Napoléon et la conquête du monde/I/26

La bibliothèque libre.
H.-L. Delloye (p. 116-118).

CHAPITRE XXVI.

POLITIQUE.



La colère qu’avait manifestée l’empereur dans la courte entrevue de Dresde, et dans les deux mots terribles qu’il avait jetés sur ces rois, était un calcul, et avait un intérêt.

Cela laissait les vaincus dans une complète incertitude de leur sort, et par conséquent dans une attente plus effrayante des volontés de celui dont ils dépendaient.

Et cela lui donnait le temps de rêver à la manière dont il profiterait de ce dernier triomphe.

Napoléon savait que l’heure était sonnée où il n’y avait plus que lui en Europe, et que tous les autres, rois ou nations, étaient des sujets. L’Europe était toute à lui, il pouvait le proclamer ; aussi n’hésita-t-il pas à le faire.

La Russie et l’Angleterre étaient les seules puissances que son génie avait pu craindre. Elles n’existaient plus.

On sait comment il avait anéanti l’Angleterre.

Quant à cette nation du nord, à cette Russie toujours renaissante sous ses glaces, il se promit bien qu’elle ne lui serait plus désormais redoutable, et qu’il l’abaisserait à la mesure des plus petits états. Quelle glorieuse volupté n’était-ce pas pour lui, d’ailleurs, de pétrir et remanier sans cesse les empires, de distribuer les couronnes, de renouveler la terre, afin de réaliser enfin cette promesse qu’il s’était faite naguère, d’être un jour le plus ancien des monarques de l’Europe ! Et pour qu’on ne pût se méprendre à ces actes éclatants de la souveraineté qu’il se préparait, il lui plût, avant toutes choses, d’anéantir les titres d’empereur et de czar qui décoraient encore des têtes impériales, et de passer un niveau royal sur tous les autres princes souverains.

Lui seul devait conserver le titre d’empereur, et déjà il avait fait connaître l’estime où il mettait celui de roi, lorsqu’il s’en dépouillait et laissait à Eugène ce mot de roi d’Italie dont il ne se souciait plus.

Devenu maître de l’Europe, cet autre titre de protecteur de la confédération du Rhin devenait dérisoire : il le rejeta aussi ; il se débarrassa en même temps de cette médiation despotique dont il enserrait la confédération suisse.

Il lui plut aussi de faire une fournée de rois, comme pour affaiblir ce caractère à force de le rendre commun.

Pour donner un plus grand éclat à ces changements qu’on attendait avec tant d’inquiétude, il en retarda l’exécution de trois mois, tenant ainsi les rois prisonniers de Prague et les peuples dans l’incertitude de leurs destinées.

Tandis qu’il se préparait à reconstituer l’Europe, il revint en France, entouré de sa gloire, marchant au milieu des pompes et des acclamations, accueilli presque comme un Dieu ; mais déjà son génie était dégoûté de triomphes, et ne vivait plus que d’ambition et de pouvoir.