale. Se borner à énoncer les principes qui sont presque évidents.

La Géométrie est peut-être, de toutes les parties des mathématiques, celle que l’on doit apprendre la première ; elle me paraît très propre à intéresser les enfants, pourvu qu’on la leur présente principalement par rapport à ses applications, soit sur le papier, soit sur le terrain. Les opérations de tracé et de mesurage ne manqueront pas de les occuper agréablement, et les conduiront ensuite, comme par la main, au raisonnement.

Les éléments de Géométrie de Clairaut, ordonnés suivant la méthode des inventeurs, sont les plus convenables pour diriger le maître dans cette circonstance…

Lacroix.

Feu M. Clairaut imagina de faire apprendre facilement aux jeunes gens les éléments de la géométrie ; il voulut remonter à la source, et suivre la marche de nos découvertes et des besoins qui les ont produites.

Cette méthode paraît agréable et utile ; mais elle n’a pas été suivie ; elle exige chez le maître une flexibilité d’esprit qui sait se proportionner, et un agrément rare dans ceux qui suivent la routine de leur profession.

Voltaire.

Il y a deux manières d’étudier les mathématiques et deux époques pour faire ces études avec des fruits divers.

On peut les étudier matériellement, machinalement, en demeurant dans les faits mathématiques, dans les mots, dans les chiffres, dans les formules d’un enseignement sans plénitude et sans élévation…

Ou bien, on peut les étudier intellectuellement, originalement, en comparant le sens et le lien des mots, des idées et des choses, en s’élevant aux grandes et aux simples lumières de la science, en saisissant, pénétrant, possédant réellement la vérité.

Dupanloup.

Aujourd’hui la partie philosophique de la science est très négligée ; les moyens de briller dans un examen ou concours marchent en première ligne ; sauf de rares exceptions, les professeurs songent beaucoup plus à familiariser les élèves avec le mécanisme du calcul qu’à leur en faire sonder les principes. Je ne sais, en vérité, si l’on ne pourrait pas dire de certaines personnes qu’elles emploient l’analyse comme la plupart des manufacturiers se servent de la machine à vapeur, sans se douter de son mode d’action. Et qu’on ne prétende pas que cet enseignement vicieux soit un sacrifice obligé à la passion dominante de notre époque, à la rage d’aller vite en toutes choses.

Arago.

Préférez, dans l’enseignement, les méthodes les plus générales. Attachez-vous à les présenter de la manière la plus simple, et vous verrez en même temps qu’elles sont presque toujours les plus faciles.

Laplace.

Les exemples instruisent mieux que les préceptes.

Newton.

Au moyen-âge et jusqu’au XVIIe siècle, l’enseignement portait sur les sept arts libéraux et il comprenait le Trivium (grammaire, rhétorique et dialectique) et le Quadrivium (arithmétique, géométrie, musique et astronomie).

Sommes-nous revenus au système de Ptolémée ?

Je me souviens d’un fort habile homme qui, sur la lecture du premier volume d’un de nos plus savants traités d’astronomie, voyant l’auteur toujours parler des mouvements du soleil, des cercles qu’il parcourt, de sa révolution diurne, de ses mouvements annuels, progrès, stations et rétrogradations, croyait, d’après cet exposé, que l’Académie des sciences était revenue au système de Ptolémée.

Pourquoi commencer par décrire longuement et minutieusement à l’élève des apparences dont il apprendra ensuite la fausseté ? Pourquoi ne pas lui dire tout de suite et franchement ce qui en est ?

Gratry.
                                                                                                                              
Ne dites pas : Dites :
Une ligne (pour une droite), un cercle (pour une circonférence). Une droite, une circonférence.
Je mène par un point une perpendiculaire à une droite, une parallèle… La perpendiculaire, la parallèle…
ne se lit pas 7 qui multiplie 8. 7 multiplié par 8.
Le lieu des points est sur telle ligne. Le lieu des points est telle ligne.
Le lieu des points est le segment circulaire, etc. L’arc du segment circulaire, etc.
Inscrire dans Inscrire à
Je divise l’équation par tel nombre. Je divise les deux membres de l’équation…

La racine négative de l’équation du second degré. La racine où le radical est précédé du signe .
Les puissances impaires. À exposant impair.
Plus grand ou égal à (). Supérieur ou égal à.
— Je multiplie la fraction par trois. Je multiplie les deux termes de la fraction par trois.
et — La plus grande fraction. La fraction qui a des termes plus grands.
puis — Ajouter les fractions. Ajouter les fractions terme à terme.
Etc., etc. Etc., etc.

