Meuse/p1/s9
SCÈNE IX.
De la musique avant toute chose.
Devant le rideau, le dieu Temps et la fée Espace. La musique qui accompagnait la danse continue en sourdine.
Les mots sont impuissants et la teinte subtile
fuit le peintre qui la poursuit.
Sa beauté de l’aurore aux ombres de la nuit
est si multiple et si mobile
que la toile et le vers ne la peuvent fixer.
De sa source à l’Ardenne et d’ici jusqu’à Liège,
elle a mille contours, mille gestes racés.
On pensait la saisir et l’on est pris au piège ;
dans le regard conquis on gardait sa clarté ;
dans ses doigts refermés on croit tenir son onde,
et déjà, loin de vous, elle court par le monde,
vêtue d’une neuve et parfaite beauté,
pour le poète ou pour le peintre, inexprimable.
Oui c’est là le miracle et la chose ineffable.
Et la seule musique, art entre tous mouvant,
sait te chanter ô Meuse,
ô le rire du vent
dans les roseaux, le vol nacré des libellules
et toi, le soleil d’or sur les roches d’argent,
et vous, tous les clochers bleus qui tintinnabulent,
vous, les oiseaux, les fleurs, les choses et les gens,
les barques, les chalands, les vergers, les prairies
au pied des coteaux verts que l’avril refleurit.
Unissez vos accents, nouez vos symphonies
Inspirez César Franck et Méhul, et Grétry
Toutes beautés par eux, en une réunies,
vivent dans la douceur de quelques airs wallons
et l’âme de la Meuse habite les violons
des aïeux de Vieuxtemps et des fils d’Ysaye.
Quelques mesures du Chant du départ.)
Tout est grâce et douceur, elle est femme, la Meuse.
Sa croupe ondule dans les prés et l’on dirait,
en octobre, qu’elle a, nimbés d’ombre brumeuse,
coiffé les cheveux lourds et roux de la forêt.
Parfois, comme une femme, elle bondit, farouche,
elle frappe, elle griffe, elle crie, elle mord,
elle crache ses fleurs et, l’écume à la bouche,
brisant tout devant elle, elle hurle à la mort.
Sanglante et révoltée elle a pour nom : Théroigne.
Sa chanson, ce n’est plus « Où peut-on être mieux »,
C’est un cri de combat, cent ruines en témoignent,
C’est la voix de Méhul qui monte vers les cieux.
La victoire en chantant
nous ouvre la carrière.
La liberté guide nos pas.
Et du Nord au Midi la trompette guerrière
a sonné l’heure[1], etc.
- ↑ Le Chant du départ, de Méhul.