Monsieur le Marquis de Pontanges/Ch. 43
XI.
UNE SURPRISE.
Or, pendant ce temps, M. Bélin avait une idée.
L’ancien banquier, comme tous les hommes qui ont aimé sous l’Empire, avait conservé l’habitude des attentions délicates vulgarisées sous le nom de surprises.
M. Bélin excellait dans la surprise.
Sa femme, un jour, en se mettant à table, avait trouvé une clef sous sa serviette.
C’était la clef du beau château de Boismont, que nous avons habité avec lui naguère, à l’époque du mariage de Clémentine.
Ces attentions, dont on rit maintenant, avaient du bon : elles prouvaient d’abord de la générosité, puis le soin que l’on avait eu de penser à nous ; non-seulement on donnait avec plaisir, mais on se faisait une grande affaire de la manière ingénieuse avec laquelle on voulait faire parvenir un don.
On donne de nos jours avec autant de plaisir sans doute, mais avec moins d’importance ; on est gracieux avec dédain, on est généreux par hasard ; on dit : « J’ai rapporté cela de Londres, le voulez-vous ?… » La délicatesse est de paraître n’avoir point pensé à vous : c’est un raffinement très-recherché.
Donc M. Bélin aimait les surprises ; il avait fait des milliers de surprises à ses filles quand elles étaient petites ; leur enfance ne fut, pour ainsi dire, qu’un enchaînement de surprises non interrompu.
Elles trouvaient tantôt des bonbons dans leurs sacs à ouvrage, de l’argent dans leurs assiettes à déjeuner, des polichinelles dans leurs lits : c’étaient des petites filles bien heureuses et bien enviées par leurs jeunes amies.
Et madame Bélin, que d’agréables surprises elle éprouva !… chacun des gros diamants qui composaient sa parure lui était venu d’une manière différente.
— Madame, vint lui dire un jour un petit ramoneur, vous venez de laisser tomber votre boucle d’oreille.
Et il lui remit une superbe girandole de diamants.
— Ce n’est pas à moi, mon enfant.
— Si fait, madame, je viens de voir la pareille sur votre cheminée.
Madame Bélin trouva en effet la seconde boucle d’oreille sur sa cheminée… et, plus loin, M. Bélin qui riait de son étonnement, comme un gros bonhomme généreux.
Une autre fois, madame Bélin fut encore plus élégamment fêtée. Elle appelait son chien pour le caresser, et le beau Landry, qui était un chien anglais à poil ras, ne venait pas. Madame Bélin veut savoir quel obstacle le retient, elle court à lui, et voit qu’il est attaché à la commode par une admirable chaîne de diamants ; et M. Bélin était encore là, caché derrière un paravent, qui faisait de gros yeux à Landry pour l’empêcher de remuer, dans la crainte qu’il ne rompît la chaîne.
Toutes ces attentions délicates faisaient le sujet de la conversation pendant un mois. M. Bélin disait avec complaisance d’un homme avare : — Il n’attache pas ses chiens avec des diamants….
Il disait aussi en riant qu’il avait fait à sa fille une agréable surprise : — J’ai deviné qu’elle aimait M. de Marny, je le lui ai donné pour mari… Il ajoutait à cela une foule de malices légères que je vous épargne.
Enfin, M. Bélin n’avait plus qu’une seule personne à surprendre :
C’était donc sur Lionel que devaient désormais pleuvoir ses attentions délicates !
— Mon gendre est à Paris, pensa M. Bélin, il ne nous attend pas : il faut aller subitement le surprendre !
Et M. Bélin appuyait sa résolution de raisonnements fort judicieux, car le jugement le plus sain présidait toujours aux emportements de son âme, aux splendeurs de sa générosité.
— Des diamants, disait-il, je donne des diamants à ma femme : c’est un capital qui reste ; ce sont des folies raisonnables ; l’argenterie et les diamants, voilà les seules fantaisies qu’un homme prudent doive se permettre.
Cette fois, il se disait en allant à Paris :
— Je fais d’abord une surprise agréable à mon gendre ; puis je l’empêche de venir ici et de manquer une affaire importante pour le plaisir de revoir un jour plus tôt sa petite femme. Il va bâcler cette affaire pour être libre plus vite ; il ne faut pas cela : allons le rejoindre ; ma fille s’ennuie, partons. Vous me direz : La maison n’est pas encore prête… tant mieux ! Titine donnera elle-même les ordres aux tapissiers, et tout sera plus à son goût. D’ailleurs, s’il le faut, Lionel restera quelques jours encore dans son appartement de garçon. Cette petite séparation ne fera point mal : les obstacles, oui, les obstacles rendent l’amour plus doux ; nous savons cela, nous autres vieux renards. Et puis, ils s’arrangeront comme ils voudront, ça ne me regarde pas.
M. Bélin se frotta les mains ; il annonça ses projets à ses deux filles, et toute la maison fit pour le lendemain ses préparatifs de départ.