Ornithologie du Canada, 1ère partie/Faucons, Éperviers, Émerillons

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Atelier typographique de J. T. Brousseau (p. 42-45).

FAUCONS, ÉPERVIERS, ÉMERILLONS.


En octobre 1663, Pierre Boucher, alors gouverneur de Trois-Rivières, écrivant pour l’information de ses amis à la cour de Louis XIV, disait[1] : « Il y a aussi en ce pays des oyseaux de proye de plus de quinze sortes, dont je ne sais pas les noms sinon de l’Épervier et de l’Émerillon. » Avouons néanmoins à la gloire de l’illustre fondateur de Boucherville, que quelque maigre que soit sa Relation, il était plus versé dans l’histoire naturelle du Canada que ne le sont, de nos jours, la plupart des personnes qui appartiennent à la classe éclairée.

L’ancêtre des Boucher, pas plus que ses successeurs, n’ayant décrit ces « quinze sortes d’oyseaux de proye » en langue française, il nous sera presque impossible de leur donner en cette langue les honneurs du baptême. S’il suffisait de fournir une pompeuse nomenclature des oiseaux de nos latitudes, avec forces termes scientifiques d’une latinité plus ou moins barbare, rien de plus facile au moyen des autorités américaines sur cette matière. Ceci pourrait satisfaire aux exigences d’un professeur d’histoire naturelle, sans atteindre notre but, qui est de populariser et de dégager d’une érudition fastidieuse une étude qui combine l’utile avec l’agréable.

Nous allons esquisser les individus marquants de la famille accipitrine.

L’histoire des Faucons et l’art de la Fauconnerie tel que pratiqué encore actuellement en Allemagne, en Angleterre et en Belgique, voilà de quoi intéresser toutes les classes, y inclus cette classe peu nombreuse, nous aimons à le croire, pour laquelle le magnifique panorama de la nature animée est un livre scellé. Un autre chapitre résumera, d’après les meilleurs auteurs, l’art de la chasse à l’Oiseau, cet art qui remplissait une partie si notable de l’existence de nos aïeux. Persuadés que nous sommes que l’on jettera avec plaisir un coup d’œil rapide à travers les créneaux de ces vieux châteaux où Messieurs nos pères menaient vie noble et joyeuse — que l’on franchira volontiers avec nous le pont-levis de leurs castels où reposaient sous la garde de Dieu, leurs femmes et leurs enfants, dans ces temps aventureux, où une partie de la population guerroyait contre ses fiers barons, tandis que l’autre allait chevauchant en Palestine, pour y expirer gaiement au premier rang, au cri de guerre : Montjoy St. Denis !

Nous rappellerons les amusements de ce moyen âge, de cette époque, où le jeune châtelain « avec l’or, le faucon et le cor de chasse, précédé de la harpe du troubadour et de la cithâre du romancier visitait les pays lointains et les cours étrangères, pour se rendre chevalier parfait. »

Ce faisant, nous remplirons un double but : d’abord celui d’intéresser le lecteur au bon vieux temps, à ce temps dont maintenant chacun médit à tout propos et hors de propos ; ensuite celui de nous enquérir pourquoi, à l’instar de leurs pères, les enfants ne dresseraient pas nos bons amis les Éperviers à chasser pour leurs maîtres, Perdrix, Canards, Pigeons et autres gibiers, afin par ce moyen, de confier à d’autres, en ce siècle merveilleusement pratique, la besogne fort peu récréative de faire le marché, selon le mot du peuple, tel qu’on en usait il y a 300 ans et tel qu’on en use actuellement ailleurs.

« Les Faucons sont, de tous les Rapaces diurnes, les plus courageux et les plus agiles ; leur vol est d’une merveilleuse rapidité ; on cite la vitesse d’un Faucon échappé de la fauconnerie de Henri II, qui supprima en un jour l’espace séparant Fontainebleau de l’île de Malte, c’est-à-dire une distance de trois cents lieues. Leur livrée est élégante, quoique les teintes foncées y dominent ; leur attitude est pleine de fierté quand ils sont perchés ; mais leur marche est sautillante et peu gracieuse, à cause de la longueur et de la forme demi-circulaire de leurs ongles, ainsi que de l’étendue de leurs ailes.

« Les diverses espèces de Faucons diffèrent dans leur manière de chasser ; cependant, toutes saisissent leur proie, non pas avec le bec, mais avec les serres. Si cette proie est un oiseau, le Faucon se laisse tomber sur elle, ou l’enlève en descendant obliquement sans ralentir son vol, ou le saisit après avoir tourné en spirale autour d’elle ; s’il attaque un mammifère, il le saisit à la nuque, et si la victime résiste, il lui crève les yeux à coups de bec. Les Faucons dévorent rarement leur proie sur place ; le plus souvent, ils l’emportent à l’écart, sur un arbre ou sur un rocher. Ils plument presqu’en entier les oiseaux avant de les manger, et en avalent à la fois des morceaux fort volumineux ; ensuite ils rejettent en pelotes le peu de plumes qu’ils ont avalées, ainsi que les parties qu’ils ne peuvent digérer. Les Faucons habitent les montagnes, les forêts, les bois près des champs. Ils émigrent quelquefois à la suite des oiseaux voyageurs qui leur servent de proie. »


  1. Histoire véritable et naturelle de la Nouvelle-France, page 35.