Nietzschéenne/Nietzsche pour la France contre l’Allemagne

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Plon (p. 11-22).





NIETZSCHE
POUR
LA FRANCE CONTRE L’ALLEMAGNE

[1]


« … Ils ont revu (les écrivains morts au champ d’honneur)… les prétentions graduelles de l’esprit allemand au monopole du sérieux et de la profondeur, la révolte momentanée contre les règles et, les disciplines de cet esprit méditerranéen dont Nietzsche s’efforça vainement de montrer à l’Allemagne la supériorité esthétique et rationnelle. »
(Discours prononcé par M. Raymond Poincaré, Président de la République, à l’inauguration du monument élevé à la mémoire des écrivains tombés au champ d’honneur, le 3 mai 1916.)



POUR LA FRANCE


Tout ce que l’Europe a connu de noblesse, — noblesse de la sensibilité, du goût, des mœurs, noblesse en tous sens élevés du mot, — tout cela est l’œuvre et la création propre de la France.

Aujourd’hui encore, la France est le refuge de la culture la plus intellectuelle et la plus raffinée qu’il y ait en Europe, et reste la grande école du goût.

(Par delà le Bien et le Mal, p. 280.)

Quand on lit Montaigne, La Rochefoucauld, La Bruyère, Fontenette (particulièrement les Dialogues des Morts), Vauvenargues, Chamfort, on est plus près de l’antiquité qu’avec n’importe quel groupe de six auteurs d’un autre peuple. Par ces six écrivains, l’esprit des derniers siècles de l’ère ancienne [2] a revécu à nouveau, — réunis ils forment un chaînon important dans la grande chaîne continue de la Renaissance… Ils contiennent plus d’idées véritables que tous les ouvrages de philosophie allemande ensemble.

Quelle clarté et quelle précision délicate chez ces Français !…

Par la résurrection du grand latinisme stoïque, les Français ont continué de la façon la plus digne l’œuvre de la Renaissance. Ils passèrent, avec un succès merveilleux, de l’imitation des formes antiques à l’imitation des caractères antiques : ce qui leur confère à tout jamais un droit aux distinctions les plus hautes, car ils sont le peuple qui a donné jusqu’à présent à Y humanité nouvelle les meilleurs livres et les meilleurs hommes. (Le Voyageur et son Ombre* p. 346, 347 et 352.) Maintenant encore la France est le refuge de la culture la plus intellectuelle et la plus raffinée qu’il y ait en Europe. Elle reste la grande école du goût.

Dans cette France de V esprit, Schopenhauer est plus chez lui qu’il ne le fut jamais en Allemagne. Son oeuvre principale, deux fois traduite, — la seconde, fois avec tant de perfection que je préfère maintenant lire Schopenhauer en français. Il ne fut Allemand que par hasard, comme je ne le suis moi-même qu’accidentellement. Les Allemands manquent de doigté pour nous, ils n’ont d’ailleurs pas de doigts du tout, ils ont des pattes. Je ne parle pas de Heine — l’adorable Heine, comme on dit à Paris, — qui a passé depuis longtemps dans la chair et le sang des lyriques parisiens, les plus délicats et les plus précieux. Que ferait le bétail cornu allemand avec les délicatesses d’une pareille nature! Pour ce qui est enfin de Richard Wagner, plus la musique française s’adaptera aux exigences de l’âme moderne, plus elle wagnérisera — elle le fait déjà bien assez ! Il ne faut pas se laisser tromper à cet égard par Wagner, lui-même. Ce fut une mauvaise action de la part de Wagner de se moquer de Paris, pendant son agonie en 1871. En Allemagne, malgré cela, Wagner n’est qu’un malentendu : qui serait par exemple moins capable de comprendre quelque chose à Wagner que le jeune empereur ? Néanmoins pour tout connaisseur du mouvement de la culture en Europe, le fait n’en demeure pas moins certain que le romantisme français et Wagner sont liés étroitement.

(Le Crépuscule des Idoles, p. 83 et 84.)

