Mathématiques et mathématiciens/Chp 1 - Section : Histoire

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Librairie Nony & Cie (p. 119-145).


HISTOIRE



Dès les temps les plus reculés, les hommes ont compté les objets et mesuré grossièrement l’étendue et le temps. Ces notions ont commencé à se préciser chez les Phéniciens, commerçants et calculateurs, chez les Égyptiens, arpenteurs (inondations du Nil) et architectes (Pyramides) ; enfin chez les Chaldéens, pasteurs et observateurs des astres. Tels seraient les commencements de l’arithmétique, de la géométrie et de l’astronomie.

Les premiers documents historiques nous montrent la Géométrie prenant son admirable développement chez les Grecs. Presque oubliées pendant le Moyen âge, les Mathématiques renaissent au seizième siècle chez les Occidentaux. Le siècle suivant voit paraître la Géométrie analytique et le Calcul infinitésimal, grandes découvertes qui renouvellent et étendent la science.

Nous allons esquisser les principales périodes de l’histoire des mathématiques.

I. Philosophes grecs. — Ils étaient aussi presque tous géomètres et astronomes.

On attribue à Thalès (600 ans av. J.-C.) et à son École ionienne les propositions les plus simples de la Géométrie, les premières mesures de distances inaccessibles et des observations astronomiques au gnomon.

Pythagore (550 ans av. J.-C) et les Pythagoriciens connaissent la somme des angles d’un triangle, le carré de l’hypoténuse, les polyèdres réguliers et l’un au moins des deux mouvements de la Terre.

Platon (400 ans av. J.-C.) et les Platoniciens dégagent la méthode d’analyse en Géométrie ; ils imaginent les coniques et d’autres lieux géométriques pour opérer la duplication du cube ; ils raisonnent déjà les incommensurables.

II. L’École grecque d’Alexandrie. — Dans cette célèbre École, qui dure plus de mille ans, les Mathématiques brillent du plus vif éclat et atteignent leur apogée.

Euclide (300 ans av. J.-C.) coordonne, dans ses Éléments, toute la Géométrie, sauf les coniques. Ce livre domine encore l’enseignement de nos jours.

Archimède (230 ans av. J.-C), le plus grand peut-être de tous les mathématiciens, mesure le cercle et la sphère ; fait la quadrature de la parabole ; étudie la première série ; fonde la statique sur la théorie du levier, etc.

Apollonius de Perge (200 ans av. J.-C.) résume, dans son Traité des coniques, les propriétés déjà connues de ces courbes et celles plus cachées qu’il découvre à son tour.

Hipparque (150 ans av. J.-C.) refait toutes les observations astronomiques et, malgré l’imperfection de ses instruments, il trouve des nombres assez exacts pour servir de base à la théorie.

Ptolémée (130 ans ap. J.-C.) admet, dans son Almageste, la fixité de la Terre, et parvient néanmoins à représenter les mouvements célestes, à l’aide d’un système compliqué de cercles.

Diophante (350 ans ap. J.-C), surnommé le Père de Algèbre, crée enfin cette nouvelle branche dans ses Arithmétiques.

La science pâlit ensuite à Alexandrie. Il n’y a plus que des commentateurs, parmi lesquels on doit distinguer Pappus : il nous conserve, dans ses Collections mathématiques, des fragments d’ouvrages perdus.

III. Les autres peuples jusqu’à la Renaissance. — Les Égyptiens possèdent des connaissances arithmétiques et géométriques, bien des siècles avant notre ère, comme le prouve le papyrus d’Ahmès, récemment déchiffré. Ils restent stationnaires, tandis que les Grecs, qui leur font des emprunts, progressent rapidement.

De même, les Chinois paraissent savoir des Mathématiques dès l’antiquité la plus reculée ; mais ce peuple, lui aussi, reste immobile.

Les Hindous, tels que Aryabhata, Bramagupta et Bascara, ont, de temps immémorial, la curiosité des grands nombres ; ils cultivent l’Algèbre et résolvent les équations des deux premiers degrés.

Les Arabes, tels que Mohamed-ben-Musa, Aboul-Wefa, etc., servent d’intermédiaires entre les Grecs et les Indiens d’une part et les Occidentaux de l’autre.

En Europe, le Moyen-âge reste obscur et stérile. Citons cependant Gerbert qui s’instruit, vers l’an 1000, auprès des Maures d’Espagne et apporte aux Chrétiens les chiffres modernes. Citons encore les Algébristes italiens, Léonard de Pise, qui fait le commerce en Orient au douzième siècle, et Lucas de Burgo (quinzième siècle).

