Meuse/p1/s1
PARTIE
SCÈNE PREMIÈRE.
La Naissance du Fleuve.
Au fond de la scène, une toile représentant une forêt claire, sous un ciel bleu, où roulent des nuages rosés. Une prairie qui descend du bois, légère et fleurie. Sur la scène, quelques arbres, entourant un amas de roches moussues. Une légère musique qui chante dans les pierres : la Source.
On entend couler l’eau sur les pierres.
Puis, un chant d’oiseaux,
Des merles qui sifflent.
La scène reste vide tout un moment.
Entre de droite, le dieu Temps. Il est vêtu d’une robe couleur feuille d’automne ; il porte longue barbe grise ; il tient, dans la main, un rameau vert. Il va vers la source. Il fait glisser l’eau dans ses doigts. Il sourit et médite.
De gauche entre la fée Espace. Elle est vêtue de blanc. Elle a le front ceint de verdure. Elle tient dans la main des fleurs des champs. Elle se dirige vers la source. Elle s’y baigne le front. Elle y laisse rouler ses fleurs.
Ma sœur, ô douce fée Espace, vois quelle eau claire et comme elle chante.
Elle est douce, dieu Temps, comme les fleurs que je lui confie et qui viennent des prés d’alentour.
Elle chante comme les oiseaux du ciel.
Elle glisse dans mes doigts, comme un rayon de lune ; elle glisse, prête à courir le monde.
Demain ruisseau, bientôt rivière, elle s’inscrit déjà, adorable et glorieuse, dans le temps.
Source, aujourd’hui pareille à toutes les sources, — un peu de lumière dans l’ombre, — demain ruisseau riant, baignant son premier village, elle s’inscrit déjà dans l’espace. Comment la nommerons-nous, dieu Temps ?
Meuse.
Ce nom est frais comme un balbutiement d’enfantelet, comme un sourire de toute jeune fille.
Va, petite Meuse, va chère clarté qui bruisse, va par les bois, va par les champs, épouse, sur ta route, en passant, la bonne terre maternelle qui te marquera de son baiser doré, caresse le pied sonore des roches lumineuses.
Espace, ma bonne fée, évoque, avec moi, en cette minute ceux et celles qui vont, au long des siècles, se pencher sur elle, mirer dans ses yeux leurs regards et leurs vies, les orner de sa grâce, les parer de sa beauté.
Cette source est divine, ô dieu Temps. Elle est unique. Ce n’est point seulement qu’un peu d’eau, limpide parmi des pierres, mais je vois, dans chacune de ses gouttes qui perlent, comme la rosée d’un matin de gloire.
Ce n’est qu’un peu d’eau qui tombe d’une roche, mais, il me semble entendre en sa chanson naïve, les vers alternés d’un poème doré.
Mes sœurs…
(Elle va vers les coulisses, à droite.)
venez, venez ô bonnes fées.
Venez, la Poésie et la Gloire !
Et vous, la Légende et l’Histoire, à votre tour, venez !
Et vous aussi, la Lumière !
La douce Lumière qu’accompagnent les brumes, la lumière de Meuse pareille à une perle bleue dans un écrin de satin gris.
Lumière exquise qui fond le village et la terre, la forêt et le ciel et qui semble une cendrée légère jetée sur les feux du soleil, lumière tendre au regard, enveloppante comme le bras d’une amante, délicate comme le contour, savoureuse comme le parfum d’un fruit.
rivière, fleuve, chose vivante, éternelle comme le
temps, changeante comme l’espace ; tu es ensemble
le mouvement et la durée ; tu porteras, au long
des siècles et des paysages, le reflet des villes et des villages,
des êtres et des choses, la sagesse du vieillard, le rêve de
La fierté des étés, la grâce des automnes
les hivers rayonnants de blancheur sous le froid
la douceur des avrils éclairés d’anémones
étoilant les mousses des bois.
Va, source, ruisseau, rivière, fleuve, glisse dans la prairie, couverte de pâquerettes et de primevères, au pied de la roche brune qu’encerclent, tumultueuses, les corneilles ; roule sous le château découronné, tout empli de gloire endormie ; bondis, comme une fée, au milieu des nutons et des fées…
… Qui dansent dans les prés entourés d’aubépines,
dans les myosotis et dans les boutons d’or.
Va, source, ruisseau, rivière, fleuve, voici penchées sur toi, la Poésie et la Gloire, l’Histoire et la Légende. Elles te font escorte. Tu verras sans cesse leurs visages dans les murs de tes demeures tapissées de lierres et de roses, au sommet des tours de tes vieilles villes ; elles se pencheront vers tes eaux, descendant des toits bleus des églises et des maisons, comme des chants de cloches et des rayons du soleil…
Qui fait étinceler, au flanc de tes collines
l’or fauve des genêts, l’or brun des châteaux forts.
Meuse, chère Meuse, adorables eaux
Allez, par l’espace, embellir les choses.
Soyez, pour chacun, comme un chant d’oiseaux
Et, pour chacun, comme un parfum de roses.