Orgueil et Préjugé (Paschoud)/4

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Traduction par anonyme.
J. J. Paschoud (1p. 26-33).

CHAPITRE IV.

Lorsque Jane et Elisabeth furent seules, la première, qui avoit été jusqu’alors fort réservée, dans les éloges qu’elle avoit donnés à M. Bingley, s’en dédommagea, en exprimant à sa sœur combien il lui plaisoit !

— Il est précisément ce que doit être un jeune homme, disoit-elle, bon, gai, aimable, je n’ai jamais vu des manières plus prévenantes, ni autant d’aisance avec un air si comme il faut.

— Ajoutez qu’il est beau, répondit Elisabeth, un jeune homme doit l’être aussi (s’il le peut) ; pour que son portrait soit parfait.

— J’ai été très-flattée qu’il m’ait engagée à danser une seconde fois ; je ne m’attendois pas à cette distinction de sa part.

— Vraiment, moi j’y comptois pour vous ; mais il y a une grande différence entre nous ; les complimens qui vous sont adressés ne me surprennent jamais, et vous toujours. Qu’y avoit-il de plus naturel qu’il vous engageât une seconde fois ? Il ne pouvoit s’empêcher de voir que vous étiez deux fois plus jolie que toutes les autres femmes du bal, ainsi vous ne lui devez pas de reconnoissance. Il est certainement très-aimable, et je vous permets bien d’en être enchantée, vous avez aimé des gens bien moins agréables que lui.

— Chère Lizzy…

— Vous savez bien qu’en général vous êtes trop disposée à aimer tout le monde. Vous ne voyez jamais les défauts d’autrui, chacun paroît bon et aimable à vos yeux, de ma vie je ne vous ai entendue dire du mal d’un être humain.

— Je désire n’être pas trop prompte à dire du mal des autres, mais cependant je dis toujours ce que je pense.

— Je le sais, et c’est précisément ce qui me surprend ; avec autant de jugement que vous en avez, être si aveuglée sur les folies et les ridicules des autres ! L’affectation de la candeur est assez commune, mais être candide par nature, sans intention, voir toujours le bon côté de chaque caractère, y ajouter encore, et ne jamais parler du mal, cela n’appartient qu’à vous seule. Et vous aimez aussi les sœurs de cet homme, n’est-ce pas ? Cependant leurs manières ne sont pas si prévenantes que les siennes ?

— Non pas au premier abord ; mais lorsqu’on leur parle, on voit que ce sont des femmes aimables. Miss Bingley doit demeurer chez son frère et tenir sa maison. Je me serois bien trompée si nous ne trouvons pas en elle une charmante voisine.

Elisabeth écoutoit en silence, mais n’étoit pas persuadée. Avec un esprit plus observateur et moins de douceur que Jane, et n’ayant pas été distraite par ce qui la concernoit elle-même, elle étoit peu disposée à approuver les manières des sœurs de M. Bingley au bal. C’étoient de belles dames, d’une humeur assez douce avec ceux qui leur plaisoient, aimables lorsqu’elles le vouloient, d’une figure agréable, elles avoient été élevées dans une des premières pensions de Londres, ensorte qu’habituées à frayer avec des gens de qualité, et à dépenser plus que ne leur permettoit une fortune de vingt mille livres, elles s’arrogeoient le droit de se croire supérieures aux autres.

Elles étoient d’une bonne famille du nord de l’Angleterre, circonstance plus profondément gravée dans leur mémoire que celle de l’origine de leur fortune, que leur père avoit acquise dans le commerce.

Monsieur Bingley avoit hérité de son père environ cent mille livres ; ce dernier avoit eu l’intention d’acheter une terre ; la mort l’avoit surpris avant l’exécution de ce projet ; son fils avoit aussi le même dessein, mais depuis qu’il avoit loué une charmante habitation, ceux qui connoissoient le laisser aller de son caractère pensoient qu’il pourroit bien y passer le reste des ses jours et laisser à la génération suivante le soin d’acheter. Ses sœurs désiroient ardemment le voir propriétaire ; cependant quoiqu’il ne fût établi à Metterfield que comme locataire, Miss Bingley étoit très disposée à faire les honneurs de sa table, et Mistriss Hurst qui avoit épousé un homme plus à la mode que riche, étoit fort portée à regarder la maison de son frère comme la sienne toutes les fois que cela pourroit lui convenir. Mr. Bingley n’étoit majeur que depuis deux ans, lorsqu’on lui parla de Metterfield, comme d’une jolie habitation à louer ; il alla la voir et après une demi heure d’examen, enchanté de sa situation, de la distribution des principales pièces, et satisfait de l’éloge que lui en faisoit le propriétaire, il la loua.

En dépit de contraste frappant que présentoient les caractères de Bingley et de Darcy, une véritable amitié régnoit entre eux, Bingley se confioit entièrement à l’attachement de son ami et avoit la plus haute opinion de son jugement, il lui étoit cher par sa franchise et sa douceur. Darcy étoit supérieur pour l’esprit, quoique Bingley n’en fût pas dépourvu, il avoit plus de finesse, et étoit en même temps fier, réservé, et dédaigneux ; ses manières quoique polies n’étoient point attrayantes ; sous ce rapport son ami avoit tout l’avantage. Bingley étoit sûr d’être aimé partout où il paraissoit, Darcy au contraire déplaisoit presque généralement.

La manière dont ils parloient du bal de Meryton, auroit suffi pour montrer la différence de leurs caractères. Bingley n’avoit jamais rencontré des gens plus aimables, et de plus jolies personnes ; chacun avoit été plein de prévenance, et de politesse pour lui ; il n’y avoit ni gêne ni cérémonie et il s’étoit bientôt senti à son aise avec tous les gens qui composoient l’assemblée. Quant à Miss Bennet, il ne pouvoit rien se figurer de plus beau. Darcy au contraire, n’avoit vu là qu’un rassemblement fort insipide, dans lequel il y avoit peu de jolies personnes ; point qui eussent l’air vraiment comme il faut ; aucune ne lui avoit inspiré le plus léger intérêt, aucune ne lui avoit donné la plus légère marque d’attention. Il avouoit cependant que Miss Bennet étoit jolie, mais il trouvoit qu’elle sourioit trop.

C’étoit aussi l’avis de Mistriss Hurst et de sa sœur ; malgré cela, Miss Bennet leur plaisoit, et elles, conclurent que c’étoit une douce et charmante personne, avec laquelle il n’y avoit aucun inconvénient à faire connoissance. Ainsi Miss Bennet étant reconnue pour une fort-aimable fille, leur frère se vit autorisé à s’abandonner à son admiration pour elle.