IV. Le seizième siècle. — La science reprend enfin son essor, et les grandes découvertes se préparent.

Le Polonais Copernic (1473-1543) propose le véritable système du monde et en montre l’admirable simplicité.

L’Italien Cardan (1501-1576) établit la formule de résolution des équations du 3e degré ; il tenait la règle de Tartaglia.

Viète (1510-1603), né dans le Bas-Poitou, entrevoit les propriétés générales des équations, résout par l’algèbre les problèmes de géométrie et complète la trigonométrie.

L’Écossais Neper (1550-1617), inventeur des logarithmes, double, pour ainsi dire, la vie des calculateurs.

Harriot (1568-1621), d’Oxford, trouve les relations entre les coefficients et les racines des équations, et il calcule les racines entières et fractionnaires.

Galilée, de Florence (1564-1642), étudie le pendule, découvre les lois de la chute des corps et des projectiles ; il confirme le système de Copernic, par ses observations astronomiques.

V. Le dix-septième siècle. — Ce siècle, aussi grand dans les sciences que dans les lettres, nous donne d’une part la géométrie analytique et le calcul infinitésimal, de l’autre les lois de Kepler et de l’attraction universelle.

L’Allemand Kepler (1574-1630), utilisant les observations de Tycho-Brahé, trouve les trois lois du mouvement des planètes autour du soleil.

Notre grand Descartes (1596-1650) étend l’algèbre pure et il crée la Géométrie analytique ou étude des courbes à l’aide de leurs équations.

Fermat, de Toulouse (1601-1665), résout aussi les problèmes des tangentes et des maximums, et il révèle les propriétés les plus secrètes des nombres.

Pascal (1623-1662) crée l’analyse combinatoire et le calcul des probabilités ; il perfectionne la géométrie des courbes.

Le Hollandais Huygens (1629-1695) fait progresser à la fois la géométrie, la mécanique et l’astronomie.

Le grand Newton (1642-1727) invente le Calcul infinitésimal ou des fluxions, et découvre la loi de l’attraction universelle. Il a autant de génie que le vieil Archimède.

Leibniz (1646-1716) imagine le nouveau Calcul presque en même temps que Newton, et avec une notation plus heureuse.

VI. Le dix-huitième siècle. — Les mathématiciens appliquent l’analyse infinitésimale aux questions les plus variées et les plus difficiles.

Le Suisse Euler (1707-1783) fait de nombreuses recherches sur les fonctions, les séries, les intégrales, etc.

D’Alembert (1717-1783) traite la précession des équinoxes par le calcul, et il ramène l’étude du mouvement à celle de l’équilibre.

Lagrange (1736-1813) manie avec une rare élégance l’algèbre et le calcul infinitésimal ; il crée la mécanique rationnelle.

Monge (1746-1818) fonde la géométrie descriptive, si utile aux ingénieurs.

Laplace (1749-1827) se rend célèbre par sa Mécanique céleste ou application du calcul au système du monde.

Carnot (1733-1823), géomètre-philosophe, cherche à préciser les nombres négatifs et imaginaires, les intégrales, etc.

VII. Première moitié du dix-neuvième siècle. — Cette période se fait remarquer à la fois par des vues très générales et par la curiosité du détail.

L’Allemand Gauss (1777-1855) étudie les équations binômes et la théorie des nombres.

Le général Poncelet (1788-1867) étend la géométrie par les méthodes de transformation.

Cauchy (1789-1857) se livre à de profondes recherches sur les séries, les imaginaires et l’infini.

L’Allemand Jacobi (1801-1851) s’occupe de fonctions nouvelles et, en particulier, des fonctions elliptiques.

Chasles (1793-1880) systématise, dans sa Géométrie supérieure, la convention des signes, le rapport anharmonique, l’homographie, l’involution, etc.

Dans la dernière moitié de ce siècle, les efforts se dirigent vers la physique mathématique qui se constitue peu à peu. En analyse pure, la recherche se particularise et s’aiguise de plus en plus, on creuse les propriétés des fonctions et des équations différentielles, le calcul infinitésimal porte tous ses fruits.

Nous allons passer une revue rapide des plus grands mathématiciens, de ces génies créateurs qui ont découvert et fondé la science. Nous essaierons de caractériser chacun d’eux en reproduisant un jugement compétent et en citant l’œuvre capitale.


Euclide (300 av. J.-C.) ou la Géométrie élémentaire.

