Ontologie naturelle/Leçons 21 et 22

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Garnier Frères (p. 176-185).

VINGT-UNIÈME

ET

VINGT-DEUXIÈME LEÇONS

Mode de génération des marsupiaux. — Œuf du reptile ; œuf du poisson. — La fécondation se fait sur l’œuf. — Œuf humain.

Nous avons vu que ce qui donne un caractère particulier à l’œuf des mammifères, c’est l’existence d’un ou de plusieurs placentas, tandis que dans l’œuf de l’oiseau le placenta n’existe pas : nous avons donné la raison physiologique de ces différences. Enfin, nous avons vu que le fœtus des mammifères respire et se nourrit aux dépens de sa mère et par le moyen du placenta.

Le fœtus respire par sa mère ; il se nourrit par sa mère : l’expérience qu’on vient de lire sur les os du fœtus colorés dans le sein de la mère ne laisse aucun doute ni sur l’un, ni sur l’autre de ces deux points.

La coloration des os du fœtus par le sang de la mère prouve la communication du sang de la mère avec celui du fœtus, et, par suite, la nutrition et la respiration du fœtus par la mère.

Or, nous avons vu que l’organe de cette double communication est le placenta. Il semblerait naturel, d’après cela, que tous les animaux de cette classe eussent un placenta. Il n’en est pourtant pas ainsi. L’étude des animaux d’Amérique nous a révélé tout un groupe nouveau de mammifères qui n’offrent aucune trace de placenta : ce sont les marsupiaux, ou, comme Linné les appelait, les didelphes, animaux singuliers et dont le premier genre connu, le genre américain, est celui des sarigues. La découverte de ces animaux fut un événement physiologique. L’étonnement redoubla lorsqu’on apprit, peu de temps après, que dans la Nouvelle-Hollande on ne trouve presque, en fait de mammifères, que des marsupiaux.

Les marsupiaux ont un mode de génération tout particulier : la femelle est pourvue à l’extérieur d’une poche ou bourse ; dans cette bourse sont les mamelles, et à chacune des mamelles est attaché, durant tout le temps de la gestation, et comme greffé par la bouche, un fœtus.

Deux os caractéristiques en forme de languette, articulés et mobiles sur le pubis, servent à l’attache des muscles qui ouvrent et ferment la bourse : on les appelle os marsupiaux.

Tout d’abord, on se demanda : les petits naissent-ils dans la bourse et se forment-ils aux mamelles de leur mère ? On le crut, sur les apparences. Et cette opinion ne fut pas seulement celle du vulgaire ; elle eut cours parmi les naturalistes. Marcgrave l’admet ; je trouve dans son ouvrage, Rerum naturalium Brasiliæ libri octo (1648), le passage suivant : « La bourse est proprement la matrice de la sarigue. Je m’en suis assuré par la dissection. »

Valentyn, ministre de la religion réformée et voyageur, dit dans son ouvrage intitulé : Les Indes orientales (1685) : « La poche des philandres est une matrice dans laquelle sont conçus les fœtus. » En 1786, le comte d’Aboville disait la même chose. L’erreur persista si longtemps qu’en 1819, M. Geoffroy Saint-Hilaire publiait une brochure sous ce titre : Si les animaux à bourse naissent aux tétines de leur mère.

C’est à un Anglais, le docteur Barton, que l’on doit les premières bonnes observations sur la génération des marsupiaux.

Nous savons aujourd’hui que les femelles des marsupiaux ont, comme les autres femelles de mammifères, deux ovaires, deux oviductes et une matrice ; les organes intérieurs de la génération sont les mêmes. Le mode de développement du fœtus est aussi essentiellement le même. Mais le temps de la gestation est autrement distribué : chez les mammifères à placenta, le petit reste dans la matrice tout le temps nécessaire au développement ; à sa naissance, il est complètement formé, il est viable. Dans les marsupiaux, les jeunes sont expulsés de la matrice pour ainsi dire avant terme. Quand ils arrivent dans la bourse, ils sont très-imparfaits : ceux de petites espèces ne pèsent pas, à cette époque, plus de quatre ou cinq centigrammes ; leurs membres ne paraissent que comme de petits tubercules. C’est dans la bourse marsupiale que leur développement s’achève.

Les jeunes des mammifères ont deux modes de nutrition : 1o la nutrition utérine ; 2o la nutrition extérieure ou la lactation. Pour les marsupiaux, la lactation est le principal moyen d’alimentation. Les petits commencent à téter alors qu’ils ne sont encore qu’ébauchés. On comprend que pour ces animaux un placenta était inutile ; il est remplacé par la mamelle.

Ici se présente une difficulté.

La gestation se partage pour les marsupiaux entre deux organes : la matrice et la bourse marsupiale. Nous concevons très-bien comment s’opère la gestation extérieure ou marsupiale : ce n’est autre chose qu’une lactation. Mais pour la gestation utérine, comment les choses se passent-elles ? Comment le fœtus peut-il respirer et se nourrir dans la matrice, quand il n’y a pas de placenta pour le mettre en rapport avec la mère ?