Loin d’être superficiel, un grand Français n’en a pas moins sa superficie, une enveloppe naturelle qui entoure son fond et sa profondeur, — tandis que la profondeur d’un grand Allemand est généralement tenue enfermée dans une fiole étrangement contournée, comme un élixir qui cherche à se garantir par son enveloppe dure.

(Aurore, p. 217.)

L’Allemand amoncelle autour de lui les formes, les couleurs, les produits et les curiosités de tous les temps et de toutes les zones, et produit ainsi ce modernisme de foire bariolé qu’à leur tour ses savants définissent et analysens comme « ce qu’il y a de moderne en soi », et il demeure tranquillement assis au milieu de ce tumulte de tous les styles. Mais, avec ce genre de <n culture » qui n’est qu’une flegmatique insensibilité à l’égard de la culture, on ne peut pas vaincre des ennemis, du moins des ennemis comme les Français, qui possèdent, eux, une véritable culture productive, et que jusqu’à présent nous avons imités en toutes choses, généralement avec beaucoup de maladresse. Si nous avions vraiment cessé de les imiter, il ne s’en- suivrait pas que nous les avons vaincus, mais ce serait seulement une preuve que nous nous sommes délivrés d’eux. Ce n’est qu’au cas où nous leur aurions imposé une culture allemande originale qu’il pourrait être question du triomphe de cette culture allemande. En attendant, nous constatons que, dans tout ce qui concerne la forme, avant comme après, nous dépendons et devons dépendre de Paris : car jusqu’à présent il n’existe pas de culture allemande originale.

(Pages choisies, p. 34 et 35.)

L’esprit allemand est pour moi une atmosphère viciée. Je respire mal dans le voisinage de cette malpropreté en matière psychologique, qui est devenue une seconde nature, de cette malpropreté que laisse deviner chaque parole, chaque attitude d’un Allemand.

Les Allemands n’ont jamais traversé un dix-septième siècle de sévère examen de soi-même, comme les Français. Un La Rochefoucauld, un Descartes, sont cent fois supérieurs en loyauté aux premiers d’entre eux.

Les Allemands n’ont pas eu jusqu’à présent de psychologues. Or la psychologie est presque la mesure pour là propreté ou là malpropreté d’une race. Et dès lors que l’on n’est pas propre, comment pourrait-on avoir de la profondeur ? Ce qu’on appelle en Allemagne « profond », c’est précisément cette malpropreté d’instinct à l’égard de soi-même. On ne veut pas voir clair au fond de son propre être. Les Allemands ont-ils seulement produit un livre qui ait de la profondeur ? Ils ne possèdent même pas le A sens de ce qu’est un livre profond. J’ai connu des savants qui considéraient Kant comme profond. Je crains fort qu’à la Cour de Prusse on ne tienne M. de Treitschke pour un écrivain profond. Et quand, à l’occasion je vante Stendhal comme un psychologue, il m’est arrive que des professeurs d’université allemande me demandent d’êpeler ce nom.

(Ecce Homo, p. 156 et 157.)



CONTRE L’ALLEMAGNE

Ici, rien ne m’empêchera d’être brutal et de dire aux Allemands quelques dures vérités : qui donc le ferait autrement ? Je parle de leur impudicité en matière historique. Non seulement les historiens allemands ont perdu complètement le coup d’œil vaste pour l’allure et pour la valeur de la culture, non seulement ils sont tous des pantins de la politique, — ils vont même jusqu’à proscrire ce coup d’œil vaste. Il faut être avant tout « Allemand », il faut être de « la race », alors seulement on a le droit de décider de toutes les valeurs et de toutes les non-valeurs en matière historique — on les détermine… « Allemand », c’est là un argument. L’Allemagne, l’Allemagne par-dessus tout, c’est un principe.

Il y a une façon d’écrire l’histoire pour la Cour, et M. de Treitschke n’a pas honte !…

J’ai envie de dire aux Allemands tout ce qu’ils ont déjà sur la conscience. Je considère même que. c’est un devoir de le leur dire. Ils ont sur la conscience tous les grands crimes contre la culture des quatre derniers siècles.

