Notes d’un musicien en voyage/Chapitre 12
La publicité de cette grosse caisse m’amène à dire un mot de la réclame telle qu’elle est comprise et pratiquée aux États-Unis.
On sait bien que les Américains sont grands amateurs d’annonces ; mais il faut avoir parcouru leur pays, visité les grandes villes, les plus petites bourgades et même les sites les plus sauvages, pour savoir jusqu’à quel point ils poussent leur passion.
J’ai rencontré, un jour, à New-York, deux jeunes gens qui se promenaient bras dessus, bras dessous. On leur avait attaché, avec des épingles, une pancarte sur le dos.Était-ce une plaisanterie ? Ces messieurs voyageaient-ils sérieusement pour leur maison ? Je pencherais plutôt pour cette dernière hypothèse. Quoi qu’il en soit, tous les passants se retournaient, riaient, et regardaient l’affiche. Le marchand avait atteint son but.
On trouve des annonces partout et de tous les genres. Il n’y a pas de drapeau pendu à une fenêtre qui ne soit défiguré par une réclame. Les rues sont, çà et là, surmontées d’arcs-de-triomphe qui n’ont d’autre but que de donner avis de ventes prochaines. Les murs sont tapissés d’affiches d’une grandeur inouïe. Les marchands de moutarde font graver leur nom et leur adresse sur le pavé des rues. Il pleut des prospectus dans les omnibus et dans les voitures, sans compter les placards pendus à l’intérieur. Sozodont !… voilà un mot que j’ai vu partout et dont j’ignore encore le sens. — C’est certainement une annonce. Un Américain aurait demandé ce que cela voulait dire. Mais, en véritable Français, je ne m’y suis pas intéressé à ce point-là.
Cependant, en chemin de fer, j’ai lu machinalement sur un poteau du télégraphe les mots suivants : Only cure for rheumatism. Seul remède contre le rhumatisme. Ni plus ni moins. Était-ce parce que je connais des gens affligés de ce mal ou à cause de l’étrangeté de l’annonce, je n’en sais rien, mais je me mis malgré moi à guetter les poteaux. Un kilomètre plus loin je la revis, mais toujours sans le nom de l’auteur ; plus loin le même phénomène se produisit, et ainsi de suite pendant une dizaine de kilomètres. Au onzième, je lus à ma grande joie le nom de l’individu et son adresse. J’ai failli aller acheter sa drogue en descendant du train ! Décidément l’annoncier américain joue sur la cervelle humaine comme un musicien sur son piano.
La nuit, on annonce au gaz, à la lumière électrique, au pétrole. Il n’est pas jusqu’à la lanterne magique qui ne soit devenue un instrument de publicité.
Des hommes se promènent, enfermés dans des baraques de papier, illuminées à l’intérieur et portant des inscriptions sur leurs quatre faces.
Un cheval de car tombe de fatigue après avoir traîné cinquante personnes pendant toute la journée, — vite un gamin s’élance et lui colle une affiche sur le nez :
Bon pour les hommes et les bêtes !
J’ai retrouvé cette même annonce dans un endroit presque inaccessible des chutes du Niagara.
Cette manie de réclame a été poussée jusqu’à l’invraisemblance. Voici ce que nous lisons dans les journaux américains à propos d’un concert le 9 juillet chez Gilmore :
En voici la traduction :
Les mots : Empereur du Brésil, sont mis en vedette, comme s’il s’agissait d’une forte chanteuse ou d’un bon premier rôle. Vous voyez d’ici le régisseur venant dire au public :
L’Empereur du Brésil, pris d’une indisposition subite, réclame votre indulgence et vous prie de prendre patience.
Ou bien :
— L’Empereur du Brésil, pris d’un mal de gorge subit, vous supplie de l’excuser s’il ne fait pas sa dernière apparition ce soir.
Le public a absolument le droit de redemander son argent.