Timour
TIMOUR
Timour a fait trancher quatre-vingt mille têtes ;
L’Émir devant Bagdad les a fait mettre en tas,
Et les corps ont servi de régal pour les bêtes,
Hyènes, loups, vautours, qui suivent ses soldats.
Les têtes se dressaient en hautes pyramides
Pour bien prouver à tous la force de sa main,
Et donner le dédain de vivre aux plus timides,
Par ces morts entassés montrant que tout est vain.
Timour a toujours fui les plaisirs de la femme ;
Il n’aime que le sang, l’opium et la mort,
Et rêve, trouvant l’homme indigne de son âme,
De le recréer pur, intrépide et plus fort.
Aussi l’Émir fait-il flamboyer les épées
Pour réveiller le monde entier de sa torpeur,
Et fait-il approcher de ces têtes coupées
Les enfants de son peuple afin qu’ils n’aient plus peur.
Il veut former, un jour, une race indomptable
Qui, dans le sang ayant trempé son cœur de fer,
Purifiera le monde et, lavant cette étable,
Passera sur le genre humain comme une mer.
Et la terre dès lors ne sera plus qu’aux justes,
Aux voyants, aux croyants, aux fakirs dont les yeux
Jettent d’ardents éclairs, et dont les cœurs robustes
Ne craignent rien, hormis Allah, l’Émir des Cieux !
— Mais Timour est tombé sans accomplir sa tâche,
Et, Roi des animaux, l’homme est resté toujours
D’une infime stature, et comme eux vil et lâche,
Impudique comme eux et sale en ses amours.