Meuse/p2/s3
SCÈNE III.
Dinant.
La place de l’Église à Dinant. — Au fond de la place à gauche, la collégiale. Vieilles maisons formant le fond ; à droite, bordant la coulisse, le bord de la Meuse ; muraille basse. Venant de gauche (direction Godinne), le cortège du Téméraire débouchera sur la place au moment où l’on précipitera à la Meuse les Dinantais ; on les jettera à droite au-dessus de la muraille.
Sur la place un groupe important d’hommes et de femmes, des enfants, un prêtre. — Le groupe est muet ; une lourde inquiétude pèse. (Atmosphère musicale.) Les hommes, prêtre compris, sont debout — les femmes accroupies, certaines agenouillées ; elles serrent des enfants dans leurs bras — des hommes marchent de long en large bras croisés — le prêtre prie ; on voit remuer ses lèvres — il égrène un chapelet.
On entend dans le lointain des tambours et trompettes en marche — les hommes qui marchaient s’arrêtent — le prêtre se signe, des femmes gémissent, un enfant pleure.
Le chant des trompettes augmente, des femmes se tordent les bras, des hommes lèvent le poing — le prêtre va de groupe en groupe, appelant au calme.
Seigneur, ayez pitié de nous.
Ah !… ah !
Seigneur, ayez pitié de nous.
Ayez confiance, femmes !
Confiance ? Alors que le Charolais s’avance au bruit des trompettes, des tambours et des fifres.
Et qu’il a juré de se venger de nous…
Kyrie Eleison ! Kyrie Eleison ! Prions mes frères.
Seigneur, ayez pitié de nous (bis).
Vous voilà bien avancés d’avoir écouté Guérin votre fameux bourgmestre…
… Et tous les autres qui voulaient que nous luttions jusqu’à la mort.
Seigneur, entendez ma prière.
Où sont-ils tous ceux-là qui furent devant Bouvignes, promenant, sur un âne, un mannequin représentant le fils du duc de Bourgogne ? Où sont-ils ?
Ils sont morts ma fille, sur les remparts.
Les voilà ! les voilà ! les voilà !
Pitié, Sire, pitié !
Voilà donc ces enragés copères, les bons amis de mon royal cousin, Louis XI.
Approche, toi.
Regarde-moi.
le Téméraire.)
Regardez-moi tous.
— Oui c’est moi… le fils de votre seigneur… celui que vous appelez le faux comte de Charolais.
— Celui que vous avez pendu en effigie, à une potence, devant Bouvignes.
— C’est moi vivant.
— Bien vivant.
— Le vilain bâtard de Heeusberg.
Écoutez-moi, batteurs de cuivre, têtes dures, mon poing martèlera votre ville plus durement que vos marteaux ont battu votre cuivre.
Écoutez-moi…
Vous allez mourir.
Par la bonne Vierge Notre-Dame, pitié, Monseigneur.
Nous avons défendu nos droits, servi notre Sire ; nous avons loyalement combattu.
Hier, nous avons remis les clefs de notre ville. Un chef de votre armée nous avait promis la vie sauve.
et qui semble s’arracher à une pensée de grâce
qui l’a soudain fait balancer, éclatant :
Le vilain bâtard de Heeusberg…
— Madame de Bourgogne a juré de faire brûler Dinant…
Foi de Charolais, il ne restera rien de votre ville.
Qu’on s’en rende maîtres. Qu’on les lie deux à deux…
— Qu’on éloigne les femmes… le prêtre… les enfants.
— Qu’ils s’en aillent vers Liège.
— Qu’ils disent aux Liégeois que Dinant par eux abandonnée est morte.
— Qu’il n’en reste plus rien… rien… rien !…
Faites sonner le glas.
Allumez l’incendie.
Et quant aux hommes…
À la Meuse… à la Meuse.
À la Meuse !
Je veux que ce soir elle soit rouge et qu’elle roule jusqu’à Liège ses flots empoisonnés. Roulez tambours, sonnez trompettes, sifflez fifres.
Dinant ! Dinant !
De Dinant, je veux qu’il ne reste pierre sur pierre.