Mes mémoires (Groulx), tome II/vol. 3/Autre moyen de propagande : La conférence

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Fides (p. 61-71).

V

AUTRE MOYEN DE PROPAGANDE :
LA CONFÉRENCE

On pense bien que l’Action française n’allait pas négliger cet autre moyen de propagande : la conférence. Instrument souple qui lui permettrait d’atteindre l’élite aussi bien que le populaire. Instrument recherché à une époque où le public aime encore entendre parler, pourvu qu’on lui dise quelque chose. Rien de plus commun entre 1915 et 1930 que le recours à la conférence et au conférencier pour les hommes d’œuvre désireux de se faire des recettes. Les conférenciers écoutés, recherchés, se voient alors mis à contribution jusqu’à usure. Pour sa propagande, l’Action française utilise d’abord, et cela va de soi, le personnel de sa direction. Mais soucieuse sur ce point comme sur le reste de mettre à profit toutes les collaborations, elle eut tôt fait de constituer une équipe de conférenciers : ce qui lui permit de répondre à tous les appels. Des conférences de l’Action française, il y en aura de deux sortes : la conférence en série et la conférence que j’appellerais individuelle. Des conférences en série, ou des séries de conférences, j’en relève au moins quatre. Elles débutent dès 1918-1919 et on choisit pour salle un vaste vaisseau : le Monument National de Montréal. Était-ce tenter la fortune ? L’Action française de ces années-là a le vent dans ses voiles. Le succès est étonnant. Chaque fois, ou peu s’en faut, le vaisseau s’emplit. Il faut dire que l’on a su débuter. Son premier conférencier n’est nul autre qu’Henri Bourassa et qui a pris pour sujet : « La langue, gardienne de la foi ». Suivront le Père Louis Lalande, s.j., Léon Lorrain, Antonio Perrault, Armand LaVergne, l’abbé Groulx. Pour présidents d’honneur de ces soirées, l’Action française s’est payé le luxe d’assez considérables personnages : l’abbé Philippe Perrier, Mgr Arthur Béliveau, archevêque de Saint-Boniface, le sénateur Belcourt, Aimé Geoffrion, le Docteur de Lotbinière-Harwood. Le Père Louis Lalande nous entretient de la « Race supérieure » ; Léon Lorrain, de la « Valeur économique du français » ; Antonio Perrault, de la « Défense des lois françaises » ; pour ma part, j’ai pris pour sujet : « Chez nos ancêtres ». L’allocutionniste, pour cette fois, est Édouard Montpetit. Toutes ces conférences sont publiées en brochures et vendues à des milliers d’exemplaires. Un chroniqueur écrit dans la revue, et c’est à propos de ces conférences : « Vous savez quel éclat prend la série du Monument National… nous ne pouvons que signaler le succès continu de nos conférences… »

L’année suivante, soit en 1919-1920, nous organisons une autre série de conférences, mais cette fois, nous nous rabattons sur la salle de la Bibliothèque Saint-Sulpice. Moins vaste que le Monument National, elle se prête mieux au genre académique. Au surplus, à proximité de l’Université qui a encore son siège à la rue Saint-Denis, coin de la rue Sainte-Catherine, la salle Saint-Sulpice est devenue l’un des foyers de la vie intellectuelle à Montréal. Puis, l’année 1919-1920 marque une date importante. L’Université montréalaise, enfin détachée de l’Université Laval, vient de conquérir son indépendance. Le problème universitaire est à l’ordre du jour. L’Action française sait trop le rôle de l’enseignement supérieur dans la vie de la nation pour ne pas saisir le problème au vol. Elle fera de lui, en somme, le sujet de cette deuxième série de conférences. En novembre 1919, Mgr Georges Gauthier, recteur de la nouvelle université, inaugure la saison avec « La mission de l’université », conférence précédée et suivie de deux allocutions, l’une de l’abbé Philippe Perrier, l’autre d’Athanase David. Édouard Montpetit suit avec « La caravane passe… », étude démographique sur le Canada français ; allocutionnistes : Léon Lorrain et le juge Eugène Lafontaine, doyen de la Faculté de droit de l’Université de Montréal. L’abbé Olivier Maurault succède à Montpetit en janvier 1920 avec « Noblesse oblige », histoire des universités tracée à grands traits ; allocutionnistes : Arthur Surveyer, ingénieur et le Dr Joseph Gauvreau. À l’abbé Maurault succède Antonio Perrault. Sujet : « Le professeur d’université » ; allocutionnistes : Henri Bourassa et l’abbé Groulx. Puis vient Henri d’Arles avec pour sujet : « La culture française » et pour allocutionnistes, Omer Héroux et Georges Le Bidois, professeur de littérature française à l’Université de Montréal. Enfin Guy Vanier clôture la série avec « Nos énergies méconnues ».

