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Notre-Dame-d’Amour/XIV

La bibliothèque libre.
Flammarion (p. 159-164).


XIV

Notre-Dame-d’Amour, exaucez-moi


Le père Augias n’eut pas grand’chose à expliquer à sa fille.

— J’ai tout entendu, lui dit-elle, mais je ne savais pas que Pastorel dût venir ?

— Il ne doit pas venir, j’ai menti, dit Augias, il le fallait, pour me débarrasser de ce Martégas. J’aurais dû lui dire tout de suite et tout simplement que je ne lui permettais pas d’être de ceux qui essaieront de prendre le cheval… je n’ai pas osé d’abord… j’ai eu peur de lui, s’il faut que je le dise… peur de lui… oh ! pas pour moi…. C’est un mauvais coureur de filles, capable de tout… il connaît trop bien la maison !… Aussi, vois-tu, j’ai hâte de te voir mariée, quoique jeunette. Je peux, d’un moment à l’autre, te manquer… il faut que j’y pense, à cela. Et donc, c’est au hasard, sans réflexion, que j’ai parlé à Martégas de ce Pastorel ; — me voilà forcé maintenant d’aller le chercher !… Eh bien, tant mieux ! car celui-ci, c’est, je pense, un mari comme il te faudrait. Il faut que tu sois protégée.

Zanette rougit un peu :

— Vous le connaissez donc, mon père ? fit-elle. Vous ne m’aviez pas dit ça.

— Par prudence, c’est vrai, je n’ai rien dit le jour des fêtes ; je le connaissais seulement un peu, je voulais être sûr que le bien qu’on dit de lui est véritable ; j’ai pris, depuis ce temps, mes renseignements ; j’ai même vu sa mère, à Silve-Réal. Ça n’est pas loin des Saintes, et j’irai là, demain, pour le chercher…. C’est un brave enfant….

Augias ne disait pas tout. Il connaissait l’histoire de Rosseline, mais, pensait-il, Pastorel se débarrasserait de cette mauvaise femme, en brave homme qu’il était, avant longtemps. Quand il reverrait Zanette, il oublierait facilement sa méchante aventure avec la belle Arlèse. Ainsi pensait Augias, et il ajouta :

— Il y a bien, pour l’heure, un empêchement qui vient de lui, à ce que m’a dit sa mère… mais je ne suis pas inquiet ; il comprendra où est son bonheur.

Zanette comprit l’allusion et elle se tut. Heureuse de sentir son père favorable à Pastorel, elle s’étonna d’éprouver ce bonheur-là. Décidément, elle l’aimait donc, cet inconnu ? Pauvre Zan !… car déjà, en elle-même, elle l’appelait Zan, puisqu’elle s’appelait Zanette…. Pauvre Zan ! si on pouvait l’arracher aux griffes de cette mauvaise femme, ce serait, n’est-il pas vrai, une bien bonne action ?…

Or, de son côté, Jean Pastorel avait parlé à sa mère de la petite Zanette qu’il n’aimait pas encore, mais qui lui plaisait bien, et du cheval de la ferme de la Sirène, dont il désirait se rendre maître.

Sur la petite, la vieille Pastorel n’avait dit que de bonnes choses :

— C’est une fillette sage. A la bonne heure ! En voilà une que tu ferais bien de demander ! il n’est pas bon qu’un homme soit seul. Oh ! si, avant de mourir, je pouvais voir un fils de mon fils, je bénirais la vie, en la laissant recommençante derrière moi !

Quant au cheval, la musique avait été autre :

— Le métier, véritablement, est assez dangereux, sans aller chercher, par plaisir, des bêtes de mort ! Laisse-moi ce cheval tranquille, c’est quelque sorcier peut-être ! Le prenne qui voudra ! La fille d’Augias, oui, — mais son cheval, non ! Entends-tu, Jean ?

— Mais… dompter le cheval, ma mère, est un des moyens d’avoir la fille, — de lui plaire d’abord, et au père aussi. J’en ai connu et mené de plus difficiles….

— Des filles ? interrogea sournoisement la vieille.

— Des filles, oui, et des chevaux !…

— Eh bien, laisse les bêtes vicieuses où elles sont, toutes ! Épouse la Zanette, — et que Dieu nous bénisse….

La vieille fit un signe de croix et regarda, au mur, la sainte image des deux Maries, surmontée d’une brindille où étaient accrochés des cocons de vers à soie, et devant laquelle brûlait de l’huile dans une lampe de forme antique.

A la même heure, l’idée venait à Zanette d’aller dans la chapelle brûler un cierge, un des petits cierges jaunes qui étaient suspendus sous le crucifix, au chevet de son lit.

Elle y alla. La nuit tombait. Le cierge, planté dans une pointe de fer, devant l’autel, faisait resplendir le visage d’or de Notre-Dame-d’Amour, et, agenouillée, Zanette priait de toute son âme.

Elle prie pour son père, pour l’âme de sa mère morte ; pour que Martégas ne parvienne pas à se rendre maître du cheval sauvage ; pour que Pastorel au contraire, dompte heureusement la bête et la fasse sienne, et encore pour qu’il oublie cette femme si mauvaise.

Et Zanette disait :

— La flamme de ce cierge qui brûle pour vous, je vous l’offre, ô Notre-Dame-d’Amour, en faisant par-dessus tous les autres, le vœu que voici : Ce qui sera le meilleur pour Jean, je l’ignore, madame, mais quoi que ce soit, faites que cela arrive…. Notre-Dame-d’Amour, exaucez-moi !

…………………