Octavie (Sénèque)/Notes

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Octavie (Sénèque)
Traduction par E. Greslou.
Tragédies de L. A. SénèqueC. L. F. PanckouckeTome troisième (p. 416-428).
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NOTES
SUR OCTAVIE.

Si cette tragédie était bonne, il faudrait lui appliquer la louange renfermée dans ces vers de l’Art poétique d’Horace :

Nec minimum merucre decus vestigia Græca
Auai deserere, et celebrare domestica facta.

C’est la seule de ces pièces, tirées de l’histoire nationale, qui nous soit parvenue, et la seule aussi dont on puisse dire avec certitude qu’elle n’est point de Sénèque le Philosophe.

Le sujet d’Octavie est tragique en lui-même et plus heureux que celui de Britannicus préféré par notre Racine. Mais l’auteur n’a pas su le développer ; il manque à la fois d’intelligence et de style ; et n’était le mauvais goût, et l’interminable pathos de l’Hercule sur le mont Œta, nous dirions que l’Octavie est la plus mauvaise pièce du Théâtre de Sénèque. Juste-Lipse dit que c’est l’œuvre d’un écolier, ou plutôt d’un enfant : « Puer ego sum, dit-il, nisi a puero scripta, certe pueri modo. » Elle n’a pas cependant manqué d’imitateurs ; le plus ancien est Roland Brisset, de Tours, avocat au parlement de Paris, dont nous avons déjà parlé au commencement des notes d’Agamemnon. Après lui vient Racine, et en dernier lieu, chez nous, un poète à peu près inconnu, Souriguières. Le célèbre Alfieri a composé une tragédie avec le même titre et les mêmes personnages, mais fort différente de la pièce latine par la force des idées et du style.

Acte Ier. Page 391. En cris plus lugubres que ceux d’Alcyone. Alcyone, femme de Céyx, roi de Trachine, mourut de douleur en trouvant le corps de son époux sur le rivage, et fut changée en alcyon. Par cette alliance, Néron, déjà fils adoptif de Claude, s’enracinait de plus en plus dans les droits de la famille impériale. D. Junio, Q. Haterio Coss. sedecim annos natus Nero Octaviam Cæsaris filiam in matrimonium accepit. » (Tacit., Annal., lib. xii, cap. 58.)

Page 293. C’est elle qui t’a ravi le jour ô mon malheureux père !

N’est-ce pas cette même Agrippine
Que mon père épousa jadis pour ma ruine,
Et qui, si je t’en crois, a de ses derniers jours,
Trop lents pour ses desseins précipité le cours ?
(Racine, Britannicus, acte i, sc. 3.)

Il mourut ; mille bruits en courent à ma honte.
(Ibid., acte iv, sc. 2.)

L’empoisonnement de Claude n’est pas douteux, ; et les historiens s’accordent à dire que ce fut avec du poison de champignons que sa femme lui ôta la vie.

....... Minus ergo nocens crit Agrippinæ
Boletus ?

dit Juvénal. Suivant Tacite (voyez Annales, liv. xii, chap. 67), on lui donna bien, sur l’indication de la célèbre Locuste (diu inter imperii instrumenta habita), du poison de champignons mêlé dans un mets agréable, « infusum delectabili cibo boletorum venenum ». Mais, par un effet, soit de la sottise de Claude, soit de son ivresse, le poison ne parut pas produire d’effet ; un flux de ventre d’ailleurs vint au secours du prince. Alors Agrippine eut recours à un médecin nommé Xénophon qui, sous prétexte de faciliter le vomissement, introduisit, dans le gosier de Claude, une plume enduite d’un poison plus actif.

Voyais fuir devant toi les Bretons. — Voyez Tacite, Annales, liv. xii, chap. 31 et suivans, sur la guerre contre Caractacus et la reine Cartismandua.

Page 295. Qui elle-même expira par celle de son fils. Les détails de la mort d’Agrippine sont assez connus ; on les trouvera d’ailleurs ci-après. Voyez acte i, sc. 4 ; acte iii, sc. 1. Voyez aussi Tacite, Annales, liv. xiv, chap. 2 et suiv., et la Vie de Néron, par Suétone.

Ce fils criminel a de plus empoisonné son frère. — Voyez Racine, imputé à Octavie, et que Tacite nomme (voir la fin de la note précédente) crimen omni exitio gravius ; et comme il ne sait pas écrire, sa pensée demeure obscure.

Ce crime, imputé à Octavie, est expliqué dans Tacite, Annales, liv. xiv, chap. 60-62 « Poppæa diu pellex, et adulteri Neronis mox mariti potens, quemdam ex ministris Octaviæ impulit servilem ei amorem objicere ; destinaturque reus cognomento Eucerus, natione Alexandrinus, etc. — Sed parum valebat suspicio in servo et quæstionibus ancillarum elusa erat : ergo confessionem alicujus quæri placet, cui rerum quoque novarum crimen adfingeretur, et visus idoneu smaternæ necis patrator Auicetus classi apud Misenum ut memoravi præfectus. — Igitur accilocum eum Cæsar operæ prioris admonet ; — gratiæ instare si conjugem infensam depelleret ; nec manu aut telo opus ; fateretur Octaviæ adulterium. — Ille insita vecordia et facilitate priorum flagitiorum, plura etiam quam jussum erat fingit, fateturque apud amicos quos velut consilio adhibuerat princeps, etc. » (Cap. lxii.)