Incident à la conférence d’Henri d’Arles[NdÉ 1]

Ouvrirai-je ici une parenthèse pour relater un incident désagréable survenu lors de la conférence d’Henri d’Arles ? Pendant la Grande Guerre de 1914-1918 nos relations avec nos cousins de France sont devenues singulièrement tendues. Les chers cousins nous pardonnent mal nos résistances à l’impérialisme militaire de la Grande-Bretagne, et par suite, notre tiédeur à voler au secours de l’ancienne mère patrie. Peuple impérialiste, habitué, comme tous les peuples de cette sorte, à se faire servir et défendre, au moins partiellement, par des mercenaires ou par leurs coloniaux, les Français ne comprennent guère notre répugnance à sacrifier nos fils pour ceux qui n’ont pas eu le courage de s’en procréer. Pendant la guerre elle-même, notre attitude a déjà occasionné, ici et en France, d’assez vives et pénibles controverses. La guerre finie, le ressentiment, d’un côté comme de l’autre, persiste. Depuis toujours du reste, du moins encore à cette époque, les Français de France frayent peu avec les Canadiens français. Gros marchands, professeurs à McGill, consuls ou tous autres personnages officiels préfèrent fleureter avec la haute société anglo-canadienne ou ne fréquentent, dans la haute bourgeoisie canadienne-française, que les milieux plus français de France que français du Canada. Froissements de parenté qui me paraissent regrettables. À l’Action française, il nous incombait, me semblait-il, de par le caractère même de notre œuvre, de jeter une passerelle sur le fossé. Henri d’Arles allait parler de culture française. L’occasion s’offrait opportune, me parut-il, d’esquisser une tentative de rapprochement entre cousins de l’un et l’autre bord de l’océan. Et, par exemple, pourquoi ne pas offrir la présidence de la soirée à quelque Français de Montréal ? De mon mieux, je plaidai la cause devant mes collègues de la Ligue. Je gagnai mon point, mais non, je dois le dire, sans vive opposition. La présidence, à la conférence d’Henri d’Arles, fut donc offerte à M. Georges Le Bidois, pour lors professeur assez terne de littérature française à l’Université montréalaise. M. Le Bidois accepta. Que me vaudra mon obligeance ? Prié de remercier le conférencier, M. Le Bidois, en bon métropolitain, ne crut mieux faire que servir aux cousins du Canada, ces coloniaux d’hier et de toujours, une bonne et verte leçon d’élémentaire sagesse politique et de charité internationale. Algarade débitée avec l’accent, le ton d’un M. Pet-de-loup, que le professeur ramassait en cette formule on ne peut plus aimable pour ceux dont il était l’invité : « Souvenez-vous, messieurs, que la France est le seul pays au monde où nationalisme ne rime pas avec égoïsme. » Et voilà ! Cela nous apprendra… Louis Dupire, journaliste au Devoir, exprima comme suit notre sentiment à tous, ce soir-là :

J’ai déjà vu un homme mettre les pieds dans les plats, mais c’est la première fois de ma vie que je vois un monsieur chausser des raquettes pour s’y promener les pieds.

Et je ferme la parenthèse.