Jamais aucun livre de science n’a eu une aussi longue influence que les Éléments d’Euclide. Ils ont été traduits et commentés dans toutes les langues, enseignés exclusivement pendant des siècles dans toutes les Écoles de Mathématiques : on les suit encore en Angleterre.

Rouché.

Archimède (287-212 av. J.-C.) ou la Géométrie infinitésimale.

Ceux qui sont en état de comprendre Archimède admirent moins les découvertes des plus grands hommes modernes.

Leibniz.

Apollonius (de Perge) (200 av. J.-C.) ou la Géométrie des coniques.

L’ouvrage d’Apollonius sur les sections coniques est pour ainsi dire le couronnement de la Géométrie grecque… Tout y est coordonné symétriquement ; l’unité du plan reflète, jusque dans les moindres détails, la pensée directrice de l’auteur, qui tend à lier entre elles toutes les sections du cône.

Hœfer.

Hipparque (150 av. J.-C.) ou les Observations astronomiques.

Quand on réunit tout ce qu’il a inventé ou perfectionné, et qu’on songe au nombre de ses ouvrages, à la grande quantité de calculs qu’ils supposent, on trouve dans Hipparque un des hommes les plus étonnants de l’Antiquité, et le plus grand de tous dans les sciences qui ne sont pas purement spéculatives.

Delambre.

Ptolémée (150 ap. J.-C.) ou l’Astronomie géométrique.

L’édifice astronomique élevé par Ptolémée a subsisté pendant près de quatorze siècles ; aujourd’hui même qu’il est entièrement détruit, son Almageste… est un des plus précieux monuments de l’Antiquité.

Laplace.

Diophante (330 ap. J.-C.) ou l’Algèbre naissante.

On ne peut pas dire que l’Algèbre, même élémentaire, soit sortie constituée de ses mains, et cependant on ne peut nier qu’elle n’y ait pris un développement très remarquable.

M. Marie.

Viète (1540-1603) ou l’Algèbre en progrès.

C’est dans son ouvrage d’analyse, intitulé Isagoge in artem analyticam, que l’auteur expose pour la première fois une des théories les plus profondes et les plus abstraites que l’esprit humain ait inventées.

J. Fourier.

Galilée (1564-1642) ou la Mécanique.

La théorie générale du mouvement varié, inconnue aux Anciens, prit naissance entre les mains de Galilée. Il trouva la loi de l’accélération des corps qui tombent librement par la pesanteur ou qui glissent sur des plans inclinés et il établit à ce sujet les propriétés générales du mouvement uniformément accéléré.

Bossut.

Descartes (1596-1650) ou la Géométrie analytique.

Ce qui a surtout immortalisé le nom de ce grand homme, c’est l’application qu’il a su faire de l’algèbre à la géométrie, idée des plus vastes et des plus heureuses que l’esprit humain ait jamais eues, et qui sera toujours la clef des plus profondes recherches, non seulement dans la géométrie, mais dans toutes les sciences physico-mathématiques.

d’Alembert.

Fermat (1601-1665) ou l’Arithmétique supérieure.

Cherchez ailleurs qui vous suive dans vos inventions numériques… pour moi, je confesse que cela me dépasse de bien loin.

Pascal.

Pascal (1623-1662) ou l’Algèbre supérieure.

C’est le génie le plus étonnant, unique dans les Lettres, dans la Philosophie, la Religion et aussi dans les Mathématiques où sa profondeur est incroyable.

Newton (1642-1727) ou le Calcul infinitésimal.

Newton était maître de la méthode des fluxions avant que Leibniz fût en possession du Calcul différentiel, mais l’invention de Leibniz était indépendante de celle de Newton et l’avait précédée comme publication.

Biot.

Monge (1710-1818) ou la Géométrie descriptive.

Les constructeurs de toutes les professions, les architectes, les mécaniciens, les tailleurs de pierre, les charpentiers, soustraits désormais à des préceptes routiniers, à des méthodes sans démonstration, se rappelleront avec reconnaissance que s’ils savent, que s’ils parlent la langue de l’ingénieur, c’est Monge qui l’a créée, qui l’a rendue accessible à tout le monde, qui l’a fait pénétrer dans les plus modestes ateliers.

Arago.

Laplace (1749-1827) ou la Mécanique céleste.

La loi newtonienne explique aujourd’hui tous les phénomènes connus. Plus les observations sont précises, plus elles sont conformes à la théorie. Laplace est de tous les géomètres celui qui a le plus approfondi ces grandes questions ; il les a pour ainsi dire terminées.