Page 301. Pour qui Néron n’a pas craint de faire monter sa mère sur un vaisseau. — Voyez Tacite, Annales, liv. xiv, chap. 1. « Diu meditatum scelus non ultra Nero distulit, vetustate imperii coalita audacia, et flagrantior in dies amore Poppææ quæ sibi matrimonium et discidium Octaviæ, incolumi Agrippina, haud sperans, etc. »

Page 303. Comment lui resterait-il quelque sentiment pour sa famille dans les enfers. Claude était bon mais crédule, insouciant et faible. Voyez sa Vie dans Suétone. « Claudius matrimonii sui ignarus, » dit Tacite, Annales, liv. xi, chap. 13.

Cependant Claudius penchait vers son déclin
Ses yeux, long-temps fermés, s’ouvrirent à la fin :
Il connut son erreur. Occupé de sa crainte
Il laisse pour son fils échapper quelque plainte etc.
(Racine, Britannicus, acte iv, sc. 2.)

Mais il n’était plus temps. Agrippine fit choix d’un poison lent, dit Tacite, « ne admotus supremis Claudius, et dolo intellecto ad amorem filii rediret. » (Annal., lib. xiii, cap. 66.)

Page 307. La maison impériale attend d’autres enfans. Ceux que Poppée devait donner à Néron. Voyez acte ii, sc. 2.

Page 309. Celle qui, la première, osa souiller votre couche, cette esclave, etc. Le dernier traducteur, Levée, dit : « Poppée, cette vile esclave qui, la première, osa souiller votre couche, etc. » Nous croyons qu’il ne s’agit point ici de Poppée, mais d’Acté, première maîtresse de Néron, qui lui fut donnée par Sénèque, « Senecam contra muliebres illecebras subsidium a femina petivisse, » (Tacit., Annal., lib. xiv, cap. 2) pour empêcher qu’il ne prît d’Agrippine, sa mère, le plaisir qu’elle lui offrait. Cette Acté était une affranchie ; « ceterum infracta paullatim potentia matris, delapso Nerone in amorem libertæ cui vocabulum Acte fuit. » (Tacit., Annal., lib. xiii, cap. 12.) Au reste, ce passage est mal et peu clairement écrit. Cependant il y a lieu de croire qu’il ne s’agit point de Poppée, qui est présentement maîtresse du cœur de Néron, et de laquelle on ne peut pas dire : « Possedit diu ; » et hanc, et celle-ci, au commencement de la phrase suivante, confirme encore notre sens.

Dresse des monumens qui sont un aveu de ses alarmes. Il s’agit probablement de quelque temple, ou de quelque chapelle élevée à l’Amour par cette jeune affranchie dont il est question dans la note précédente.

Page 311. Et vous, la Junon de la terre, vous l’épouse et la sœur du maître du monde. Octavie était sœur de Néron, mais sœur adoptive.

Des prodiges extraordinaires sont apparus. Il s’agit probablement des signes redoutables qui précédèrent la mort de Claude : « M. Asinio, Manio Acilio consulibus, mutationem rerum in deterius portendi cognitum est crebris prodigiis, etc. (Tacit., Annal., lib. xii, cap. 64.)

Page 313. Cet héritier d’Auguste, dont il déshonore le beau nom par ses vices. Ce nom d’Auguste que prit Octave, après les guerres civiles, passa ensuite aux empereurs.

Elle osa former publiquement un hymen incestueux. — Voyez plus haut la troisième note sur Messaline.

Page 315. De la divinité de son père. On sait quelle était cette divinité des empereurs romains. Jules César le premier reçut ce par Néron : « Adnotabant seniores quibus otiosum est vetera et præsentia contendere, primum ex iis qui rerum potiti essent, Neronem alienæ facundiæ eguisse. » (Tacit., Annal. lib. xiii, cap. 3.) On croit qu’il écrivit aussi l’Apokolokyntosis, ou métamorphose de Claude en citrouille, excellente parodie de l’oraison funèbre. Du reste il ne fit de mal que celui dont il ne put se dispenser, et il empêcha tout celui qu’il put. S’il proposa à Burrhus dé faire tuer Agrippine par les soldats « Post Seneca hactenus promptior, respicere Burrhum ac sciscitari an militi cædes imperanda esset, » (Annal, lib. xiv, cap. 7) il arrêta plus d’une fois le sang prêt à couler, « ibatur in cædes, nisi Afranias Burrhus et Annæus Seneca obviam issent. » (Ib., lib. xiii, cap. 2.) Du reste, il nous semble que Racine a bien fait de choisir Burrhus plutôt que Sénèque, pour l’opposer à la corruption de la cour impériale. Voyez la préface de Britannicus.

