Odes (Horace, Leconte de Lisle)/III/27

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1er siècle av. J.-C.
Traduction Leconte de Lisle, 1873
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Ode XXVII. — À GALATEA.


Que les impies aient pour présage le chant de l’orfraie, une chienne pleine, ou une louve rousse descendant de Lanuvium, un renard femelle qui va mettre bas !

Qu’un serpent interrompe et coupe, semblable à une flèche, leur chemin commencé, et qu’il épouvante leurs chevaux ! Moi, augure prévoyant pour celui à qui je m’intéresse,

Avant que l’oiseau divinateur des orages regagne les marais stagnants, j’évoquerai par ma prière le corbeau prophétique, du côté du soleil levant.

Sois heureuse là où il te plaira, et vis, te souvenant de moi, Galatéa ! Que le pivert volant à ta gauche et la vagabonde corneille ne te défendent point de partir !

Mais tu vois avec quel tumulte Orion se précipite. J’ai éprouvé ce que présage la sombre Hadria et ce que réserve le blanc Iapyx.

Que les femmes et les enfants de nos ennemis éprouvent l’aveugle impétuosité de l’Auster qui se lève, et le frémissement de la noire mer, et les rivages ébranlés par les coups !

Ainsi, quand Europé confia son flanc neigeux au taureau rusé, l’audacieuse pâlit, voyant la mer pleine de monstres et ses abîmes.

Récemment occupée de fleurs dans les prairies, et de tresser des couronnes dues aux Nymphes, elle ne vit plus rien, à la morne clarté de la nuit, que les ondes et les astres.

Dès qu’elle eut atteint la puissante Crété aux cent villes : « Ô Père, dit-elle, ô nom oublié de ta fille, ô piété vaincue par mon égarement !

« D’où suis-je venue ici ? Une seule mort est trop douce pour la faute des vierges. Suis-je éveillée, pleurant une action honteuse, ou, innocente, suis-je le jouet d’une vaine image

Qu’un songe m’envoie par la porte d’ivoire ? Valait-il mieux traverser ces flots immenses que de cueillir les fleurs nouvelles ?

« Si maintenant ce taureau infâme était abandonné à ma colère, je voudrais le déchirer avec le fer et briser les cornes du monstre tant aimé !

« J’ai quitté sans pudeur les Pénates paternels, et sans pudeur je retarde ma mort. Oh ! si quelqu’un des Dieux m’entend, puissé-je errer nue au milieu des lions !

« Avant qu’une honteuse maigreur ait flétri mes joues brillantes et que cette tendre proie soit desséchée, belle encore, je voudrais repaître les tigres.

« Misérable Europé ! ton père absent te crie : Que tardes-tu de mourir ? Tu peux, à l’aide de cette ceinture qui t’a heureusement suivie, serrer ton cou suspendu à ce frêne ;

« Ou, si ces rochers et ces écueils aigus te plaisent pour mourir, allons ! livre -toi à la tempête rapide, à moins que tu n’aimes mieux accomplir un travail servile,

« Et, bien que d’un sang royal, être livrée à une maîtresse barbare, comme une concubine. » Tandis qu’elle gémissait ainsi, Vénus souriante et perfide était près d’elle, et son fils, l’arc détendu.

Bientôt, s’étant assez jouée : « Abstiens-toi, dit-elle, de la colère et des amers reproches, quand ce taureau odieux t’abandonnera ses cornes pour que tu les brises.

« Tu ne sais pas que tu es l’épouse du victorieux Jupiter. Cesse tes sanglots, apprends à bien porter ta haute fortune. Une part du monde prendra ton nom. »