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Laplace était né pour tout perfectionner, pour tout approfondir, pour reculer toutes les limites, pour résoudre ce que l’on aurait pu croire insoluble. Il aurait achevé la science du ciel (dans sa Mécanique céleste), si cette science pouvait être achevée.

J. Fourier

Lagrange (1736-1813) ou la Mécanique rationnelle.

Le trait distinctif de son génie consiste dans l’unité et la grandeur des vues. Il s’attachait en tout à une pensée simple, juste et très élevée. Son principal ouvrage, la Mécanique analytique, pourrait être nommé la Mécanique philosophique, car il ramène toutes les lois de l’équilibre et du mouvement à un seul principe ; et, ce qui n’est pas moins admirable, il les soumet à une seule méthode de calcul dont il est lui-même l’inventeur. Toutes ses compositions mathématiques sont remarquables par une élégance singulière, par la symétrie des formes et la généralité des méthodes et, si l’on peut parler ainsi, par la perfection du style analytique.

J. Fourier

Cauchy (1789-1857) ou les Symboles.

Mathématicien très profond, mais parfois un peu obscur ; son œuvre est considérable : de fidèles disciples élucident et précisent des vues nouvelles et hardies qui fixeront la science.

Chasles (1793-1876) ou la Géométrie supérieure.

Les travaux de M. Chasles sont le dernier terme des progrès continus réalisés par la Géométrie depuis soixante ans. Il suffit de citer l’Aperçu historique, la Géométrie supérieure… La Géométrie… a regagné sur l’analyse le terrain perdu

Rouché

Charlemagne substitua aux mesures romaines le pied-de-roi ou pied-de-Paris, emprunté aux Arabes, et les dérivés de cette longueur. Il chercha à répandre dans son vaste empire ces unités qui devaient durer dix siècles, mais en s’altérant et en se compliquant beaucoup.

Les États généraux réclamèrent maintes fois l’ordre dans les poids et les monnaies.

Louis XI, François Ier et Louis XIV tentèrent en vain, dans leurs édits royaux, d’imposer partout les mesures de Paris.

À l’occasion de la mesure du méridien par Picard, « on fit en 1668, dit Saigey, une toise en fer portant une arête à chaque bout, et on la fixa au bas du grand escalier du Châtelet, pour servir de régulateur au commerce et à la justice. »

La toise qui, après avoir été comparée à celle du Châtelet, avait été employée dans les mesures méridiennes du Pérou, par Bouguer et La Condamine, servit à son tour d’étalon, et quatre-vingts modèles en furent expédiés aux parlements de France et aux astronomes étrangers. C’était un premier pas vers l’uniformité, et bientôt la toise du Pérou, comme on l’appelait, servit à l’étalonnage du mètre.

Parmi les réformes urgentes, demandées dans les cahiers de 1789, on retrouve sans cesse celle des poids et des mesures : on les veut « simples et les mêmes dans tout le pays ».

Le 8 mai 1790, sur la proposition de Talleyrand, l’Assemblée constituante engage les rois de France et d’Angleterre à se concerter pour adopter la même unité. Cette mesure (par exemple, la longueur du pendule à seconde proposée autrefois par Picard) eût été fixée par une commission composée, en nombre égal, d’académiciens de Paris et de membres de la Société royale de Londres.

L’Académie des sciences discuta seule la question, et sa commission (Borda, Lagrange, Laplace, Monge et Lavoisier) rejeta le pendule « pour ne pas mêler à une question de longueur des considérations de mouvement et de temps », et elle proposa la dix-millionième partie du quart du méridien. La tradition attribue à Laplace la conception de l’ensemble du système, à Borda le plan des opérations géodésiques, et à Lavoisier le kilogramme.

Le 26 mars 1791, un décret de l’Assemblée constituante adopta la circonférence terrestre comme base et prescrivit les travaux nécessaires.