Dans le domaine des Mathématiques pures, on peut distinguer deux parties : l’une, la plus élevée, qui s’augmente constamment, presque toujours par degrés insensibles, ne regarde que les mathématiciens ; l’autre, longtemps immuable, s’accroît brusquement, à des intervalles éloignés, par l’adoption de quelque théorie nouvelle : c’est la matière de l’enseignement, ce que doivent retenir et savoir appliquer tous les hommes qui s’adonnent aux sciences et, sans cultiver les Mathématiques, ont toujours besoin de les connaître.

Halphen.

Toute science de raisonnement repose sur un petit nombre de propositions simples irréductibles à d’autres plus simples, appelées axiomes, et sur les définitions. Ces éléments, convenablement mis en œuvre par le raisonnement, conduisent aux propositions les plus complexes, qui ne sont donc, en définitive, que des composés logiques de ces éléments. Dans la géométrie élémentaire, l’arithmétique, la statique et plus généralement dans toutes les sciences où l’on fait usage de la méthode synthétique, en allant du simple au composé, on prend pour point de départ ces éléments, axiomes ou définitions, et on s’élève de proche en proche, jusqu’aux propositions les plus complexes…

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Frappé de cette difficulté que les élèves éprouvent à saisir l’ensemble et les déductions du Cours, j’ai souvent employé avec succès un mode d’exercice, que j’appelle la recherche des antécédents d’une proposition et qui n’est en quelque sorte que l’analyse d’une proposition trouvée d’abord par la synthèse… On prend une proposition quelconque et l’on relève toutes les propositions antécédentes (lemmes, théorèmes, corollaires), toutes les définitions et tous les axiomes invoqués dans la démonstration. On a ainsi une première analyse de la proposition donnée. On reprend ensuite chacune des propositions antécédentes invoquées, on les analyse à leur tour et l’on continue de la sorte jusqu’à ce que l’on arrive à n’avoir plus que des axiomes et des définitions.

Jablonski.

« Allez en avant, a dit d’Alembert, la foi vous viendra. » Le remarquable morceau qui suit est un commentaire de ce conseil parfois contesté.

Quoique les vérités mathématiques se déduisent, dans un ordre rigoureux, d’un petit nombre de principes réputés évidents, on ne parvient point à les posséder pleinement, en en suivant pas à pas les déductions, en allant toujours dans le même sens du connu à l’inconnu, sans jamais revenir en arrière sur un chemin où l’on n’a rien laissé d’obscur. Le sens et la portée des principes échappent au débutant, qui saisit mal la distinction entre ce qu’on lui demande d’accorder et les conséquences purement logiques des hypothèses ou des axiomes ; parfois, la démonstration lui paraît plus obscure que l’énoncé ; c’est en vain qu’il s’attarderait dans la région des principes pour la mieux connaître, il faut que son esprit acquière des habitudes qu’il n’a pas, qu’il aille en avant sans trop savoir ni où il va, ni d’où il part ; il prendra confiance dans ce mode de raisonnement auquel il lui faut plier son intelligence, il s’habituera aux symboles et à leurs combinaisons. Revenant ensuite sur ses pas, il sera capable de voir, du point de départ et d’un seul coup d’œil, le chemin parcouru : quelques parties de la route resteront pour lui dans l’ombre, quelques-unes même seront peut-être entièrement obscures, mais d’autres sont vivement éclairées ; il sait clairement comment on peut arriver de cette vérité à cette autre ; il sait où il doit porter son attention ; ses yeux, mieux exercés, parviennent à voir clair dans ces passages difficiles dont il n’aurait jamais pu se rendre maître, s’il ne les avait franchis ; il est maintenant capable d’aller plus loin ou de suivre une autre direction ; il entre en possession des vérités nouvelles qui s’ajoutent aux vérités anciennes et qui les éclairent ; il s’étonne parfois des perspectives inattendues qui s’ouvrent devant lui et lui laissent voir, sous un aspect nouveau, des régions qu’il croyait connaître entièrement ; peu à peu les ombres disparaissent et la beauté de la science, si une dans sa riche diversité, lui apparaît avec tout son éclat.