Et ceci toujours pour la même raison, à cause de leur lâcheté en face de la vérité, à cause de leur manque de franchise, qui, chez eux, est devenu une seconde nature. Les Allemands ont frustré l’Europe de la moisson qu’apportait la dernière grande époque, l’époque de la Renaissance, ils ont détourné le sens de cette époque, où les valeurs nobles qui affirment la vie et qui garantissent V avenir étaient devenues triomphantes.

(Ecce Homo, p. 152, 153 et 154.)

Mes ancêtres étaient des gentilshommes polonais. Quand je songe combien de fois il m’est arrivé,- en voyage, de m 7 en- tendre adresser la parole en polonais, même par des Polo- nais, quand je songe combien rarement j’ai été pris pour un Allemand, il pourrait me sembler que je suis seulement moucheté de germanisme.

L’esprit allemand est une indigestion. Il n’arrive à en finir avec rien.

Les Allemands sont incapables de concevoir le sublimé.

Les bêtes à cornes de ma connaissance — il ne s’agit que d’Allemands avec votre permission.

Le pauvre Wagner! Si du moins il était allé parmi tes pourceaux… Mais parmi les Allemands !…

Dans un coin perdu de Bœhmerwald, j’allai porter, comme une maladie, ma mélancolie et mon mépris de l’Allemand.

(Ecce Homo, p. 25, 44* 55» 80» 107 et 108.)

La lourdeur du savant allemand, son manque de délicatesse sociale… Voulez-vous voir l’âme allemande grande étalée? Jetez un coup d’œil sur le goût allemand, l’art allemand, les mœurs allemandes. Quelle indifférence de rustre à l’égard de toute espèce de « goût ».

L’Allemand traîne son âme, il traîne longuement tout ce qui lui arrive. Il digère mal les événements de sa vie, il n’en finit jamais. La profondeur allemande n’est souvent qu’une « digestion » pénible et languissante.

Que la profondeur allemande soit ce qu’elle voudra — et pourquoi n’en ririons-nous pas un peu entre nous ? — nous ferions bien de sauvegarder l’honorabilité de son bon renom, et de ne pas échanger trop complaisamment notre vieille réputation de peuple profond contre le prussianisme tranchant, et contre l’esprit et les sables de Berlin. Il est sage pour un peuple de laisser croire qu’il est profond, qu’il est gauche, qu’il est bon enfant, qu’il est honnête, qu’il est malhabile. Il se pourrait qu’il y eût à cela plus que de la sagesse. Et enfin, il faut bien faire honneur à son nom : on ne s’appelle pas impunément das tiusche Volk, das Tœusche Volk, — le peuple qui trompe.

Quel martyre la lecture des livres allemands pour celui qui possède la troisième oreille ! Avec quelle répugnance il s’arrête auprès de ce marécage au mouvement paresseux, flot de sons sans harmonie, de rythmes sans allure, que l’Allemand appelle « livre ».

Il faut s’en accommoder, quand un peuple souffre et veut souffrir de la fièvre nationale et des ambitions politiques, il voit passer sur son esprit des nuages et des troubles divers, en un mot de petits accès d’abêtissement : par exemple, chez les Allemands d’aujourd’hui, tantôt la bêtise antifrançaise, tantôt la bêtise antijuive ou antipolonaise, tantôt la bêtise teutonne ou prussienne {qu’on regarde donc ces pauvres historiens, ces Sybel et ces Treitschke, et leurs grosses têtes emmitouflées) — quel que soit le nom qu’on veuille donner à ces embrumements de l’esprit et de la conscience, allemande.

(Par delà le Bien et le Mal, p. 263, 264, 267 et 272.)

S’il n’est pas de hâblerie intellectuelle qui dans l’Allemagne d’aujourd’hui n’obtienne quelque succès, cela tient à l’indéniable et déjà manifeste appauvrissement de l’esprit allemand, appauvrissement dont, je cherche la cause dans une nourriture trop exclusivement composée de journaux, de politique, de livres et de musique wagnérienne, à quoi il faut ajouter encore les causes qui expliquent le choix d’un tel régime : l’exclusivisme et la vanité nationale, le principe fort, mais étroit : « L’Allemagne, l’Allemagne par-dessus tout. »

(La Généalogie de la Morale, p. 277.)