« Prendre pour unité de longueur usuelle la dix-millionième partie du quart du méridien et rapporter la pesanteur de tous les corps à celle de l’eau distillée, en reliant par l’échelle décimale toutes les mesures principales aux mesures plus grandes ou plus petites. »

Dès 1792, Delambre et Méchain furent chargés, par leurs collègues de l’Académie des sciences, de mesurer l’arc de Dunkerque à Barcelone, en Espagne, qui comprend dix degrés environ[1]. La triangulation s’appuya sur deux bases, près de Melun et de Perpignan. Aux mesures directes devaient succéder un long travail de comparaison aux mesures antérieures, de réductions et de calculs. Sans attendre la fin de ce travail, l’Académie calcula provisoirement le mètre d’après les observations anciennes, « avec une exactitude suffisante pour tous les besoins de la société » ; d’autre part elle avait déterminé, par des expériences précises, la longueur du pendule à seconde et le poids d’un centimètre cube d’eau distillée ; c’étaient les éléments de toutes les autres mesures. Les observations nouvelles ne pouvaient apporter à leurs valeurs que des corrections insensibles. » (Biot.)

Dans la séance du 1er août 1793, la Convention, sur un rapport présenté par Arbogast au nom du Comité d’instruction publique, vota l’établissement du système métrique dans toute l’étendue de la République. Toutefois, le système ne fut rendu obligatoire que par le décret du 18 germinal an III (7 avril 1795). Ce décret fixa définitivement la nomenclature ; il y est dit que « l’étalon sera une règle de platine, exécutée avec la plus grande précision d’après les expériences et les observations de la commission. On le déposera près le Corps législatif, ainsi que le procès-verbal des opérations qui auront servi à le déterminer. »

Une commission générale de trente-deux membres, tant français qu’étrangers, avait été chargée des calculs définitifs.

Le 4 messidor an VII (22 juin 1799), cette commission, par l’organe de ses rapporteurs, le Hollandais Swiden et le Suisse Trallès, annonça aux deux conseils législatifs de la République que le quart du méridien valait 5 130 740 toises, d’où se déduisait la longueur du mètre. Les deux délégués présentèrent aussi les étalons du mètre et du kilogramme, en platine ; la règle doit être prise à zéro et le poids cylindrique doit être pesé dans le vide. « Ces deux prototypes furent, le même jour, placés dans une boîte fermant à clef, et déposés aux Archives de la République dans la double armoire en fer, fermant à quatre clefs. »

Sous le Consulat, la loi du 2 novembre 1801 se borna à autoriser l’usage des nouvelles mesures de préférence aux anciennes ; et sous l’Empire, le décret rétrograde du 12 février 1812 organisa un système mixte et bâtard qui devait retarder de vingt-cinq ans l’avènement du vrai système métrique. Il y eut une toise métrique, une livre métrique, etc.

Enfin, la loi célèbre du 4 juillet 1837, reprenant les traditions de la Révolution, remit en vigueur le système métrique pur, et prohiba, non seulement l’emploi de toutes les anciennes mesures, mais même leurs dénominations.

Depuis le 1er janvier 1840, le nouveau système est imposé par la loi à tous les citoyens français, et les délinquants sont punis de l’amende ou de la prison.

En 1869, l’Académie des sciences de Saint-Pétersbourg proposa une révision européenne du mètre. Delambre, disait-elle, a adopté un aplatissement de la terre un peu trop faible, et en outre une erreur matérielle s’est glissée dans les calculs de réduction. L’allemand Bessel, discutant toutes les mesures du méridien, et en particulier celles de Biot et Arago (1808) a trouvé 5 131 180 toises au lieu de 5 130 740 toises ; le nombre fondamental du système métrique est ainsi trop petit de 440 toises. De plus, le kilogramme doit être rapporté à zéro, non à 4°. Il est regrettable, ajoutait l’Académie de Saint-Pétersbourg, que les nouvelles mesures ne soient pas établies par des savants de toutes les nations, travaillant en commun. Les étalons envoyés de Paris aux gouvernements étrangers sont imparfaits, ils sont relevés sur le mètre du Conservatoire des arts et métiers et non sur celui des Archives, et par des procédés qu’il faudrait perfectionner. — À ces critiques, l’Académie des sciences de Paris répondit que la différence entre les nombres de Delambre et de Bessel était assez légère, que tout nombre nouveau devrait d’ailleurs être modifié plus tard, par suite du progrès de la science : or on ne peut pas changer de mètre chaque siècle. Des savants de tous les pays ont collaboré avec les savants français, et l’unité qu’ils ont arrêtée ensemble peut être transmise très exactement. — À la suite de cet échange d’observations, les deux Académies se mirent d’accord pour demander la réunion d’un congrès du mètre, devant étudier la question des mesures et de leurs meilleurs étalons.