■ ■ ■

En même temps que ces conférenciers de l’Action française donnent au public montréalais cette série de conférences, d’autres, de la même équipe, s’adressent au public de la capitale canadienne. Sous les auspices de l’Institut canadien-français, Jean Désy y va parler de Marc Lescarbot ; Émile Miller, de géographie canadienne ; Léon Lorrain, de trois anglicismes ; l’abbé Olivier Maurault, de régionalisme ; Louis-D. Durand de la Renaissance des Tchèques.

Henri d’Arles

Pour la saison universitaire de 1920-1921, l’Action française tente une autre formule : une série de conférences confiées, cette fois, à un seul conférencier. L’homme de notre choix est Henri d’Arles, nom de plume d’Henri Beaudé, qui nous entretiendra de Nos historiens. C’est le sujet de son choix et c’est le lieu peut-être de présenter le personnage.

Henri d’Arles, personnage qui ne manque pas d’originalité. Qui l’avait rencontré une seule fois ne perdait plus l’image de ce prêtre et de cet ex-moine à mine de dandy accompli, portant vêtement d’une coupe impeccable, souliers fins, faits sur mesure, souvent à boucles comme une chaussure épiscopale, bas de soie volontiers violets, veston traversé d’une chaîne d’or. Au-dessus du col se dégageait une tête bien faite qu’on aurait pu dire de carrure et de profil napoléoniens, si la peau trop fine, l’ensemble du visage trop poupin, les cheveux bien lisses et bien peignés n’eussent fait un composé d’aspect plutôt féminin. Un lorgnon retenu à l’oreille et au gilet par un large ruban noir achevait de révéler un souci de parure et de coquetterie d’une masculinité suspecte. Henri d’Arles ouvre la bouche ; il parle : voix feutrée, blanche, presque molle, tout ce qu’il faut pour donner à se méprendre sur le sexe de cette voix. Enfin il ne reste plus qu’à le regarder marcher : balancement de mains fines, démarche souple, cadencée, pas à peine appuyés d’un monsieur qui foulerait un tapis ; en tout, l’élégance même. À coup sûr, dans un salon d’aristocrates, avec son air légèrement mélancolique, eût-on facilement pris cet efféminé pour le dernier survivant d’une famille de princes détrônés.

D’où lui venait ce souci de l’extrême recherche dans le costume comme en maintes autres choses ? Cet homme, ce prêtre, si exigeant jusqu’en ses sous-vêtements et qui n’en portait que de soie exquise, était né d’une famille modeste, humble, de très petits bourgeois où il incarnait le type d’exception. Son dandysme exposera même cet homme de goût à manquer étrangement de mesure. Il portera des chaînes d’or d’un grain véritablement trop fort. Par sa mère, il appartient à la famille des Prince ou Le Prince ; il se fera graver, sur riche bristol, des cartes de visite où les deux patronymes maternel et paternel se joindront avec un trait d’union à peine perceptible : Le Prince-Beaudé. Il aimera s’envelopper d’un nuage de parfums vraiment trop capiteux. Et je n’ai pas oublié un incident de nos dîners, à Paris, chez le duc et prince de Bauffremont. Un soir, Henri d’Arles, alors incardiné au diocèse de Versailles, vient me prendre à l’Hôtel Jean-Bart, vêtu, pour cette fois, d’une soutane flambant neuve. Et la soutane est bel et bien de soie moirée, traversée d’un ceinturon de même tissu. Tout à l’heure, me dis-je, il faudra capter, en son visage, l’impression du duc. Chacun sait comme en France l’on se montre exigeant, conformiste, sur le costume ecclésiastique. Vers 1920, depuis la guerre et depuis les spoliations de M. Combes, ce costume était pauvre, et surtout d’une mode invariable. La moindre dérogation, la moindre recherche ne pouvaient que tirer l’œil du passant. Donc, ce soir-là, nous faisons notre entrée dans le salon de la rue de Grenelle. Le duc paraît. Chaleureux comme toujours, il tend la main. Mais je suis son regard. Un instant, instant à peine perceptible, et de haut en bas, il a enveloppé la soutane en soie. Rien qu’un pli aux lèvres, pli rapide. Mais pli qui voulait dire : « Quel homme étrange tout de même ! »

