Ontologie naturelle/Leçon 07

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Garnier Frères (p. 52-57).

SEPTIÈME LEÇON

Sociabilité des animaux domestiques.
Lois de la fécondité.

Nous connaissons le principe, la cause interne de la domesticité des animaux ; c’est la sociabilité.

Suivons l’effet de cet instinct, l’instinct sociable, dans nos oiseaux domestiques.

La poule, le dindon, le paon sont domestiques ; ces trois espèces sont aussi primitivement sociables. La poule vit à l’état sauvage à Java et dans l’Indostan, et elle y vit en société, en troupes. On voit, aujourd’hui encore, le dindon vivant à l’état sauvage et en troupes dans la Virginie, d’où il a été apporté en Europe, au xvie siècle. C’est à la conquête de l’Inde par Alexandre que nous avons dû le paon : le paon sauvage vit en troupes. La pintade, oiseau de basse-cour, qui nous vient d’Afrique, l’oie, le canard, le pigeon domestique, sont également des espèces qui, dans l’état de nature, vivent en société. Le faisan n’est qu’à demi sociable, il n’est aussi qu’à demi domestique.

Revenons aux mammifères. Nous avons rendu le lapin domestique, et non pas le lièvre. Pourquoi ? C’est que le lapin est un animal sociable, un animal qui vit en famille, et que le lièvre est un animal qui vit solitaire.

Les Espagnols n’ont trouvé, dans le nouveau monde, que trois animaux domestiques : deux ruminants, l’alpaca et le lama, et un petit rongeur, le cochon d’Inde ou aperea. Ils sont, tous les trois, naturellement sociables.


Nous touchons au terme de notre première question, celle de la spécification des êtres. Tout, dans cette belle question, repose sur le caractère de la fécondité. Il nous importe donc essentiellement de connaître les lois de la fécondité elle-même.

Il y en a quatre principales : la première règle le rapport de la fécondité avec la taille de l’animal ; la deuxième, le rapport des sexes dans les naissances ; la troisième, la prédominance de certains types dans les croisements ; la quatrième, l’influence de la domesticité sur la fécondité.

1o Rapport de la fécondité avec la taille de l’animal. — Le rapport de la fécondité est inverse de celui de la grandeur : plus l’animal est petit, plus il est fécond. L’éléphant, le rhinocéros, le dromadaire, l’hippopotame, qui sont les plus grands des animaux terrestres, ne donnent jamais qu’un petit par portée. Le cheval, l’âne, le taureau, qui viennent après par ordre de taille, donnent, en général, un petit, quelquefois deux. Le chamois, la chèvre, la brebis, qui sont de moyenne grandeur, produisent deux petits, quelquefois trois. Le mulot, le lapin, animaux de petite taille, en produisent dix et même jusqu’à vingt,

L’éléphant donne une portée tous les quatre ans, vraisemblablement ; le cheval, tous les ans ; le cochon d’Inde peut donner six portées par an ; le lapin, douze portées.

2o Rapport des sexes dans les naissances. — Le sexe mâle prédomine toujours et partout dans les naissances.

Buffon l’avait très-bien remarqué pour l’espèce humaine. Il avait relevé les naissances dans un grand nombre de paroisses de la Bourgogne et de la Picardie, et il avait exprimé le résultat de ses observations de la manière suivante : « Il naît un seizième d’enfants mâles de plus que d’enfants femelles. » Le calcul, fait chaque année par le Bureau des longitudes, confirme ce résultat. La même loi règne dans toutes les espèces des mammifères.

Buffon a fait une autre remarque : c’est que cette prédominance du sexe mâle, si grande dans les espèces pures, est plus grande encore dans les espèces mixtes ou croisées. Il se fondait sur les quatre observations suivantes :

1o Il avait uni un bouc et une brebis ; la portée donna 7 mâles sur 9 petits ;

2o Il accoupla un mâle de cette portée avec une brebis, et il obtint 6 mâles sur 8 petits ;

3o La portée d’une chienne, unie à un loup, donna 3 mâles sur 4 petits ;

4o Enfin la couvée d’une serine et d’un chardonneret donna 16 mâles sur 19 petits.

Depuis l’année 1845, je me suis occupé de recherches sur le même sujet. J’ai déjà réuni 59 observations :

59 portées, produites, soit par le mélange du chien et du chacal, soit par l’union du loup et du chien, soit par le mélange des métis entre eux, m’ont donné 294 petits, dont 161 mâles et 133 femelles.

On voit que le nombre des mâles a excédé de plus d’un sixième celui des femelles.

Ainsi, tandis que, pour les espèces pures, la différence à l’avantage des mâles n’est que d’un seizième, elle est, dans les espèces mixtes, d’un sixième.

3o Prédominance de certains types dans les croisements. — Le type de l’âne est plus ferme que celui du cheval. Considéré en lui-même, le mulet nous paraîtrait un grand âne ; personne n’aura l’idée de le comparer au cheval. Il n’a pas la docilité, la perfectibilité du cheval. Au contraire, il a hérité de l’entêtement de l’âne ; il a le larynx conformé comme lui, il brait.

Le métis du chien et du loup se rapproche beaucoup plus du chien que du loup. Si l’on unit le chien et le chacal, c’est le contraire qui arrive : le type du chacal prédomine dans le métis.

4o Influence de la domesticité sur la fécondité. — Les espèces domestiques sont beaucoup plus fécondes que les espèces sauvages. Le lapin et le lièvre sont, à peu près, de même taille. Nous avons vu que le lapin, animal domestique, peut produire jusqu’à douze fois par an ; le lièvre, animal sauvage, ne produit que trois ou quatre fois par année.

La chienne domestique a deux portées par an ; à l’état sauvage, elle n’en aurait qu’une. La truie a deux portées par an, et chaque portée donne de quinze à vingt petits ; la femelle du sanglier, souche du cochon, ne porte qu’une fois par an, et chaque portée ne donne que huit petits, dix au plus.

La civilisation est, pour l’homme, ce que la domesticité est pour les animaux : les nations civilisées ont une population riche en nombre, tandis que les peuplades sauvages de l’Afrique, de l’Australie, sont clair-semées dans l’espace, en même temps que misérables et dégradées.

La civilisation amène tout à la fois avec elle l’amélioration matérielle et l’amélioration morale de l’espèce humaine. En pareille matière, il ne faut pas s’en laisser imposer par les éloquentes invectives de J.-J. Rousseau ; il faut voir les faits.