Monsieur le Marquis de Pontanges/Ch. 60

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Monsieur le Marquis de Pontanges
Œuvres complètes de Delphine de GirardinHenri PlonTome 2 (p. 486-487).


XVIII.

MAIS LE LENDEMAIN.


Le lendemain, son amour s’était ranimé, il avait retrouvé l’avenir.

Et pourtant le désespoir de Lionel était puissant encore… les sentiments les plus étranges l’agitaient. Il pleurait toujours Clémentine, mais il la pleurait avec reconnaissance, avec adoration, comme une femme qui s’était sacrifiée pour lui ; il l’aimait, il la bénissait dans sa pensée, mais il n’aurait plus donné sa vie pour lui rendre l’existence…

On ne put l’arracher de la chambre où sa femme était morte ; il resta près de son lit toute la journée du lendemain. Sa douleur avait quelque chose d’agité, de fébrile, de bizarre, qui faisait craindre pour sa raison.

Ce n’était pas cette douleur immobile et découragée qui n’attend plus rien des jours ; c’était un désespoir ardent qui semblait lui donner une existence nouvelle.

Il marchait à grands pas dans la chambre silencieuse, comme un homme occupé de vastes projets.

Son visage, d’une pâleur effrayante, s’illuminait tout à coup d’une rougeur inaccoutumée.

Il disait des mots sans suite ; il ne pouvait tenir en place. Les gens qui le voyaient ainsi le croyaient fou.

Tantôt il tombait à genoux près du lit mortuaire, et, s’abandonnant à son affliction, il demandait pardon avec des paroles déchirantes à la femme dont il avait souhaité la mort.

Dans d’autres moments, il la pressait sur son cœur avec transport. Il lui prodiguait des caresses inutiles, de doux noms sans écho… Il était pour elle tout passion et reconnaissance. Il couvrait de baisers son front pâli, ses mains glacées, sa bouche muette… Il l’aimait d’un amour délirant ; et peut-être, si tant d’amour avait pu ranimer Clémentine, il l’aurait maudite, il l’aurait fuie avec horreur…

Une fois, dans son délire, il appela Laurence !… et il jeta autour de lui un regard farouche, comme pour voir s’il n’y avait là personne pour l’espionner.

Cet homme avait l’esprit malade, je vous l’assure.