Odes (Horace, Leconte de Lisle)/IV

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1er siècle av. J.-C.
Traduction Leconte de Lisle, 1873

ODES



LIVRE QUATRIÈME






Tu excites de nouveau, Vénus, une guerre longtemps interrompue. Épargne-moi, Je t’en supplie, je t’en supplie ! Je ne suis plus tel que j’étais sous le règne de la bonne Cinara. Cesse, mère cruelle des doux Désirs, de soumettre à ton mol empire un cœur endurci qui touche à son dixième lustre. Va où t’appellent les tendres prières des jeunes hommes. C’est plutôt dans la demeure de Paulus, ou dans celle de Maximus, qu’il faut te rendre voluptueusement sur l’aile des cygnes pourprés, si tu cherches un cœur facile à brûler. Car il est noble, beau, éloquent en faveur des accusés inquiets ; il possède cent talents, et il portera loin tes enseignes de guerre. Si, plus aimé, il se rit des riches présents d’un rival, il te dressera, en marbre, sous des poutres de citronnier, près des lacs Albains. Là tu respireras des parfums abondants ; et les lyres et les flûtes de Bérécyntia et le chalumeau te charmeront de leurs sons mêlés. Là, deux fois le jour, les adolescents et les jeunes vierges loueront ta divinité, et, d’un pied blanc, selon le rite Salien, frapperont trois fois la terre. Pour moi, ni femme, ni adolescent, ni le crédule espoir d’un attachement mutuel, ni les combats du vin ne me plaisent, ni de ceindre mes tempes de fleurs nouvelles. Mais, pourquoi, hélas ! Ligurinus, une larme furtive coule-t-elle sur mes joues ? Pourquoi un brusque silence interrompt-il mes paroles commencées ? Dans mes songes nocturnes je te tiens embrassé, je te poursuis quand tu voles sur les herbes du Champs de Mars, et dans les eaux qui t’enveloppent, cruel !


Ode II. — À JULIUS ANTONIUS.


Qui tente d’égaler Pindarus, s’élève, Julius, sur des ailes de cire, comme le Dædaléen, et donnera son nom à une mer transparente.

De même qu’un fleuve, tombé des montagnes, que les pluies ont enflé par-dessus ses rives accoutumées, de même l’immense Pindarus précipite sa voix profonde.

Il a droit au laurier d’Apollo, soit qu’il roule des paroles nouvelles en audacieux dithyrambes et qu’il s’emporte en libres mètres ;

Soit qu’il chante les Dieux, et les rois, sang des Dieux, par qui les Centaures tombèrent d’une juste mort, et les flammes de la Chimère terrible ;

Soit qu’il dise ceux que la palme d’Élis renvoie dans leur demeure, tels que des Dieux, ou l’athlète, ou le cheval, et qu’il leur donne un prix plus glorieux que cent statues ;

Soit qu’il pleure le jeune homme ravi à l’épouse désolée, qu’il élève aux astres ses forces, son courage, ses mœurs d’or, et qu’il le dérobe au noir Orcus.

Un souffle puissant, Antonius, porte le cygne Dircæen, toutes les fois qu’il monte dans les hautes nuées. Pour moi, comme l’abeille du Matinus

Contente de cueillir le suc du thym avec beaucoup de fatigue, je compose humblement mes vers laborieux dans les bois et sur les bords du frais Tibur.

D’un plectre plus puissant, poëte, tu chanteras Cæsar, quand, sur les degrés sacrés, couronné d’un juste laurier, il traînera les farouches Sygambres ;

Lui, le plus grand et le meilleur don que les destins et les Dieux bons aient fait et feront à la terre, bien que les temps semblent revenir à l’or antique.

Tu chanteras ces jours heureux, la joie universelle de la Ville au retour très-désiré du grand Augustus, et le forum sans procès.

Alors, ma voix, si elle est digne d’être entendue, se joindra à la tienne : « Ô beau soleil ! ô glorieux jour ! » chanterai-je, joyeux du retour de Cæsar.

Tu cries, pendant qu’il marche : Io ! triomphe ! et chacun de nous crie : Io ! triomphe ! et tous les citoyens offrent l’encens aux Dieux propices.

Tu leur dois dix taureaux et autant de génisses, et moi, je leur réserve un jeune veau qui vient de quitter sa mère, et qui, destiné à mes dons votifs, paît dans les herbages épais.

Ses cornes ressemblent aux feux recourbés de la lune à son troisième lever ; il porte sur le front une tache blanche comme la neige, et le reste est fauve.


