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Note sur la langue Balaïbalan

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NOTE SUR LA LANGUE BALAÏBALAN,

Communiquée par M. le Baron Silvestre de Sacy


J’ai fait connaître, il y a déjà plusieurs années, dans le tome IX, des Notices et Extraits des manuscrits de la Bibliothèque du Roi, la grammaire et le dictionnaire d’une langue factice, à l’usage des sofis. On a pu reconnaître, en lisant la Notice que j’ai donnée du manuscrit qui contient cette grammaire et ce dictionnaire, avec quel art on a procédé à la création de cet idiome artificiel, en imitant tantôt les formes étymologiques de la langue arabe, tantôt celles du persan ou du turc. Je n’ai pu donner alors aucun renseignement ni sur l’auteur, ni sur l’époque de cette invention ; ils m’étaient également inconnus. J’ignorais aussi pourquoi on avait donné à ce langage le nom de Balaïbalan, c’est-à-dire langue de celui qui vivifie. Un manuscrit turc, qui m’est tombé depuis peu entre les mains et dont j’ai fait l’acquisition, me met à portée d’offrir aujourd’hui des renseignemens positifs sur ces diverses questions. Ce manuscrit contient, entre autres ouvrages, un éloge historique du scheikh Mohyi, l’un des successeurs du scheikh Ahmed, fils du scheikh Ibrahim Gulschéni. Cet éloge historique est tiré d’un ouvrage intitulé Kitab counhi’lakhbar, qui a pour auteur Ali-pacha. Hadji-Khalfa, qui parle de cet ouvrage, dit que c’est un livre d’histoire, écrit en langue turque, et dont la rédaction a été achevée en l’an 1006 de l’hégire. Ali-pacha, après avoir été pacha de Syrie, exerça les fonctions de receveur des finances (emin) à Djidda, et de gouverneur de la Mecque. Son vrai nom est Moustafa, fils d’Ahmed, fils d’Abdalmouli.

On apprend dans cet ouvrage que Mohyi se nommait Mohammed, fils du khodja Feth-allah, fils d’Abou-taleb, fils d’Ali, fils de Hasan, fils de Moïneddin, et descendait de Rocn-eddin, qui est célèbre par un commentaire sur le livre intitulé Fosous alhocm. Le père de Mohyi, ayant quitté Kazwin du temps d’Ismaël schah, vint habiter Andrinople ; il s’y maria et y eut un fils : c’est celui dont il s’agit. Mohyi, après avoir exercé diverses fonctions en Égypte et à la Mecque, vint, en l’année 986, dans l’Asie mineure. L’auteur de sa vie dit qu’il retourna plus tard en Égypte. « Lors, dit-il, qu’ayant donné volontairement ma démission du pachalik de Syrie, je passais par l’Égypte pour aller exercer la place de pacha et de commissaire à Djidda, j’y vis le scheikh. Mohyi, et j’eus connaissance de ses ouvrages. C’étaient des recueils de poésies turques et persanes, des pièces de vers, plus ou moins longues, en quatre langues, en arabe, persan, turc et balaïbalan. Une des choses les plus remarquables, c’est qu’il avait inventé une langue toute particulière qu’il avait nommée Balaïbalan, c’est-à-dire, la langue de celui qui vivifie ; tous les docteurs et les scheikhs avouaient qu’il avait développé dans cette langue tout ce qu’il y a de plus profond dans la science de l’interprétation de l’Alcoran, dans celle des traditions, et dans la doctrine mystique des sofis. Pour que l’on pût acquérir l’intelligence des matières qu’il avait traitées dans cette langue, il avait réuni en détail, dans un volume, les racines de cette langue, les mots dérivés de ces racines, suivant une analogie constante, et ceux qui n’en sont pas dérivés, et les synonymes ; et il y avait aussi expliqué la grammaire, tant la partie étymologique que la syntaxe, la rhétorique et les expressions techniques. L’auteur donne ensuite pour exemples quelques phrases écrites en balaïbalan, avec leur explication en turc.

On apprend par lui que l’invention de la langue balaïbalan ne remonte guères au delà de l’an 1000 de Hégire, et que l’auteur de cette langue l’a nommée ainsi, parce qu’il portait lui-même le surnom ou titre honorifique de Mohyi. Ce titre n’est que l’abrégé de Mohyi-eddin, c’est-à-dire, le vivificateur ou le restaurateur de la religion. L’usage des temps modernes est d’abréger ainsi ces titres honorifiques. Le mot Balaïbalan signifie donc proprement la langue de Mohyi ou Mohyi-eddin.

J’ai cru utile de faire connaître ces particularités, que j’ignorais quand j’ai rédigé la Notice du dictionnaire et de la grammaire de l’idiome balaïbalan.