Miroir, cause de malheur, et autres contes coréens/L’enfant polisson

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L’ENFANT POLISSON

Un passant peu pressé prenait le frais, au bord de la route, à l’ombre d’un vieux chêne. Non loin de lui un tout petit garçon s’amusait avec un gros chien. Pour oublier un peu l’ennui de la route, croyait-il, il commença à taquiner l’enfant qui était fort polisson.

Cependant intimidé par des propos indiscrets du passant qui se moquait de ses cheveux ébouriffés, de ses mains sales et surtout de sa culotte ouverte, le petit garçon voulut partir. Mais le bonhomme l’en empêcha en ouvrant ses deux bras. Le chien qui avait manifesté déjà plusieurs fois son antipathie contre ce passant, crut alors que son compagnon de jeu était menacé par ce mauvais plaisant. Aussi s’élança-t-il furieusement sur le bonhomme qu’il mordit légèrement au mollet. Un filet de sang coulait de la blessure. L’enfant s’en approcha aussitôt et lui dit :

— « Monsieur, achetez vite une bonne tranche de gâteau ! et frottez le sur votre blessure, ensuite donnez le à manger à mon chien ! C’est comme ça que chez nous on assure la guérison de la morsure d’un chien ! Faites-le vite ! je vous en prie ! »

Le bonhomme privé de tout conseil médical, décida néanmoins de suivre celui du bambin, en se disant : « puisque celà ne me coûte qu’un sou ! ». Il acheta donc une bonne tranche de gâteau. Après l’avoir frotté sur sa blessure il le jeta au chien qui, tout heureux, l’attrapa dans sa gueule et s’enfuit aussitôt à la recherche d’un coin tranquille.

— « Monsieur, repartit le petit garçon, vous ne ferez plus une pareille bêtise ! Si l’on donne un gâteau à un chien qui a mordu un homme, quel est le chien qui ne recommencera pas ! »

Puis l’enfant riait follement du tour qu’il avait joué au malheureux passant et gambadait sur un tas de sable.

Dissimulant mal sa colère impuissante contre un bambin, le bonhomme chercha de nouveau à l’intimider :

— « Quel âge as-tu ? »

— « J’ai le même âge que mon camarade Kimon. »

— « Quel âge a-t-il, ton camarade ? »

— « Il a le même âge que moi, monsieur. »

— Alors, à vous deux, Kimon et toi, quel âge avez-vous ? »

— « À nous deux, nous avons le même âge que mon frère Kilbo. »

— « Ah, ça ! c’en est assez ! tout cela ne me dit pas ton âge ! »

— « Pourtant moi, je devine bien le vôtre. »

— « Dis-moi voir alors mon âge ! »

— « Vous devez avoir 46 ans, monsieur. »

— « Et comment cela ? »

— « C’est que notre domestique Jaky a 23 ans, et il n’est que à moitié idiot. »

— « Ah tu es un enfant mal élevé ! Sache que je suis un chirurgien qui corrige les enfants mal élevés par une piqure terrible aux cuisses ! C’est ce que je vais te faire ! »

— « Comme vous voudrez. Moi, je n’ai pas peur des piqures ! »

— « Tu n’as peur de rien ? »

— « Si, il y a une chose qui me fait terriblement peur, c’est l’œil de tigre, hou ! »

— « Qu’est-ce que c’est que ça ! comment le fait-on alors ? demanda le bonhomme.

— « C’est très facile, fit l’enfant, on met ses deux pouces dans les deux côtés de sa bouche et avec les autres doigts on ouvre tout grands ses yeux en hurlant hou ! hou ! Voilà qui est terrible pour moi. »

Crédule jusqu’à en être bête, le bonhomme essaya de faire comme le gosse lui avait indiqué, histoire de l’effrayer, pensa-t-il. Mais le gamin lui jeta une poignée de sable dans les yeux au moment où le bonhomme les ouvrait tout grands en hurlant hou ! hou ! »

Alors accablé de douleur il cria éperdûment :

— « Oh ! mes yeux, mes yeux ! je meurs ! »

— « Je vous l’ai bien dit, railla le gamin follement amusé, que c’était terrible ! »