Ode III. — À MELPOMÉNÉ.


Celui, ô Melpoméné, que tu auras, à sa naissance, illuminé d’un regard ami, ne s’illustrera point par le pugilat dans les jeux Isthmiques ; un cheval ardent ne le ramènera point, victorieux, sur un char Achaïque ; et, ceint de la feuille de Délos, la guerre ne le présentera point au Capitolium pour avoir réprimé les orgueilleuses menaces des rois ; mais les eaux qui arrosent le fertile Tibur et les épaisses chevelures des bois l’illustreront par le chant Æolien. Le peuple de Roma, la première des villes, a daigné me recevoir dans le chœur aimable des poëtes, et déjà je suis mordu par la dent de l’envie. Ô Piéride, qui fais résonner le doux bruit de ta lyre d’or ! ô toi qui donnerais, si tu le voulais, le chant du cygne aux poissons muets ! c’est à tes seuls dons que je dois d’être montré du doigt par les passants comme le maître de la lyre Romaine ; c’est par toi que je respire et que je plais, si je plais.


Ode IV. — LOUANGES DE DRUSUS.


Tel que l’aigle porteur de la foudre, à qui le roi des Dieux a permis de régner sur les oiseaux vagabonds, ayant éprouvé sa fidélité par l’enlèvement du blond Ganymédès,

Un jour, la jeunesse et la vigueur de sa race le chassèrent hors du nid, ignorant les travaux, et les vents printaniers lui enseignèrent, tremblant, des efforts inconnus ;

Bientôt, un vol impétueux le jeta dans les bergeries, et le désir de la proie et du combat le poussa contre les serpents irrités ;

Ou tel que le lion récemment privé de la fauve mamelle de sa mère, et qu’une biche voit de ses joyeux pâturages, devant périr sous cette jeune dent ;

Tel, portant la guerre sous les Alpes Rhætiques, Drusus apparut aux Vindéliciens, dont la coutume a été de tout temps d’armer leurs mains de la hache Amazonienne ;

Je n’ai point cherché pourquoi, ne pouvant tout savoir ; mais leurs bandes, longtemps victorieuses au loin, à leur tour vaincues par les conseils d’un jeune homme,

Sentirent ce que pouvait un grand esprit, une nature nourrie en d’heureux sanctuaires, et l’âme paternelle d’Augustus dans les jeunes Nérons.

Les braves sont engendrés par les braves et les bons ; dans les taureaux, dans les chevaux réside la vigueur de leurs pères. Les aigles farouches n’engendrent point la colombe timide ;

Mais la doctrine développe le germe latent, et la droite culture fortifie les âmes. Partout où les mœurs font défaut, les vices déshonorent les mieux nés.

Que ne dois-tu, ô Roma, aux Nérons ? Témoin le fleuve Métaurus, et Hasdrubal vaincu, et ce beau jour qui, dissipant les ténèbres du Latium,

Sourit, le premier, d’une pure gloire, depuis que le terrible Africain poussait ses chevaux à travers les villes Italiques, comme la flamme dans les pins ou comme l’Eurus sur les eaux Siculiennes.

Puis, la force Romaine se releva par de plus heureux travaux, et les temples dévastés par le tumulte Pœnique virent se redresser les Dieux.

Enfin, le perfide Hannibal dit : « Cerfs, proie des loups rapaces, nous affrontons outre mesure ceux que notre meilleur triomphe serait d’éviter et de fuir.

« Cette race qui, s’échappant d’Ilion brûlé, et vagabonde sur les mers Étrusques, emporta ses Dieux, ses enfants, ses vieillards vers les villes Ausoniennes,

« Comme l’yeuse émondée de son noir feuillage par les haches dures, sur le fertile Algidus, au milieu de ses désastres et de ses blessures, tire du fer lui-même la puissance et la vie.

« L’hydre, le corps déchiré, ne renaissait pas plus vigoureuse sous Herculès gémissant d’être vaincu ; ni Colchos, ni l’Échionienne Thebæ n’enfantèrent un monstre plus terrible.

« Plongé dans l’abîme, il en ressort plus beau ; terrassé, il renversera avec gloire son vainqueur, et livrera des combats dont parleront les épouses.

« Je n’enverrai plus à Carthago de fiers messagers. Toute espérance est morte, la fortune de mon nom n’est plus, depuis qu’Hasdrubal a été tué !

