Monsieur le Marquis de Pontanges/Ch. 22

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Monsieur le Marquis de Pontanges
Œuvres complètes de Delphine de GirardinHenri PlonTome 2 (p. 327-329).


XXII.

AGITATION.


Il aurait pu dormir sans doute, car cette fois sa chambre n’avait plus ni rats ni souris. Ce n’était plus le grand appartement du château où Lionel avait passé une nuit si terrible. Depuis cette époque, madame de Pontanges avait fait arranger plusieurs chambres d’amis, qui n’avaient aucun des nobles inconvénients de la gothique demeure, et M. de Marny, dans celle qu’il occupait, aurait pu dormir sans trouble. Mais des pensées plus tourmentantes que les ennuis de la vie réelle le tenaient éveillé malgré lui. Ses regrets amers le poursuivaient bien autrement que n’avaient fait les rats et les souris, à son premier séjour à Pontanges. Oh ! qu’il souffrait ! qu’il était malheureux ! malheureux à faire pitié… à une coquette !

« Elle ne m’aime plus, se disait-il, et par ma faute ! J’ai joué avec son amour, et je l’ai éteint ! — Peut-être madame d’Auray lui aura-t-elle mal parlé de moi… peut-être a-t-elle revu le prince ! mais il est parti : je suis fou ! et puis elle a montré de la joie en me revoyant ; mais ensuite quelle froideur ! Oh ! ce n’était pas une indifférence affectée, c’était bien vrai… — Elle ne m’aime plus !… mais si elle savait ce que je souffre, elle aurait pitié de moi… »

Alors Lionel se mit à écrire.

Il écrivit toute la nuit, et il se désespérait comme un enfant en écrivant.

Il cacheta soigneusement sa lettre ; elle était très-longue, cette lettre ; Lionel n’était pas de ces gens qui déchirent une page et qui recommencent ; il aurait fait cela s’il se fût agi d’une séduction, il aurait composé une épître bien rédigée, bien à effet ; mais il avait le cœur pris, il aimait, et il s’abandonnait à exprimer ses sentiments sans s’inquiéter de ce qu’ils devaient produire, sans se demander s’ils devaient offenser ou s’ils pourraient plaire ; il écrivait pour soulager son cœur. Toutes ses idées se contredisaient, qu’importe ! Il commençait par de très-beaux mouvements de dignité ; il se résignait à son sort ; il étalait un désespoir noble, calme, qui ne s’exhalait point en reproches ; puis tout à coup il tombait sans transition dans la plus profonde humilité ; et, suppliant les mains jointes, il offrait sa vie, une vie entière de soumission ; enfin il s’abandonnait à tous les élans d’une passion délirante… Mais je ne sais pourquoi je vous raconterais le contenu de cette lettre, inutile à l’intelligence de cette histoire, puisqu’elle ne fut jamais remise à son adresse.

Quand elle fut cachetée, Lionel fit une réflexion fort simple, c’est qu’il n’était pas convenable d’écrire à madame de Pontanges étant chez elle ; que cette petite poste d’un étage à l’autre, et dans sa maison, lorsqu’il pouvait lui parler si naturellement, avait un air d’intrigue qui déplairait beaucoup à Laurence. Il prit alors le parti de lui donner sa lettre lui-même ; mais quand il la revit… cette lettre ne signifiait plus rien.

Donc, il était inutile d’en parler.

Cependant Lionel était soulagé… C’était déjà beaucoup que d’avoir exprimé ses sentiments. Il y a même des gens à qui cela suffit, à qui la plainte tient lieu de consolation.