Matinée de Printemps
MATINÉE DE PRINTEMPS
Je marchais ébloui par le matin vermeil ;
Le fourmillement d’or de la mer au soleil
Aveuglait mes regards, et je sentais mon âme
Près d’elle s’alanguir à ses soupirs de femme.
Les flots étincelaient parfois comme des yeux.
Des troupes d’oiseaux blancs jetaient des cris joyeux,
Tournaient et plongeaient fous, venant tremper leurs plumes
Aux vagues qui riaient de longs rires d’écumes.
Tout vibrait et chantait sous le vent matinal.
C’était un paysage immense et sans égal :
Sur cette mer d’azur, près de ses bords, une île,
De brume enveloppée encor, dormait tranquille,
Telle une fleur en un beau vase de lapis ;
Et tout au loin, très haut, en leur blancheur de lys,
Par delà les cités et les vagues campagnes,
Géantes, se dressaient des chaînes de montagnes ;
Leurs neiges, en un ciel doux comme le satin,
Mêlaient leur candeur vierge à celle du matin,
Et des pêchers piquaient le ciel de leurs fleurs roses…
— J’allais ainsi, ravi par la beauté des choses,
Quand au seuil de la ville, assis près du chemin,
Un pauvre enfant aveugle, et qui tendait la main,
M’apparut, oh ! si maigre et pâle, si sordide,
Et morne avec ses yeux dont l’orbite était vide ;
Et ses yeux cependant se tournaient vers le ciel
Indifférent et d’un éclat surnaturel…
— Et je songeai, saisi d’une pitié profonde,
À ce vautour du mal toujours aux flancs du monde,
À ce fonds ignoré de muettes douleurs,
Qu’à nos regards jamais ne révèlent des pleurs,
À ces hasards créant la naissance des êtres,
À ces enfants punis du péché des ancêtres,
Aux horreurs de la vie, à ses iniquités,
À tant de châtiments qui sont immérités,
Et près de cet enfant martyr aux grands yeux vides,
Je ne regardai plus rire les flots splendides,
Ni sur la terre en fleurs flamboyer le ciel bleu,
Craignant qu’il n’y manquât la justice d’un Dieu.
Près de Cannes.