Henri d’Arles, esprit si mesuré en tant d’autres choses, se laissait aller en effet à ces étrangetés. Petites manies de mondain ? Caprices d’artiste ? Une autre de ses fantaisies est de n’écrire quoi que ce soit qu’avec sa plume à lui, une plume tout en or et qu’avec son papier, un papier de choix dûment frangé qu’il achetait à la rame et découpait et pliait lui-même avec un soin méticuleux. Je me souviens d’un jour où je le pressais de me donner un article promis à la revue : « Ah, mon cher ami, me répondit-il, se frappant le front du bout du doigt, il est là votre article ; mais je n’ai pas reçu mon papier que j’attends d’un jour à l’autre. Et je ne puis écrire que sur mon papier. » En effet, le papier arriva un jour ou deux plus tard. En un tournemain, le cher homme put me remettre son texte, écrit de sa petite écriture, droite, égale, à lignes également distancées, sans la moindre rature.

Était-ce une autre étrangeté ? Cet abbé si mou, si mondain d’apparence, avait un esprit grave, vigoureux. Il savait finement badiner, et avec les intimes il se prêtait à la taquinerie. Mais la pensée, chez lui, s’élevait d’un vol naturel vers ce que j’appellerais les grands sujets. Il les recherchait. Il aimait causer de littérature, d’art, de politique, de philosophie, de théologie, de choses religieuses. C’était, pour lui, atmosphère familière. Il avait débuté en littérature par des opuscules qui fleuraient la préciosité, le maniérisme. Puis, il était venu à l’histoire. Il avait entrepris un ouvrage de longue haleine : la traduction en français, sinon même la refonte avec larges annotations, d’Acadia d’Édouard Richard. L’austère discipline avait visiblement mûri son esprit, l’avait arraché à son dilettantisme. Un soir, Henri Bourassa lui en faisait le compliment. On s’en aperçut tout de suite, du reste, à sa nouvelle manière d’écrire. Il en resta à l’académisme, mais un académisme d’une sobriété presque classique. La plume du doucereux, de l’élégant abbé démontra même qu’elle pouvait se faire maligne, acérée. Quelques-uns l’apprirent à leurs dépens, dont ce pauvre abbé Émile Charrier qui s’était frotté au critique. Le critique chez lui n’avait rien d’un métaphysicien de la littérature et de l’art. Il ne jugeait pas d’après des canons rigides. C’était plutôt un impressionniste ; ce qui l’exposait à la superficialité. Mais il avait l’esprit distingué. Il avait lu et lisait beaucoup ; il possédait une culture littéraire assez étendue. Et c’était un homme de goût. Quelle grande œuvre aussi en son temps serait née qui lui eût permis de donner sa mesure ?

Ma correspondance avec cet homme de lettres date de 1918. C’est le 18 février de cette année-là qu’il m’écrivait pour la première fois. Le sculpteur Gosselin, de Manchester, É.-U., préparait une maquette pour un monument à Hippolyte LaFontaine ; sur le socle, il désirait inscrire une phrase lapidaire, phrase empruntée au discours de l’homme d’État canadien-français, pour la défense de la langue française. Henri d’Arles me priait de fournir cette phrase au sculpteur. Je saisis l’occasion au vol. Je n’étais pas encore directeur de L’Action française. Mais dès lors je m’efforçais d’attirer à notre œuvre les intellectuels les plus réputés et les plus sains du Canada français. J’offris à Henri d’Arles de collaborer à la revue. Il me répondit tout de suite :

Votre invitation à collaborer à L’Action française m’honore et me touche beaucoup, et je vous prie de recevoir ici l’expression de ma gratitude. C’est avec plaisir que j’accepte.

Il allait devenir, non seulement l’un de nos conférenciers, mais pendant plusieurs années, le critique littéraire, en quelque sorte attitré de la revue.