M. Richard Owen a étudié, dans l’oviducte, l’œuf d’un marsupial (le kanguroo géant), et voici ce qui résulte de ses observations : pour, cet animal, la durée de la gestation utérine est de trente-huit jours ; celle de la gestation marsupiale est de huit mois. Au fond, l’œuf du marsupial reproduit toutes les conditions essentielles de l’œuf des mammifères à placenta ; il présente un chorion, une vésicule ombilicale, une vésicule allantoïde, un amnios ; et toutes ces parties ont des rapports de situation analogues. On y trouve une masse vitelline, et même elle est plus considérable que dans les mammifères ordinaires : il en devait être ainsi, puisqu’il faut que le fœtus vive un temps plus long sur cette seule ressource. L’allantoïde est très-petite et ne gagne pas la surface de l’œuf de manière à produire sur le chorion l’organisation vasculaire qui constitue le lien du placenta avec l’utérus. C’est donc seulement au moyen des vaisseaux vitellins, communiquant par contiguïté avec les vaisseaux de l’utérus, que s’établit le rapport avec la mère. La respiration se fait par ces vaisseaux vitellins. Quant aux éléments de nutrition, ils sont, comme nous venons de le dire, puisés dans la masse vitelline.

Voilà tout ce que nous savons sur la génération si curieuse des marsupiaux ; et j’avoue que c’est bien peu de chose.

Quoi qu’il en soit, nous ne trouvons point de placenta dans ce groupe de mammifères, tandis que tous les autres mammifères en ont un, ou même plusieurs : les onguiculés un circonscrit, et les ongulés plusieurs dispersés.

Ces différences d’organisation m’ont donné l’idée, il y a déjà longtemps, d’une division ou classification physiologique des mammifères. Se fondant sur les caractères tirés des cotylédons, les botanistes distribuent les végétaux en trois grandes classes : les monocotylédones, qui n’ont qu’un seul cotylédon, les dicotylédones, qui en ont deux, et les acotylédones, qui n’en ont point. On peut de même distinguer les animaux vivipares ou mammifères en trois classes : la première comprend ceux qui ont un placenta unique, ou les monoplacenlaires ; la deuxième, ceux qui en ont plusieurs, ou les polyplacentaires, et la troisième, ceux qui n’en ont pas, ou les aplacentaires.

Nous venons d’étudier l’œuf des vivipares et celui des oiseaux. Examinons rapidement l’œuf dans les ovipares autres que les oiseaux.

Il va sans dire que je n’emploie, pour le moment, ces mots vivipares, ovipares, que dans le sens ordinaire, vulgaire, dans le sens qui se rapporte aux apparences ; car, au fond, tous les animaux sont ovipares. N’oublions jamais la grande loi : Omne vivum ex ovo.

Je divise, relativement au point de vue qui m’occupe ici, les ovipares : 1o en ovipares riens ; ce sont les oiseaux et la plupart des reptiles ; 2o en ovipares aquatiques ; ce sont les batraciens et les poissons (je ne parle encore que des animaux vertébrés).

Cela posé, nous ne serons pas étonnés de retrouver dans l’œuf de la tortue et dans celui du crocodile, qui sont des ovipares aériens, la structure et les principaux caractères que nous avons vus dans l’œuf de l’oiseau. Celui du crocodile avait attiré l’attention d’Hérodote à cause de sa petitesse, remarquable quand on la compare à la taille de l’animal devenu adulte.

L’œuf de la tortue présente cette particularité que sa coquille est ponctuée, ainsi que sa membrane calcaire.

Dans les œufs des ophidiens, faisons encore une fois cette remarque des structures qui se compensent : l’œuf n’a pas de coque ; par compensation, la membrane extérieure, l’analogue de la membrane calcaire, est très-épaisse.

L’œuf des ovipares aquatiques n’a pas d’allantoïde. Cette membrane, qui, par les vaisseaux qu’elle soutient, sert de poumon fœtal aux ovipares aériens, n’est plus nécessaire aux ovipares aquatiques : ils respirent par leurs branchies, même à l’état fœtal. Les organes respiratoires du fœtus varient donc selon le milieu dons lequel il se développe : dans le sein de la mère, le fœtus respire par le placenta ; plongé dans l’air, il respire par les vaisseaux de l’allantoïde ; plongé dans l’eau, il respire par les branchies.

Dans les batraciens et dans les poissons, la fécondation s’opère après la pondaison. Le batracien mâle (dans les crapauds, dans les grenouilles, etc.) embrasse la femelle, la presse et force les œufs à sortir : à mesure qu’ils sortent, il les féconde. Les poissons osseux nous présentent un degré de simplicité de plus : la femelle pond ses œufs et les dépose sur le sable ; le mâle la suit et les arrose de sa liqueur fécondante, de la laite.

Toute fécondation se fait sur l’œuf. Ceci est encore une loi générale.

Dans les batraciens, dans les poissons, cette loi s’offre directement aux regards de l’observateur ; dans les autres vertébrés, elle se déduit de faits pathologiques, tels que les grossesses extra-utérines. L’œuf tombe quelquefois dans l’abdomen et s’y développe. Puisqu’il se développe, c’est qu’il était fécondé, et il n’avait pu l’être que dans l’ovaire.

Toute fécondation, même dans les mammifères, se fait donc sur l’œuf ou dans l’ovaire.

Je ne dirai qu’un mot de l’œuf humain.

Malgré quelques particularités de structure qui masquent le caractère des enveloppes, les physiologistes ont retrouvé, dans cet œuf, toutes les parties de l’œuf des autres vivipares.

Cet œuf est celui qui a été étudié le plus tard. Aujourd’hui, il est complètement ramené à la loi d’analogie.