Nouvelles poésies (Van Hasselt)/À l’homme sans cœur

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Nouvelles PoésiesBruylant et Cie (p. 142-145).

L’homme sans cœur.





κυνὸς ὄμματ’ ἔχων, κραδίήν δ’ ἐλάφοιο.
Homère, Iliad. I, 225.





Je sais une caverne immonde,
Bouge infect, ignoble taudis,
Pas d’antre plus infâme au monde,
Pas un parmi les plus maudits.

Égout où s’accouplent les vices
Les plus lâches, les plus rampants ;

Sentine pleine d’immondices,
Fourmilière de chenapans.

Pas de galère ni de bagne,
Pas de chiourme dans Toulon,
Pas une préside d’Espagne
Qui ne lui cède le galon.

Vrai tapis franc, vrai coupe-gorge
Aux plafonds noirs, aux murs gluants ;
Pandémonium qui regorge
De chourineurs et de truands.

Pour ce peuple sinistre et blême
Ô la digne hospitalité !
Car l’enfer du Dante lui-même
Est un paradis à côté.

Que de faces patibulaires
Dans ce repaire ténébreux !
Que de haines et de colères
Ces drôles attisent entre eux !

Grinches, dans vos cours des miracles,

Brigands, dans vos bois hasardeux,
Peigres, dans vos noirs réceptacles,
Vous êtes des saints auprès d’eux.

Ils jurent, blasphèment et crient
Dans leur Capharnaüm profond ;
Et, lorsque par hasard ils rient,
C’est une grimace qu’ils font.

Bon Dieu ! que d’effroyables scènes !
Sodome n’aurait pas souffert
Elle-même en ses murs obscènes
Ces prédestinés de l’enfer.

Canidie en son morne empire,
Où jamais ne luit le soleil,
Ni dans ses cauchemars Shakspeare
N’ont rien entrevu de pareil.

Dans leurs bruyères aux fleurs roses
Les trois sorcières de Macbeth
Brassent mille sinistres choses,
Forgent bien des clous de gibet.


Mais, sorcières échevelées
Dont Satan lui-même est jaloux,
Dans leurs hideuses assemblées
Ces bandits sont pires que vous.

Tu le sais, toi seul, drôle infâme,
Toi qui t’engraisses de mépris.
Car ce cloaque c’est ton âme
Où règnent les mauvais esprits.



Mai 1853.