Mon frère Yves/059

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Calmann-Lévy (p. 217-218).
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LIX

… Un jour, je reçus une lettre qui m’appelait au secours.

Elle était très simple, et ressemblait beaucoup à celle d’un enfant :


« Mon bon frère,

» Je ne sais comment vous dire, mais c’est vrai, je me suis mis à boire. Aussi je ne voulais pas demeurer dans Brest, vous le savez bien, car j’avais peur de cette chose.

» J’ai déjà été puni trois fois de fers à la Réserve, et maintenant je ne sais plus comment me débarrasser du bâtiment, car je vois bien qu’en restant à bord il m’arrivera quelque malheur.

» Mais il me semble que, si je pouvais embarquer encore près de vous, ce serait tout à fait ce qu’il me faudrait. Mon bon frère, puisque vous êtes bientôt pour repartir, si vous pouviez venir à Brest pour me prendre, je serais bien mieux qu’ici, et, pour sûr, cela me sauverait.

» Vous m’avez fait bien mal en me disant sur votre lettre que je n’aimais pas ma femme ni mon fils ; car, pour elle et mon petit Pierre, je ferais tout.

» Oui, mon bon frère, j’ai pleuré et je pleure encore dans le moment que je vous écris, et je ne vois plus, avec les larmes qui me sont dans les yeux.

» Je n’espère que vous voir venir. Je vous embrasse de tout mon cœur, en vous priant de ne pas oublier votre frère, malgré tous les chagrins qu’il vous donne.

» Bien à vous,
» YVES KERMADEC. »