« Rien que n’accomplissent les mains des Claudius ; Jupiter les entoure de sa divinité propice, et les pensées prévoyantes les guident à travers les difficultés de la guerre. »


Ode V. — À AUGUSTUS.


Dû à la bonté des Dieux, excellent gardien de la race de Romulus, tu es absent depuis trop longtemps. Tu avais promis ton retour prochain au conseil sacré des Pères ; reviens.

Rends, noble chef, la lumière à ta patrie. En effet, comme le printemps, dès que ton visage brille aux yeux du peuple, le jour est plus doux et de meilleurs soleils luisent.

Comme la mère, dont le souffle envieux du Notus retient le jeune fils, toute une longue année, au delà des flots Carpathiens, loin de sa demeure,

L’appelle de ses vœux, de ses présages et de ses prières, et ne détourne pas les yeux du rivage ; ainsi, en proie aux fidèles regrets, la patrie cherche Cæsar.

Par toi, le bœuf erre sans crainte dans les campagnes ; Cérès nourrit les campagnes, et la bienveillante Abondance aussi ; les marins volent sur la mer apaisée ; la bonne foi craint d’être soupçonnée ;

Les chastes foyers ne sont plus souillés par les adultères ; les mœurs et la loi ont effacé les taches criminelles ; les accouchées sont glorifiées par des enfants qui ressemblent à leur père ; et la peine suit toujours la faute.

Qui redouterait le Parthe, le Scythe glacé, ou la race qu’enfante la sauvage Germania, Cæsar étant vivant ? Qui s’inquiéterait d’une guerre contre l’Ibéria féroce ?

Chacun achève sa journée sur ses collines et marie la vigne aux arbres solitaires ; puis, chacun revient, joyeux, à son vin, et t’invite comme un Dieu à son repas ;

On t’offre de nombreuses prières et les libations des coupes ; on mêle ta divinité aux Dieux Lares, comme fait la Græcia qui se souvient de Castor et du grand Herculès.

Oh ! puisses-tu, noble chef, donner de longs jours de fête à l’Hespéria ! nous le disons à jeun dès le matin, nous le disons, émus par le vin, quand le soleil disparaît dans l’Océan.


Ode VI. — À APOLLO.


Dieu qui châtias la langue orgueilleuse de Niobé sur sa race, et le ravisseur Tityos, et le Phthien Achillès presque vainqueur de la haute Troja,

Plus grand que tous, mais guerrier inférieur à toi, bien que, fils de Thétis marine, il ébranlât les tours Dardaniennes des coups de sa lance terrible :

Tel qu’un pin frappé du fer qui mord, ou qu’un cyprès renversé par l’Eurus, il tomba au loin contre terre et posa le cou dans la poussière Troienne.

Il ne se serait point enfermé dans le cheval faussement voué à Minerva, afin de surprendre les Troiens, au milieu d’une fête fatale, et le palais de Priamus plein de danses joyeuses ;

Mais, ouvertement, terrible aux vaincus, il aurait, hélas ! hélas ! consumé par les flammes Achiviennes les enfants innocents et ceux cachés encore dans le sein de leur mère,

Si, touché par tes prières et celles de l’aimable Vénus, le père des Dieux n’avait accordé aux destinées d’Ænéas des murs élevés sous de meilleurs auspices.

Toi qui enseignes la lyre à l’harmonieuse Thalia, Phœbus, qui laves tes cheveux dans le fleuve Xanthos, défends l’honneur de la muse Daunienne, brillant Agyeus !

Phœbus m’adonne le souffle, Phœbus m’a donné l’art du chant et le nom de poëte. Nobles vierges, et jeunes hommes nés de pères illustres,

Que protège la déesse Délienne qui force de son arc les lynx et les cerfs, observez le rhythme Lesbien et le coup de mon pouce.

En chantant selon le rite l’enfant de Latona et la croissante lumière nocturne, propice aux moissons, et qui déroule rapidement les mois.

Récemment mariée, tu diras : « Au retour de la fête séculaire, j’ai dit un chant aimé des Dieux, docile aux leçons du poëte Horatius ! »


Ode VII. — À TORQUATUS.