La première réunion à Paris du Congrès international du mètre ayant été interrompue par la guerre, une seconde réunion eut lieu en 1872. Vingt États y furent représentés. Il fut résolu qu’on ne ferait pas une nouvelle mesure du méridien ; que le mètre et le kilogramme actuels seraient perpétués tels quels ; que les étalons seraient en platine iridié, de 102 centimètres pour limiter le mètre à deux traits, etc.

En 1873, les chimistes Deville et Debray coulèrent, à une température dépassant 2000°, les premiers mètres internationaux, à l’École normale supérieure. Ces mètres ont la même valeur scientifique, sinon historique, que le prototype des Archives qu’ils reproduisent parfaitement, et ils font loi à l’étranger.

Un musée du mètre a été, dans ces dernières années, réuni à l’Observatoire par M. Wolf.

Les prêtres me dirent encore que Sésostris fit le partage des terres, assignant à chaque Égyptien une portion égale et quarrée, qu’on tirait au sort, à la charge néanmoins, de lui payer tous les ans une certaine redevance qui composerait le revenu royal. Si une crue du Nil enlevait à quelqu’un une portion de son lot, il allait trouver Sésostris pour lui exposer l’accident, et le Roi envoyait sur les lieux des Arpenteurs pour mesurer de combien l’héritage était diminué, afin de ne faire payer la redevance convenue qu’à proportion du fonds qui restait. Voilà, je crois, l’origine de la géométrie, qui a passé de ce pays en Grèce.

Hérodote.

Les débuts de la science ont dû être bien humbles. Il est probable, par exemple, que la légitimité de l’interversion des facteurs du produit de plusieurs nombres n’a été établie pendant longtemps que par des vérifications répétées. On a dû aussi reconnaître par l’expérience que la longueur du fil entourant la circonférence contient toujours le même nombre de fois celle du diamètre.

Nicétas de Syracuse croyait, au rapport de Théophraste, que le ciel, le soleil, la lune, les étoiles, en un mot tous les corps qui sont au-dessus de nous, sont immobiles, et que la terre seule est en mouvement dans l’Univers ; qu’elle tourne sur son axe avec une extrême vitesse et produit les mêmes apparences que si elle était immobile et le ciel en mouvement.

Cicéron.

Hankel, l’historien des mathématiques, mort il y a quelques années, admettait, contrairement à l’opinion reçue, l’évolution et le progrès continu. D’abord les Grecs géomètres, puis les Hindous purs algébristes, et enfin les Modernes qui unissent l’algèbre et la géométrie. De son côté, Chasles avait déjà dit : « Les Grecs étaient surtout géomètres ; ce n’est que très tard qu’on trouve chez eux le Traité d’Algèbre de Diophante. Leur géométrie était pure, sans mélange de calcul… Chez les Hindous, au contraire, l’Algèbre paraît être la science la plus cultivée ; les théories algébriques s’y trouvent dans une perfection surprenante… (dans les temps modernes) une rénovation générale des mathématiques leur a donné, avec le caractère d’abstraction et de généralité qui leur convient, des ressources puissantes dont les Grecs n’avaient point eu l’idée. »

Les géomètres grecs spéculaient sur les grandeurs elles-mêmes, jamais sur leurs mesures.

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Les douze cents ans qui séparent Pappus de Viète, de Descartes et de Galilée ne sont qu’une longue nuit.

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Il serait impossible de méconnaître la rare habileté des Hindous dans les recherches relatives soit aux propriétés des nombres, soit aux transformations algébriques ; mais si l’on considère… leur quasi-nullité en géométrie… on ne peut s’empêcher de les mettre infiniment au-dessous des Grecs.

M. Marie.

Les mathématiques anciennes nous offrent l’exemple d’une décadence profonde après un brillant apogée ; et l’on peut affirmer, de ce point de vue, que le vrai problème qui s’impose aujourd’hui dans l’histoire des mathématiques est de préciser les circonstances et de déterminer les causes de la décadence passée, en vue de connaître les précautions à prendre pour éviter une décadence future.

P. Tannery.

La découverte en mathématiques a atteint deux maximums, l’un en géométrie pure aux temps d’Euclide, d’Archimède et d’Apollonius, et l’autre au XVIIe siècle, qui nous a donné l’Application de l’Algèbre à la Géométrie, le Calcul infinitésimal et le Principe de l’attraction.

La résolution des équations du troisième et du quatrième degré, le dénoûment du fameux cas irréductible furent la grande affaire des algébristes du XVIe siècle.

Liouville.

L’idée préconçue que les mouvements célestes devaient être circulaires et uniformes a égaré les Grecs.

