Monsieur de l’Étincelle, tome I/Chap XXV

La bibliothèque libre.
Librairie de Charles Gosselin et Cie (p. 309-314).


CHAPITRE XXV.


Consolations et amertumes.




« — Que razones seran bastantes para persuadir a mis padres y a otros, que este caballero entrò en mi aposento sin consentimiento mio[1] ?
Don Quijote, part. i ».


On comprend que, dans la situation de femme infortunée où se trouva la pauvre Odille, ses amies les plus vertueuses ne purent se dispenser de lui porter charitablement toutes les condoléances qu’il est d’usage de prodiguer au malheur. La plupart de ces condoléances étaient même sincères, on peut le croire pour l’honneur du sexe. Cependant il y en eut qui s’exprimaient en phrases si remplies de mots à double entente, que la compassion de quelques unes de ces bonnes amies aurait pu passer pour bien maladroite à qui aurait oublié la fameuse maxime de La Rochefoucauld, que, « dans les malheurs de nos meilleurs amis, il y a toujours quelque chose qui ne nous déplaît pas. »

Ces dames, aussi indiscrètes que charitables, entraient généralement en matière par une exclamation, et la conclusion ressemblait sous ce rapport à l’exorde ; mais, dans le cours de l’entretien, elles expérimentaient avec plus de sang-froid la sensibilité conjugale de celle qui, au grand étonnement de toutes ces bonnes voisines, ne semblait avoir qu’une idée fixe, le salut de son mari. Les parenthèses sont, dans ces occasions, d’un grand secours pour les questions indirectes :

— Que M. Babandy avait dû rire pendant que son cousin amusait les gendarmes ! (car il était dans la chambre à côté, n’est-ce pas ?) disait l’une.

— Quel dévouement de la part de M. d’Armentières, et quelle ruse ! (elle est de votre invention, j’en suis certaine ?) disait l’autre.

— En vérité, madame, vous figurerez dans l’histoire à côté de madame Lavalette (comme mon journal le remarque déjà), disait ensuite une troisième qui, ne voyant pas rougir la pauvre Odille, s’en alla en répétant : elle ne l’a pas lu.

À toutes ces parenthèses et à quelques autres, Odille ne savait que répondre, trop occupée de sa douleur pour penser qu’elle pouvait servir de spectacle à celles qui venaient lui témoigner un intérêt qu’elle ne se permettait même pas de trouver importun.

Mais que devint-elle, lorsque, trois jours après la fameuse nuit, le jardinier lui remit un pli cacheté qui venait d’être apporté par un commissionnaire de Paris sans que celui-ci eût dit de quelle part, ni réclamé le prix de sa course ?

Ce pli contenait un papier imprimé (c’était le journal ultra-royaliste, dont nous avons donné l’extrait), et une lettre où Odille lut ces lignes tracées d’une main bien connue :

« Odille, vous m’avez donc trompé !… ah ! trompée vous-même, je l’espère, et plus faible encore que criminelle ! victime crédule et naïve d’une hypocrite séduction, victime assez punie déjà sans doute par vos remords !

» Et moi qui, prévenu de ce lâche complot contre mon honneur et ma paix domestique, avais opiniâtrement fermé les yeux pour ne rien voir ! moi qui me reprochais un soupçon comme une injure ! moi qui peut-être serais encore auprès de vous ! moi qui aurais évité la proscription qui me frappe et l’exil auquel il faut me condamner pour échapper à la mort, si, troublé par un dernier avis (trop vrai, hélas !), je n’étais resté engagé dans une entreprise fatale, pour combattre par l’émotion d’un péril quelconque un mouvement de défiance et de jalousie dont j’étais honteux !

» Odille, je dois peut-être remercier le ciel de cette révélation publique. En appelant sur vous l’œil du monde, le scandale vous préservera des habitudes du vice dont on ne se relève jamais, et vous vous arrêterez à une première faute, pardonnée par Dieu plus indulgent que les hommes…, pardonnée par moi-même, car il y a encore dans mon cœur plus de pitié pour vous que de haine. Oui, femme coupable, vous ne serez plus ma compagne, mais vous resterez la mère de ma fille : comme moi, respectez encore ce dernier titre, qui vous impose à vous-même des devoirs sacrés. Je ne quitterai pas mon pays pour aller vivre sur le sol étranger en proscrit, ou plutôt pour y périr en homme désespéré, sans vous prouver que je sais pardonner. Je vous aimais tant, Odille, que je me cherche à moi-même des torts pour vous trouver moins coupable : malheureuse femme, c’est mon excessive confiance qui est mon plus grand crime àvotre égard. Avant peu vous recevrez mes dernières volontés, mon testament, car lorsque vous lirez ces lignes, je serai déjà mort pour vous, soit que j’échappe à la vengeance des partis, soit que je puisse être assez lâche pour me laisser traîner devant nos juges, victime ridicule et baissant la tête, là où mes camarades regarderont fièrement autour d’eux en vaincus plutôt qu’en coupables.

» M. B. »




  1. Par quelles raisons persuader à ma famille et au monde que ce cavalier est entré dans ma chambre sans mon consentement ?