Les neiges ont disparu, les herbes renaissent dans les plaines et les feuillages sur les arbres. La terre change de forme, et les fleuves décroissants rentrent dans leurs lits. Les Grâces nues osent mener des chœurs avec les Nymphes. N’espère rien d’immortel ; l’année t’en avertit, et aussi l’heure qui emporte notre plus beau jour. Les froids sont adoucis par les Zéphyrs ; l’été qui doit passer chasse le printemps ; et l’automne qui produit les fruits les prodigue, et bientôt revient l’hiver inerte. Cependant les lunes rapides réparent leurs pertes ; mais nous, là où nous tombons, où sont le père Æneas et le riche Tullus, et Ancus, nous ne sommes qu’ombre et poussière. Qui sait si les Dieux supérieurs ajouteront à la somme de nos jours le jour de demain ? Tout ce qui échappera aux mains avides d’un héritier, tu le donneras à tes désirs. Quand tu seras mort, quand Minos t’aura jugé par un arrêt suprême, ni ta race, Torquatus, ni ton éloquence, ni ta piété ne te rendront la vie. Diana ne peut affranchir le chaste Hippolytus des infernales ténèbres, ni Théseus rompre les chaînes Léthæennes de son cher Pirithoüs.


Ode VIII. — À MARCIUS CENSORINUS.


Je donnerais volontiers à mes compagnons, Censorinus, des coupes, des bronzes, des trépieds, ces prix des braves Graiens ; et tu n’emporterais pas les moins beaux de mes dons, si j’étais riche des œuvres d’art que créait Parrhasius, ou Scopas, celui-ci dans la pierre, celui-là avec des couleurs liquides, tantôt un homme, tantôt un Dieu. Mais ce pouvoir ne m’appartient pas, et la possession et le goût de telles délices ne te manquent point. Tu aimes les vers ; je puis te donner des vers et te dire le prix de mon présent. Ni ces marbres où sont gravées des inscriptions publiques qui rendent, après la mort, le souffle et la vie aux grands capitaines, ni la fuite rapide et les menaces repoussées d’Hannibal, ni l’embrasement de l’impie Carthago, ne louent plus glorieusement que les Piérides de la Calabria celui qui revint illustré par le nom de l’Africa domptée. Si les livres se taisent sur les grandes actions, elles ne sont point récompensées. Que serait le fils de Mavors et d’Ilia, si un silence envieux se fût opposé aux mérites de Romulus ? La vertu, la faveur et la langue des puissants poëtes a consacré, dans les îles Fortunées, Æacus arraché par eux aux flots Stygiens. La Muse défend qu’un homme digne de ses louanges meure, et elle lui ouvre le ciel. C’est ainsi que l’infatigable Herculès s’assied aux festins désirés de Jupiter, que l’astre clair des Tyndarides arrache les nefs brisées au gouffre de la mer, et que Liber, les tempes ornées d’un pampre vert, accomplit bienveillamment les vœux.


Ode IX. — À LOLLIUS.


Ne crois pas qu’elles mourront les paroles que, par un art non encore connu, je chante, accompagnées des cordes lyriques, moi qui suis né près de l’Aufidus qui retentit au loin.

Si le Mæonien Homérus tient la première place, les Muses Pindariques et Céænnes, les Muses menaçantes d’Alcæus et terribles de Stésichorus ne sont point oubliées.

Le temps n’a point détruit les vers où se joua autrefois Anacréon ; l’amour de la vierge Æolienne respire encore, et ses ardeurs confiées à la lyre vivent toujours.

La Lacænienne Héléné n’a pas seule brûlé pour les cheveux parfumés d’un adultère, admirant ses vêtements à trame d’or, son luxe royal et ses compagnons.

Le premier, Teucer n’a pas lancé des traits d’un arc Cydonien ; la seule Ilios n’a pas été saccagé ; le grand Idoméneus et Sthénélus n’ont point combattu seuls

Des combats dignes d’être dits par les Muses ; le fier Hector et l’ardent Déiphobus n’ont pas reçu les premiers le coup mortel pour leurs chastes épouses et leurs enfants.

Bien des hommes vaillants ont vécu avant Agamemnon, mais tous sont ensevelis, non pleurés et inconnus, dans une nuit éternelle, parce qu’ils ont manqué d’un poëte sacré.

La vertu cachée diffère peu de la lâcheté ensevelie. Je ne me tairai pas sur toi dans mes livres ; je ne souffrirai pas que tant de travaux

Restent impunément, Lollius, en proie au livide oubli. Tu possèdes un esprit sage, toujours droit dans les temps heureux ou adverses ;

Châtiant la fraude cupide, s’abstenant de la richesse qui s’attribue tout, consul, non pour une seule année, mais autant de fois que, juge bon et fidèle,

Il préfère l’honnête à l’utile, il rejette d’un front altier les dons des coupables et montre ses armes victorieuses à la multitude qui l’arrête.

