Michel Cabieu - IV

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Hachette (p. 97-99).


IV


À cet instant, les deux frères entendirent des gémissements derrière eux. Ils remontèrent sur la dune, et, après avoir cherché quelque temps au hasard dans les ténèbres, ils trouvèrent un homme qui se débattait sur le sable.

Ils se penchèrent sur le blessé et ils constatèrent qu’il avait une cuisse cassée et l’autre percée par une balle. Ils le soulevèrent et le transportèrent dans la maison du garde-côte.

— Les Anglais sont partis, dit Cabieu en embrassant sa femme. Nous amenons un prisonnier qu’il faut soigner comme si c’était l’un des nôtres.

Ils le soignèrent si bien qu’au bout de deux jours le blessé recouvra sa connaissance. Il se nomma. C’était un bas officier qui commandait un des détachements, et qui, selon toute apparence, était fort estimé ; car le commandant de l’escadre le fit demander en offrant de renvoyer les quatre garde-côtes et le deuxième soldat du régiment de Forez que les Anglais avaient faits prisonniers. La proposition fut acceptée, et l’échange eut lieu.

Quelques jours après, l’escadre anglaise mit à la voile, et les côtes de la basse Normandie ne furent plus inquiétées jusqu’à la signature du traité de Paris.

L’esprit et le courage de Cabieu avaient sauvé le pays.

Le ministre lui accorda une gratification de deux cents livres et lui écrivit une lettre de satisfaction pour sa manœuvre.

Ce fut tout. Mais l’opinion publique fut plus généreuse que le Trésor royal. L’exploit de l’humble garde-côte eut un grand retentissement dans la Normandie, et le peuple ne le désigna plus que sous le nom de général Cabieu.

« Il aurait vécu heureux de ce souvenir, dit M. Boisard dans ses notices biographiques sur les hommes du Calvados, si un incendie ne fût venu augmenter sa détresse et celle de sa famille.

« La pitié qu’il inspira réveilla le souvenir du service qu’on avait oublié. À la sollicitation du duc d’Harcourt, le ministre de la guerre lui accorda une gratification annuelle de 100 francs. Mais la reconnaissance nationale lui réservait d’autres dédommagements. Il les obtint aussitôt qu’elle put se manifester sans recourir au patronage des grands. Le grade de général fut solennellement conféré à Cabieu dans les premières années de la Révolution, et nous l’avons vu en porter les insignes. L’État lui accorda en outre une pension de 600 francs. »

Michel Cabieu mourut à Ouistreham, le 4 novembre 1804. Ce petit coin de terre, qui n’est sur la carte qu’un point insignifiant, vit naître et mourir obscurément un de ces héros auxquels la Grèce élevait des statues.