Molière, Shakspeare, la Comédie et le Rire/Shakspeare/Note pour Shakspeare

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Texte établi par Henri MartineauLe Divan (p. 217-218).

NOTE POUR SHAKSPEARE[1]

(Extrait de la biographie d’Alex. Chalmers)



Nous ne pouvons connaître le montant exact de la réputation dont jouissait Shakspeare. C’était probablement la plus brillante renommée que le génie dramatique pût alors procurer, mais le génie dramatique était un mérite nouveau et encore peu compris, et dans tous les cas non compris hors de l’enceinte de Londres.

Il n’était ni de l’intérêt de Shakspeare, ni de l’intérêt des entrepreneurs auxquels il céda son théâtre d’imprimer des pièces qui, tant qu’elles restaient manuscrites, restaient leur propriété particulière. Probablement Shakspeare, content des trois cents louis par an qu’il avait gagnés avec son talent, ne songeait pas à la gloire. S’il pensait à la postérité comme Pétrarque il croyait y arriver plutôt par ses sonnets et poèmes que par ses pièces. Et en effet ses contemporains citent beaucoup plus souvent ses poèmes que ses drames. Après sa mort en 1616, ses pièces ne furent plus de mode.

À cette époque les poèmes et les ouvrages d’agrément étaient détruits en public par les évêques et en particulier par les puritains. Élisabeth défendait l’impression des pièces de théâtre. Le grand ouvrage de la prévoyante Élisabeth était de donner de telles racines à la réformation dans les cœurs de ses sujets qu’elle se trouvât à l’abri des caprices de quelque règne futur. On atteignit ce but en rendant populaires les controverses religieuses encouragées par l’église et surtout par les puritains, alors les enseigneurs immédiats des basses classes. Les puritains s’emportaient contre tout amusement public, comme n’étant pas d’accord avec la foi d’un chrétien. De là la férocité hébraïque et biblique de la nation anglaise, les pontons, les famines factices de l’Inde, etc, etc…

Cinquante ans après sa mort Shakspeare était devenu comme un auteur inconnu. Voir par exemple en quels termes en parle lord Shaftesbury. Au reste quel est le remède du malheur et de la férocité anglaise ? Peut-être un peu de volupté italienne. Il n’y a de féroce que l’être constamment malheureux.

  1. Cette note se trouve dans les manuscrits de Grenoble R. 5896, tome 20. Elle est datée du 3 décembre 1818. N. D. L. É.