La même hypothèse d’une certaine simplicité des lois de la nature a, au contraire, guidé Kepler. S’il avait su combien sont complexes, les mouvements perturbés des planètes, il n’aurait pas découvert les lois qui donnent une première approximation de ces mouvements.

Les philosophes qui, dans l’antiquité, soutenaient l’opinion du mouvement de la terre furent taxés d’impiété ; au XVIe siècle, il se trouve encore des esprits assez malavisés pour commettre la même faute et pour transformer en question religieuse une question purement scientifique. On alla chercher dans les livres sacrés des textes dont on se fit des arguments ; chacun les interpréta suivant sa fantaisie, et l’on vit tout à coup surgir les disputes les plus âpres et les plus déraisonnables, au détriment commun de la science et de la religion.

Valson.

À dire vrai, nous n’avons fait depuis les Grecs, que trois grandes découvertes en Mathématiques pures, mais elles ont une immense portée.

Descartes a inventé la Géométrie analytique, en représentant chaque courbe par une équation en x et y, qui est la relation constante entre les coordonnées d’un point quelconque de la courbe. Toute question de géométrie est alors transformée en une question d’algèbre.

Leibniz et Newton ont, presque simultanément, trouvé le Calcul infinitésimal qui permet d’analyser si finement la variation continue des fonctions.

Enfin de nos jours, Cauchy a su donner à l’Analyse, grâce aux imaginaires mieux comprises, une admirable et complète généralité.

Les histoires générales des mathématiques les plus importantes sont celles de Montucla en quatre volumes (dont les deux derniers sont de Lalande) ; de Bossut, plus courte ; de Hankel, malheureusement inachevée à la mort de l’auteur ; de Maximilien Marie (12 vol.) et de Moriz Cantor. Ce dernier livre, fruit de longues recherches, est le plus complet, le plus approfondi.

M. Eneström publie à Stockholm un journal d’histoire des mathématiques, la Bibliotheca mathematica.

Nous devons aussi citer les nombreux travaux d’érudition et de critique de Paul Tannery et de Charles Henry.

Enfin le prince Balthasar Boncompagni a publié plus de vingt volumes de son Bulletin de bibliographie et d’histoire des mathématiques.

Les Éloges des académiciens par Fontenelle ont leur place marquée dans la bibliothèque de l’homme de goût. L’auteur a popularisé le premier les savants et la Science. Son influence a été plus grande qu’on ne le croit, il l’a exercée délicatement et discrètement en parsemant de pensées brillantes un fond sérieux. Voltaire compare ces éloges à « ces moissons abondantes où les fleurs croissent naturellement avec les épis ».

M. P. Lafitte traite au Collège de France de l’histoire générale des Sciences, au point de vue positiviste. Nous n’avons, à vrai dire, aucune chaire d’histoire des mathématiques. C’est là une lacune regrettable dans notre haut enseignement.

En Belgique, à l’université de Gand, M. Mansion fait un cours régulier d’histoire des mathématiques et ce cours est obligatoire pour les étudiants scientifiques.

« Combien ai-je vu, dit M. Bertrand, d’anciens candidats à l’École Polytechnique qui, connaissant fort bien un traité d’algèbre classique et n’ayant rien lu au delà, ignoraient les noms d’Euler et de Bernoulli, et mettaient sur le même plan dans leur souvenir Newton et Bezout, Descartes et Budan, Cauchy et Sarrus. »

Les sciences mathématiques ont composé longtemps tout le domaine des idées exactes ; partout ailleurs on ne retrouvait que les vains efforts du génie pour arriver à la connaissance de la vérité, et les erreurs sans nombre que les doctrines insuffisantes des premiers inventeurs traînaient à leur suite. Le langage mystérieux employé par les philosophes formait avec la langue précise et claire des sciences exactes, un contraste singulier qui inspirait au géomètre le plus profond mépris pour les autres sciences. Mais, lorsque les phénomènes célestes vinrent se ranger sous les lois du calcul, l’étude des mathématiques devint plus générale, et les bons esprits furent frappés d’une manière d’argumenter si différente de celle de l’École.

La langue mathématique est celle de la raison dans toute sa pureté ; elle interdit la divagation, elle signale l’erreur involontaire ; il faudrait ne pas la connaître pour la faire servir à l’imposture.

Sophie Germain.

À l’occasion du 60e anniversaire de sa naissance, le roi de Suède et de Norvège a institué un grand prix de mathématiques et tous les géomètres de l’Europe ont été invités à concourir. Le prix a été obtenu par M. Poincaré et la seconde récompense, une médaille d’or, par M. Appell. (Février 1889.)

