Nouveaux contes berbères (Basset)/116

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Ernest Leroux, éditeur (Collection de contes et de chansons populaires, XXIIIp. 156-161).

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Les sept filles du marchand (214).
(Taroudant).

Il y avait un homme qu’on appelait le marchand El’Abbas. Sa femme vint à mourir lui laissant sept filles, dont la plus jeune surpassait toutes les autres, grâce à la beauté que Dieu lui avait donnée. Un jour, le marchand voulut partir pour l’Orient, vers notre Seigneur le Prophète de Dieu. Il résolut de faire le pèlerinage. Il alla chez un grand personnage et lui dit : « Je veux éprouver mes filles, comment faire ? — Retourne chez elles et dis-leur : Mes enfants, j’ai sept œufs et je veux aller en pèlerinage, si je les emporte, ils se casseront ; si je les laisse, ils se gâteront. »

Une des filles lui dit : « Donne-les, je te les ferai cuire. » Une autre reprit : « Je t’en ferai des boulettes. » La plus jeune lui dit : « C’est nous qui sommes tes sept œufs ; si tu nous laisses, nous serons gâtées ; si tu nous emmènes, nous mourrons sur mer. » Le marchand alla chez le grand personnage et dit : « Une de mes filles m’a dit : Je te les ferai cuire ; une autre : J’en ferai des boulettes. Quant à la plus jeune, qui est la plus belle et qu’on appelle Zerga, elle m’a dit : Mon père, c’est nous qui sommes tes sept œufs ; si tu nous emmènes, nous mourrons en mer ; si tu nous laisses, nous nous gâterons. » L’homme puissant lui dit : « Va lui donner la clef de ta maison. » Le marchand s’en alla et dit à Zerga : « Ma fille, prends la clef de la maison. » Il la lui remit ainsi que la maison qui avait sept ouvertures. Il donna à ses filles ce qui leur était nécessaire pour une année entière, il leur fit des recommandations, puis il alla à ses affaires en pèlerinage.

Il leur laissa sept touffes de romarin pour qu’elles se mariassent, en leur disant : « Celle qui ne sera pas mariée, je me fâcherai contre elle ; ce ne sera pas ma fille. » Il ajouta : « Voici que vous n’avez plus chez vous ni père, ni oncle, ni frère ; il ne vous reste que Dieu et moi. N’ouvrez à personne avant que je revienne ; d’aujourd’hui en un an, je reviendrai, et comme signal de reconnaissance, je vous jetterai une pierre. Quand je serai revenu, vous m’ouvrirez. » Il partit à ses affaires.

La maison où elles étaient contenait sept chambres ; chaque fille avait la sienne ; la porte de celle de la plus jeune donnait sur la rue ; chacune entra chez elle et la belle Zerga aussi. Un jour, elles montèrent sur la terrasse pour arroser leurs pieds de romarin ; elles y montèrent toutes. Le fils du roi les vit ; il se leva, descendit et alla chez une vieille femme à qui il dit : « Je veux que tu m’introduises dans la maison d’un tel où j’y ai vu sept filles. — Donne-moi cent mithqals, je t’amènerai et je te ferai entrer. » Il lui donna les cent mithqals. Alors elle ajouta : « Fais une caisse ; tu y entreras pour pénétrer où tu voudras. — C’est bien », dit-il, et il s’en alla. Il fit la caisse, y entra ; deux hommes le portèrent jusqu’à la maison du marchand et le déposèrent. La vieille qui était allée avec eux frappa à la porte. Les aînées voulurent lui ouvrir, mais la plus jeune et la plus belle, Zerga, leur dit : « Non ». Les autres répliquèrent : « Nous ouvrirons. » Elle prit la clef et la jeta dans le puits. Mais ses sœurs l’en retirèrent, ouvrirent la porte et firent entrer le coffre et la vieille. Celle-ci leur dit : « Cette caisse renferme mes vêtements, je demeurerai chez vous pendant sept jours, chaque jour je placerai mon coffre chez l’une d’entre vous. — Allons », dirent-elles. La plus jeune reconnut que le fils du roi était là-dedans, mais elle se tut pendant une heure.

La nuit arrivée, la vieille prit son coffre le monta chez une des aînées et y laissa le fils du roi. Quand la jeune fille fut couchée, il ouvrit le coffre, en sortit et la trouva endormie. Il lui enleva ses vêtements, lui donna dix réaux d’or, la réveilla et lui dit : « Prends ceci, je veux voir tout ce qui est près de toi. » Elle prit l’argent. Il jouit d’elle et rentra ensuite dans son coffre. (Le lendemain), elle se leva, réfléchit et garda le silence. Au matin, la vieille vint prendre la caisse où était le fils du roi et l’introduisit chez une autre. Il lui enleva ses vêtements, lui donna dix réaux d’or et jouit d’elle comme il avait fait de sa sœur. Le lendemain, il entra chez une autre jusqu’à ce qu’il eût passé chez les six filles du marchand El’Abbas. Il ne restait plus que la plus jeune, celle qu’on appelait Zerga. Le prince fit ce serment : « Je ne partirai pas d’ici que je n’ai joui d’elle. » Ce jour-là, c’était son tour. La vieille arriva et monta le coffret chez Zerga. Une porte ouvrait sur la rue. Quand il monta, le sommeil ne voulut pas la prendre ; elle veilla, car elle ne pouvait dormir. Le fils du roi ouvrit, sa caisse, il en sortit et dit à la jeune fille : « Pourquoi ne veux-tu pas te coucher ? » Elle répliqua : « Que veux-tu ici ? — Je veux jouir de toi. — Qu’as-tu apporté ? » Il lui donna dix réaux et des vêtements qu’elle accepta ; ils restèrent à rire pendant une heure jusqu’à ce qu’il lui dit : « Je veux jouir de toi. » Elle se leva et lui donna un tel soufflet qu’elle le renversa dans la rue ; il tomba et se cassa la jambe. Les gardiens arrivèrent et l’enlevèrent de cette place ; il leur dit : « N’en dites rien à personne. » Il le déposèrent chez lui et s’en allèrent à leurs affaires.

Zerga rassembla tout ce qui était chez elle et le déposa dans son coffre, personne n’avait joui d’elle. Elle descendit chez ses sœurs et leur dit : « Je n’ai pas voulu dix réaux d’or et des vêtements (pour prix de mon honneur), je suis restée vierge, personne n’a joui de moi. » Elle leur montra ce qu’elle avait apporté.

Ses sœurs mirent au monde six garçons, chacune un. La plus jeune les prit, les mit tous les six dans un panier et les envoya à la mère du fils du roi en disant : « Voilà ce que t’envoie Zerga, la fille du marchand El Abbâs. » La reine les envoya à son fils avec ces paroles : « Voilà tes enfants ! » Il dit : « Oh ! », fut stupéfait et mourut.