Ce qui se passe dans l’esprit de celui qui étudie les mathématiques n’est que l’image de ce qui s’est passé dans la création et dans l’organisation de la science ; dans ce long travail, la rigueur déductive n’a pas été seule à jouer un rôle. On peut raisonner fort bien et fort longtemps sans avancer d’un pas, et la rigueur n’empêche pas un raisonnement d’être inutile. Même en mathématiques, c’est souvent par des chemins peu sûrs que l’on va à la découverte. Avant de faire la grande route qui y mène, il faut connaître la contrée où l’on veut aller ; c’est cette connaissance même qui permet de trouver les voies les plus directes ; c’est l’expérience seule qui indique les points où il faut porter l’effort ; ce sont les difficultés parfois imprévues qui se dressent devant les géomètres qui les forcent à revenir au point de départ, à chercher une route nouvelle qui permette de tourner l’obstacle. S’imagine-t-on, par exemple, les inventeurs du calcul différentiel et intégral s’acharnant, avant d’aller plus loin, sur les notions de dérivée et d’intégrale définie ?

J. Tannery.

La science même la plus exacte renferme quelques principes généraux que l’on saisit par une sorte d’instinct qui ne permet pas d’en douter, et auquel il est bon de se livrer d’abord. Après les avoir suivis dans toutes leurs conséquences et s’être fortifié l’esprit par un long exercice dans l’art de raisonner, on peut sans danger revenir sur ces principes qui se présentent alors dans un plus grand jour…

Laplace.

J’avoue même que j’attacherai moins de prix à mettre dans la démonstration d’un théorème cette rigueur extrême, si recherchée maintenant, qu’à faire clairement apercevoir la raison de ce théorème et ses connexions avec les autres vérités mathématiques. Je prie donc que l’on m’accorde quelquefois, pour la commodité de l’exposition et pour ne point décourager dès le début mes jeunes lecteurs, des démonstrations qui ont satisfait si longtemps les plus grands géomètres.

Cournot

Il ne faut pas prévenir à contre-temps des difficultés trop subtiles.

J. Bertrand.

Voulez-vous simplifier une théorie, une méthode, inscrivez-la dans les programmes. Les professeurs se chargeront de l’éclairer et de la réduire à sa plus simple expression.

Je me défie un peu des démonstrations trop élégantes, trop symétriques, reposant sur une heureuse notation. Elles empêchent parfois de réfléchir au fond des choses, elles persuadent plus qu’elles n’éclairent.

Il importe de bien comprendre l’importance de la condition nécessaire et suffisante ou de la réciprocité des conditions ou, comme on dit encore, de la propriété caractéristique. Combien de raisonnements faux ou incomplets entraîne une analyse imparfaite !

La démonstration des réciproques — lorsqu’elles sont vraies — est trop négligée.

Pour établir un lien mathématique, il faut deux propositions dont la seconde est, à volonté, la réciproque ou la contraire de la première.

Ce n’est pas dans la manière de figurer les nombres, de les habiller pour ainsi dire, que nous distinguons l’Arithmétique de l’Algèbre, mais c’est surtout dans l’essence même des nombres, dans la manière de les concevoir. La ligne de démarcation de l’Arithmétique et de l’Algèbre provient de l’idée que l’on se fait du nombre, suivant qu’on le considère comme grandeur ou seulement comme numéro d’ordre, c’est-à-dire suivant que l’on accepte ou que l’on refuse la notion de continuité ; c’est ainsi que la doctrine des nombres irrationnels, des logarithmes, etc., appartient exclusivement au domaine de l’Algèbre, c’est-à-dire des fonctions analytiques.

É. Lucas.