Napoléon et la conquête du monde/I/27

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H.-L. Delloye (p. 119-121).

CHAPITRE XXVII.

TRIOMPHE.



J’ai été court en parlant de ces victoires ; à quoi eût-il servi de les décrire magnifiquement, alors qu’elles étaient si rapides et simultanées, que l’admiration, appelée à la fois en Suède, en Turquie, en Allemagne, en Russie, ne pouvait pour ainsi dire se reconnaître dans cette confusion de triomphes ; alors que chaque jour avait deux ou trois batailles à consacrer ; alors que les capitales étaient soumises à la même heure, et qu’on ne pouvait même plus assigner une date à chacune de ces conquêtes ?

Qu’importent la description de ces batailles, le nombre des morts, gloire relative et de calcul, qui, avant de déplorer la perte de dix mille hommes de la patrie, regarde s’il n’y a pas à se réjouir parce que cent mille ont succombé dans l’autre armée !

Qu’importent les détails des trésors enlevés, des canons pris, des monuments des arts ravis à leur terre natale, ces innocents trophées du génie devenus des trophées de guerre !

Qu’importe ! car tout cela se confond dans deux mots, victoire et conquête.

L’histoire, les peintres, les fossoyeurs, les artilleurs, les généraux et les almanachs disent toutes ces choses, à leur place et avec exactitude.

Je l’ai déjà annoncé, je ne fais pas de l’histoire.

Aussi ne rappellerai-je pas quel fut le triomphe de Napoléon et de sa grande armée victorieuse, quand elle se déployait, étincelante de fer et de fierté, le long des routes de France, comme un immense serpent aux couleurs d’or et d’émeraude.

Les journaux racontèrent ces fêtes, cette joie qui éclatait sur leur passage, cette population se tenant par la main, et ne faisant de Strasbourg à Paris qu’une double haie incessante de cris, d’hommages et d’enthousiasme.

Et les arcs de triomphe ! et les fleurs dont on avait jonché les chemins ! et les jeunes filles en blanc, réunies comme des guirlandes de roses blanches, entourant le héros et s’agenouillant devant lui.

Et les canons des grandes villes, les cloches et les fusées des villages, et toutes les collines flamboyantes sous les feux de joie !

Et ce délire de tous !

Et les corps de l’état qui se transportaient à vingt lieues de la capitale pour assurer plus tôt le grand homme de leur respect et de leur allégresse ! Et l’entrée dans ce Paris sous les arcs de victoire de l’Étoile et de Louis XIV ; les rues avec leur tapis de fleurs, les maisons vêtues d’étoffes comme d’habits de fête ; et des têtes apparaissant partout, des soupiraux aux fenêtres les plus élevées, et des millions de bouches retentissant du cri sans fin : Vive l’empereur !

Et lui ! l’empereur ! accablé de fatigues, de gloire et d’ennuis, entrant le soir en son château des Tuileries, où il ne put dormir !

Voilà un triomphe !