Odes (Horace, Leconte de Lisle)/IV/8
Traduction Leconte de Lisle, 1873
Je donnerais volontiers à mes compagnons, Censorinus,
des coupes, des bronzes, des trépieds,
ces prix des braves Graiens ; et tu n’emporterais pas les moins beaux de mes dons, si j’étais riche
des œuvres d’art que créait Parrhasius, ou Scopas,
celui-ci dans la pierre, celui-là avec des couleurs
liquides, tantôt un homme, tantôt un Dieu. Mais
ce pouvoir ne m’appartient pas, et la possession
et le goût de telles délices ne te manquent point.
Tu aimes les vers ; je puis te donner des vers et
te dire le prix de mon présent. Ni ces marbres
où sont gravées des inscriptions publiques qui rendent, après la mort, le souffle et la vie aux grands
capitaines, ni la fuite rapide et les menaces repoussées d’Hannibal, ni l’embrasement de l’impie
Carthago, ne louent plus glorieusement que les
Piérides de la Calabria celui qui revint illustré
par le nom de l’Africa domptée. Si les livres se
taisent sur les grandes actions, elles ne sont point
récompensées. Que serait le fils de Mavors et d’Ilia, si un silence envieux se fût opposé aux
mérites de Romulus ? La vertu, la faveur et la langue
des puissants poëtes a consacré, dans les îles
Fortunées, Æacus arraché par eux aux flots
Stygiens. La Muse défend qu’un homme digne de ses
louanges meure, et elle lui ouvre le ciel. C’est
ainsi que l’infatigable Herculès s’assied aux festins
désirés de Jupiter, que l’astre clair des Tyndarides
arrache les nefs brisées au gouffre de la mer, et
que Liber, les tempes ornées d’un pampre vert,
accomplit bienveillamment les vœux.