Mes prisons/06

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Mes prisons
Mes prisonsVanier (Messein)Œuvres complètes, tome IV (p. 410-412).

VI


Ma mémoire qui commencerait à devenir déplorable si je n’y mettais bon ordre et le scandaleux manque de soin que j’apporte dans le rangement de mes « notes » littéraires m’ont naguère fait oublier tout simplement de consigner à sa place un épisode, des plus cuisants d’ailleurs, de ma vie de prisonnier.

Pour boucher bien vite cette lacune, je dirai très vite qu’aussitôt sorti du « dépôt » des Petits-Carmes, je fus mis, dans la même prison, en cellule, sur l’ordre du juge d’instruction, comme qui dirait à Mazas sur place. Ameublement : un hamac et une couverture, une table, un tabouret, un lavabo… et un sceau. Nourriture, une pâtée d’orge ; le dimanche, une pâtée de pois concassés. Boisson, de l’eau à discrétion. Signe particulier, dès le premier jour j’attrapai des… poux.

Avec un peu d’encre soigneusement économisé d’après un encrier prêté par l’administration pour de stricts usages épistolaires, et conservé, au frais, dans un interstice de carrelage, j’écrivis, durant les huit jours ou environ qu’eut lieu cette peu douce prévention, à l’aide d’un petit morceau de bois, les quelques récits diaboliques qui parurent dans mon livre Jadis et Naguère, — Crimen Amoris, qui commence par :

« Dans un palais, soie et or, dans Ecbatane »


et quatre autres, dont Don Juan pipé que mon ami Ernest Raynaud, l’excellent poète, a en manuscrit primitif, sur du papier ayant servi à envelopper quoi déjà de la cantine, manuscrit mis au monde grâce au barbare procédé ci-dessus.

Une fois par jour, le matin, les prévenus, par sections, descendaient dans une cour pavée, « ornée » au milieu d’un petit « jardin » tout en la fleur jaune nommée souci, munis de leur seau… mieux et pis d’hygiénique, qu’ils devaient vider à un endroit désigné et rincer avant de commencer leur promenade à la queue-leu-leu sous l’œil d’un gardien tout au plus humain.

J’ai fait là-dessus des strophes :

. . . . . . . . . . . .

Ils vont et leurs pauvres souliers

Font un bruit sec.
Humiliés,
La pipe au bec.
Pas un mot, sinon le cachot ;
Pas un soupir !
Il fait si chaud
Qu’on croit mourir.

Les dimanches, messe basse en une chapelle trop laide vraiment, sans un chant, sans un sermon ! C’est bon quelquefois un sermon, même pour des gredins comme moi !

Ce ne fut, je le répète, qu’après huit jours de ces joies qu’on m’appela chez le Directeur et que je devins un pistolier par suite de la lettre de Victor Hugo, et après mon entrevue avec le Directeur de la prison telle que je l’ai racontée précédemment.

Entre temps, j’avais comparu deux ou trois fois chez le juge d’instruction, homme insinuamment bienveillant cosi son tutti qui n’avait aucun aveu à obtenir de moi et, en conséquence de ma franchise dès le commissariat de police… me maintint en état d’emprisonnement et me fit citer par le procureur du Roi en police correctionnelle sous la prévention de coups et blessures volontaires ayant occasionné, etc., etc.

C’était-il meilleur que celle, de prévention, d’asacinat ?

Non.