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Némoville/Le portrait

La bibliothèque libre.
Beauregard (p. 86-89).

CHAPITRE XVI.


LE PORTRAIT.


Le curé de Némoville n’avait pas encore de presbytère ; il continuait d’habiter chez Roger. Le « Nautilus » était si grand et si confortablement aménagé qu’il y avait place pour plusieurs personnes, sans que l’on y fût gêné. Le prêtre, d’ailleurs, n’était nullement pressé de s’éloigner de Roger, pour qui il avait une grande affection ; et les longues causeries qu’ils avaient ensemble étaient pour les deux hommes, une distraction appréciée.

Roger avait mis une partie du « Nautilus » à la disposition du curé, et le salon leur servait en commun. Un matin que le prêtre y était seul, et plongé dans de sérieuses réflexions, on frappa à la porte. C’était un domestique qui apportait une lettre de M. Duflot. Elle se lisait ainsi : « Monsieur le curé, je suis retenu à ma chambre, depuis deux jours et comme j’ai un grand désir de vous voir, je vous prie de me faire la faveur de venir chez moi, aussitôt que vous le pourrez. »

Le curé, qui n’avait rien de pressant à faire, en ce moment, décida de se rendre sur-le-champ à l’invitation de M. Duflot.

— « Vous êtes bien bon d’avoir répondu si tôt à mon invitation, lui dit M. Duflot, en l’apercevant ; je m’ennuyais, et j’ai pris la liberté de vous demander de me consacrer un peu de votre temps. »

Les deux hommes se mirent à causer des nouvelles de la ville, car, même à Némoville, il y avait des nouvelles courantes, que l’on se transmettait d’un sous-marin à l’autre, comme dans une ville terrestre, d’une maison ou d’une rue à l’autre.

— « On fait de grands préparatifs pour le mariage du gouverneur, dit l’abbé ; Paul est parti pour la terre, ce matin. Il ne reviendra que demain. »

— « Elle fait un beau mariage, cette jeune étrangère, reprit M. Duflot, sans compter que Roger est le plus brave cœur que je connaisse. Si j’avais une fille, je voudrais ce jeune homme pour gendre », ajouta M. Duflot, dont la voix trembla, en articulant ces paroles.

L’abbé allait faire quelque réflexion, lorsqu’il aperçut, suspendu au-dessus du lit, le portrait d’une femme, jeune et souriante. Il s’approcha et regarda attentivement cette figure charmante qui lui rappela immédiatement celle qu’il avait vue dans le médaillon de Gaétane.

— « Ce portrait est celui de ma femme, dit M. Duflot, qui avait suivi le regard du prêtre, ma pauvre Gaétane, si vite enlevée à ma tendresse. »

— « Le nom de votre femme était Gaétane ?… demanda le prêtre, frappée de la ressemblance et de la coïncidence des noms. Permettez-moi une question, M. Duflot : votre nom de Duflot n’est-il pas un voile pour cacher votre personnalité ?… Dites-moi, votre nom n’est-il pas Jean Demers ? »

— « Comment savez-vous ?… s’écria M. Duflot ; qui vous a dit qui je suis ? »

— « Celui qui me l’a dit n’existe plus, et vous devez lui pardonner, commença le curé : il portait ici le nom de Richard, mais son nom véritable, il n’a pas eu le temps de me le révéler ; la mort lui a fermé les lèvres, avant qu’il ait pu me dire la vérité. »

Le prêtre raconta ensuite sa rencontre avec Gaétane et la ressemblance des deux miniatures.

— « Je ne puis plus avoir de doute, dit M. Duflot excité et tremblant, cette jeune fille est ma Gaétane ; je comprends l’émotion qui m’a saisi, en l’entendant chanter à cette messe de minuit. C’était la voix du sang qui parlait en moi. Elle a la voix de sa mère… Vous l’avez vue, monsieur le curé, ressemble-t-elle à sa mère ? ressemble-t-elle à ce portrait ?  »

— « Oui, c’est la même finesse de trait et la même douceur d’expression ; cette image pourrait être celle de la jeune fille, avec quelques années de plus. »

— « Combien j’ai hâte de la voir ; quand aurai-je ce bonheur ? »

— « Dans une demi-heure, répondit le prêtre en se levant, je vais la chercher immédiatement. »

— « Que vous êtes bon, monsieur le curé ! »