Odes (Horace, Séguier)/III/16 - À Mécène

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Odes et Épodes et Chants séculaires
Traduction par M. le Comte de Séguier.
A. Quantin (p. 117-118).


XVI

À MÉCÈNE


Un mur d’airain, des portes bien assises,
De chiens grondants maint couple échelonné
Suffisamment protégeaient Danaé
      Contre d’amoureuses surprises,

Si Jupiter et Vénus n’avaient ri
D’Acrisius, noir geôlier de la belle :
C’est qu’il n’est pas de tour, de gond rebelle
      Pour l’immortel dans l’or pétri.

L’or sait tromper des gardes la consigne,
Et, plus puissant qu’un foudre olympien,
Percer les rocs. De l’augure argien
      L’or causa la ruine insigne,

Le noir trépas. Philippe, sans assauts,
Mais par des dons, vainquit d’altières villes,
Des rois jaloux. Les dons rendent serviles
      Les durs commandants des vaisseaux.

Avec l’argent croît la peine, et la rage
De nouveaux biens. Donc à bon droit j’eus peur,
Mécène, ô toi des chevaliers l’honneur,
      D’afficher un marquant visage.


Plus à soi-même on se refuse, et plus
Donnent les dieux. Sans bagage je vole
Auprès de ceux qu’aucun désir n’affole ;
      J’échappe au camp des Attalus,

Maître plus fier d’un fonds que l’on dédaigne
Que si, passant pour retenir sous clé
Tout ce qu’en Pouille on récolte de blé,
      Je restais pauvre à riche enseigne.

Un ruisseau pur, quelques arpents boisés,
D’humbles moissons l’espoir non chimérique
Mieux qu’au seigneur de l’opulente Afrique
      Me font des jours frais, reposés.

Certes je n’ai ni les miels de Tarente,
Ni les nectars du sol des Lestrygons ;
J’ai moins encor ces précieux moutons
      Fils de la Gaule exubérante :

Mais l’indigence a respecté mon toit.
Voudrais-je plus, tu m’exaucerais vite.
Or, en gardant une sage limite,
      J’agrandis plus mon coffre étroit

Que si j’avais l’empire d’Alyatte
Et la Phrygie. A qui prétend beaucoup,
Beaucoup fait faute. Heureux qui du grand Tout
      Reçoit assez, à bonne date !