Monsieur le Marquis de Pontanges/Ch. 44

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Monsieur le Marquis de Pontanges
Œuvres complètes de Delphine de GirardinHenri PlonTome 2 (p. 417-419).


XII.

DE SURPRISE EN SURPRISE.


Lionel avait la fièvre, il était malade, réellement malade, lorsqu’on entra chez lui ce jour-là à huit heures.

On lui remit un billet d’invitation conçu en ces termes :

« Madame Clémentine de Marny prie M. de Marny de lui faire l’honneur de venir dîner chez elle aujourd’hui, ce 11 mai, à six heures.

 » 39, rue de la Bruyère. »

L’écriture était contrefaite : c’était M. Bélin lui-même qui avait dicté le billet et qui avait exigé que l’on mît madame Clémentine ; c’était son style à lui.

— Qui est-ce qui vous a remis ce billet ?

— C’est la femme de chambre de madame, répondit le domestique… Madame est arrivée hier soir avec monsieur son père.

— Ah !…

On entendit marcher dans l’antichambre.

— Vous ne nous attendiez pas, mon gendre, cria M. Bélin en entrant tout à coup sans être annoncé… cela vous surprend ; nous voilà tous de retour… nous ne pouvions plus y tenir ; ma fille était inquiète, et moi je m’ennuyais. Mais qu’est-ce que vous avez donc, vous ?

— Je suis un peu malade, j’ai la fièvre… Ce n’est rien ; je me lève à l’instant et je vais chez vous.

— Non pas, mon cher ; vous êtes malade, il faut vous soigner. Clémentine va venir…

— Mais je vais à merveille, reprit vivement Lionel ; je n’ai qu’un peu de fatigue ; j’ai couru pour affaire tous ces jours-ci… J’irai dîner avec vous : ce n’est rien.

— Eh bien, mon cher, croyez-moi, gardez le lit ce matin ; je viendrai à six heures vous chercher dans une bonne voiture ; vous n’aurez pas froid, et un bon dîner vous guérira tout à fait. Aussi bien, ma fille ne sera pas fâchée d’être seule chez elle ce matin. Elle a bien des choses encore à faire arranger dans sa nouvelle maison.

— Comment ! ce n’est pas chez vous ?…

— Non ; c’est une surprise que je voulais vous faire, mais le mot est lâché ! Nous vous recevrons chez vous, mon gendre, et j’espère que vous vous y trouverez bien.

Lionel bégaya quelques phrases de remercîment, puis il ajouta, en essayant de sourire :

— Puis-je savoir au moins où demeure ma femme ?

— L’adresse est sur le billet, étourdi !

M. Bélin prit alors la lettre d’invitation et lut : « 39, rue de la Bruyère. » Puis il ajouta :

— Mais vous n’avez pas besoin de vous tourmenter ; je viendrai vous chercher moi-même. Je me charge de vous présenter à la maîtresse de la maison, madame Clémentine de Marny. Vous n’avez donc pas lu le billet ?

— Si, mais j’ai pris tout cela pour une mauvaise plaisanterie.

— C’est une plaisanterie, en effet, mon gendre, mais quand vous verrez votre maisonnette, vous la trouverez bonne, la plaisanterie. Je ne suis pas un mauvais plaisant, moi… Mais parlons sérieusement : cette affaire qui vous tourmente s’arrange-t-elle ? Puis-je vous être utile ?

— Elle est complètement terminée, dit Lionel ; tout s’est arrangé.

— Ah ! bon ; votre père ne perdra donc rien dans cette faillite ?

Lionel ne comprenait pas ; mais il se rappela les contes que Ferdinand avait faits pour expliquer sa fuite, et il eut la présence d’esprit de continuer le mensonge.

— Rien. Ce n’était qu’une alerte, dit-il.

M. Bélin s’éloigna satisfait.

— À six heures ! cria-t-il sur l’escalier.

— À six heures, pensa Lionel, j’ai quelque temps encore à moi…

Il aurait dû dire « à elle », car le souvenir de madame de Pontanges fut ce jour-là le seul aliment de sa pensée.