À l’automne de 1920, Henri d’Arles, notre conférencier de cette année-là, nous arrivait donc au presbytère du Saint-Enfant-Jésus. L’abbé Perrier, toujours hospitalier, lui offrait chambre et couvert. C’est là que je pus connaître l’homme et le voir de très près. À Montréal, proche des bibliothèques, au presbytère en une solitude respectée, à quelques pas de mon propre cabinet de travail, il pourrait à loisir bâtir ses conférences. Il se mit à l’œuvre diligemment. Selon sa coutume, il travaillait tout l’avant-midi et se réservait l’après-midi pour « refaire son plein d’essence ». Il se rendait aux bibliothèques, allait visiter les églises, les musées, allait aussi flâner dans les ateliers d’artistes.

Il débutait à la salle Saint-Sulpice le 11 novembre au soir. Son étude sur Nos historiens ne devait être, sans doute, en son esprit, que le début de toute une histoire de la littérature canadienne-française. Sa première conférence a pour titre : « Considérations générales sur la littérature canadienne ». Ce soir de novembre, la série Henri d’Arles s’ouvre avec quelque solennité. Mgr Georges Gauthier a accepté la présidence d’honneur de la soirée. Antonio Perrault, présente le conférencier de l’Action française. Toute la classe de Rhétorique du Collège Sainte-Marie est là. Ces jeunes gens ont retenu leur billet pour l’entière série et viendront chaque soir y chercher le thème d’un devoir de classe. Henri d’Arles ne déçoit point son auditoire. Il fait montre d’une véritable maîtrise. Sa conférence du début sera suivie d’une deuxième sur les « Maîtres primitifs » ; puis passeront, à tour de rôle, « François-Xavier Garneau », « Louis-Philippe Turcotte », « Jean-Baptiste-Antoine Ferland », « M. Thomas Chapais », « M. l’abbé Lionel Groulx ». Au sentiment unanime, Henri d’Arles écrira, cette année-là, l’un de ses meilleurs ouvrages, et en même temps, l’une des œuvres les plus solides et les plus sagaces de la critique au Canada français. Je ne note qu’un petit incident qui montre bien ce qu’il y avait, dans le personnage, suprême élégant, d’esprit volontiers frondeur. À sa conférence sur Garneau, il n’avait pas manqué d’inviter expressément le petit-fils de l’écrivain, Hector Garneau. L’on imagine un peu la tête et l’humeur de ce grand nerveux de Garneau quand il s’aperçut qu’on ne l’avait invité là que pour lui reprocher vertement d’avoir manqué de respect envers la mémoire de son aïeul. Le petit-fils avait réédité l’Histoire du Canada du grand-père avec restitution de textes supprimés et désavoués par l’auteur en ses dernières éditions. « Est-ce là faire œuvre loyale d’éditeur ? demandait sans pitié le conférencier. Et non seulement, ajoutait-il, ces textes répudiés sont restitués, mais de copieuses notes, puisées dans des historiens libres penseurs, viennent amplifier et corroborer ces opinions absolument inadmissibles en saine philosophie historique. » Le public s’amusa de cette mercuriale ; M. Hector Garneau, point du tout.

La carrière de conférencier d’Henri d’Arles s’arrêterait à ces conférences. Il aurait grandement désiré occuper la chaire de professeur de littérature canadienne-française à l’Université de Montréal. On ne voulut pas de lui. Qu’allait-il devenir ? Il espérait édifier une œuvre de critique littéraire dont les dimensions l’enchantaient. Il y mettrait tout le reste de sa vie. Il alla frapper à des portes qui ne s’ouvrirent point. Puis, hélas, le dilettante, le chercheur de rêves n’était pas totalement mort en ce pauvre Henri d’Arles. Entré dans l’ordre des Dominicains, il en était sorti après quelques années. Dans le clergé séculier, il n’avait pu tenir en place. En 1921, après sa série de conférences à l’Action française, il quittait le Canada, en secouant contre le pays natal la poussière de ses souliers à boucles ; l’on n’avait pas voulu de son enseignement. Il partait pour ne plus jamais revenir, disait-il. Un jour l’on apprit qu’il s’était agrégé au diocèse de Versailles. Hélas, l’année suivante, il revenait en Amérique pour accepter un petit poste d’aumônier à Manchester, É.-U. Il reprenait tout de bon, à notre revue, son poste de critique. Encore cette fois pourtant, il se lassera. En 1930, il est à Rome. Un grand sujet l’obsède. Il a rêvé d’écrire une vie du Christ. On sait qu’il était déjà l’auteur de Laudes, commentaire émouvant des litanies de la Sainte Vierge. Aux approches de la soixantaine, il s’en va se remettre à l’étude des Écritures et des antiquités chrétiennes. Il se dit détaché de tout. Du Collège canadien, il m’écrit le 5 mai 1930 :