Page 323. Pour faire place à une génération nouvelle et meilleure. Un commentateur croit que, par cet avènement d’une race nouvelle et meilleure, Sénèque fait allusion à la régénération du monde par le christianisme. L’idée du philosophe n’était peut-être pas aussi précise ; mais nous ne voyons nul inconvénient à faire rentrer les prophéties païennes dans celles des Hébreux. Le Pollion de Virgile n’eut pas non plus, dans l’idée du poète, le degré de précision qu’on a pu lui donner depuis : c’est l’évènement qui met la prophétie dans tout son jour et lui assigne son véritable sens.

Page 327. Tous les vices, lentement amassés pendant tant de siècles, débordent aujourd’hui sur nous. Cette pensée frappe au premier coup d’œil par un air de grandeur ; mais elle est complètement fausse. Le mal étant une corruption du bien, c’est-à-dire une pure négation, n’est conséquemment que l’absence d’une chose, et l’on ne peut pas dire qu’on amasse l’absence d’une chose. « Optima pessimi corruptio ; » la corruption romaine correspond à la grandeur du corps en dissolution.

Qu’on m’apporte les têtes de Plautus et de Sylla. Néron, dit Tacite, Annales liv. xiii, chap. 67, se défiait de Cornelius Sylla, descendant du dictateur, homme nul et sans moyens, dont il regardait la sottise comme une dissimulation qui cachait de Néron qui ne peut avoir été faite qu’après sa mort même, le prouverait assez.

Page 353. Je serai la sœur, et non plus la femme de César. — Voyez Tacite, Annales, liv. xiv, chap. 64 : « Paucis dehinc interjectis diebus, mori jubetur, quum jam viduam se et tantum sororem testaretur. »

Acte IV. Page 357. Le zèle indiscret de Sénèque. Le texte porte : culpa Senecæ, la faute de Sénèque. Rien ne prouve dans les historiens, que Sénèque ait favorisé le mariage de Néron avec Poppée. Nous croyons plutôt qu’il s’agit des remontrances un peu vives qu’il a faites à l’empereur sur son amour (voyez plus haut, acte ii, sc. 2), et qui, en irritant Néron, n’ont servi qu’à précipiter l’exécution de ce projet de mariage.

Page 359. Un songe affreux, chère nourrice, m’a glacée d’horreur. Voici l’imitation de ce songé tirée de l’Octavie de M. Souriguières :

Écoutez : cette nuit, rêveuse et solitaire,
Le sommeil par degrés a fermé ma paupière.
La vengeance l’espoir la crainte la fureur,
Cette soif de régner qui dévore mon cœur,
De mille sentimens confus involontaires
Les combats orageux et les efforts contraires
Ne laissaient à mes sens qu’un fatigant repos.
Sous tes traits sillonnés de l’affreuse Atropos
Une torche à la main, du milieu du Cocyte,
Agrippine soudain sur moi «e précipite ;
Sa bouche au loin vomit des serpens et des feux,
L’air s’embrase !… Tremblante à ce spectacle affreux,
Je veux fuir, mais je tombe au fond d’un vaste abîme.
« Tu ne peux m’éviter, frémis vois ta victime,
« Me dit alors le spectre arrête ; vois le sang,
« La plaie, et le couteau qu’a laissé dans mon flanc
« Mon exécrable fils par ton ordre barbare ;
« Mais des dieux contre toi le courroux se déclare
« Songe au sort qui t’attend songe au prix qui t’est dû etc. »

Page 361. Toutes les images qui ont exercé dans le jour de la vigoureuse activité de l’esprit. Les hommes religieux croient que c’est Dieu qui envoie les songes. Le songe vient de Jupiter, dit Homère. Si je veux faire connaître ma volonté à un prophète, dit jeune, mère de Néron. Reléguée dans l’île de Pandatarie, comme le fut plus tard Octavie, elle se laissa mourir de faim, après les plus odieux traitemens.

Page 381. L’heureuse femme de Drusus, Livie. Livie femme de Drusus, assassina son époux, et périt par l’ordre de Tibère.

Julie, sa fille, fut entraînée dans le malheur de sa mère. Julie, fille de Drusus, fut envoyée en exil et mise à mort par l’ordre de Claude, on ne sait pour quel crime. Tacite, Annal., liv. xiii, chap, 32, dit qu’elle périt dolo Messalinæ.

Soumise au caprice d’un esclave. C’est à dire de l’affranchi Narcisse.

Page 383. J’accepte avec joie la mort qu’on me destine. Elle fut mise à mort quelques jours après son arrivée dans l’île de Pandatarie. Voyez Tacite, Annales, liv. xiv, chap. 64. On lui lia les membres et on lui ouvrit les veines ; mais comme la peur empêchait son sang de couler, on l’étouffa dans un bain très chaud : on lui coupa la tête, et on la présenta à Poppée. Cette malheureuse fille, dit Tacite, n’avait que vingt ans.


fin du tome troisième et dernier.