Il y a une chose que je sais avec certitude : les manifestations publiques allemandes qui parviennent jusqu’à l’étranger ne s’inspirent pas de la musique allemande, mais de cette nouvelle allure d’une arrogance de mauvais goût. Presque dans chaque discours du premier homme d’État allemand, alors même qu’il se fait entendre par le porte-voix impérial, il y a un accent que l’oreille de l’étranger repousse avec répugnance. Mais les Allemands le supportent, — ils se supportent eux-mêmes !

La prévision de la hauteur à partir de laquelle la beauté commence à répandre son charme, même sur les Allemands, pousse les artistes germaniques aux excès de la passion. C’est un désir profond et réel de dépasser, au moins du regard, les laideurs et les maladresses — pour atteindre un monde meilleur, plus léger, plus méridional, plus ensoleillé : pauvres ours dont l’âme est hantée par des nymphes et des sylvains cachés, — et parfois par des divinités plus hautes encore !

(Le Gai savoir, p. 155 et 156.)

La culture allemande, a dupé les Européens, elle n’était digne ni d’être imitée, ni de l’intérêt qu’on lui a porté, et moins encore des emprunts qu’on rivalisait à lui faire.

Et qu’est-ce qui séduisit au fond les étrangers, qu’est-ce qui les fit ne point se comporter comme Goethe et Schopenhauer, ou simplement regarder ailleurs ? C’était cet éclat mat, cette énigmatique lumière de voie lactée qui brillait autour de cette culture. Cela faisait dire aux étrangers : « Voilà quelque chose qui est très, très lointain pour nous; nous y perdons la vue, route, l’entendement, le sens de la jouissance et de l’évaluation, mais malgré tout, cela pourrait bien être des astres ! Les Allemands auraient-ils découvert en toute douceur un coin du ciel, et s’y seraient-ils installés ? Il faut essayer de s’approcher des Allemands. Et on s’approcha d’eux. Tandis qu’eux-mêmes savaient trop bien qu’ils n’avaient pas été au ciel, mais… dans un nuage !

L’Allemand, qui possède le secret d’être ennuyeux avec de l’esprit, du savoir et du sentiment, et qui s’est habitué à considérer l’ennui comme moral, — l’Allemand éprouve devant l’esprit français la peur que celui-ci n’arrache les yeux à la morale.

La distinction personnelle, c’est la vertu antique. Se soumettre, obéir, publiquement ou en secret, c’est là la vertu allemande.

(Aurore, p. 203, 204, 205, 208 et 236.)

Dans les choses de la psychologie, l’esprit allemand a de tous temps manqué de subtilité et de divination. Aujourd’hui qu’il se trouve sous la haute pression du chauvinisme et de l’admiration de soi, il s’épaissit à vue d*œil et il devient grossier.

(La Volonté de Puissance, t. Ier , p. 107.)

À tous égards, Gœthe se plaçait au-dessus des Allemands, et maintenant encore il se trouve au-dessus d’eux ; il ne leur appartiendra jamais. Comment d’ailleurs un peuple pourrait-il être à la hauteur de l’intellectualité de Gœthe ? Tout comme Beethoven fit de la musique en passant sur la tête des Allemands, tout comme Schopenhauer philosopha au-dessus des Allemands, Gœthe écrivit son Tasse, son Iphigénie au- dessus des Allemands.

Le malheur des littérature allemande et française des cent dernières années, vient de ce que les Allemands sont sortis trop tôt de l’école des Français, et que, plus tard, les Français sont allés trop tôt à l’école des Allemands.

Aucun des peuples civilisés actuels n’a une aussi mauvaise prose que le peuple allemand. Et si des Français spirituels et délicats disent : « Il n’y a pas de prose allemande », il ne faudrait pas s’en formaliser, vu que cela est dit avec des intentions plus aimables que nous ne le méritons.

(Le Voyageur et son Ombre, p. 105, 282.)