Ne nomme pas heureux celui qui possède beaucoup. Le nom d’heureux appartient mieux à qui use sagement des dons des Dieux,

Qui est accoutumé à subir la rude pauvreté et qui craint l’opprobre plus que la mort. Celui-là n’hésitera point à mourir pour ses chers amis ou pour la patrie.


Ode X. — À LIGURINUS.


Ô toujours cruel et fier des dons de Vénus, quand un duvet inattendu surviendra à ton orgueil, quand ces cheveux seront coupés qui maintenant flottent sur tes épaules, quand cette couleur, plus vive que celle de la rose pourprée, en s’effaçant changera Ligurinus en une face hérissée, hélas ! que de fois tu diras en te voyant tout autre dans le miroir : « Que pensé-je aujourd’hui ? Pourquoi enfant n’ai-je point pensé de même ? ou pourquoi, avec ces pensées, mes joues roses ne reviennent-elles pas ? »


Ode XI. — À PHYLLIS.


J’ai, depuis neuf ans et plus, un tonneau plein de vin Albain ; il y a dans mon jardin, Phyllis, de l’ache pour tresser des couronnes et une grande abondance de lierre

Dont tu fais briller tes cheveux renoués. L’argent rit dans ma demeure ; l’autel, ceint de chastes verveines, veut être arrosé du sang d’un agneau sacrifié.

Toutes les mains se hâtent ; çà et là, les jeunes filles courent mêlées aux jeunes hommes ; les flammes pétillent, roulant au ciel une noire fumée.

Afin que tu saches à quelle fête je t’appelle, il te faut célébrer les Ides qui coupent le mois d’avril, le mois de Vénus marine.

C’est un jour solennel pour moi, plus sacré que mon propre jour natal, car c’est de celui-là que mon cher Mæcenas compte les années qui affluent sur lui.

Une jeune fille riche et lascive possède Téléphus que tu demandes et qui ne t’est pas destiné, et elle le retient dans ses liens qu’il aime.

Phaéthon consumé épouvante les espérances avides, et Pégasus ailé, impatient de son cavalier terrestre, Bellérophon, te prévient, par un terrible exemple,

De ne rechercher que les biens légitimes, et, n’espérant rien au delà de ce qui est permis, d’éviter celui qui n’est point ton égal. Viens donc, ô fin de mes amours,

Car, après toi, je ne brûlerai pour aucune autre femme. Apprends les vers que répète ta voix que j’aime. Les noirs soucis se dissiperont à tes chants.


Ode XII. — À VIRGILIUS.


Déjà les compagnons du printemps, les souffles de la Thracia qui apaisent la mer, gonflent les voiles, déjà les prés ne sont plus rigides, et les fleuves ne retentissent plus, grossis par la neige hivernale.

L’oiseau malheureux qui gémit et pleure sur Itys fait son nid, cet éternel opprobre de la maison Cécropiænne, car il s’est cruellement vengé des barbares désirs d’un roi.

Sur l’herbe molle, les gardiens des grasses brebis chantent, s’accompagnant de leurs flûtes, et charment le Dieu à qui plaisent les troupeaux et les noires collines de l’Arcadia.

La saison amène la soif, Virgilius ; mais si tu veux boire le vin de Calénum, il te faut, client des nobles jeunes hommes, l’acheter par du nard.

Une petite coquille de nard fera paraître le tonneau qui est couché dans les celliers de Sulpicius abondant en espérances nouvelles et très-efficace contre les soucis amers.

Si tu désires ces joies, viens promptement avec le prix convenu. Je ne veux pas t’abreuver pour rien de mes coupes, comme un riche dans sa maison pleine.

Ni retard, ni souci d’intérêt. Souviens-toi des sombres feux du bûcher, et, pendant que tu le peux, mêle une courte folie à ta sagesse. Il est doux de s’oublier par moment.


Ode XIII. — À LYCÉ.


Les Dieux, Lycé, ont entendu mes vœux ; les Dieux m’ont entendu, Lycé. Te voilà vieille, et, cependant, tu veux paraître belle ; tu joues et tu bois impudemment.

Et, d’un chant tremblant, après avoir bu, tu sollicites le Désir rebelle. Il repose sur les belles joues de la jeune Chia habile à toucher de la lyre.

Dédaigneux, il vole loin des chênes desséchés, et il te fuit, parce que tes dents livides, tes rides et les neiges de ta tête te déshonorent.

