Monsieur le Marquis de Pontanges/Ch. 50

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Monsieur le Marquis de Pontanges
Œuvres complètes de Delphine de GirardinHenri PlonTome 2 (p. 437-440).


XVIII.

LE DIORAMA.


On était convenu d’aller au Diorama.

Un jour donc, Lionel et sa femme allèrent voir le Tombeau de l’empereur à Sainte-Hélène et le Chalet de Chamouny.

Ils étaient depuis un quart d’heure dans la salle ronde qui tourne, et où l’on ne voit rien… rien que le tableau magique qu’on a sous les yeux, et qui change comme par miracle…

Lionel et Clémentine contemplaient avec recueillement le tombeau solitaire que le soleil dévore ; et leurs regards se posaient avec respect sur cette mer sans bornes, sur ces rochers humides que les regards augustes avaient bénis…

Oh ! comme il est triste ce tableau !… qu’il fait rêver !… comme il fait mal !…

On n’a pas besoin d’avoir perdu l’empire du monde pour croire qu’on serait mort là…

Lionel était absorbé… Tout à coup il croit entendre une voix qui dit tout bas : — C’est lui !…

Il regarde et ne voit rien, attendu qu’on n’y voit goutte dans cette rotonde.

Puis une autre voix dit encore tout bas :

— Il est avec sa femme.

— Parbleu ! pensa Lionel, voilà des gens bien fins, s’ils nous voient… Comment font-ils donc ?

Il quitte la place où il était. D’autres personnes la prennent, et il découvre alors que cette seule place était éclairée par un petit rayon qui provenait d’un petit jour dans la toile.

Une émotion singulière l’avertissait qu’un être puissant sur sa vie était là…

Il aurait voulu pouvoir regarder toutes les femmes dans leurs chapeaux… Il y en avait deux surtout qui le tourmentaient. L’une avait une robe d’une couleur claire qu’on pouvait distinguer ; l’autre était grande, vêtue de noir : elle avait l’air d’une ombre. M. de Marny aurait bien désiré suivre celle-ci ; mais il ne pouvait quitter sa femme, qui s’appuyait doucement sur son bras de peur de tomber en marchant dans l’obscurité, et qui d’ailleurs lui parlait…

— Vous qui avez vu ce pays, disait-elle ; est-ce bien exact ?… Vous êtes allé là, n’est-ce pas ?

— À Sainte-Hélène ? dit Lionel en regardant toujours la grande femme noire… Je n’y suis jamais allé qu’en idée !…

Il tourna la tête, et s’aperçut avec un peu de confusion que le tableau avait changé.

La toile représentait en ce moment la Vallée de Chamouny. Dans sa préoccupation Lionel ne s’était point aperçu que la machine avait tourné… et il fallait qu’il fût certes bien préoccupé, car ce changement est assez remarquable, par la petite secousse qu’on éprouve quand le pivot s’arrête.

Sans se rendre compte de ce qu’il sentait, il eut peur que sa femme ne s’inquiétât de ses distractions, et, pour expliquer son erreur, il feignit d’avoir plaisanté.

— Sans doute, dit-il, cette vue est très-exacte, mais je n’ai vu Chamouny que l’été. Il n’y a pas de neige alors… et le contraste des glaciers et du gazon est beaucoup plus frappant… Je m’étonne qu’on n’ait pas saisi ce contraste : c’est pendant l’été qu’il faut voir, qu’il faut peindre la Suisse…

Ici il eut un moment d’enthousiasme pour la Suisse… Il allait un peu réparer le mauvais effet qu’avait produit sa préoccupation.

— Cette neige est si bien imitée qu’elle me gèle, dit Clémentine ; partons.

Lionel sortit avec d’autant plus d’empressement, qu’il avait vu disparaître la grande femme noire et qu’il espérait la rencontrer dans les détours du labyrinthe. Il aida avec de tendres soins sa femme à descendre l’escalier obscur.

— Prenez garde, dit-il, il y a deux marches.

Ils passent près d’une petite lampe.

— Les voilà ! dit la même voix.

Cette voix, il croit la reconnaître…

En cet endroit le corridor faisait un coude ; deux femmes s’enfoncèrent dans l’ombre et s’arrêtèrent pour laisser passer M. de Marny et sa femme.

Cette démarche confirma Lionel dans ses soupçons. Il voulait ralentir le pas, mais Clémentine l’entraînait.

— Venez vite, dit-elle, tout le monde va sortir en même temps !

Lionel s’éloigna à regret.

Dès qu’il parut sur le seuil de la porte, son domestique fit avancer sa voiture.

Il maudit le zèle de cet homme.

Clémentine monta dans la calèche. Lionel fit semblant de trouver quelque chose de négligé dans l’attelage des chevaux. Il passa une petite inspection autour de la calèche avant d’y monter… Il voulait gagner du temps.

— Ces deux femmes vont sortir, pensait-il, je les verrai enfin !…

— Frédéric, il faut faire relever la calèche ; elle touche.

— Monsieur, dit le cocher, on l’a relevée ce matin.

— Ah !…

Lionel monta dans la voiture.

— Où allons-nous ? dit Clémentine.

— Aux Champs-Élysées… mais il faudra prendre par…

Et Lionel donne un ordre très-long, très-compliqué.

Et les deux femmes ne paraissent pas…

C’est qu’elles attendent pour se montrer que la calèche soit partie.

— Sont-elles à pied ? pensa Lionel. Il regarda, et vit une voiture de remise derrière la sienne.

Cependant son domestique attendait ses ordres, qui ne finissaient point.

— Je vois que vous ne me comprenez pas, dit M. de Marny, — et il était difficile de le comprendre ! — Allez alors par le boulevard.

— C’est elle, pensa Lionel, quand les chevaux l’emportèrent. Elle seule peut m’éviter ainsi… Pourquoi est-elle donc à Paris ?… pour affaire sans doute ; après une succession on a tant d’affaires… et puis elle doit aller à Londres… elle est venue auparavant à Paris… elle aura désiré voir le Tombeau de l’empereur. C’est un plaisir de veuve qu’elle peut se permettre, malgré son deuil… Avec qui était-elle ? Je sais… elle a une amie à Paris, qu’on nomme Sidonie, je crois.

Deux jours après, Lionel vit M. Dulac.

— Avez-vous des nouvelles de madame de Pontanges ? demanda-t-il.

— Oui ; elle a passé deux jours ici.

— Vous l’avez vue ?… Comment est-elle ?

— Elle est encore souffrante… elle est maigre… bien changée… Elle est partie pour Londres.

— Quand ?

— Hier.

— C’était elle !