Maintenant pris par le grand sujet dont j’ai toujours rêvé, je m’y enferme et n’attache plus guère d’importance à quoi que ce soit d’autre. Cela ne m’empêche pas de partager vos anxiétés, concernant notre avenir…

Il m’avait déjà écrit de Santa Monica (Californie) où il était en repos (30 déc. 1928) :

Vous vous enfermez dans vos travaux d’histoire ; je m’enclos dans ma Vie de Jésus, pour laquelle il me faudra bien huit ou dix ans encore de méditations & d’études. Monseigneur Guertin m’a envoyé ici en repos complet physique et intellectuel, pour un an. Et après c’est Rome et la Terre Sainte, s’il plaît à Dieu.

A-t-il eu le temps d’écrire quelques chapitres du grand ouvrage rêvé ? Nulle autre lettre de lui ne me l’a dit. La première nouvelle qui me vint d’Henri d’Arles fut celle de sa fin. Un jour, on le trouva mort, dans sa chambre, au Collège canadien, assis dans son fauteuil, la tête appuyée sur un livre, comme Pétrarque. Mort qu’on peut dire à souhait pour cet intellectuel de race, l’un des plus fins peut-être que nous aura donné notre littérature.

■ ■ ■

Conférences d’apparat que ces conférences dont je viens de parler et réservées, pour la plupart, à Montréal. Pendant ce même temps, ai-je dit, les conférenciers de l’Action française se répandent comme un essaim à travers la province et même au-delà. La revue nous permet de les suivre à la trace. Noms bien connus : Dr Gauvreau, Léon Lorrain, Anatole Vanier, abbé Lucien Pineault, Antonio Perrault, abbé Philippe Perrier, Père Louis Lalande, s.j., Hermas Bastien. Ils vont ici et là traiter de sujets patriotiques, faire connaître notre œuvre, travailler au réveil populaire. L’Action française les délègue comme orateurs aux fêtes nationales. Perrault, par exemple, se rend à Ottawa pour une fête de Dollard, puis pour le dixième anniversaire du journal Le Droit. Il prononce, à l’Université Laval de Québec, une conférence qui a pour titre : « Idées larges, idées étroites ». À Montréal, il entretient d’action française une réunion de tous les gérants des succursales de la Banque d’Hochelaga [Banque Canadienne Nationale depuis 1924]. Le Père Louis Lalande s’en va à Coaticook pour la célébration de la Saint-Jean-Baptiste. Nos conférences prennent parfois la forme du dîner-causerie. Le 10 mars 1924, l’Action française reçoit à dîner Mgr Joseph Prud’homme, évêque de Prince-Albert, Sask. M. Perrault en profite pour définir notre attitude à l’égard de nos frères dispersés : attitude non « d’étroits provincialistes », comme des adversaires se plaisent parfois à nous décrire, mais attitude de frères, l’œil ouvert sur toutes nos frontières françaises et qui ne s’attachent à leur Québec que pour en faire une petite patrie rayonnante, plus serviable par cela même à tous les exilés de la diaspora. Nos étudiants d’Action française organisent leur part de conférences. Ils invitent M. Jean Désy, alors professeur d’histoire à l’Université de Montréal, à les entretenir de la « Renaissance polonaise ».


Note de l’éditeur
  1. Voir la note 49 du deuxième volume.