La raide balourdise du geste intellectuel, la main lourde au toucher, — cela est allemand à un tel point qu’à l’étranger on le confond avec l’esprit allemand en général. L’Allemand n’a pas de doigté pour les nuances… Le fait que les Allemands ont pu supporter . seulement leurs philosophes, avant tout ce cul-de-jatte des idées, le plus rabougri qu’il y ait jamais eu, le grand Kant, donne une bien petite idée de l’élégance allemande.

On me demande souvent pourquoi j’écris en allemand ; car nulle part je ne serai plus mal lu que dans ma patrie. Mais enfin, qui sait si je désire être lu aujourd’hui ?

Ce que les écoles supérieures allemandes atteignent en effet, c’est un dressage brutal pour rendre utilisable, exploitable pour le service de l’État, une légion de jeunes gens. Éducation supérieure et légion, c’est là une contradiction primordiale.

Personne n’a plus la liberté, dans l’Allemagne actuelle, de donner à ses enfants une éducation noble. Nos écoles « supérieures » sont établies selon une médiocrité ambiguë, avec des professeurs, un programme, un aboutissement. Et partout règne une hâte indécente. Nos lycées débordants, nos professeurs de lycée surchargés et abêtis sont un scandale. Pour prendre cet état de choses sous sa protection, comme l’ont fait récemment les professeurs de Heidelberg, on a peut-être des motifs — mais des raisons, il n’y en a point.

Au moment où l’Allemagne s’élève comme grande puissance, la France gagne une importance nouvelle comme puissance de culture. Aujourd’hui déjà, beaucoup de sérieux nouveau, beaucoup de nouvelle passion de l’esprit a émigré à Paris. La question du pessimisme, par exemple, la question Wagner, presque toutes les questions psychologiques et artistiques sont examinées là-bas avec infiniment plus de finesse, et de profondeur qu’en Allemagne. Dans l’histoire de la culture européenne, la montée de « l’Empire » signifie avant toute chose un déplacement du centre de gravité.

Ce qu’il y a d’essentiel dans l’enseignement supérieur en Allemagne s’est perdu : le but tout aussi bien que le moyen qui mène au but. Que l’éducation, la culture même soient le but — et non « l’Empire » — que, pour ce but, il faille des éducateurs et non des professeurs de lycée et des savants d’université, c’est cela qu’on a oublié. Il faudrait des éducateurs, éduqués eux-mêmes, des esprits supérieurs et nobles, qui s’affirment à chaque moment, par la parole et par le silence, des êtres d’une culture mûre et savoureuse, et non des butors savants.

Combien y a-t-il de lourdeur chagrine, de paralysie, d’humidité, de robes de chambre, combien y a-t-il de bière dans l’intelligence allemande} J’ai parlé de l’esprit allemand : j’ai dit qu’il devenait plus grossier, plus plat Est-ce assez ?

Au fond, c’est toute autre chose qui m’effraie : comment le sérieux allemand, la profondeur allemande, la passion allemande pour les choses de l’esprit, vont toujours en diminuant.

Depuis dix-huit ans, je ne me suis pas lassé de mettre en lumière l’influence déprimante de notre science actuelle sur l’esprit. Le dur esclavage à quoi l’immense étendue de la science condamne aujourd’hui chaque individu, est une des raisons principales qui fait que les natures aux dons plus pleins, plus riches, plus profonds, ne trouvent plus d’éducation et d’éducateurs qui leur soient conformes. Rien ne fait plus souffrir notre culture que cette abondance de portefaix prétentieux et d’humanités fragmentaires. Nos universités sont, malgré elles, les véritables serres chaudes pour ce genre de dépérissement de l’esprit dans son instinct Et toute l’Europe commence déjà à s’en rendre compte. La grande politique ne trompe personne. L’Allemagne est considérée toujours davantage comme le pays plat de l’Europe.

(Le Crépuscule des Idoles, p. 171, 226,
168, 167 et 168, 164 et 165.)
Frédéric Nietzsche.



  1. Toutes les citations sont extraites de la traduction de M. Henri Albert. (Mercure de France, édit.)
  2. Tout ce qui est souligné dans ces citations a été souligné par Nietzsche.