Les principaux journaux de mathématiques sont, en France : le Journal de Mathématiques pures et appliquées, fondé par Liouville et dirigé par Jordan ; le Bulletin des Sciences mathématiques, fondé et dirigé par Darboux ; les Nouvelles annales de Mathématiques, fondées par O. Terquem et Gérono et dirigées par Laisant et Antomari ; le Journal de Mathématiques élémentaires et spéciales, fondé par J. Bourget et dirigé par G. de Longchamps ; la Revue de Mathématiques spéciales rédigée par E. Humbert ; le Journal de Mathématiques élémentaires, dirigé par notre collaborateur Vuibert, etc.

L’Académie des sciences, à l’Institut de France, comprend cinq sections pour les Mathématiques. Voici les noms des membres par ordre de nomination :

Géométrie. — Hermite ; Jordan ; Darboux ; Poincaré ; Émile Picard ; Appell.

Mécanique. — Maurice Lévy ; Boussinesq ; Deprez ; Sarrau ; Léauté ; général Sebert.

Astronomie. — Faye ; Janssen ; Lœvy ; Wolf ; Callandreau ; Radau.

Géographie et navigation. — Bouquet de La Grye ; Grandidier ; de Bussy ; Bassot ; Guyou ; Hatt.

Physique générale. — Cornu ; Mascart ; Lippmann ; A.-H. Becquerel ; Potier ; Violle.

Secrétaires perpétuels de l’Académie. — J. Bertrand, pour les sciences mathématiques, et Berthelot, pour les sciences physiques.

Parmi les Académiciens libres, on remarque de Freycinet ; Haton de la Goupillière ; amiral de Jonquières ; Rouché, etc.

Parmi les Mathématiciens vivants, nous citerons : en Belgique, Mansion et Neuberg ; en Angleterre, Forsight, Sylvester et Salmon ; en Norvège, S. Lie (actuellement à Leipzig), Bjrknes, Syllow ; en Suède, Bäklund, Lindsteedt ; en Danemark, Petersen, Zeuthen ; en Russie, Liapounoff, Markoff ; en Allemagne, Dedekind ; Fuchs ; Gordan ; Klein ; Schwarz ; Weber ; Wemgarten ; en Italie, Beltrami, Brioschi et Cremona, etc., etc.

Voici les noms de quelques autres mathématiciens français : D. André, Borel, Brisse, Brocard, Fouret, Goursat, Hadamard, G. Humbert, le P. Joubert, Kœnigs, Laisant, H. Laurent, de Longchamps, Mannheim, Méray, Moutard, Painlevé, J. Tannery, etc., etc.

On a organisé à Paris, en 1872, une Société mathématique qui compte près de trois cents membres et qui publie le Bulletin de ses travaux. Les séances ont lieu deux fois par mois. Le siège est rue des Grands-Augustins, 7.

Le 24 décembre 1892, on a fêté, à la Sorbonne, les soixante et dix ans de notre grand géomètre Hermite. Nous extrayons du discours du Ministre de l’Instruction publique le passage suivant :

Pascal voit dans la géométrie « le plus haut exercice de l’intelligence » ; il place les géomètres au premier rang « des princes de l’esprit ». C’est l’honneur de notre France d’avoir produit plus qu’aucune autre nation, de ces génies subtils et puissants, capables d’embrasser l’ensemble des vérités qui constituent les lois des nombres et de l’étendue. Déjà au dix-septième siècle, Descartes, Pascal et Fermat nous permettent de n’envier personne, pas même l’intelligence suprême de Newton ; au dix-huitième siècle nous prenons décidément le premier rang avec d’Alembert, avec Lagrange, avec Laplace, et le siècle dont nous sommes a vu affirmer et consolider cette maîtrise française de la géométrie par une suite de savants illustres, les Monge, les Carnot, les Ampère, les Cauchy, les Chasles, les Liouville, pour ne citer que quelques-uns de ceux qui ne sont plus…

Ch. Dupuy.

L’Intermédiaire des mathématiciens, dirigé par MM. Laisant et E. Lemoine, contient les questions les plus variées et les plus difficiles puis les réponses venues de divers côtés.



  1. Le général Perrier, mort en 1888, a réuni géodésiquement l’Espagne à l’Algérie, par dessus la Méditerranée. Nous connaissons maintenant la longueur d’un arc de méridien allant du nord de l’Angleterre au Sahara.