Ni la pourpre de Cos, ni les pierres étincelantes ne te rendront les années que le temps ailé a une fois renfermées dans les fastes.

Où se sont enfuis, et Vénus, hélas ! et tes couleurs, et tes mouvements gracieux ? Qu’as-tu gardé de celle qui respirait l’amour, de celle qui me ravissait à moi-même,

Heureuse d’être, après Cinara, célébrée pour ses charmes ? Mais les destins ont donné de brèves années à Cinara, et ils ont longtemps conservé

Lycé égale en âge à la vieille corneille, afin que les jeunes hommes ardents ne pussent voir, sans éclats de rire, une torche réduite en cendre.


Ode XIV. — À AUGUSTUS.


Comment, et par l’hommage de quels honneurs, les Pères et les Quirites éterniseront-ils, Augustus, la mémoire de tes vertus dans les fastes inscrits,

Ô toi, le plus grand des princes de la terre habitable que le soleil illumine ? Tu as montré récemment aux Vindéliciens non encore soumis à la puissance Latine

Ce que tu pouvais par Mars. Drusus a conduit tes soldats, et les Genaunes, race farouche, et les Breunes rapides, et les citadelles dressées sur les Alpes terribles.

Avec ardeur il les a renversés plus d’une fois. L’aîné des Nérons a bientôt livré un rude combat, et sous d’heureux auspices il a repoussé les Rhætes sauvages.

Il était beau à voir, tandis que, dans la lutte Martiale, il accablait de tant de coups ces poitrines vouées à une libre mort. Tel que l’Auster bouleversant les ondes indomptées,

Quand le chœur des Pléiades déchire les nuées, il enfonçait les bandes ennemies et poussait son cheval frémissant à travers les flammes.

Ainsi que roule l’Aufidus à forme de taureau qui borne le royaume de Daunus l’Appulien, quand il s’irrite et menace d’un déluge terrible les champs cultivés ;

Tel, Claudius a rompu d’un choc impétueux les phalanges couvertes de fer, renversant les rangs, des premiers aux derniers, et victorieux sans pertes,

À l’aide de tes soldats, de tes consuls et de tes Dieux. Car, en ce jour où Alexandréa suppliante t’ouvrit son port et son palais vides,

La fortune prospère a terminé, le troisième lustre, une guerre heureuse, ajoutant cet honneur désiré et cette gloire aux triomphes passés.

Le Cantabre non dompté avant toi, et le Mède, et l’Indien, et le Scythe vagabond, t’admirent, ô protection visible de l’Italia et de la dominatrice Roma !

Le Nilus qui cache ses sources, et l’Ister, et le rapide Tigris, et le monstrueux Océanus qui s’oppose en grondant aux Bretons lointains,

La terre de Gallia qui ne craint point la mort, et celle de la rude Ibéria, t’obéissent, et les Sygambres qui se réjouissent du carnage te révèrent en déposant les armes.


Ode XV.
LOUANGES D’AUGUSTUS.


Phœbus m’avertit avec sa lyre, comme j’allais parler de combats et de villes vaincues, de ne point ouvrir mes petites voiles sur la mer Tyrrhénienne. Ton siècle, Cæsar,

A ramené les moissons abondantes dans les champs ; il a rendu à notre Jupiter les enseignes arrachées aux portes orgueilleuses des Parthes ; il a fermé le temple vide

De Janus Quirinien ; il a imposé des freins à la licence qui rompait l’ordre légitime ; il a éloigné les fautes ; il a rappelé les antiques maximes

Par lesquelles ont grandi le nom Latin et les forces de l’Italia, et la renommée, et la majesté de l’Empire étendue de l’orient au couchant.

Puisque Cæsar veille, ni la fureur civile, ni la violence, ne troubleront le repos, ni la colère qui forge les épées et rend ennemies les malheureuses villes.

Non, ceux qui boivent le Danubius profond n’enfreindront point les édits Juliens, ni les Gètes, ni les Sères, ni les Perses perfides, ni ceux qui sont nés près du fleuve Tanaïs.

Et nous, dans les jours sacrés et ceux qu’on ne fête pas, au milieu des dons du joyeux Liber, avec nos enfants et nos matrones, priant les Dieux selon le rite,

Nous chanterons, comme nos pères, en un chant mêlé aux flûtes Lydiennes, les chefs qui ont pratiqué la vertu, et Troja, et Anchisès, et la race de la féconde Vénus.